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15 juillet 2021

La danse du feu - 4

Dans le récit du buisson ardent que nous donne à manduquer la liturgie d’aujourd’hui se trouve une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique qui n’est pas sans écho avec le cycle d’Elie. 

Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. 

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu. 


Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui brûle en nous et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelque que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quelque soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu


On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ». “Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...).

C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ». 


Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob1 : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ. 


Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ». L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…(1)


Que dire 3000 ans plus tard ?


La danse du feu fragile prépare le don du feu, nous invite à l’agenouillement tout en nous préparant à l’agenouillement de Dieu devant l’homme(2), double pédagogie que souligne Joseph Moingt à sa manière. 


L’esprit qui descends en langue de feu n’est pas forcément la puissance en actes d’un Dieu qui brise notre volonté et le force à agir. Il est inhabitation silencieuse, danse intérieure et chant de Dieu…


(1) extrait de Pédagogie divine 

(2) cf. mon livre éponyme

24 juin 2020

La course infinie 2 - Grégoire de Nysse


La course infinie 2 - Grégoire de Nysse

L'auteur de la vie de Moïse a toujours une belle façon de contempler les écritures. Je ne résiste pas au bonheur de vous partager cette série de contemplations offertes à la méditation dans l'office des lectures de cette semaine. On y découvre d'abord cette belle méditation du chemin de Paul et de son « imitez moi » de Philippiens.

« Saint Paul, avec plus de précision que personne, a compris qui est le Christ et a montré, à partir de ce que celui-ci a fait, comment doivent être ceux qui portent son nom. Il l'a imité si clairement qu'il a montré en sa personne quelle est la condition de son Seigneur. Par cette imitation très exacte, il a confondu l'image de son âme avec son prototype au point que ce n'était plus Paul qui semblait vivre et parler, mais le Christ lui-même. Comme il le dit, en prenant admirablement conscience de ses propres avantages : Puisque vous désirez avoir la preuve que le Christ parle en moi. ~ Et encore : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi.

Il nous a donc révélé ce que signifie le nom du Christ, lorsqu'il nous dit, que le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu ; en outre, il l'a appelé paix et lumière inaccessible où Dieu habite, sanctification et rédemption, grand prêtre, agneau pascal, pardon pour les âmes, lumière éclatante de la gloire, expression parfaite de la substance, créateur des mondes, nourriture et boisson spirituelle, rocher et eau, fondement de la foi, pierre angulaire, image de Dieu invisible, grand Dieu, tête du corps qui est l'Église, premier-né avant toute créature, premier-né d'entre les morts, premier-né de la multitude de frères, médiateur entre Dieu et les hommes, Fils unique couronné de gloire et d'honneur, Seigneur de gloire, commencement de ce qui existe,  ~ roi de justice et ensuite roi de paix, et roi de tous les hommes, avec une puissance royale sans aucune limite.

Il y a encore beaucoup de noms à ajouter à ceux-là, et leur nombre les rend difficiles à compter. Mais si nous rassemblons tous ces noms et si nous rapprochons leurs diverses significations, ils nous montreront tout ce que signifie le nom de Christ, si bien que nous pourrons comprendre toute la grandeur de ce nom inexprimable. ~

Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que nous sommes honorés du titre même du Christ en étant appelés « chrétiens », il est nécessaire que tous les noms qui traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle reçoive le témoignage de notre vie. Trois choses caractérisent la vie du chrétien : l'action, la parole, la pensée. Parmi elles, la principale est la pensée. Après la pensée, vient la parole, qui révèle par les mots la pensée imprimée dans l'âme. Après l'esprit et le langage, vient l'action, qui met en œuvre ce que l'on a pensé. Lorsque l'une de ces trois choses nous dirige dans le cours de la vie, il est bien que tout : parole, action et pensée, soit divinement réglé selon les connaissances qui permettent de comprendre et de nommer le Christ, afin que notre action, notre parole ou notre pensée ne s'écartent pas de ce que ces noms signifient.
Que doit faire celui qui a obtenu de porter le nom magnifique du Christ ? Rien d'autre que d'examiner en détail ses pensées, ses paroles et ses actions: est-ce que chacune d'elles tend vers le Christ, ou bien s'éloigne de lui ? Cet examen se fait de multiples façons. Les actes, les pensées ou les paroles qui entraînent une passion quelconque, tout cela n'est aucunement en accord avec le Christ, mais porte l'empreinte de l'Adversaire, lui qui plonge les perles de l'âme dans le bourbier des passions, et fait disparaître l'éclat de la pierre précieuse.
Au contraire, ce qui est exempt de toute disposition due à la passion regarde vers le chef de la paix spirituelle, qui est le Christ. C'est en lui, comme à une source pure et incorruptible, que l'on puise les connaissances qui conduisent à ressembler au modèle primordial ; ressemblance pareille à celle qui existe entre l'eau et l'eau, entre l'eau qui jaillît de la source et celle qui de là est venue dans l'amphore.
En effet, c'est par nature la même pureté que l'on voit dans le Christ, et chez celui qui participe au Christ. Mais chez le Christ elle jaillit de la source, et celui qui participe du Christ puise à cette source et fait passer dans la vie la beauté de telles connaissances. C'est ainsi que l'on voit l'homme caché concorder avec l'homme apparent, et qu'un bel équilibre de vie s'établit chez ceux que dirigent les pensées qui poussent à ressembler au Christ.
À mon avis, c'est en cela que consiste la perfection de la vie chrétienne: obtenir en partage tous les noms qui détaillent la signification du nom du Christ, par notre âme, notre parole et les activités de notre vie.(1) »

Sur ce chemin Grégoire va un pas plus loin : « L'impression que l'on éprouve lorsque, du haut d'un promontoire, on jette les yeux sur la mer immense, mon esprit la ressent lorsque, du haut de la parole du Seigneur, comme du sommet d'une montagne, il regarde la profondeur insondable des pensées divines.

Souvent, au bord de la mer, on voit s'élever une montagne qui présente à l'océan une pente abrupte du haut jusqu'en bas, et dont le sommet surplombe l'abîme. Mon âme souffre du même vertige lorsqu'elle est emportée par cette grande parole du Seigneur Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.

Dieu se fait voir à ceux qui ont purifié leur cœur. Or, Dieu, personne ne l'a jamais vu, dit le grand saint Jean. Et saint Paul, cet esprit sublime, renforce cette affirmation en disant que personne ne l'a jamais vu, et que personne ne peut le voir. Il est ce rocher lisse et abrupt qui n'offre aucune prise à nos pensées, et que Moïse, dans ses enseignements, déclare inaccessible à notre esprit. Il détournait de l'approcher tous ceux qui essayaient de le saisir, en affirmant : Il n'y a personne qui puisse voir le Seigneur sans mourir.

Et pourtant, voir Dieu, c'est la vie éternelle. Mais ces colonnes de la foi, Jean, Paul et Moïse déclarent que c'est impossible ! Tu vois quel vertige s'empare de l'âme attirée par la profondeur de ce que nous découvrons dans les discours du Seigneur ! Si Dieu est la vie, celui qui ne le voit pas ne voit pas la vie. Et les prophètes, comme les Apôtres, qui sont remplis de Dieu, attestent qu'on ne peut voir Dieu. Dans quelles limites l'espérance des hommes est-elle enfermée ?

Mais le Seigneur soutient cette espérance défaillante. C'est ainsi qu'il s'est comporté envers Pierre. Celui-ci était en péril de se noyer, mais Jésus le fit tenir sur l'eau comme sur une matière ferme et consistante. Si donc la main du Verbe s'étend vers nous, alors que nous sommes chancelants à cause de la profondeur de ces considérations, si elle nous établit fermement sur l'une de ces pensées, nous serons rassurés parce que le Verbe nous aura comme saisis par la main. Car il dit : Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. »(2)



(1) Saint Grégoire de Nysse - Traité sur la perfection chrétienne, source office des lectures du 12ème lundi et mardi ordinaire
(2) Homélie sur les béatitudes, ibid, jeudi de la même semaine
Ps : Voir aussi l'ouvrage d' Hans Urs von Balthasar ou mon petit livre sur Grégoire « La course infinie »

24 mai 2020

La gloire c’est l’Esprit Saint - Grégoire de Nysse


En guise de corrigé à mon homélie :
« Le sens de ces paroles nous apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l'Évangile. [Jn 17]. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples ; puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous les biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs préférences dans leur jugement sur le bien, mais qu'ils soient tous un par leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l'unité du Saint-Esprit, comme dit l'Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l'unique espérance à laquelle ils ont été appelés.

Mais nous ferons mieux de citer littéralement les divines paroles de l'Évangile : Que tous, dit Jésus. soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi ; qu'eux-mêmes soient un en nous.

Or, le lien de cette unité, c'est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s'il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.

Cette gloire, qu'il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l'a pourtant reçue lorsqu'il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l'Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l'Esprit, en commençant par les disciples. C'est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée ; qu'ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un.

Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d'homme parfait, qui a rejoint la mesure de l'âge spirituel ~ ; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l'Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est cette colombe parfaite que regarde l'Époux lorsqu'il dit : Unique est ma colombe, unique ma parfaite. »

(1) Saint Grégoire de Nysse, homélie sur le cantique des cantiques’ source office des lectures du 7eme dimanche de Pâques, AELF

06 mai 2020

Lectures pastorales - récapitulatif et accès en téléchargement gratuit sur kindle

Texte révisé le 13/4 cf plus bas puis le 15/5

Profitant de mes soirées de confinement et du bouclage d’une première version de Pédagogie Divine qui attend vos commentaires, j’ai remis à jour quatre des 18 tomes de mes lectures pastorales, cette longue série de manducation de la parole sans prétention à la lumière des éclairages des pères de l’Église et de mes lectures diverses, notamment de J. Moingt, Kasper, J. Meier, B.  Sesboué, K. Rahner, C. Theobald ou l’incontournable Hans Urs von Balthasar.
Ces tomes intègrent un certain nombre de redondances mais constituent chaque fois des approches particulières de la Bible. Je rappelle ici l’enchaînement chronologique de mes essais :

  1. A genoux devant l'homme, (Jean) 2012
  2. Chemins de miséricorde, (Luc) 2013
  3. Chemins d'Eglise (actes des apôtres)
  4. Serviteur de l'homme, kénose et diaconie (lettres de Paul) 2014
  5. Sur les pas de Marc, 2015
  6. Sur les pas de Jean, 2015
  7. Chemins croisés (Matthieu), 2015
  8. Chemins d’Évangile (Les 4), 2015
  9. Le chemin du désert (de Gn et Ex à Mat 4 et Jn 21)
  10. Nouveau Testament, tome 3 - autres lettres)
  11. L'humilité de Dieu, tome 11 - Humilité et miséricorde (tome 1)
  12. Décentrement et communion, - Humilité et miséricorde (tome 2)
  13.  Miséricorde, un chemin en Église, - Humilité et miséricorde (tome 3)
  14. Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse, 2016
  15. Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des tomes 10,11 et 19)
  16. Chemins de prière, nouvelle édition - lire l'Ancien Testament, tome 3 (les psaumes)
  17. Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (614 p.)
  18. Le rideau déchiré - nouvelle édition revue de Sur les pas de Marc (extrait du tome 17)

En lisant les tomes 17, 8, 3, 4, 10, 11, 12, 13, 9, 15, 16 vous avez plus ou moins l’intégrale.Mais l’ordre est volontairement non imposé...Vous pouvez aussi commencer par le 5, le 9, le 14 ou le 18 et voir ensuite... 

Je précise  qu’à l’occasion de la parution de Pédagogie divine j’avais rendu 4 tomes de mes lectures pastorales offerts en téléchargement gratuits sur Kindle jusqu’au vendredi saint..(une promotion spéciale d’Amazon, au lieu des 0,99 euro, que je ne peut malheureusement renouveler avant deux mois - limitation imposée par l’éditeur**).
Cela donnait un autre accès à mes livres depuis quelques années publiés à prix coûtant...(*)
Même si je trouve qu’un bon livre se lit surtout sur du papier, l’édition sur Kindle qui respecte les notes est un bon ersatz...

(*) pour des raisons probablement liées à la situation actuelle les versions brochées ne sont plus accessibles via Amazon.fr mais le sont encore via ce lien sous amazon.co.uk
** du coup j’ai mis en ligne gratuitement à genoux devant l’homme et mardi de Pâques la dynamique sacramentelle...Cf. le lien et je continue de mettre en ligne d’autres tomes.
Au 20 avril étaient disponibles gratuitement les numéros 9 et 11 à 16 (cf. plus haut) de la série sur Amazon/Kindle et « cette église que je cherche à aimer »
Depuis le 15 mai, retrouvez les tomes 17 et 8 disponibles gratuitement en un seul volume chez kobo.com et Fnac.com sous le titre « Dieu dépouillé »

05 avril 2020

Le rideau déchiré - Reconnaître que Dieu est Dieu.

« La crainte de Dieu consiste à lui obéir, à reconnaître constamment sa grandeur en observant sa volonté. A ce titre, c'est le contraire de toute mystique de fusion avec Dieu parce que le passage de l'homme par delà lui-même pour accéder au domaine de l'Alliance ouvert par Dieu suppose toujours et fait apparaître la différence entre le Dieu éternel et l'homme périssable. L'homme élève son âme (Ps 25 ; 86,4 ; 143,8) en aspirant vers Dieu (psaume 119, 20.40), en ayant soif de lui (psaume 63, 2; 146,6), en se suspendant à sa parole (psaume 119) en pressant son âme contre Dieu (63,9 ; 119,31), en tenant son âme en paix et silence, comme un enfant conte la poitrine de Dieu (Psaume 131).(1)

Il y a là un chemin de croissance de cet « amour en soi », présence silencieuse que je cherche à thématiser.

Il ne s'agit pas de s'enfermer dans un confinement stérile, mais de se laisser toujours traverser par le courant d'air de ce Dieu qui vient nous visiter et nous pousse toujours plus loin.

Course infinie dit Grégoire de Nysse.
Le bout du voyage est un déchirement du cœur, une nouvelle naissance.

C'est le thème de ma dernière méditation, sommet de cette pédagogie divine : Notre quête, à l'issue de ce chemin de carême, de ce temps de désert, doit parvenir à son terme. Au fond de nous doit apparaître ce que Benoît XVI appelait à Cologne la fission du Cœur. Dieu se révèle dans le rideau déchiré...



(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p. 178

30 janvier 2020

Distance comme devenir - Bernard Sesboué

Par rapport à l'affirmation aux multiples traductions d'Exode 3,14 : « Je suis celui qui suit » sainte Catherine attribue au Christ ce commentaire : « Je suis celui qui suis, tu es celle qui n'est pas », nous rapporte Bernard Sesboué(1) en soulignant « cette différence absolue (...) [la] finitude crée (...) [le] devenir » de l'homme où se joue la prise de « distance par rapport à soi-même », ce que Grégoire de Nysse appelle la diastasis, Basile de Césarée le diastèma et Augustin la distensio, un passage du néant à l'être. (1)

Quel est l'enjeu ? Est-ce « l'autrement qu'être » de Levinas, le décentrement, la fission du cœur dont parlait Ratzinger au JMJ de Cologne ?

Tout passe probablement d'abord par une contemplation, celle du créateur qui se donne et s'efface pour conserver notre liberté, première théophanie du buisson ardent qui précède le don et la nudité du Christ à une distance infinie de lui-même...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 52ss

03 octobre 2019

Philippiens 3 - La course infinie

33 ans après le choix de ce texte pour notre mariage, je continue de me nourrir de la puissance de cette exhortation que je retrouve dans l'office des lectures d'aujourd'hui : « Il s'agit pour moi de connaître le Christ, d'éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l'espoir de parvenir à la résurrection d'entre les morts.
Certes, je n'ai pas encore obtenu cela, je n'ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j'ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l'avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.
Nous tous qui sommes adultes dans la foi, nous devons avoir ces dispositions-là ; et, si vous en avez d'autres, là-dessus encore Dieu vous éclairera.
En tout cas, du point où nous sommes arrivés, marchons dans la même direction. » (Ph 3, 10-16)

Grégoire de Nysse s'en est inspiré dans sa Vie de Moise, il me reste, à sa suite d'en faire un chemin de vie. Priez pour moi...


01 septembre 2019

Homélie de mariage n.9 - Cantique 2 et Genèse…

Notes pour un mariage célébré le 31/8

A - Texte d'accueil
Bonjour,
Nous sommes ici réunis dans un écrin particulier, cette belle église de S., que je découvre avec beaucoup d'entre vous.
Nous sommes venus pour contempler un mystère, qui éclaire le monde depuis qu'il est notre monde.
Nous sommes venus pour célébrer l'amour d'un homme et d'une femme, prêt à s'unir pour l'éternité... Il y a d'autres amours, d'autres façon d'aimer, à commencer par l'amour d'une mère pour son enfant... Mais aujourd'hui, c'est de mariage que nous allons parler. Et ce mariage a quelque chose à dire sur l'amour en général.
Par vos textes choisis aujourd'hui, V et J. vous allez nous transporter plus de 2500 ans en arrière, dans ce qu'on appelle les textes « sapientaux » (les textes de sagesse) où le peuple hébreu, à son retour d'exil, nous donne une lecture non pas historique de la création et du monde, mais une lecture spirituelle, c'est-à-dire une forme de mythe idéal. Un mythe ?
Plus qu'un mythe... Une direction... Une prophétie... disait Irénée, un Père de l'Église au 2ème siècle. Les deux lectures (le cantique des cantiques et le deuxième chapitre de la Genèse évoqués dans l'évangile de Marc (9) sont écrits environ 500 ans avant JC. Ils nous conduisent à méditer ce que nous cherchons tous...
Aimer... Aimer jusqu'au bout... Aimer plus que tout...
Alors entrons dans cette célébration dans le silence.
Au début du chapitre 2 de la Genèse, évoqué dans l'évangile, l'homme découvre la femme et pousse un cri. En Hébreu, le mot est waouh..
Aujourd'hui, V. tu es en droit de dire Whaoouu... Et moi, jeune diacre, marié depuis 33 ans bientôt, je m'agenouille devant ton cri intérieur, comme beaucoup d'entre nous, parce que ce cri du cœur est une interpellation à aimer jusqu'au bout. C'est aussi une invitation à louer Celui qui est à l'origine de tout cela... Celui qui ne figure pas dans votre liste d'invités, mais qui est là à vos côtés. Entrons dans le silence...

B- Homélie
Comme je l'évoquais dans mon mot d'accueil je m'agenouille devant le mystère de votre rencontre, devant ce qui s'annonce, quelque chose de grand, d'immense.,.
votre couple s'est forgé dans un métal précieux. Tu le disais toi-même Valentin, vous avez construit un trésor d'une grande qualité, comme un diamant qui se prépare à l'éternité.

Que dire face à cela ?
Trois mots peut-être : courir quitter et chair
Et Deux lettres J V... comme les premières lettres de vos prénoms...
trois mots et deux lettres qu'on trouve dans les deux lectures pas forcément dans le bon ordre.

I - courir

Je vous souhaite de tout mon cœur de continuer dans cette lancée, d'entrer dans cette course infinie où l'un et l'autre allez pouvoir être le meilleur de vous-même et le meilleur à deux, pour porter au monde ce qui vous habite, pour entrer dans une fécondité toute particulière.

Ii- 3 verbes

Votre mariage est le début ou plutôt la poursuite d'une grande saga. Comme je l'évoquais, plusieurs séries de verbes évoquent pour moi ces directions que vous aller prendre.

III - Quitter

Quitter ses parents, me semble déjà bien entamé pour vous. Mais ce concept est central dans la Bible. On le retrouve au delà du deuxième chapitre de la Genèse, notamment dans l'orde donné à Abraham par Dieu. « va quitte ton pays, [tes certitudes] »... Pour illustrer cela je vous donne un petit exemple. Quand j'ai épousé Daniele elle buvait du chocolat et.moi du thé. Quelques années plus tard, c'était l'inverse...L'exemple est très matériel par rapport à l'enjeu.
Quitter c'est s'ouvrir à l'autre...
Quitter un éventuel repli sur soi, une tour solitaire, descendre de votre tour, vous disais-je déjà il y a six mois, écouter, attendre. C'est le chemin d'une vie... je reviendrai là dessus....


IV - Faire silence

Le deuxième point fortement lié au premier est de faire silence, entendre la musique de l'autre, des autres, de Dieu...?

V - Une seule chair

Le troisième stade serait de danser, faire une seule chair...
Le mot hébreu est plus vaste que ce que l'on ne l'entend dans la langue française : il signifie pour moi symphonie. Chacun de vos talents doit s'harmoniser pour entrer dans la danse. Et je ne parle pas seulement de vos corps mais de votre être.

La rencontre, la danse des corps est importante car elle est source de joie.

Le pape Jean Paul II en parlant de la rencontre des corps évoquait le mot de liturgie, c'est à dire que dans vos rencontres les plus intimes se joue un deuxième niveau, immense, une joie contagieuse et qui vous dépasse...

Pourquoi ?

Parce que Dieu est là, au milieu de votre danse la plus intime, en vous donnant l'un à l'autre, il est le grand donateur qui s'efface dans votre joie. Ce don est immense et en même temps respectueux de votre liberté. il est au cœur de votre amour, non pour l'enfermer mais pour le dilater, le rendre fécond.

Faire une seule chair est plus grand encore.

Vous m'avez dit que vous n'excluiez pas d'avoir des enfants. La chair de votre chair... Je m'en réjouis et je serai là si vous voulez les baptiser ;-)

Mais l'enjeu de faire une seule chair est plus vaste.

Faire une seule chair, c'est donner naissance à la joie, à la vie, être semence de vie, d'éternité, rayonner de votre amour, devenir signe, joie contagieuse pour vos enfants présents et à venir. Joie aussi pour le monde. Communion généreuse qui se nourrit de vos rencontres les plus intimes et les transcendent...

VI - Courir 2.O

J'en reviens au verbe courir. Le bien aimé courre vers l'objet de son désir (Cantique 2) mais l'enjeu est plus large : monter... grimper, courir, c'est à dire s'inscrire dans une course vers l'amour, entrer dans une dynamique qui dépasse largement l'aujourd'hui de votre mariage car c'est l'enjeu de votre vie. Se laisser saisir par l'amour (cf. Philippiens 3), embraser votre entourage de votre joie... Que votre union devienne feu, buisson ardent, lumière pour le monde, c'est à dire signe...

Julie, tu l'exprimais à ta manière, votre fécondité sera quelque chose de plus large que la seule fécondité charnelle, que les enfants que vous attendez, parce que l'amour qui vous habite vaut la peine d'être vécue, parce que l'amour est plus fort que la mort parce que l'amour qui vous vient de Dieu et qui vous portera peut-être à Dieu est le coeur, l'essence même de votre union.

Valentin, tout cela s'inscrit entre liberté et don... Il y'a une articulation à découvrir entre la joie de recevoir et la prise de conscience que ce don vient d'un donateur qui s'efface....

Dans votre course vous serez signe efficace, c'est-à-dire « sacrement » d'un amour plus grand...

VI - le « V » et le « J »

Ce mouvement s'inscrit dans un V...
Descendre de sa tour, quitter ses certitudes pour remonter à deux, en communion...

Ce mouvement en théologie s'appelle la kénose. Il s'est dessiné en « J », Jésus, le Christ...
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, (en grec ekenosen) prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix.
C'est pourquoi Dieu l'a exalté : il l'a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (lettre de saint Paul aux Philippiens 2, 7-10)

Le Christ Jésus est votre chemin. Il sera là à vos côtés. Il vous donnera la force (les chrétiens appellent cela la grâce) d'avancer, si vous l'invitez à demeurer chez vous. Car le mariage est aussi parfois une épreuve, « impossible à l'homme, mais possible avec Dieu » (cf. Mat 19), source de tout amour et chemin d'un amour qui va jusqu'au bout...

(1) cf. Cantique des cantiques, mais aussi un thème repris par Grégoire de Nysse dans la vie de Moise et mon livre éponyme
(2) sur ce point voir mes travaux sur la dynamique sacramentelle


02 août 2019

Effacement et contraste - 9 - Beau ou Bon ? - Balayure - Marie de la Trinité

"Un soir d'hiver j'accomplissais comme d'habitude mon petit office, il faisait froid, il faisait nuit… Tout à coup j'entendis dans le lointain le son harmonieux d'un instrument de musique, alors je me représentai un salon bien éclairé, tout brillant de dorures, des jeunes filles élégamment vêtues se faisant mutuellement des compliments et des politesses mondaines ; puis mon regard se porta sur la pauvre malade que je soutenais ; au milieu d'une mélodie j'entendais de temps en temps ses gémissements plaintifs, au lieu de dorures, je voyais les briques de notre cloître austère, à peine éclairé par une faible lueur" (1)

Terrible contraste entre le Beau et le Bon. Tension s'il en est pour ceux qui cherchent dans l'esthétique une porte d'entrée mystique. Ici, pas de fuite possible. Le visage de l'autre m'interpelle toujours. Entre l'exigence de Lévinas et la culpabilité de Sibony, il n'y a pas photo. L'autre est la porte vers l'Autre, même si ce dernier est silencieux... Le chemin parcouru est celui d'une vie. 

Face au silence, y-a-t-il que l'Ecriture ? Avec ou sans grand "E" ?

Entre une auto-justification narcissique et le silence, Pascal a fait le choix, in fine, du silence nous dit Hans Urs von Balthasar dans Gloire et Croix, Styles, tome 3.

A méditer.

C'est en tout cas mon choix, depuis que j'ai compris, à la lumière de Philippiens 3 et de Grégoire de Nysse que je ne suis que balayure (2) sur une course infinie(3).

(1) Marie de la Trinité citée par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 562
(2) ibid. p. 524 et 528 sq et Ph 3
(3) cf. mon livre éponyme 

08 novembre 2018

Philippiens 3 et Luc 15 - La course infinie - Homélie du 8/11/18


Frères et sœurs,
La liturgie, en découpant la Parole en tranches, nous prive souvent d’une lecture cursive et donc d'une certaine façon de la dynamique de l’auteur.
Il faudrait ainsi, en théorie, prendre le temps de contempler le message de Luc. Tomber à genoux comme Dieu tombe à genoux devant l’homme (1). Dans l’ensemble du chapitre 15 et en particulier les paraboles sur la miséricorde, Luc nous dévoile l’amour infini de Dieu, son attention pour les pécheurs que nous sommes. Je vous invite ce soir à prendre le temps de les lire toutes ensemble et de vous laisser attendrir par l’amour de Dieu pour l’homme.
Qui sommes nous pour parler pour autant de l’amour Divin ?
J’aimerais vous partager ce matin une contemplation de la première lecture, qui tronque, elle aussi une invitation de Paul à se laisser saisir par le Christ.
Pharisien, chercheur de la loi, une « brebis perdue » dans l’étude stérile de la loi, il prend conscience que tout cela n’est rien, que ce ne sont que balayures. Il a été saisi par le Christ et s’élance, dit la suite du texte, pour saisir la bonne nouvelle du Christ et se laisser à nouveau saisir par Lui.
Qu’évoque pour nous ce saisissement ? Écoutons la suite du texte que nous aurions pu entendre demain si l’on ne fêtait pas la dédicace de Latran.
« Il s’agit maintenant de le connaître, Lui,
 ainsi que la puissance de sa résurrection
et la communion de ses souffrances, 
en étant configurés à lui dans la mort, 
pour parvenir, si possible, 
à la résurrection d’entre les morts. 
Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela
ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement;
 mais je le poursuis, tâchant de le saisir, 
pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. (...) 
une seule chose compte: 
oubliant ce qui est en arrière 
et tout tendu vers ce qui est en avant, 
je cours vers le but....» (Philippiens‬ ‭3:10-14‬).
Quel est ce but ?
À nous de le trouver. 
Cet élan de Paul, cette course infinie, comme l’appelle Grégoire de Nysse à sa suite, est notre chemin. Le risque est de rester installé dans un confort illusoire. « de tomber dans une routine qui [nous] satisfait et qui [nous] tranquillise »(2),
de croire, comme le souligne le cappadocien qu’on a saisi le Christ (3)
Alors ne restons pas assis sans rien faire. Dieu nous appelle, il nous envoie et pour rejoindre Luc, il nous confie les brebis perdues…

Homélie du 8/11/18 à St P. du Roule

(1) cf. mon livre éponyme « À genoux devant l’homme », 2014
(2) Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 81
(3) cf. C. Hériard, Grégoire de Nysse et la course infinie, Lulu, 2009

13 mars 2018

L'eau qui purifie -Jn 5 - lecture spirituelle de Grégoire de Nysse

A propos de Jn 5 et de la piscine de Bethesda, prenons nous le temps de considérer que nous pouvons être cet homme englué dans nos adhérences au mal. 
Écoutons sur ce point Grégoire de Nysse : "Tout homme qui entend le récit de la traversée de la Mer Rouge comprend quel est ce mystère de l'eau, dans laquelle on descend avec toute l'armée des ennemis et de laquelle on émerge seul, laissant l'armée des ennemis engloutie dans l'abîme. Qui ne voit que cette armée des Égyptiens..., ce sont les diverses passions de l'âme auxquelles l'homme est asservi : sentiments de colère, impulsions diverses de plaisir, de tristesse ou d'avarice ?... Toutes ces choses et toutes celles qui sont à leur origine, avec le chef qui mène l'attaque haineuse, se précipitent dans l'eau à la suite de l'Israélite. Mais l'eau, par la force du bâton de la foi et la puissance de la nuée lumineuse (Ex 14,16.19), devient source de vie pour ceux qui y cherchent un refuge — et source de mort pour ceux qui les poursuivent... Cela signifie, si l'on en dégage le sens caché, que tous ceux qui passent par l'eau sacramentelle du baptême doivent faire mourir dans l'eau toutes les inclinations mauvaises qui leur font la guerre — l'avarice, les désirs impurs, l'esprit de rapine, les sentiments de vanité et d'orgueil, les élans de colère, la rancune, l'envie, la jalousie... (...) De même on doit engloutir toute l'armée égyptienne, c'est à dire toute forme de péché, dans le bain du salut comme dans l'abîme de la mer et en émerger seul, sans rien qui nous soit étranger.(1)

(1) Saint Grégoire de Nysse, La Vie de Moïse, II, 121s ; SC 1 (trad. SC p. 181 rev.)

05 octobre 2017

La course infinie - Philippiens 3

L'office des lectures nous donne à contempler aujourd'hui ce beau texte de Philippiens 3,  qui m'habite depuis que je l'ai choisi,  le jour de mon mariage,  il y a 31 ans.  Je ne résiste pas à la joie de vous le partager à nouveau : " 07 Mais tous ces avantages que j’avais, je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte.
08 Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ,
09 et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi.
10 Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort,
11 avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts.
12 Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus.
13 Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant,
14 je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.(1)"
Il m'a inspiré bien des choses et notamment mon petit commentaire sur Grégoire de Nysse, La course infinie.
(1) Source AELF

30 août 2017

Beauté intérieure et tressaillement - Saint Grégoire de Nysse

« Le Royaume de Dieu est au-dedans de vous » (Lc 17,21). (...) celui qui a purifié son cœur de toute créature et de tout attachement déréglé voit l'image de la nature divine dans sa propre beauté... 
Il y a en toi, dans une certaine mesure, une aptitude à voir Dieu. Celui qui t'a formé a déposé en ton être une immense force. Dieu, en te créant, a enfermé en toi l'ombre de sa propre bonté, comme on imprime le dessin d'un cachet dans la cire. Mais le péché a dissimulé cette empreinte de Dieu ; elle est cachée sous des souillures. Si par un effort de vie parfaite, tu purifies les souillures attachées à ton cœur, la beauté divine brillera de nouveau en toi. Comme un morceau de fer débarrassé de sa rouille brille au soleil, de même l'homme intérieur, que le Seigneur appelle « cœur », retrouvera la ressemblance de son modèle lorsqu'il aura enlevé les taches de rouille qui détérioraient sa beauté."(1)
Alors tu pourras tressaillir d'allégresse car en toi, Dieu a déposé ce qu'il veut faire fructifier : l'amour. Semence fragile mais éternelle.
(1) Saint Grégoire de Nysse, Homélie 6 sur les Béatitudes ; PG 44,1269 (trad. cf bréviaire) 

18 mars 2017

Platon et les Pères

Intéressante analyse de Charbel Maalouf sur la lecture de Platon par les pères de l'Église(1). Il y fait allusion à l'article de R. Arnou(2) qui note la difficulté d'une analyse objective des rapports entre platonisme et théologie aux premiers siècles (qu'il s'agisse de Platon ou de ses dérivés comme Philon, Plutarque et Plotin...).

L'éclectisme est pour lui développé, comme le syncrétisme religieux. Faut-il sans méfier. L'idée de Justin déjà citée plus haut des "semences du verbe" est là pour nous rappeler que Dieu prend des voies diverses pour nous ramener à lui.

Justin, poursuit-il, souligne que les révélations païennes sont partielles et que nous seuls avons eu la plénitude : "Tout le Verbe dans le Christ" (3)

Là où les choses deviennent intéressantes, c'est quand Maalouf fait entrer la critique d'Harnaak et sa thèse historico-critique sur la perversion grecque du christianisme en particulier chez Grégoire de Nysse, avant de souligner, à l'inverse l'apport du Capadocien sur une lecture dépouillée de la philosophie grecque. N'est-ce pas la l'enjeu : une interpellation du monde et un "travail de retranchement pour retrouver le fruit positif de la philosophie" (4)

Un travail qui est celui d'un véritable dialogue...

(1) Perspectives et réflexions, op. Cit p. 61
(2) R. Arnou, Platonisme des Pères, Dictionnaire de théologie catholique Paris Letouzey et Ané, t. XII col. 2259
(3) Apologie 10, op. Cit. p. 331
(4) Charbel Maalouf ibid p. 71

18 octobre 2016

Dieu n'est pas violent - Lire l'Ancien Testament, tome 2 - une lecture pastorale de l'Exode

Vient de paraître sur Createspace / Amazon, cette lecture, contemplative et spirituelle du livre de l'Exode, puis des autres théophanies de l'Ancien Testament, à la lumière des Pères de l'Eglise, nous conduit à prendre de la distance sur le récit qui ne peut être historique, pour percevoir, à la lumière de Jésus-Christ que Dieu n'est pas du côté de  la violence, qu'il aime et qu'il souffre le pire tourment de nous voir tourner le dos à son amour.
Après une lecture pastorale du Nouveau Testament (6 tomes), et la lecture de Gn et Os, ce 8ème tome nous conduit toujours plus loin vers la contemplation des pas de Dieu vers l'homme.

Claude Hériard, titulaire d'une licence (bac canonique) de théologie a publié dans la même collection 7 lectures pastorales du Nouveau et de l'Ancien Testament dont "A genoux devant l'homme", "Sur les pas de Jean", "Chemins de miséricorde", "Serviteur de l'homme - Kénose et Diaconie".

Ces livres, vendus à prix coûtant s'intègrent, depuis la publication de "Pastorale du seuil" dans une longue recherche pastorale de la "périphérie" qui anime l'auteur depuis plus de 30 ans.

"Dieu n'est pas violent (Lire l'Ancien Testament, tome 2 - une lecture pastorale de l'Exode)"  comprend aussi en bonus :
1. Une suite commune à Le chemin du désert - un itinéraire spirituel et à Dynamique sacramentelle
2. La course infinie - Une étude de La vie de Moïse de Grégoire de Nysse

28 août 2016

Course ignatienne

De l'indifférence à l'élection, c'est finalement devenir transparent ‎à la Personne qui envoie, être "représentant de Dieu", dans l'apostolat (cf. à ce sujet les propos déjà rapportés de Madeleine Delbrêl), pour la (seule) et plus grande gloire de Dieu.

"C'est à Son service que l'existence voudrait se consumer dans l'ardeur de son amour" (...). Cette vocation conduit à un "dynamisme" qui fait que "la grâce et la mission de Dieu n'a rien d'incroyable et d'impossible" (1).

On retrouve dans les propos de Balthasar sur Ignace, cette impression de course déjà notée chez Paul et Grég‎oire de Nysse.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 163-4

21 août 2016

Contemplation au désert -Saint Bernard

Le chemin du désert* nous a conduit,  depuis l'ancien Testament jusqu'au Nouveau sur les pas du Christ et son imitation.  Sur ce chemin,  nous nous sentons petits et la dynamique contemplative qui suit reste celle qui nous sépare de lui. Elle est à la fois invitation et humilité.  Il y a tension entre notre réalité et celle de Dieu.  Cette tension est ce qui sépare l'idole et l'icône,  l'image et la ressemblance,  le corps et l'esprit.  Cette tension n'est pas pour autant dualiste mais kénotique.  

Notre chemin est d'entrer dans la course divine, une course infinie sur laquelle nous retrouvons Grégoire de Nysse,  Augustin et les pères de l'Église,  derrière Paul ( Ph.  3).Cette voie est aussi celle de l'humilité et du désir.  Humilité car nous ne parviendrons jamais sans lui à la ressemblance ("Impossible à l'homme,  mais possible grâce à Dieu"), désir car c'est la soif intérieure que fait naître en nous la soif de Dieu. 

Mon âme à soif de toi... (Ps...)
Mon époux est là... (Cant...)

"Reviens, Verbe de Dieu, qui nous visites comme en passant.
Inconsolable en ton absence,notre cœur te réclame.
Par ton départ, tu l'éprouveset tu avives son désir
de connaître à nouveau la rencontre.

R/Reviens à nous, Seigneur, toi, notre bien-aimé.
Ta venue nous échappe toujours,chaque fois ton départ nous surprend,
mais le goût reste en nous de ton passage.
D'où venais-tu, où allais-tu, nous l'ignorons, 
mais la mémoire demeure en nous
d'un grand bonheur furtif et redoutable.
Très au-delà des sens et du savoir, 
en grand secret tu nous visites : 
pour un instant nous touchons l'infini.
Nous n'avons pu te voir ni te saisir ; 
par où es-tu passé ? 
Nous ne savons, 
mais notre cœur reste blessé d'amour." (1)

Le chemin du désert est celui de l'épouse vers l'Époux, il est celui de l'amour.
"L'amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L'amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d'être ni son fruit : son fruit, c'est l'amour même. J'aime parce que j'aime. J'aime pour aimer. Quelle grande chose que l'amour, si du moins il remonte à son principe, s'il retourne à son origine, s'il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement ! De tous les mouvements de l'âme, de ses sentiments et de ses affections, l'amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son Créateur, sinon d'égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance. Car, lorsque Dieu aime, il ne veut rien d'autre que d'être aimé. Il n'aime que pour qu'on l'aime, sachant que ceux qui l'aimeront trouveront dans cet amour même la plénitude de la joie. L'amour de l'Époux, ou plutôt l'amour qu'est l'Époux, n'attend qu'un amour réciproque et la fidélité. Qu'il soit donc permis à celle qu'il chérit de l'aimer en retour. Comment l'épouse pourrait-elle ne pas aimer, elle qui est l'épouse de l'Amour ? Comment l'Amour ne serait-il pas aimé ?Elle a donc raison de renoncer à tous ses autres mouvements intérieurs, pour s'adonner seulement et tout entière à l'amour, puisqu'elle a la possibilité de répondre à l'amour même par un amour de réciprocité. Car elle pourra bien se répandre tout entière dans son amour, que grâce au regard du flot éternel d'amour qui jaillit de la source même ? Les eaux ne sourdent pas avec la même profusion de celle qui aime et de l'Amour, de l'âme et du Verbe, de l'épouse et de l'Époux, du Créateur et de la créature: la différence n'est pas moins grande qu'entre l'être assoiffé et la source. Alors quoi ? Faudra-t-il pour autant que périsse et disparaisse complètement chez l'épouse le souhait de voir s'accomplir ses noces ? Le désir qu'expriment ses soupirs, la force de son amour, son attente pleine de confiance ; seront-ils réduits à rien, parce qu'elle ne peut égaler à la course un géant, et qu'elle ne peut rivaliser de douceur avec le miel, de tendresse avec l'agneau, de blancheur avec le lis, de rayonnement avec le soleil, d'amour avec celui qui est l'amour en personne ? Non, car même si la créature aime moins, en raison de ses limites, pourvu qu'elle aime de tout son être, il ne manque rien à son amour, puisqu'il constitue un tout. C'est pourquoi aimer de la sorte équivaut à un mariage, car une affection si forte ne saurait recevoir une réponse de moindre affection, dans cet accord réciproque des deux époux qui fait la solidité et la perfection du mariage. À moins qu'on ne mette en doute que l'amour du Verbe précède et dépasse celui de l'épouse. (2)

(1) Hymne, office des lectures, saint Bernard,  bréviaire. source AELF
(2) Saint Bernard,  Homélie sur le Cantique des Cantiques,  ibid.

* Cf.  notre livre éponyme sur Amazon.fr

29 juin 2016

En marche

Tout est marche. "Cela s'applique à l'individu comme à l'humanité dans son ensemble. Parce que l'individu devra sans cesse partir du même point et accomplir la même ascension (qui s'écarte du monde et de la sensibilité pour tendre vers Dieu et à l'esprit), le cheminement de l'humanité ne peut lui aussi être un progrès que dans la mesure où se présente en lui exemplairement l'acte de quitter et de tendre comme le pas unique qui va de l'Ancienne Alliance à la Nouvelle (1)". L'enjeu n'est il pas de reprendre les termes mêmes de Paul.  "Oubliant le  chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être (Ph. 3, 13).
Notre vie se résume à cette dynamique, commencée depuis Abraham et se poursuivant en chaque homme. "Ils quitteront père et ‎mère pour ne faire qu'une seule chair" avec Dieu...
Tel est l'enjeu de notre vie. Telle est notre vocation. On peut s'arrêter en chemin, mais le terme du voyage est là. C'est l'enjeu de l'homme comme celui de l'Église. Et le sacrement source n'est autre que le chemin et la vie.

Le chemin parcouru décide, lui‎ seul est, dans son caractère mobile, l'image de l'unité divine dans l'histoire du salut. Dans la figure, seule est intéressante la vérité, dans l'obscurité de l'ancien, seul le dévoilement du nouveau. (2) "c'est le changement lui-même qui démontre plus profondément l'unité des Testaments (3)".

Nous retrouvons là ce que nous cherchons à décrire dans la dynamique sacramentelle ce chemin qui est notre appel. Ne pas se contenter du présent, rester en tension. Il ne peut y avoir ‎de port, de certitudes acquises. La course infinie dont parle Grégoire de Nysse est ce qui garantit que notre passé est balayure et notre avenir, un Dieu qui nous attend.

(1) GC2 p. 93 citant Augustin, De vera religione (VR), 19‎.
(2) GC2, ibid.
(3) VR 39‎.

20 juin 2016

Au nom du Christ

"Se laisser saisir par le Christ",  tel est la vocation à laquelle nous appelle saint Paul en Philippiens 3. Si nous écoutons bien le message de Paul, il s'agit surtout de l'imiter lui qui cherche, sans jamais y parvenir, à imiter le Christ.  Qui peut d'ailleurs imiter celui à qui Dieu "a donné le nom de Jésus" (Ph. 2),
Quel est ce nom ? La contemplation de Paul part de la kénose,  de celui "qui n'a pas retint le rang qui l'égalait à Dieu,  mais qui s'est anéanti,  vidé de lui même et a pris le rang de serviteur jusqu'à mourir".
"Saint Paul, avec plus de précision que personne, a compris qui est le Christ et a montré, à partir de ce que celui-ci a fait, comment doivent être ceux qui portent son nom. Il l'a imité si clairement qu'il a montré en sa personne quelle est la condition de son Seigneur. Par cette imitation très exacte, il a confondu l'image de son âme avec son prototype au point que ce n'était plus Paul qui semblait vivre et parler, mais le Christ lui-même. Comme il le dit, en prenant admirablement conscience de ses propres avantages : Puisque vous désirez avoir la preuve que le Christ parle en moi. (...) Et encore : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi.Il nous a donc révélé ce que signifie le nom du Christ, lorsqu'il nous dit, que le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu ; en outre, il l'a appelé paix et lumière inaccessible où Dieu habite, sanctification et rédemption, grand prêtre, agneau pascal, pardon pour les âmes, lumière éclatante de la gloire, expression parfaite de la substance, créateur des mondes, nourriture et boisson spirituelle, rocher et eau, fondement de la foi, pierre angulaire, image de Dieu invisible, grand Dieu, tête du corps qui est l'Église, premier-né avant toute créature, premier-né d'entre les morts, premier-né de la multitude de frères, médiateur entre Dieu et les hommes, Fils unique couronné de gloire et d'honneur, Seigneur de gloire, commencement de ce qui existe,  (...) roi de justice et ensuite roi de paix, et roi de tous les hommes, avec une puissance royale sans aucune limite". Grégoire a qui nous empruntons ce commentaire ajoute :"il y a encore beaucoup de noms à ajouter à ceux-là, et leur nombre les rend difficiles à compter. Mais si nous rassemblons tous ces noms et si nous rapprochons leurs diverses significations, ils nous montreront tout ce que signifie le nom de Christ, si bien que nous pourrons comprendre toute la grandeur de ce nom inexprimable. (...) Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que nous sommes honorés du titre même du Christ en étant appelés « chrétiens », il est nécessaire que tous les noms qui traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle reçoive le témoignage de notre vie" (1)
(1) Grégoire de Nysse, traité sur la perfection chrétienne, source AELF

17 mai 2016

Naître et mourir

"Nous faisons de nous-mêmes des prématurés, des êtres incomplets et inconsistants si le Christ n'est pas formé en nous, comme dit saint Paul. (...) [de même ajoute-t-il que nous devons mourir à] notre fierté. Et encore : C'est pour toi, Seigneur, qu'on nous frappe de mort chaque jour. Et enfin : Nous avons reçu en nous-mêmes notre arrêt de mort.On voit très clairement comment Paul meurt chaque jour, lui qui ne vit jamais pour le péché, qui mortifie sans cesse les membres de son corps, qui porte en lui-même l'agonie du corps du Christ, qui est sans cesse crucifié avec le Christ vivant en lui. À mon avis, c'est là une mort au bon moment, celle qui est devenue l'introductrice de la vraie vie.C'est moi, dit Dieu, qui fais mourir et qui fais vivre, afin de faire comprendre que, c'est vraiment un don de Dieu que d'être mort au péché et de vivre par l'Esprit. C'est parce qu'il fait mourir que sa parole promet de faire vivre". (1)

On le voit cette mort spirituelle à ce qui nous fait adhérer au monde est la condition de notre salut.  C'est le message du Christ à Nicodeme (Jn 3)

(1) Saint Grégoire de Nysse,  commentaire de l'Ecclesiaste 3