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12 août 2020

De dépouillement en dépouillement - à genoux devant l’homme

Il y a une danse presqu'éternelle entre l'homme et Dieu. Elle commence par le don et l'appel d'un « où es-tu ? » (Gn 3, 9) où Dieu cherche l'homme en dépit de sa faute. Y répond les pas de l'homme vers son Dieu qui l'appelle. On les entr'aperçoit dans le « quitter » et l'agenouillement qu'entreprend Abraham (cf. Gn 12 et Gn 18)
Dans ce mouvement, c'est à la fois Dieu qui se penche vers l'homme et demande son amour en dépit de ses fuites et du mal qui l'habite, mais aussi l'homme qui retire ses sandales (Ex 3) ou son vêtement (Ex 33) pour s'agenouiller devant son Dieu.
En premier, nous avons, comme le souligne sainte Catherine « cet amour incompréhensible qui t'a poussé à créer l'homme à ton image et ressemblance. ~ Quel motif avais-tu d'établir l'homme dans une telle dignité ? Certainement, c'est uniquement l'amour incompréhensible par lequel tu as considéré ta créature en toi-même et tu t'en es épris.(1) »
Mais l'amour infini de Dieu n'est pas resté sans réponse, sa pédagogie et son dépouillement (2) ne cesse de briser le cœur fier de l'homme.
La dynamique est bien double.
L'agenouillement de l'homme est plus habituel. On l'aperçoit dans chacune des théophanies. Celui de Dieu est plus discret dans l'Ancien Testament, on le sent pourtant entre les lignes. Il se révèle dans cette miséricorde qui affleure déjà chez les prophètes (3), devient plus visible dans cet agenouillement de l'ange devant la Vierge qui dans l'émerveillement d'un « fiat »(c'est en tout cas l'interprétation de Fra Angelica ou d'Arcabas - cf. Luc 1, 26-38) esquisse un mouvement vers le sol. Ce n'est que lorsque le voile de la kénose se déchire que Dieu pudique laisse apparaître enfin Jésus à genoux devant Pierre ou Judas.



On retient souvent l'agenouillement des Maries de Béthanie ou d'ailleurs... on ignore trop souvent que l'humilité de Dieu et son dépouillement est esquissé bien avant la Croix, dans cette alliance improbable et presqu'incompréhensible qu'il tente avec l'homme en dépit de tous ses reniements depuis David jusqu'à Pierre, depuis Abraham jusqu'à Judas...
Contempler l'agenouillement de Dieu, c'est prendre conscience de son amour infini. Le livre que je viens de mettre en ligne gratuitement n'est qu'une fenêtre sur un mystère qui nous dépasse, ce Dieu « à genoux devant l'homme » (4) qui nous demande de l'aimer comme il nous aime.
Il constitue l'essence de ma foi...

(1) sainte Catherine de Sienne, dialogue sur la providence, source office des lectures du 9/8.
(2) cf. Pédagogie divine in Dieu dépouillé
(3) cf. Osée 11sq. Voir aussi lire « lire l'ancien testament, tome 1 »
(4) voir le lien ou sur le site de la Fnac

11 août 2020

Le premier lavement des pieds - Gen 18, 4

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13.
Pourtant...
Pourtant il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée à celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu.
C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré.
Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme stérile malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance.
Leçon d'humilité s'il en est que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride.
Dieu a besoin de nous.
Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple.
Il ne s'agit pas d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains pour que le grain prenne corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux...
C'est dans le terreau de nos échecs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe.
C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance.
C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église.
Nous ne sommes que des pêcheurs pardonnés.
De nos échecs Dieu fera des victoires.
Sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores.
De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible.
Si tu veux...
Laisse Dieu agir.
Laisse le te dépouiller de tes désirs humains, de ta quête de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

25 avril 2020

Pédagogie divine 27 - Hans Urs von Balthasar

Dès le commencement nous avons un dieu « accompagnateur » nous dit Balthazar. C'est sa « gloire qui chemine avec son peuple à travers le désert ; Dieu fraie le chemin du désert pour les siens ; il est lui-même ce chemin. Dans le paradis déjà, il est un Dieu qui vient puis s'en va (Gn 3,8) ; plus tard il est un Dieu qui descend (Gn 11,5-7) par un mouvement contraire à celui de l'homme qui veut se lever jusqu'au ciel. A Jacob il se montre montant et descendant en ses anges et il promet de nouveau de l'accompagner. À cette mobilité extérieure correspond les mobilités intérieures qui se manifeste déjà en ce que, certains instants de l'histoire, il s'engage librement et personnellement. Il décide, il annonce un châtiment (...) mais il peut aussi changer le disposition. Nous voyons son cœur affligé(Gn 5,6), nous prenons part à cette délibération avec lui-même (Gn 18,17-17); il est las de sauver, mais ensuite il ne supporte pas plus longtemps la souffrance d'Israël (Jg 10,16). Et même, non seulement « il mène au royaume des morts », mais il y accompagne l'homme, car de nuit il parle à Jacob ainsi : « n'ai pas peur de descendre en Égypte (ou le peuple sera si malheureux pendant des siècles), car là-bas je ferai de toi un grand peuple. C'est moi qui descendrais avec toi en Égypte, c'est moi aussi qui t'en ferai remonter »(Gn 46, 3-4). Ceux qui souffrent, dans les psaumes reçoivent aussi une telle promesse(Ps 91, Is 43). Ainsi Dieu accomplit des « choses étranges » (Is 28,21) dans sa liberté, tellement il s'en émerveille lui-même (Jr 31, 20), bien qu'il se doive à lui-même, en tant que Dieu, d'accomplir justement ces choses inconcevables (Os 11,8-9). Peut-être sont-ce là de simples conséquences de son mispat [justice des opprimés], parce qu'il ne peut faire autrement que d'adopter le parti des pauvres et des sans-droits, ou parce que l'affliction que lui fait éprouver le péché du monde le rend toujours plus solidaire des affligés. Peut-être est-ce parce que, dans son Alliance, il est traité d'une manière si infâme, qu'il aime être d'emblée avec ce qui sont affaiblis et humiliés : avec les hommes incapables d'être procréer et avec les femmes stériles (Gn 18, Jg 13,2s, 1 S 1, Lc 1,7) (...) C'est Dieu lui-même qui humilie Israël pour l'éprouver ; de cette manière il humiliera aussi Job jusqu'à l'extrême, il fera de lui un objet de risée et du mépris de tous. C'est ainsi qu'un homme, pour l'amour de Dieu, peut devenir pour beaucoup une énigme ; la connivence peut se renverser : « c'est pour toi que je souffre l'insulte, que la honte ne couvre le visage… L'insulte de tes insulteurs retombe sur moi » (Ps 69,8.10). Le nœud de l'histoire de l'alliance est ici serré, il ne sera dénoué que dans la Nouvelle Alliance.(1) ».

Beau résumé de ce que j'ai appelé la pédagogie divine.

« Dieu se révéla, en paroles et en actions, au peuple de son choix, comme l’unique Dieu véritable et vivant ; de ce fait, Israël fit l’expérience des « voies » de Dieu avec les hommes, et, Dieu lui-même parlant par les prophètes, il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et en porta un témoignage grandissant parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2, 1- 4 ; Jr 3, 17). L’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l’Ancien Testament comme la vraie Parole de Dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable : « Car tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Écritures, nous possédions l’espérance » (Rm 15, 4). L’économie de l’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur de tous, et de son Royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (cf. Lc 24, 44 ; Jn 5, 39 ; 1 P 1, 10) et de le signifier par diverses figures (cf. 1 Co 10, 11). Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit envers les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine (2). C’est pourquoi les fidèles du Christ doivent les accepter avec vénération : en eux s’exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une sagesse salutaire au sujet de la vie humaine, d’admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut. (3)

L’idée rejoint ce que je notais à propos de la notion de dépouillement. Il y a dans le chemin du désert (qui est aussi celui du Christ), une pédagogie dans le dépouillement progressif de la notion d’un Dieu tout puissant et immuable, vers une autre révélation, un déchirement du voile, qui commence chez Abraham et Moïse et se poursuit jusque dans la relecture post-exillique qu’en fait les rédacteurs du Pentateuque. Ce cheminement est le foyer d’une nouvelle naissance : celle d’un Dieu qui se met à genoux devant l’homme.
 À suivre.





(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p 195
(2) Pie XI, Encycl. Mit brennender Sorge, 14 mars 1937 : AAS 29 (1937), p. 151.
(3) Dei Verbum  14 et 15

29 avril 2016

Symétrie et gratuité

Dans son commentaire de Gn 18, Théobald interpelle l'essence d'une hospitalité : y a-t-il volonté de symétrie dans la rencontre ou véritable gratuité ? Cette question qui traverse pour lui toute la Bible de Gn jusqu'à Ap 3, 20 : "je me tiens à la porte et je frappe, si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper" est aussi une interpellation sur notre ouverture réelle à autrui. Elle pose la question de notre confiance en l'autre jusqu'à celle de notre foi en Dieu. Parfois l'hospitalité peut conduire à la sainteté, à cette "mise en jeu de soi, l'offrande de soi dans le martyre, ainsi que le vit Jésus de Nazareth" (1).
Dans ces temps de nos aujourd'hui la question revient sur nos capacités d'accueil d'autrui, les limites de notre charité, une limite qui reste ouverte et en tension comme le trace déjà l'opposition visible en Gn 18 entre l'accueil fait par Abraham et le rejet des mêmes visiteurs à Sodome. Une tension qui interpelle notre conscience.

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, Parole de Dieu, Paris, Salvator, 2015, p. 88 à 95.