Dès le commencement nous avons un dieu « accompagnateur » nous dit Balthazar. C'est sa « gloire qui chemine avec son peuple à travers le désert ; Dieu fraie le chemin du désert pour les siens ; il est lui-même ce chemin. Dans le paradis déjà, il est un Dieu qui vient puis s'en va (Gn 3,8) ; plus tard il est un Dieu qui descend (Gn 11,5-7) par un mouvement contraire à celui de l'homme qui veut se lever jusqu'au ciel. A Jacob il se montre montant et descendant en ses anges et il promet de nouveau de l'accompagner. À cette mobilité extérieure correspond les mobilités intérieures qui se manifeste déjà en ce que, certains instants de l'histoire, il s'engage librement et personnellement. Il décide, il annonce un châtiment (...) mais il peut aussi changer le disposition. Nous voyons son cœur affligé(Gn 5,6), nous prenons part à cette délibération avec lui-même (Gn 18,17-17); il est las de sauver, mais ensuite il ne supporte pas plus longtemps la souffrance d'Israël (Jg 10,16). Et même, non seulement « il mène au royaume des morts », mais il y accompagne l'homme, car de nuit il parle à Jacob ainsi : « n'ai pas peur de descendre en Égypte (ou le peuple sera si malheureux pendant des siècles), car là-bas je ferai de toi un grand peuple. C'est moi qui descendrais avec toi en Égypte, c'est moi aussi qui t'en ferai remonter »(Gn 46, 3-4). Ceux qui souffrent, dans les psaumes reçoivent aussi une telle promesse(Ps 91, Is 43). Ainsi Dieu accomplit des « choses étranges » (Is 28,21) dans sa liberté, tellement il s'en émerveille lui-même (Jr 31, 20), bien qu'il se doive à lui-même, en tant que Dieu, d'accomplir justement ces choses inconcevables (Os 11,8-9). Peut-être sont-ce là de simples conséquences de son mispat [justice des opprimés], parce qu'il ne peut faire autrement que d'adopter le parti des pauvres et des sans-droits, ou parce que l'affliction que lui fait éprouver le péché du monde le rend toujours plus solidaire des affligés. Peut-être est-ce parce que, dans son Alliance, il est traité d'une manière si infâme, qu'il aime être d'emblée avec ce qui sont affaiblis et humiliés : avec les hommes incapables d'être procréer et avec les femmes stériles (Gn 18, Jg 13,2s, 1 S 1, Lc 1,7) (...) C'est Dieu lui-même qui humilie Israël pour l'éprouver ; de cette manière il humiliera aussi Job jusqu'à l'extrême, il fera de lui un objet de risée et du mépris de tous. C'est ainsi qu'un homme, pour l'amour de Dieu, peut devenir pour beaucoup une énigme ; la connivence peut se renverser : « c'est pour toi que je souffre l'insulte, que la honte ne couvre le visage… L'insulte de tes insulteurs retombe sur moi » (Ps 69,8.10). Le nœud de l'histoire de l'alliance est ici serré, il ne sera dénoué que dans la Nouvelle Alliance.(1) ».
Beau résumé de ce que j'ai appelé la pédagogie divine.
« Dieu se révéla, en paroles et en actions, au peuple de son choix, comme l’unique Dieu véritable et vivant ; de ce fait, Israël fit l’expérience des « voies » de Dieu avec les hommes, et, Dieu lui-même parlant par les prophètes, il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et en porta un témoignage grandissant parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2, 1- 4 ; Jr 3, 17). L’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l’Ancien Testament comme la vraie Parole de Dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable : « Car tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Écritures, nous possédions l’espérance » (Rm 15, 4). L’économie de l’Ancien Testament avait pour raison d’être majeure de préparer l’avènement du Christ Sauveur de tous, et de son Royaume messianique, d’annoncer prophétiquement cet avènement (cf. Lc 24, 44 ; Jn 5, 39 ; 1 P 1, 10) et de le signifier par diverses figures (cf. 1 Co 10, 11). Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien Testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu dans sa justice et sa miséricorde agit envers les hommes. Ces livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine (2). C’est pourquoi les fidèles du Christ doivent les accepter avec vénération : en eux s’exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une sagesse salutaire au sujet de la vie humaine, d’admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut. (3)
L’idée rejoint ce que je notais à propos de la notion de dépouillement. Il y a dans le chemin du désert (qui est aussi celui du Christ), une pédagogie dans le dépouillement progressif de la notion d’un Dieu tout puissant et immuable, vers une autre révélation, un déchirement du voile, qui commence chez Abraham et Moïse et se poursuit jusque dans la relecture post-exillique qu’en fait les rédacteurs du Pentateuque. Ce cheminement est le foyer d’une nouvelle naissance : celle d’un Dieu qui se met à genoux devant l’homme.
À suivre.
(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p 195
(2) Pie XI, Encycl. Mit brennender Sorge, 14 mars 1937 : AAS 29 (1937), p. 151.
(3) Dei Verbum 14 et 15
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