Et si toute la difficulté venait d’un problème d’interprétation ? Car, de fait, ce n’est pas Dieu qui a dicté aux scribes, mot pour mot le texte de la Bible. Il s’en est bien gardé. Nous n’aurions plus de liberté. Comment pourrions-nous être libres, si Dieu avait écrit : « Voilà, je suis comme ceci et cela… Vous n’avez plus qu’à croire voire à obéir…» ?
Non, la trame de la révélation est plus subtile. Comme le rappelait Claudel dans le Soulier de Satin, Dieu écrit droit avec des lignes tortueuses…
Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’il a utilisé les méandres et les croyances humaines, pour distiller avec tendresse et patience, le chemin vers une révélation ?
Mais sans jamais forcer le trait, ce qui nous laisse une grande latitude, mais aussi un risque… Celui de nous tromper sur la nature de Dieu. C’est le prix à payer de notre liberté.
Contemplons un instant le texte suivant.
Gn 4…
Caïn et Abel. Ils ne méprisent pas Dieu puisqu’ils lui font des offrandes. Mais le connaissent-ils vraiment ce Dieu qu’ils vénèrent ?
On peut en douter.
En apparence, Dieu aurait préféré le berger au cultivateur. Mais revenons aux conditions de l’écrit.
C’est un peuple de bergers qui nous donne ce récit.
Il pense qu’il est le peuple élu et il essaye d’interpréter pourquoi, son voisin, le cultivateur n’est pas « l’élu de Dieu »… Le texte donne à penser. Mais Dieu est-il pour autant un ingrat, un Dieu injuste ?
Nous sommes dans un récit mythique. Il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais d’une recherche de sens, un travail d’interprétation sur l’origine de l’homme,
de la violence et la place de Dieu dans tout cela.
On note qu’il insiste sur la jalousie, cette comparaison mauvaise qui génère la violence et le meurtre. Peu importe en fait la vérité du regard initial sur Dieu. A-t-il vraiment préféré l’un à l’autre ?
C’est ce qu’a cru Caïn. Mais, au-delà des croyances humaines, de ces jalousies qui naissent de notre éternelle tendance à imiter l’autre, à le jalouser et à le juger, Dieu ne nous abandonne pas. Le plus surprenant en effet, n’est pas la première idée de Dieu, mais la révélation qui se joue après le nœud de l’histoire. Dieu ne veut pas la mort de Caïn, même s’il est « errant et fugitif ». Il met un signe sur lui « afin que quiconque le rencontre ne le tue pas ».
Ma haine de l’étranger, du différent, la peur qu’il génère, la violence, qui naît en moi et me conduit au racisme, a une limite. Elle est dans le « tu ne tueras pas » qui résonne au-delà de ma violence. Et c’est la pointe du texte, une nouveauté
majeure au-delà de l’observation du monde. Elle fait résonner une autre affirmation qui vient qui vient éclairer ce premier texte et que l’on ne trouvera que dans Ezéchiel :« Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18).
À la violence qui naît du mimétisme et de l’éternelle comparaison de nos acquis, quand la jalousie vient réveiller chez nous la haine, un interdit se dessine, non pas comme une loi qui s’impose par la force, mais comme un appel, une interpellation.
Ton ennemi ne mérite pas la mort… Subtile inversion d’un Dieu qui en appelle, au-delà du mal qui m’habite, à une autre justice.
De quoi suis-je jaloux ?
Si la question résonne vraiment en nous elle dévoile ce qui est souvent bien caché dans nos process intérieurs depuis les profondeurs de notre enfance jusqu’aux frustrations de vie d’homme et de femme…
N’est ce pas là que se dessine la lente pédagogie de Dieu qui part de nos plus viles tentations pour les retourner, les convertir, les transformer.
Un long chemin…
qui mène à la contemplation de cette croix où toute violence, toute jalousie est exposée comme le serpent au désert de Nb 11.
Méditation à partir du chapitre 3 de L’amphore et le fleuve…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire