27 juin 2021

Mourir ou Danser

 Mourir ou danser ?  - Essai de méditation sur les textes de dimanche, version 5 😉

Quel est le contexte de l’Evangile ? 

Jésus regagna en barque l’autre rive

L’autre rive…

Est-elle inaccessible cette autre rive…? 

Rappelons nous ce « passons sur l’autre rive » de la semaine précédente ou cet « avance au large » qui lui fait écho… 

Quitter nos certitudes…

Quitter nos peurs…

Contempler la lumière…


Regardons d’abord le contexte..

Jésus est au bord de la mer.

La mer pour les juifs c’est la mort…

Marc nous parle de mort 

Marc va nous parler d’espérance…

Peut-être faut-il voir là ce qu’on appelle une « tension théologique » au lieu de se figer dans la critique perpétuelle…?

Nous sommes empêtrés dans ce qui conduit à la mort. Peut-être nous faut il entendre l’appel au milieu de la tempête ?


Face à cela deux attitudes, celle de Jaire qui renonce à toute sa puissance de chef et tombe à genoux(1), et cette femme perdue qui rêve de guérison mais n’a pas la force de demander, deux extrêmes et une autre tension qui interpelle notre propre façon de croire… et notre façon de prier…

Osons nous demander ?

(Sachant que les dons de Dieu dépassent notre requête comme le souligne Paul)..


Quel est l’enjeu ? 


Que nous disent finalement les textes de ce dimanche ? 

En écho à dimanche dernier ?


« Dieu n’a pas fait la mort… » (Sg 1, 13)

« Dieu est fort comme la mort » dira le cantique

« Dieu est plus fort que la mort » nous dit le Ressuscité…

Contemplons cette progression..


Sommes-nous déjà capables d’affirmer que « Dieu n’a pas fait la mort… » comme le fait le livre de la Sagesse ?

Est-ce pour nous une certitude ? 

Un point central de notre foi ?


En ce 13eme dimanche, c’est peut-être ce que nous sommes invités à contempler dans nos vies…

Certes le mal nous envahit…

Le mal de peine comme le mal causé…(2)

Certes nous avons perdu, autour de nous, des êtres chers et ce sont pour nous autant d’épines dans notre foi et dans notre confiance en Dieu…

Mais Dieu n’a pas fait la mort…ni voulu le mal…

La mort n’est ni punition ni désir d’un Dieu sadique…

Elle est…

Et Dieu ne la désire pas…

Et il souffre comme nous…

Il se contente de pleurer à nos côtés 

D’aimer la vie

De guérir nos blessures 

De purifier nos cœurs comme le lépreux croisé vendredi.

D’arrêter en nous ces flots de sang et de larmes

De mettre en nous l’espérance 


Osons lui demander la vie !

Osons tomber à genoux comme il se met à genoux devant nous !

Car seul Dieu peut nous relever de toute désespérance…


Talitha Koum

Lève toi…

Dieu a besoin de tes mains

Dieu a besoin de tes forces

De ton espérance 

De ta joie

De ta foi…


Laissons en nous résonner les paroles du psaume.

« Avec le soir, viennent les larmes,

mais au matin, les cris de joie.

Tu as changé mon deuil en une danse,

mes habits funèbres en parure de joie. »


Le monde est figé dans la mort

l’Église est figée dans ses turpitudes passées 

Mais entend elle la voix du Seigneur qui ne cesse de dire « où es-tu ? » depuis Gn 3….? (3)


Écoutons Jésus dire et redire :

« Avance au large

N’aie pas peur

Je t’attends sur l’autre rive… »

Viens danser 😉


Approchons nous de Lui.

Cherchons à le toucher comme cette femme…

Laissons nous toucher par lui

Saisir et être saisi

Transformé.

Car il est vie, espérance, chemin…


Crédits pour cette homélie (4) : 

Etty Hillesum pour le « Dieu a besoin de tes mains »

Isabelle Laurent pour la joie 

Patricia Leleu-bell pour l’espérance 

Marie-Odile Dervin pour sa danse 

Marie Noëlle Thabut in https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/516585-commentaires-du-dimanche-27-juin/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-27-juin


(1) cf. En écho « À genoux devant l’homme »

2) cf. Thomas d’Aquin et sa distinction entre mal de peine et mal de faute in STh.

(3) cf. ma deuxième contemplation 

(4) voir les échanges sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée


PS : après avoir fêté la nativité de Jean Baptiste comment ne pas penser à cette opposition faite par Jésus entre la mort et la danse : « Pour vous, nous avons joué un air de flûte, mais vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté un chant de funérailles, mais vous n’avez pas pleuré!”»

‭‭ Matthieu‬ ‭11:17‬

Le texte oppose-t-il la théologie de Jean Baptite et de Jésus comme le souligne certains commentaires ?

Ou va t il tout simplement un pas plus loin…

Vers l’autre rive, encore inaccessible mais qui demeure notre espérance…

24 juin 2021

Caïn et Abel - contemplation 3

 

Et si toute la difficulté venait d’un problème d’interprétation ? Car, de fait, ce n’est pas Dieu qui a dicté aux scribes, mot pour mot le texte de la Bible. Il s’en est bien gardé. Nous n’aurions plus de liberté. Comment pourrions-nous être libres, si Dieu avait écrit : « Voilà, je suis comme ceci et cela…  Vous n’avez plus qu’à croire voire à obéir…» ? 

Non, la trame de la révélation est plus subtile. Comme le rappelait Claudel dans le Soulier de Satin, Dieu écrit droit avec des lignes tortueuses…

Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’il a utilisé les méandres et les croyances humaines, pour distiller avec tendresse et patience, le chemin vers une révélation ? 

Mais sans jamais forcer le trait, ce qui nous laisse une grande latitude, mais aussi un risque… Celui de nous tromper sur la nature de Dieu. C’est le prix à payer de notre liberté.

Contemplons un instant le texte suivant. 

Gn 4… 

Caïn et Abel. Ils ne méprisent pas Dieu puisqu’ils lui font des offrandes. Mais le connaissent-ils vraiment ce Dieu qu’ils vénèrent ? 

On peut en douter.


En apparence, Dieu aurait préféré le berger au cultivateur. Mais revenons aux conditions de l’écrit.

C’est un peuple de bergers qui nous donne ce récit. 

Il pense qu’il est le peuple élu et il essaye d’interpréter pourquoi, son voisin, le cultivateur n’est pas « l’élu de Dieu »… Le texte donne à penser. Mais Dieu est-il pour autant un ingrat, un Dieu injuste ? 


Nous sommes dans un récit mythique. Il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais d’une recherche de sens, un travail d’interprétation sur l’origine de l’homme,

de la violence et la place de Dieu dans tout cela.

On note qu’il insiste sur la jalousie, cette comparaison mauvaise qui génère la violence et le meurtre. Peu importe en fait la vérité du regard initial sur Dieu. A-t-il vraiment préféré l’un à l’autre ?

C’est ce qu’a cru Caïn. Mais, au-delà des croyances humaines, de ces jalousies qui naissent de notre éternelle tendance à imiter l’autre, à le jalouser et à le juger, Dieu ne nous abandonne pas. Le plus surprenant en effet, n’est pas la première idée de Dieu, mais la révélation qui se joue après le nœud de l’histoire. Dieu ne veut pas la mort de Caïn, même s’il est « errant et fugitif ». Il met un signe sur lui « afin que quiconque le rencontre ne le tue pas ». 

Ma haine de l’étranger, du différent, la peur qu’il génère, la violence, qui naît en moi et me conduit au racisme, a une limite. Elle est dans le « tu ne tueras pas » qui résonne au-delà de ma violence. Et c’est la pointe du texte, une nouveauté

majeure au-delà de l’observation du monde. Elle fait résonner une autre affirmation qui vient qui vient éclairer ce premier texte et que l’on ne trouvera que dans Ezéchiel :« Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18).


À la violence qui naît du mimétisme et de l’éternelle comparaison de nos acquis, quand la jalousie vient réveiller chez nous la haine, un interdit se dessine, non pas comme une loi qui s’impose par la force, mais comme un appel, une interpellation.

Ton ennemi ne mérite pas la mort… Subtile inversion d’un Dieu qui en appelle, au-delà du mal qui m’habite, à une autre justice. 


De quoi suis-je jaloux ?

Si la question résonne vraiment en nous elle dévoile ce qui est souvent bien caché dans nos process intérieurs depuis les profondeurs de notre enfance jusqu’aux frustrations de vie d’homme et de femme…


N’est ce pas là que se dessine la lente pédagogie de Dieu qui part de nos plus viles tentations pour les retourner, les convertir, les transformer. 


Un long chemin… 

qui mène à la contemplation de cette croix où toute violence, toute jalousie est exposée comme le serpent au désert de Nb 11.


Méditation à partir du chapitre 3 de L’amphore et le fleuve…

15 juin 2021

Contemplation - 2 De la tempête à la danse

En ce dimanche où la tempête envahit notre petit monde tranquille, alors que nous cherchons à passer sur l’autre rive (cf. Marc 4, 35sq) peut-être faut-il revenir aux origines. 

L’homme a-t-il compris que le don de Dieu au jardin était démesuré ?

A-t-il écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie ?

En croyant au serpent, est-il parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Pensait-il que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être « capax dei » à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... 

A t-Il entendu l'appel du jardin ?

Pendant que l'homme se cachait d'un faux dieu, le vrai Dieu cherchait l'homme. Le texte de Gn 3 nous le montre avec une insistance particulière.

Les exégètes, ces vieux savants qui passent leur vie à scruter le sens des textes, appellent cela une forme concentrique.

Ainsi des affirmations qui comportent une série d'éléments,de phrases ou d’expressions A, puis B, puis C, puis à nouveau B et A, qui se répètent ainsi sous cette forme A B C B A doivent être lues comme une insistance sur le C :


A - Ils connurent qu'ils étaient NUS; (…) 

B  - (…) la voix de Yahweh Dieu passant dans le

      JARDIN  à la brise du jour, et l'homme et sa femme 

       se cachèrent de devant Yahweh Dieu 

C  - au milieu des arbres du jardin. 

        Mais Yahweh Dieu appela l'homme et lui dit : 

                    

                 " Où es-tu? " 

       

B  -   Il répondit: "J'ai entendu ta voix, dans le JARDIN , 

           et j'ai eu peur, 

A  -   car je suis NU ; et je me suis caché. "11 

        Et Yahweh Dieu dit : " Qui t'a appris que tu es NU ?”


Et si l'essence du texte était là, dans cet extrait méconnu de Gn 3, dans cette question posée qui déjà révèle que si l'homme croit trouver Dieu ailleurs que là où il est, Dieu est là qui cherche à rencontrer l'homme...

On retient le Dieu violent, celui qui chasse du paradis, qui enlève à l’homme la jouissance des biens. Cela peut se comprendre, à première vue, si l’on regarde

l’état apparent du monde, la dureté des choses, de la nature comme celle de l’homme pour l’homme. C’est aussi ce qu’a dû penser le rédacteur du texte qui écrit dans un monde dur, alors qu’il a perdu le confort de la terre de ses ancêtres. On se demande maintenant si ce texte n’a pas été en effet rédigé ou pour le moins corrigé dans les derniers siècles avant Jésus Christ par des scribes qui se sont vus chassés des jardins de Palestine et se retrouve en exil. Le rédacteur cherche alors à exprimer par ce récit mythique de la chute une explication à sa peine, à la dureté de ses travaux de la terre. Mais cette interprétation, bien humaine laisse aussi transparaître une trace ténue, celle d’un Dieu qui donne, qui cherche, qui s’inquiète…


Alors, qui est Dieu ? 


Est-il ce Dieu violent et cruel imaginé par l’homme comme la source de sa peine, de son exil, ou autre chose, un au-delà des mots… ? Est-ce cet autre Dieu plus attentif qui se cache dans la voix qui résonne dans le jardin, révélation d’une autre voix qui résonne, même si nous rejetons la contemplation de ce qui est beauté dans le monde ? Ne fermons pas trop vite ce point d’interrogation. Laissons le ouvert pendant toute cette traversée…

La jeune juive Etty Hillesum avait la même pensée quand elle s’émerveillait sur une fleur de printemps, (1) alors même que son peuple était déporté et massacré par le régime nazi. Il demeurait dans son jardin une trace différente, au-delà du dieu des puissants. Et cette fragilité même était pour elle source d’espérance et d’action. Elle y a puisé le courage de devenir par ses mains l’instrument de l’amour et de la miséricorde, pour ses frères et ses sœurs marqués par l’horreur des camps. Ce décentrement qu’il est peut-être possible d’entamer (2) est-il ce « passer sur l’autre rive » auquel nous conduit la contemplation de l’Evangile d’aujourd’hui ? 

Dieu est il dans la tempête où « à genoux devant l’homme »(3) lançant cet éternel « où es-tu ? » du jardin. Lointain et si prégnant appel à l’homme pour qu’il danse avec lui au milieu des flots ? 


(1) cf. Etty Hillesum, une vie bouleversée et notre billet contemplation 1

(2) l’amphore et le fleuve, ch. 2

(3) cf. mon autre livre éponyme

13 juin 2021

Contemplation - 1

 Contemplation - 1


“Observez les lys des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis, Salomon lui-même, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux ». Mat 6, 28-29


Les traces discrètes, ténues et fragiles que nous révèle la création, ou le sourire d’un enfant, sont parties intégrantes de la révélation.

C’est justement lorsque nos cœurs sont embrumés par la vie et la tristesse, le découragement ou le désert que cette beauté vient révéler autre chose. L’apparence laisse transparaître une splendeur plus profonde, plus cachée.


Etty Hillesum nous parle ainsi « d’une fleur qui

continue d'éclore alors que le nazisme a noirci toute l'humanité, ce « jasmin si tendre et si radieux en cette grisaille » qui lui permet de dire « je crois en Dieu » et également en l'homme, dont elle cherche à retrouver la trace « dans sa nudité, sa fragilité, cet homme bien souvent introuvable, enseveli par les ruines monstrueuses de ses actes absurdes. »(1).

N’est-ce pas encore et toujours notre espérance…


La fleur est excès. Alors que l’on aurait pu se contenter de prairies verdoyantes, il a fallu que Dieu nous donne les fleurs pour parer de couleurs chatoyantes la verdure d’un paysage. En soi, elles semblent inutiles, mais révèlent au contraire d’une manière discrète la tendresse d’un Dieu qui ne se contente pas du nécessaire, mais est débordement d’amour.

La Beauté est la porte silencieuse du travail en nous de Dieu, une invitation à la contemplation... Refuser la beauté c’est finalement échapper au réel et s’éloigner de notre propre intériorité. À l’inverse, l'aspiration intérieure à la beauté ne traduit-elle pas un retour à l'essentiel, une invitation au dépassement de nous-mêmes...

Notre culture et notre rapport au temps ne laissent plus de place au silence et à la contemplation.

Les choses simples nous mènent au seuil d’autre chose. 


C’est en s’arrêtant, en contemplant la fleur croisée sur le chemin, en s’arrêtant pour laisser passer un nuage, en observant le coucher du soleil, en goûtant au silence que nous accèderons à autre chose. La beauté est appel à faire un déplacement. Elle nous invite ailleurs.(2)


Quel est cet ailleurs ? 

Un don… ?

Le don immense d’un Dieu qui donne et s’efface. 

Contempler la nature, c’est percevoir ces graines semées autour de nous, en nous….


C’est voir la graine de moutarde et ses fruits…


Une petite branche, plantée à Jérusalem sur le bois d’une croix et abandonnée des hommes et qui fait vibrer plus d’un millard d’individus 2000 ans plus tard…


Une graine fragile qui sème encore discrètement dans le silence d’autres graines…


Contemplons ces dons discrets de Dieu, ces semences du Verbe et de l’Esprit… (3) 


Nous n’avons rien apporté. Nous sommes comme une amphore, prêt à recueillir dans le fleuve divin les parcelles de son amour.


(1) Etty Hillesum, une vie bouleversée

(2) Introduction de mon livre L’amphore et le fleuve cf.

https://kobo.com/fr-FR/ebook/l-amphore-et-le-fleuve

(3) voir ma danse 50.5.2