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15 mars 2022

Buisson ardent 2.40 [v3]

La première lecture de dimanche (Exode 3) est un source profonde de contemplation. Il n’est pas anodin de « retirer ses sandales », devant ce buisson de feu, car Dieu, qui mérite un sacré détour, y prépare doucement sa révélation jusqu’au lavement des pieds, et au silence de la croix, dans cette danse particulière d’un amour trinitaire qui se penche vers l’homme.  

C’est ici que l’on commence à percevoir la tendresse d’un Dieu qui s’intéresse à l’homme, frémit dans ses entrailles « maternelles » et entend, comme dans Osée, la souffrance de son peuple.

Je suis descendu ou je vais descendre… ? 

Présent ou futur, tant attendu en ces jours de désolations qui nous frappent encore ? 

On doit peut-être souligner ici les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ».

Je vous livre ici une vieille méditation (1) inspirée de nombreux auteurs. 

Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la « pureté de l’affirmation » Eckhart évoque ainsi « un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière ».

Que veut-il dire par là ? Est-ce ce tourbillon d’un amour qui ne cesse de s’intéresser à l’homme ?


Il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie ». 

Eckart souligne que cette vie « signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ».


Est-ce la démesure de l’amour divin dont nous parlait Jésus dimanche dernier ? 

Est-ce déjà le cœur transpercé d’où jaillit l’amour qu’évoque Jean 19 et qui se dessine dans la dynamique du torrent du temple d’Ezechiel ?


Pour Thomas Römer  on devrait d’ailleurs plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob[319] : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». 

De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. 

Dans cette révélation du nom de Dieu, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de « Yhwh » imprononçable car probablement insaisissable…

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.


Dieu est amour, mais jusqu’où ? Se limite-t-il dans une préférence ou va-t-il jusqu’à l’agenouillement devant Judas et donc jusqu’à chacun de nous, en dépit de nos faiblesses et de nos reniements ?


D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction qu’il faut probablement aller. 


En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ.

Enfin, selon Grégoire de Nysse, le buisson : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ».

L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère… »(1)


Quel est alors l’enjeu pour aujourd’hui ? Est-il de croire comme l’a fait Moïse il y a 3000 ans cette affirmation particulière du verset 7 : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple ». En ce temps de guerre tel est le souffle ténu de notre espérance… 

Dieu pleure de nos violences… Ses entrailles se déchirent et nous appelle à la Paix. 


La où certains soutiennent la guerre, le buisson brûle d’un amour qui ne consume pas et Jésus refuse que l’on coupe le figuier dans l’espoir qu’il portera du fruit… Quelle espérance !


(1) Extrait de mon Dieu dépouillé 


Cf. aussi https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR

05 septembre 2021

Foi et surnaturel - 2

Miracle, intuition, sensation, détermination, logique, certitudes, dogmes, révélation.

La juxtaposition de ces termes traduisent ils l’ampleur de l’inconnaissable ?

En lisant Jean-Luc Marion (1) on perçoit tout l’enjeu de ces nuances entre ce qui vient de Dieu et ce qui est propre à l’homme, entre raison et révélation, psychologie et certitudes. 

Face à ces « mouvements » une introspection est nécessaire ! Il nous faut discerner entre nature et surnaturel.


Suis-je en train d’inventer Dieu au sens décrit par Tomas Römer (2) ou m’est il révélé d’Ailleurs.

Comment Dieu me parle-t-il ? 

Quels sont les traces de sa présence ?

Y suis-je à l’écoute ?

S’impose-t-il ?

Vient-il quand je l’appelle ou me surprend-t-il ?

Et pourquoi son silence, mes nuits ?(3)


Certains textes nous ouvrent à la question de cette présence particulière à côté de laquelle nous passons sans Le voir. Je repense notamment à ce poème d’Ademar de Barros qui conclut que Dieu nous porte dans ses bras (4) ou ce cri d’Augustin « tu étais là et je ne le savais pas » (5)


Passons-nous à côté de la Présence sans ouvrir notre porte intérieure à la brise…à ce que François Cassingena-Trévedy appelle avec humour le « courant d’air ». (6)


On rejoint la question que je posais récemment à propos d’Effata…

Écouter vraiment demande le silence… sentir sa présence demande de partir au désert…

Chemin du désert (7)


(1) D’ailleurs la Révélation, op.cit. pages 130-150

(2) cf. l’invention de Dieu, Seuil 2014-2017

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) cf. ci dessous 

(5) confessions VIII

(6) François Cassingena-Trévedy, pour toi quand tu pries…

(7) voir mon essai gratuit sur https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819117/Claude-J-Heriard-Le-chemin-du-desert


« J'ai rêvé que je cheminais sur la plage en compagnie du Seigneur, et que, dans la toile de ma vie, se réfléchissaient tous les jours de ma vie. J'ai regardé en arrière, et j'ai vu qu'à ce jour où passait le film de ma vie surgissaient des traces sur le sable ; l'une était mienne, l'autre celle du Seigneur. Ainsi nous continuions à marcher jusqu'à ce que tous mes jours fussent achevés. Alors, je me suis arrêté, j'ai regardé en arrière. J'ai retrouvé alors qu'en certains endroits, il y avait seulement une empreinte de pied. Et ces lieux coïncidaient justement avec les jours les plus difficiles de ma vie, les jours de plus grande angoisse, de plus grande peur et de plus grandes douleurs. J'ai donc interrogé : Seigneur, Tu as dit que Tu étais avec moi, tous les jours de ma vie, et j'ai accepté de vivre avec Toi. Mais, pourquoi m'as-Tu laissé seul, dans les pires moments de ma vie ? Et le Seigneur me répondit : Mon Fils, je t'aime, j'ai dit que je serai avec toi durant la promenade, et que je ne te laisserai pas une seule minute. Je ne t'ai pas abandonné : les jours où tu n'as vu qu'une trace sur le sable sont les jours où je t'ai porté ! Amen. »

15 juillet 2021

La danse du feu - 4

Dans le récit du buisson ardent que nous donne à manduquer la liturgie d’aujourd’hui se trouve une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique qui n’est pas sans écho avec le cycle d’Elie. 

Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. 

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu. 


Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui brûle en nous et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelque que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quelque soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu


On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ». “Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...).

C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ». 


Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob1 : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ. 


Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ». L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…(1)


Que dire 3000 ans plus tard ?


La danse du feu fragile prépare le don du feu, nous invite à l’agenouillement tout en nous préparant à l’agenouillement de Dieu devant l’homme(2), double pédagogie que souligne Joseph Moingt à sa manière. 


L’esprit qui descends en langue de feu n’est pas forcément la puissance en actes d’un Dieu qui brise notre volonté et le force à agir. Il est inhabitation silencieuse, danse intérieure et chant de Dieu…


(1) extrait de Pédagogie divine 

(2) cf. mon livre éponyme

08 novembre 2020

Écriture - 6 bis - Comment s’est écrite la Bible ?


Les avancées de l'archéologie récente apporte un regard nouveau et révélateur sur ce qu'on appelle Parole de Dieu, réfutant systématiquement l'apparente chronologie biblique qu'ils considèrent comme artificielle et loin de ce qui est historique et compatible avec les traces et autres signes du passé.
Cette nécessaire distance avec le texte peut-il nous aider à prendre de la distance sur l'apparente violence divine dans l'ancien Testament ?
J'évoquais récemment ma lecture commencée de Thomas Römer. Je vous livre cet extrait qui me semble intéressant à la suite de mes billets récents.

« Les milieux d'exilés issus de l'élite judéenne jouèrent un rôle important dans la production d'un certain nombre de rouleaux qui sont à l'origine du Pentateuque et des écrits prophétiques. La destruction de Jérusalem et de son Temple par les Babyloniens, en 587 avant l'ère chrétienne, avait provoqué chez ces intellectuels une crise idéologique. Les piliers identitaire d'un peuple du Proche-Orient ancien, c'est-à-dire le roi, le temple du dieu national et le pays, s'étaient écroulés. Il fallait donc trouver de nouveaux fondements pour dire l'identité d'un peuple privé de ses institutions traditionnelles, et c'est ainsi que ce mirent en place différentes réponses à la crise : une de ses réponses est « l'histoire deutéronomiste » qui comprend les livres allant du Deutéronome jusqu'au deuxième livre des Rois.
Le but de cette histoire est de démontrer que la destruction de Jérusalem et la déportation d'une partie de la population ne sont pas dû à la faiblesse du dieu d'Israël face aux divinités babylonienne ; au contraire, c'est lui [Dieu] qui se sert les babyloniens pour sanctionner son peuple et ses rois de ne pas avoir respecté les stipulation de son « alliance », consigné dans le Deutéronome.
Le milieu des prêtres rédige, de son côté, une histoire des origines (appelée souvent « écrit sacerdotal ») qui se trouve surtout dans les livres de la Genèse, de l'Exode et du Lévitique et qui insiste sur le fait que tous les rituels et institutions ont été révélés avant l'entrée du pays et avant la royauté – celle-ci n'est donc pas indispensable. Pour les auteurs sacerdotaux, toutes les coutumes par lesquelles va se définir le judaïsme à l'époque perse et hellénistique (circoncision, Pâque, rituels et les lois alimentaires) sont données par Moïse dans le désert, en l'absence d'un pouvoir politique. Ces deux ensembles littéraires préparent en quelque sorte le chemin vers le monothéisme, car ils affirment de manière différente d'unicité du dieu d'Israël. »(1)

Je ne suis qu'au début de la lecture mais cette introduction de Römer confirme déjà ce que je commentais il y a quelque temps comme une nécessaire prise de distance entre ce que l'on pouvait considérer comme une révélation chronologique et de seule facture divine et cette double construction complexe du texte biblique entre parole divine et projet humain qui révèle à la fois une lecture spirituelle de l'histoire et un texte engagé et dirigé à des fins parfois religieux ou politiques. Cela renforce l'idée d'une nécessaire interprétation comme pour tous « Livres » et prétendue Parole de Dieu. L'historico-critique n'a pas fini son œuvre.

Quel est l'origine du nom de Dieu ?
Dans un long premier chapitre de son livre, Thomas Römer nous conduit à explorer la difficile quête de l'origine du nom de Dieu, imprononçable pour nos frères juifs. Au delà de mon intérêt personnel pour ce refus de nommer ce que l'on ne peut définir sans réduire, je note l'intérêt porté :
- à la notion d'Être, tirée d'une quête arabe pré-musulmane ancienne,
- de son long développement sur la révélation à Moïse (2) en Ex 3, 14 et le « je serai qui je serai » (cf. p. 47)
- À cette conclusion qui est ouverture : « Yhwh serait donc celui qui souffle, qui amène le vent, un dieu de l'orage qui peut aussi inclure les appels guerriers, et une telle caractérisation s'applique assez bien (...) aux fonctions primitives de Yhwh »(3)
Je suppose qu'il va aller plus loin sur ce thème de l'invention de Dieu qui devient alors celui qui justifie la violence, loin de fait de la révélation christique...

(1) Thomas Römer, l'invention de Dieu, Points, Seuil, Paris, 2014, p. 33
(2) figure biblique qu'il souligne, citant l'égyptologue Jan Assmann quelle n'a « aucune trace historique » cf. p. 72
(3) ibid. p. 50, cf. aussi p. 67 et 70