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22 mai 2022

Retrait et présence 2.59

 

À l’aube de l’Ascension nous nous préparons au départ du Seigneur, tout en sentant sa fragile et délicate Présence

Paradoxe de la distance et d’une proximité toute intérieure.

Cet entre~deux qui se prépare rend plus prégnant certains contrastes :

Deuils et espérance 

Nuit obscure et brûlure du souvenir.

Amertume et douceur dont parle l’apocalypse.

Joie et tristesse.

Souffrance et consolation ?


Pourquoi ?

Où es-tu mon Dieu ?

Dieu prépare, en nous, une demeure discrète et bien fragile…


Vendredi soir j’écoutais une mère me parler de son fils parti à 19 ans après un long cancer..

Que dire ?

Entendre la douleur, compatir à cette souffrance 

Et espérer contre toute espérance que ce manque abyssal trouvera au fond du gouffre la grâce d’un baume réparateur ?


La liturgie de ce dimanche trace dans ce cadre, et à sa manière, un chemin fragile d’espérance à l’aube de l’Ascension. 


    « Si quelqu’un m’aime,

il gardera ma parole ;

mon Père l’aimera,

nous viendrons vers lui

et, chez lui, nous nous ferons une demeure.* jean 14


Garder…

Demeurer…

Viens demeurer en moi Seigneur.


Écoutons le Christ nous prendre par la main, comme il l’a fait pour ses disciples… : 

    

    « Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit. »


Le défenseur, le souffle..

Celui qui rend toute chose possible malgré l’absence…


« Je vous laisse la paix,

je vous donne ma paix ;

ce n’est pas à la manière du monde

que je vous la donne.

Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé. Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais,

et je reviens vers vous. »


Je m’en vais et je reviens… mais comment ?


« Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie

puisque je pars vers le Père,

car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant,

avant qu’elles n’arrivent ;

ainsi, lorsqu’elles arriveront,

vous croirez. » Jn 14


Que dire…

La demeure toute intérieure et en même temps inaccessible de Dieu en nous ne peut être thématisée.


L’amour est plus fort que la mort, 

mais cette force est discrète et parfois insaisissable, 

car Dieu ne peut être contenu et ses dons restent discrets, 

de peur de froisser notre liberté..


Samedi, par mes mains fragiles et le ministère qui m’est confié, une petite L. est entrée dans la famille des enfants de Dieu, alors que sa maman et ceux qui l’entourent étaient touchés par un nombre indécents de deuils. La maman les a tous évoqués, avec délicatesse, tous ces absents qui auraient pu apporter à cette petite fille un peu de présence et de douceur. Elle avait choisi deux textes dont celui  qui parle de pierres vivantes… 


Viens Seigneur habitez en elle, en eux.

Comble les de ta grâce….

Et que les mots qui sont venues à mes lèvres trouvent en leur cœur leur chemin, ton chemin…


Je vous les confie…

Que le Dieu d’amour les portent dans ses bras…


Pour aller plus loin :

1. Anne Dauphine Juliand, Consolation, éditions Les Arènes

2. Lytta Basset Ce lien qui ne meurt jamais 

3. François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

4. Et mes essais et romans gratuits sur Kobo / Fnac

- Quelle espérance pour l’homme souffrant…

- Où es-tu mon Dieu ?

- D’une perle à l’autre

29 octobre 2021

Balbutiements pour la Toussaint

Qui sont les saints d’aujourd’hui ?

Notre pape François parle des saints ordinaires, ceux dont on ne parle pas. Après le rapport de la CIASE, on ne peut ignorer la multitude des personnes touchées par la violence sexuelle des hommes, surtout dans nos églises, victimes souvent d’une bien fausse sainteté, celle de l’apparence extérieure. 

Ne regardons pas avec nos yeux de chair, ne nous laissons pas troubler par les ors et les dentelles, les ornements et les distinctions apparentes qu’elles soient des soutanes bien noires, ou des aubes trop blanches, comme celle que je porte aujourd’hui car si le cœur de l’homme peut être capable du meilleur, il peut, derrière cette apparence, rester fourbe, vil, violent et peut conduire au pire comme nous venons de le découvrir dans le document de la CIASE qui brûle encore nos yeux abasourdis.

Faut-il répéter seulement les paroles de Paul pour trouver un chemin intérieur d’humilité ? «Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas.» Rom. 7:19‬. 

Au-delà d’une nécessaire introspection intérieure, ne nous laissons pas, pour autant, tenter par ceux qui cherchent à diviser l’Élan qui nous pousse au désert pour réaliser combien les tentations d’avoir et de pouvoir/ ou de valoir nous empêchent d’avancer.

Ne passons pas à côté, n’oublions surtout pas ceux qui souffrent… Car leurs cris serait alors inutiles…


Dans l'évangile d'aujourd'hui, celui des Béatitudes, on entend encore résonner le cri de Jésus « Heureux , les souffrants ». 


C’est du bout des lèvres que nous pouvons espérer qu’ils soient heureux, enfin, ceux que l’on a souvent ignorés, les migrants, les délaissés, les enfants maltraités, meurtris, éliminés. Jésus l’affirme  : ils sont tout aimés de Dieu…


Pouvons nous aujourd'hui entendre cette béatitude sans céder à la colère et à la honte devant tant de vies brisées? 

Le rapport de la CIASE nous  interpelle, chacun à notre niveau, membres d'une même Eglise, Notre Église,  le nous ecclésial prend là tout son sens pour réfléchir à son  fonctionnement actuel,  ses habitudes, de ses petites lâchetés à son silence parfois abyssal... Ne restons pas des  spectateurs muets ou pire, des détracteurs qui divisent sans agir ! 


Notre Église a besoin de nous tous, femmes et hommes, baptisés, laïcs, et clercs  pour se  reconstruire, se guérir des fausses apparences, et rebâtir sur le roc. Dieu a besoin de nos mains, répétait Etty Hillesum… il ne fera pas le travail tout seul…


Relisons la première lecture sous ce prisme : 

« Ne faites pas de mal à la terre,(...)

(...)  voici une foule immense,

que nul ne pouvait dénombrer,

une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues.

Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau,

vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main.

    Et ils s’écriaient d’une voix forte :

« Le salut appartient à notre Dieu

qui siège sur le Trône

et à l’Agneau ! »

    (...) 

    L’un des Anciens prit alors la parole et me dit :

« Ces gens vêtus de robes blanches,

qui sont-ils, et d’où viennent-ils ? »

    Je lui répondis :

« Mon seigneur, toi, tu le sais. »

Il me dit :

« Ceux-là viennent de la grande épreuve ;

ils ont lavé leurs robes,

ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »


Si notre société vit sur l’apparence,

Dieu  seul regarde le cœur de l’homme.

Dieu seul sait où est l’essentiel.

Dieu seul est amour.


Un grand espoir se lève pour répondre présents à l’appel du pape de lancer un synode sur la synodalité ou, pour parler plus clair, pour apprendre à marcher ensemble vers la véritable et inaccessible sainteté, celle qui transpire, fragile, du quotidien, de ces femmes et de ces hommes, réunis  dans une assemblée vivante où tous les chrétiens, décidés à discerner comment doit s'amorcer ce changement. Il nous faut chercher ensemble, afin que cela ne reste pas l’affaire de « sachants », mais celle d'une véritable assemblée de « pierres vivantes », de priants, d’aimants en actes et en vérité. L’Église a besoin d’un profond renouveau, de cet « aggiornamento » véritable qui a conduit déjà à Vatican II. Elle a besoin de vous, de nous.…


Dans notre diocèse, des groupes vont se créer pour vivre le synode en vérité. Ne passez pas à côté de l’appel. Par la foi qui vous habite, par l’espérance que Dieu a mis en vous, peut jaillir l’Église dont rêve le Christ, ce royaume dont il parle, non une réalité déjà là, mais toujours en devenir, toujours en marche. 


La sainteté de l’Église n’est pas une succession de saints passés, mais sa capacité à se laisser toujours à nouveau saisir par le Christ. 


Saint Paul le disait à sa manière, le passé est « balayure », ce qui compte c’est se laisser toujours, à nouveau, traverser par la Parole, « se laisser saisir par Lui, le Christ (Ph. 3), le seul prêtre sans tâche, celui qui marche au devant de la multitude. 


Ne baissons pas les bras, l’Esprit est là, il ne cesse d’être là pour nous relever, nous faire grandir. Il a besoin de chacun de nous. 


* Merci à ma femme et l’amie de la première heure qui m’ont aidé à affiner ma pensée. Libre à vous, amis, de réagir.

08 octobre 2021

Sur la pointe des pieds…

Il y a un temps pour parler et un temps pour faire silence.

Aujourd’hui je commencerai à la suite de J.Moingt par un appel au silence. À faire résonner en nous ce vide [du samedi saint] qui seul peut nous laisser entendre les cris… et quels cris… (1)

Après les événements de cette semaine, après la lecture insoutenable de ce rapport, que j’ai loin d’avoir finie, il me semble urgent de faire silence, de se taire devant cet innommable, pour retrouver ensemble un véritable chemin d’humilité et de service, se laisser saisir par le Christ qui est si loin de notre humanité et, seul, est image véritable de Dieu, parce que son don est entier et sans partage.

Qui sommes-nous pour revendiquer d’autres titres que celui de pécheurs en chemin vers le pardon ?


Les lectures de ce dimanche nous conduisent vers cela avec force. Laissons les textes parler d’eux-mêmes plutôt que d’en rajouter…


« Elle est vivante, la parole de Dieu,

énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ;

elle juge des intentions et des pensées du cœur.

Pas une créature n’échappe à ses yeux,

tout est nu devant elle, soumis à son regard ;

nous aurons à lui rendre des comptes. » (Heb 4)


L’auteur d’Hebreux ne mâche pas ses mots. Nous laissons nous traverser par eux ? Qu’allons nous faire pour mettre en actes ce « plus jamais ça » qui vient aux lèvres ?


Laissons Dieu pénétrer dans les recoins les plus sombres pour que jaillissent enfin la lumière 


L’Église ne sera que si elle se laisse totalement traverser jusqu’aux jointures de l’âme, jusqu’à ce que nous cachons de plus sinistre en nous, ce qui se colle à nous et nous empêche d’entrer dans le don véritable. 


« J’ai prié,

et le discernement m’a été donné.

J’ai supplié,

et l’esprit de la Sagesse est venu en moi ». Nous dit la première lecture.


Seigneur viens m’habiter, viens nous habiter…

Viens Seigneur, convertis moi…


Au fond de nous, après ce temps de silence, que nous dit l’Evangile… 

Pourquoi nos richesses nous empêchent-t-elles d’accéder au royaume ? Quels sont ces biens qui nous centrent sur nous et nous empêchent d’entendre le cri de nos frères ? 


Laissons nous pousser au désert, comme Jesus poussé par cet Esprit de Sagesse dont parle la première lecture. Les trois tentations du Christ se résument dans 3 verbes :  l’avoir, le pouvoir et la valoir… 

Que nous dit notre cœur sur cela ?

Quelles sont ces variations subtiles de l’avoir et du pouvoir qui nous empêchent d’etre aimant.

L’amour n’est pas naturel souligne Marion(2). Il ne vient que dans un quitter, dans un abondon. 


C’est le problème du jeune homme de l’Evangile.


Une tradition voit dans Marc ce jeune homme nu au mont des oliviers. Il lui a fallu toute la prédication de Jésus pour comprendre que ses biens l’empêchait d’aimer…


Laissons nous conduire au désert… (3) car c’est là que Dieu nous parle…


Ce n’est que dans le dénuement que reviendra notre soif, que nous pourrons être attentifs aux petits, à ceux qui crient..  quittez vos vêtements de fête, dit le Seigneur en Ex 33 juste après l’épisode du veau d’or… nos apparats et nos apparences ne sont que des manières de masquer cette nudité première de l’homme qui seule nous met en chemin, sans honte vers autrui… laissons nos sandales de rechange, abandonnons nos ors inutiles, la maison de Dieu est une tente bien fragile où Dieu quitte son vêtement pour s’agenouiller devant les souffrants(4), les petits et les pécheurs, pour les amener à l’essentiel… l’amour inconditionnel…

Tout quitter pour le suivre…

Quand on n’a pas tout donné a-t-on donné ? 

dit l’adage. Un chemin difficile…

Le poverollo avait bien raison…

Notre maison est à reconstruire, une fois encore… 

Chacune des recommandations du rapport Sauvé mérite toute notre attention. J’en ajouterai une. Cessons d’appeler maître, ou « mon Seigneur » ceux qui ne sont que des hommes. 


La semaine dernière nous entendions le Christ mettre l’enfant au centre.

C’est à pleurer…


(1) Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

« Quiconque contemple en Jésus l'humanité victime de ses manipulations du divin au point de s'entretuer, se sentant solidairement coupable de cet état de choses et impuissant à s'en libérer, est invité à y écouter le silence du Dieu qui parle en Jésus et à y découvrir l'inconnu d'un Dieu tout différent de ses images, plein d'amour et de respect pour les hommes, qui les appelle à l'aimer et à le respecter par le respect et l'amour les uns des autres, à exister pour les autres comme pour Dieu même. »

(2) Jean Luc Marion, d’ailleurs la Révélation 

(3) cf. mon essai Chemins du désert 

(4) cf. à genoux devant l’homme


PS : Notes pour une homélie dominicale que j’ai eu bien du mal à prononcer

07 octobre 2021

Souffrance et Crucifixion - 8

Où es-tu mon Dieu ?

Une question d’actualité à propos de ce rapport affligeant où les mots nous manquent.

Au delà de la désespérance et de la honte et après un temps de silence, il nous faut chercher la lumière, la seule, celle du Christ nu et exposé qui démonte tous les masques et les volontés de puissance.

Parce que nous restons sans voix, il faut peut-être refaire le chemin de nos pères, comme celui de Jurgen Moltmann, l’auteur du « Dieu crucifié » : « Est-ce que beaucoup ont perdu leur confiance en Dieu après ce crime et le silence du ciel ? » demandait Moltmann dans une conférence à Paris il y’a quelques années à propos d’Auschwitz. Sa réponse est édifiante. 

« Je trouvai de l’aide dans le livre d’Élie Wiesel sur ses expériences à Auschwitz, intitulé Nuit ». Relisons le texte : « Trois condamnés enchainés – et parmi eux, le petit serviteur [pipel], l’ange aux yeux tristes. [...] Tous les yeux étaient fixés sur l’enfant. Il était livide, presque calme, se mordant les lèvres. L’ombre de la potence le recouvrait. [...] Les trois cous furent introduits en même temps dans les nœuds coulants. Vive la liberté ! crièrent les deux adultes. Le petit, lui, se taisait.

Où est le Bon Dieu, où est-il ? demande quelqu’un derrière moi. Sur un signe du chef de camp, les trois chaises basculèrent. [...] Les deux adultes ne vivaient plus. Leur langue pendait, grossie, bleutée. Mais la troisième corde n’était pas immobile : si léger, l’enfant vivait encore. [...] Derrière moi, j’entendis le même homme demander : « Où donc est Dieu ? Et je sentais en moi une voix qui lui répondait : Où il est ? Le voici – il est pendu ici, à cette potence .... »


Moltmann reprend ainsi : « Est-ce que c’est une réponse ? Dieu souffrit-il avec les victimes d’Auschwitz ? Est-ce que Dieu n’était pas […] présent dans les chambres à gaz ? Est-ce que Dieu était pendu là au gibet ? J’eus l’impression que toute autre réponse serait hors de propos. Il ne peut pas y avoir d’autres réponses. Parler à ce moment-là d’un Dieu incapable de souffrir, cela ferait de Dieu un démon. Parler d’un Dieu indifférent nous rendrait indifférents, nous aussi. Renier Dieu et se tourner vers l’athéisme réduirait au silence le cri des victimes. On priait le Shema d’Israël et le Notre Père à Auschwitz, on peut donc prier Dieu après Auschwitz. Dieu était dans leurs prières(1).  »


On peut déboulonner les statues, mais ne déboulonnons pas notre espérance.


Dans ma thèse sur l’incompréhensible souffrance humaine (2) je cherche à tracer un chemin fragile. Peut-on en trouver un aujourd’hui quand la souffrance de 5 millions de victimes d’abus est évoquée ? Et surtout quand plus de 330.000 le sont par ceux qui ont fait voeux d’imiter le Christ ?


Le rapport de la CIASE met en haut d’une perche le mal humain dans son horreur la plus rude. Il nous faut voir ce que disait Jean 3 à propos de cet épisode au désert de Nb 11. :


« De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.

Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »


Notre seule espérance c’est de croire que Dieu n’est pas dans le for externe d’une toute puissance affichée, mais dans la toute faiblesse d’un enfant abusé. 


Notre seule espérance est que Dieu est amour…


Dieu souffre triplement disait, à sa manière Hans Urs von Balthasar, comme un Père qui voit souffrir son Fils, comme un Fils déchiré sur le bois, et comme l’Esprit qui pleure de nos refus d’aimer (3)


À la suite d’une conférence donnée à Zagreb un ami m’a conduit dans une Église dont j’ignore le nom. Sur un mur figure des milliers de victimes de leur guerre fratricide et un peu en hauteur, une barque traversée en son milieu par une ligne blanche. Cette barque représente notre Église disait mon ami. Le mal est dans notre barque. Nous venons ici pour nous rappeler que nous sommes tous embarqués dans cette triste galère.


Seigneur pardon…

Tu es là.

Qu’ai-je fait ? 


(1) Elie Wiesel, Nuit, Paris, Éditions de Minuit, 1957, cité par J. Moltmann dans sa conférence de Mars 2010 à l'Église américaine de Paris, texte inédit.

Cf. Aussi Emmanuel Lévinas, « Transcendance et Mal », Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1982, texte repris dans Philippe Nemo, op. cit. Job et l’excès du mal, Paris, Albin

(2) Quelle espérance pour l'homme souffrant. https://www.fnac.com/livre-numerique/a14819046/Claude-J-Heriard-Quelle-esperance-pour-l-homme-souffrant

(3) Hans Urs von Balthasar, Théologique II, Namur, Éditions Culture et Vérité, 1996, série «Ouvertures», p. 156. Voir aussi J-M. Garrigues, op. cit. p. 107 citant Osée 11, 8 »

03 septembre 2021

Danse et souffrances - 15 Danse tragique ?

Si Jésus évoque danse et pleurs dans la même phrase (cf. Mat 11,17),, c’est bien qu’il existe un lien subtil et mystérieux entre les deux, au delà de l’opposition apparente entre lui et le Baptiste.

Ce lien est au cœur du mystère de l’incarnation et il n’est pas anodin de contempler cette semaine Jésus attentif aux souffrances de la mère de Pierre jusqu’au sourd de dimanche prochain.


Que dire sur la souffrance ?

Sur la pointe des pieds, j’ai osé aborder ce thème en clôture de mon cycle de théologie (1) car il me semblait un noeud pastoral particulier. Je ne peut pas dire que ma note ait été bonne, mais le travail sur ce thème peut-il être achevé ?

Un bon archevêque recommandait de ne rien dire. Folie de ma part ?


La souffrance n’est pas un appel de Dieu pour l’homme. Elle est.. parce que le mal est…

Et en même temps, cette réalité est souvent le lot de certains d’entre nous, de manière particulière. J’ai autour de moi de douloureux exemples à côté desquels je me sens démuni et chanceux à la fois.

Les mots me manquent.


Paul l’évoqua à plusieurs endroits la souffrance et va jusqu’à dire qu’il complète les souffrances du Christ (cf. Col 1, 24). Nous avons tous notre part dans ce mystère du salut, homme et femme, à la mesure de nos forces, à la suite de Job, sans croire pour autant que Dieu a une responsabilité. Voire même au contraire, et c’est le message central de la Croix, qu’il souffre à nos côtés. 


C’est le mystère même du mal… 

Dieu ne veut pas la souffrance…

Il ne faut cesser de le crier…

Et dans la douleur il faut aussi crier, à la suite des psaumes, cet « où es-tu mon Dieu ? » qui révèle notre inconnaissance.


Difficile d’en dire plus ici, mais j’invite à creuser le sujet…car une pastorale ne peut l’éluder.


Excursus sur l’Enfer et le purgatoire (évoqué sur RT) :

Notre sadisme et notre soif de vengeance peut souhaiter la souffrance d’autrui et le feu de l’enfer. Il faut peut-être relire alors ce que nous avons contemplé sur le pardon et la miséricorde infinie de Dieu, voir notamment la longue double réponse de d’ Hans Urs von Balthasar qui croit que l’enfer est peut-être vide (2) 

Sur la nuit féminine, voir aussi le livre de François Marxer (3) qui creuse magnifiquement ce thème de la nuit féminine et explore de belles figures. 


(1) cf. « quellle espérance pour l’homme souffrant ? » ou j’ai traduit, avec l’aide d’une amie, en français un texte inédit de Karl Rahner

(2) Hans Urs von Balthasar,  L'Enfer : une question  et Espérer pour tous chez DDB ou sa Dramatique divine.

Voir aussi ma trilogie « humilité et miséricorde » ( disponibles également gratuitement sur le site de la Fnac)

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

03 avril 2021

Silence et danse - 48


Ce qui vient d’être vécu mérite un arrêt sur image, tellement la densité liturgique du triduum pascal nous a conduit à un feu d’artifice symbolique sans nous laisser de temps pour manduquer ce qui nous est livré...

Il faudra 40 jours pour que les apôtres soient prêts à danser dans le feu de l’Esprit...


Je voudrais en profiter pour revenir sur deux points qui dansent ensemble et encadrent la révélation fragile du Ressuscité.

Ce qui se passe de la croix à Pâque mérite que l’on respecte l’indicible d’une révélation qui parle d’elle-même.


1. Samedi Saint

Joseph Moingt, sj., insiste beaucoup sur ce temps de silence qui précède la résurrection, comme ce lieu où, d’une certaine manière, se concentre nos doutes, nos peurs et nos incompréhensions. Contempler le silence du jardin, c’est prendre conscience de tous ces lieux où le vide et la question nous envahissent. C’est le lieu où nous pouvons rejoindre ceux qui ont encore du mal à croire. C’est aussi le lien où nous entendons plus qu’ailleurs le cri des souffrants...

« Quiconque contemple en Jésus l'humanité victime de ses manipulations du divin au point de s'entretuer, se sentant solidairement coupable de cet état de choses et impuissant à s'en libérer, est invité à y écouter le silence du Dieu qui parle en Jésus et à y découvrir l'inconnu d'un Dieu tout différent de ses images, plein d'amour et de respect pour les hommes, qui les appelle à l'aimer et à le respecter par le respect et l'amour les uns des autres, à exister pour les autres comme pour Dieu même. »(1)


Écouter et faire résonner en nous le silence de Dieu... 


2. Le soir de Pâques 

L’autre versant (mais est-il bien différent ?) est ce chemin d’Emmaus qui encadre aussi l’éclat lumineux et fugace des théophanies pascales.


« Il leur expliquait les écritures... » nous dit Luc.

Contemplons un instant ce compagnon de route qui sait s’effacer ensuite, « pour laisser advenir, en ceux (...) qui le suivent, sa propre relation à son Père »[2].

Pour C. Théobald « ceux qui ont commencé par le suivre avec leurs pieds doivent comprendre où il demeure (Jn 1, 38) s'ils veulent aller au bout de leur désir pour passer ainsi à une relation symétrique de compagnonnage ou d'amitié avec lui ».[2] »

Le risque de toute pastorale, renchérît à sa manière Michel Rondet (dans un texte souvent cité ici) est de proposer « des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes ».(4)


Magie du chemin de Jésus à Emmaus qui accompagne sans se révéler pleinement. 

À sa suite, osons partager nos quêtes intérieures et laissons Celui qui nous habite, au Nom de qui nous sommes réunis, transformer notre pain de froment en pain de vie, notre sueur en vin de noces en espérant intérieurement que Dieu, qui est là, au cœur de ces rencontres, fera jaillir une source.

L’enjeu révèlé à Emmaüs est un accompagnement, une marche où l’on cherche à plusieurs, on danse, non dans la position du savant, mais plutôt dans celle du marcheur comme Jésus sur le chemin.

« ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit : " De quoi vous entretenez-vous ainsi en marchant ? " Et ils s'arrêtèrent tout tristes. L'un d'eux, nommé Cléophas, lui dit : " Tu es bien le seul qui, de passage à Jérusalem, ne sache pas ce qui s'y est passé ces jours-ci !  » Luc 24


L’approche discrète de Jésus est à contempler en soi tant elle diffère de tout étalage de certitudes.


Son questionnement est un éveil, un réveil qui permet de sentir, en toute liberté, que Son chemin n'est pas étranger à leur propre recherche, qu'il rejoint leur chemin d'humanité. Sans révéler sa présence, le Christ marche et donne du sens à leur route. « Et ils le reconnurent à la fraction du pain » (Luc 24, 31), c’est-à-dire que sans qu'il y ait eu besoin d'en dire plus, dans la démarche ouverte, accueillante et respectueuse, insistante sur la liberté de chacun, Il est venu entre-ouvrir la porte du mystère. 


Pastorale d’engendrement...


 La catéchèse de Jésus complète et éclaire un bon millénaire de pédagogie divine, et fait prendre conscience au lecteur de Luc ce que la parabole du vigneron (Luc 20, 9-18) résumait si bien : la mort du fils s’inscrit dans une histoire. Elle est le point final de l’histoire d’un peuple. Au bout de ce chemin, à la suite des pèlerins d’Emmaüs, un seul signe se révèle, celui du pain rompu.

Qu’est-ce que le pain rompu ? Une communion véritable, comme celle que nous sommes appelés à vivre à sa suite ? Un corps brisé et broyé qui se révèle ? Un Dieu qui se donne et se tait. Les trois et plus encore, très certainement.

Il nous faut peut-être entrer à nouveau dans le silence pour percevoir les harmoniques qui se déploient ici. La révélation est loin des trompettes sonores des premières théophanies de l’Exode(5). Dieu se dit et se tait. Et le pain rompu à Emmaüs n’est pas encore un rituel. Il est mystère, mime au sens donné par Léon Dufour(6), d’un Dieu brisé, nu, dépouillé (7) et offert et qui en même temps disparaît, s’efface pour nous appeler à poursuivre ensemble le chemin, dans nos gallilées et nos périphéries.


La fraction du pain est danse fragile, kénose trinitaire...invitation sublime au banquet à venir...(8)

Peut-être doit on à nouveau retrouver ce sens eucharistique premier, loin d’un automatisme rituel. 

Double et lente manducation aux deux tables de la Parole et du Pain. Musique de Dieu(9)


(1) Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

(2) Une Nouvelle Chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, publié sous la direction de P. Bacq et Christoph Théobald en 2004 chez Lumen Vitae/Novalis/Editions de l'Atelier, p.70 »

(3) Christoph Théobald , in La Révélation, Editions de l'Atelier, Paris 2001, p. 79

(4) Michel RONDET s.j., La Baume-les-Aix, Études Fév 97

(5) voir Pédagogie divine

(6) voir son commentaire de Jean déjà cité 

(7) cf. Dieu nu d’Arnold ou mon Dieu dépouillé 

(8) voir ma « danse trinitaire »

(9) sans vouloir rétablir le latin massacré d’antan, je dois avouer que la liturgie grégorienne a ainsi une harmonie particulière dans le chant pascal « Cognoverunt eum in fractione panis » que j’ai découvert il y a 30 ans dans un vieux monastère et qui danse encore dans ma mémoire. 


PS : je reprends, expose à vos critiques et fusionne ici quelques réflexions croisées dans mes livres « Pastorale du Seuil » et « Chemins de miséricorde » (cf. Kobo). 

PS2 : comme déjà précisé Il y a quelques jours, l’expression très imagée de danse que je développe beaucoup vient d’une expression des pères de l’Église : la perichorèse des personnes divines ou circumincession, que je traduis « danse trinitaire » car il s’agit d’un « jeu » entre les personnes divines unies et tournées l’une vers l’autre, comme l’exprime bien le prologue de Jean. 

Cette harmonie entre les trois personnes jusque dans l’abaissement est à la fois lieu de contemplation et invitation. Il ne s’agit pas de fusion mais d’une distance au sens donné par Jean Luc Marion dans l’idole et la distance...

Je développe longuement les implications d’une telle lecture  dans mon livre « danse trinitaire »téléchargeable gratuitement sur Kobo qui résume la thèse d’Emmanuel Durand sur la perichorèse, moins accessible.


C’est à cette danse que Dieu nous invite. J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé. Bien sûr la danse peut avoir d’autres acceptions mais elle me semble plus facile à percevoir en pastorale que perichorèse 


Illustration : Arcabas

02 avril 2021

Homélie du vendredi saint... - La Croix 12.0 - la danse finale (n.45)

Projet 2

Qu’est-ce que nous contemplons ce soir ?

Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

  1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :
    • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.
    • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)
    • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)
  2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 
  3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)
  4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...
  5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.
  6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)
  7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 
  8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).
  9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)
  10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 
  11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précède en Galilée 
  12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter ;-). On n’épuisa jamais la révélation de la Croix. 


Jean nous conduit aussi à une interrogation particulière. Nous l’avons vu, quand Jésus, au jardin, affirme par trois fois Je suis, c’est à la fois une révélation du mystère même de l’homme Dieu et un écho aux trois « je ne suis pas » de Pierre. 

Ego eimi / ouk eimi


Et nous qu’allons nous dire. Je suis ? Je te suis ? Ou je ne suis pas, je ne te suis pas.


Laissons la question résonner dans le silence. Est-ce que Jésus est mort en vain... est-ce que notre marche vers Pâques est stérile ou sommes-nous prêts à avancer, à répondre enfin à l’où es-tu de Dieu, aidé par la contemplation de la croix et sa miséricorde ? 



Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »


27 mars 2021

La Croix 12.0 - danse finale ? (Billet n.45)


Peut-on épuiser le mystère ? Il y a au moins douze dimensions dans la Croix que notre entrée en semaine sainte nous permet de manduquer lentement :

 1. La dimension verticale et descendante qui est celle de l’abandon trinitaire. Triple kénose où :

 • Le Père renonce à toute puissance pour laisser l’homme Jésus révéler l’amour.

 • Le Fils renonce à toute divinité pour se dépouiller d’abord de son vêtement par le mime kénotique tout symbolique d’un lavement des pieds (Jn 13) puis « forcé » sur la croix pour prendre la condition finale d’un esclave, d’un rejeté...(1)

 • L’Esprit sera déposé au fond de nos cœurs de pierre pour faire danser en nous l’amour(2)

 2. La dimension horizontale où les bras ouverts d’un Dieu transpercé nous invitent à sa danse pour l’humanité toute entière 

 3. La dimension « inversée » où le serpent moqueur qui nous empêche d’aimer et nous pousse à la violence, la jalousie, l’orgueil ou la cupidité est transpercé et dressé (Nb 11) par le feu d’un amour qui se révèle derrière un rideau déchiré (3)

 4. L’appel mystique d’un fin silence qui pèse sur le bruit du monde avant que bruisse le chant des anges à la sortie de nos carêmes...(4). Chant discret qui apparaît au terme de nos chemins de désert (5) et se prépare à l’Alleluia pascal...

 5. Un homme au paroxysme de la souffrance, agneau innocent qui révèle l’amour d’un Dieu avec nous.

 6. La déréliction de celui qui va jusqu’à connaître l’abandon du Père et rejoint ainsi les assoiffés du monde qui crie leurs « où es-tu ? » solitaires et souffrant.(6)

 7. La nudité révélée de l’Epoux déchiré sur le bois et qui n’en a plus honte, nouvel Adam au sens transcendé de Gn 2,25 (7) 

 8. La soif d’un Dieu qui crie pour la énième fois un « où es-tu ? » à l’homme depuis l’appel du premier jardin, le « donne moi à boire » de Jean 4 au « j’ai soif » de toi final d’un Dieu mourant de son désir d’amour (8).

 9. La joie cachée d’un Dieu qui en criant « tout est accompli » révèle qu’au delà de la souffrance et de l’abandon du Père se cache le mystère d’un chemin trinitaire.(3)

 10. L’Alliance ultime de l’homme Dieu qui épouse l’humanité par une danse ultime 

 11. Le don inouï d’un Dieu qui meurt et entre dans le silence du samedi saint dans l’attente fragile que le murmure d’une femme, devenue fidèle par une danse aimante(9), révèle à des hommes incrédules le bruissement du ressuscité qui déjà les précèdes en Galilée 

 12. La petite espérance où la soif de l’homme-Dieu se change en don et transforme un corps transpercé et « livré pour nous » en source jaillissante d’eau et de sang mêlés(10)


Je suis sûr que j’en oublie. 

Le chiffre 12 est révélateur mais on pourrait parler aussi de  l’Église fondée par un « Mère voici ton Fils » ou d’un « m’aimes tu ? » qui encadre le mystère. Je vous laisse compléter 😉. On n’épuisa jamais la révélation dans un billet sur FB ni d’ailleurs dans les milliers de pages citées ci-dessous.


Pour aller plus loin :

(1) relire Philippiens 2 ou ma « danse trinitaire » et « Serviteur de l’homme » en téléchargement libre sur Kobo

(2) Ezechiel 36, 26 et mon « Dieu dépouillé »

(3) voir Marc 15, 38 ou mon « Rideau déchiré »

(4) 1 Rois 19

(5) cf. mon livre éponyme 

(6) voir Hans Urs von Balthasar - Dramatique divine.  les travaux d’Adrienne von Speyr, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié ou mes deux livres sur ce thème dont « où es-tu ? »

(7) cf. « Le Dieu est nu » d’Arnold longuement commenté dans mes billets précédents...

(8) cf. À genoux devant l’homme 

(9) cf mon billet précédent 

(10) Ezeckiel 47 ou mon  livre « L’amphore et le fleuve »

24 février 2021

Une souffrance qui libère ? 36.2


En préambule au texte de dimanche prochain (Gn 22) et à la suite de mon billet précédent, je poursuis ici mon commentaire (*) et l’expose à vos commentaires.

D’autres sens de la mort de Jésus ont été évoqués par l'Église[1]. (...). Parmi ces multiples visions, le plus difficile à comprendre, c’est peut-être l’expression de Paul : « mort en rançon pour la multitude ». Cette vision pourrait nous conduire à l’idée d’un Dieu qui voudrait un échange pour calmer sa colère. Peut-être faut-il nous attarder un peu sur ce plan, pour déconstruire les fausses pistes qui ont été malheureusement exploitées dans le passé.

Une des premières clés nécessaires à la compréhension de ce mot de rançon se trouve dans le contexte historique. Le mot grec évoque le prix payé pour libérer l’esclave. La rançon payée par le Christ n’est pas un tribut versé à Dieu. Elle peut être conçue au contraire comme un don qui libère l’homme de sa servitude, un tribut versé par Dieu. Qu’est-ce à dire ? La mort du Christ serait une voie qui, en rayonnant l’amour, nous conduit à quitter ce qui nous enferme dans l’adhérence au mal. On rejoint ce que nous évoquions alors plus haut, à propos du serpent d’airain.

Une deuxième difficulté vient de la compréhension de l’expression « colère de Dieu ». Ce n’est pas le « tonnerre et le feu » que nous avons croisés aux côtés d’Élie, dans 1 Rois 19. Ce n’est pas, non plus, le désir de sacrifice du fils premier qu’Abraham a pensé entendre dans sa première interprétation de l’appel du divin (cf. Gn 22). Ce qu’il entendait alors n’était pas le Dieu chrétien, mais probablement la voix trouble de ces peuples de nomades qui pensait apaiser le courroux des dieux en sacrifiant leur premier-né. C’est pourquoi l’ange arrête son bras et met fin à l’incompréhension…

Nous devons le reconnaître, l’Ancien Testament a souvent une version violente de Dieu. Elle reflète surtout l’idée que les hommes se font de Dieu plutôt que le Dieu que le Christ vient révéler, celui qui va jusqu’à mourir par amour. La croix est donc déjà une inversion de ce désir sacrificiel que les hommes ne cessent de reproduire au terme d’un processus souvent mimétique[2]. La folie des hommes est de croire que Dieu veut la mort, y compris de l’innocent, pour calmer sa colère. Il serait perçu comme un Dieu violent. La réponse n’est pas là. Déjà nous l’avons vu à partir du chemin d’Élie, Dieu n’est pas favorable au meurtre des prêtres de Baal (1 R 18), de même il n’est pas dans le tonnerre et le feu, mais ailleurs, dans une symphonie plus douce (1 R 19)…

Faut-il considérer pour autant que Dieu ne rentre pas en colère ? Ce serait réduire Dieu à un Dieu faible. D’ailleurs, le Christ lui-même, dans l’épisode du Temple, nous révèle une facette de ce zèle pour la vérité.

Qu’est-ce alors que la rançon, dans ce contexte ? Ce que nous révèle l’Écriture est ailleurs. Dieu n’a jamais voulu la mort, il ne veut pas d’une rançon pour calmer sa colère. Il n’est pas impossible de concevoir, par contre, que le désordre des hommes réveille chez lui une saine colère, celle d’un Dieu qui se fatigue de nos échecs. Dans ce sens, la rançon versée pourrait être pour Dieu une manière de surajouter l’amour, là où il pourrait manifester de la colère. 

« Là où règne la haine que j’apporte l’amour »(3).

Cette réponse s’articule dans le jeu trinitaire. Il ne s’agit plus d’une vengeance, mais plutôt de l’ordre d’un amour débordant qui en acceptant de donner ce qu’il a de plus cher, vient inverser le sens du monde et apaiser la colère et le cri de celui qui se révolte devant l’injustice.

 J’ai conscience que la différence entre les deux notions est ténue. Il y a cependant une divergence fondamentale entre les deux versions. Pour la rançon, telle que perçue par certains courants d’une théologie que l’on appelle de la satisfaction, qui a pris sa source à partir d’une lecture étroite de saint Anselme au Moyen-âge, la rançon est versée à un Dieu violent et vengeur. Nous savons que le désir de Dieu est au contraire de rayonner de l’amour dont il déborde. Le prix payé à cette manifestation de l’amour de Dieu est alors le prix du fils, une rançon d’un autre ordre, un déchirement pour Dieu qui rend possible une nouvelle espérance. 

Le glissement qui se joue ici est celui de notre conception de Dieu. C’est pourquoi il ne faut pas le distinguer des autres sens de la croix. Si l’on rejoint le mort-pour-souffrir-avec-nous, la rançon devient bien la manifestation d’un jusqu’au-bout-du-don payé par Dieu. C’est dans cette tension et cette polyphonie que la nature même de Dieu s’éclaire. Elle inverse notre tendance à prendre Dieu pour un dieu vengeur. De plus, elle rejoint le sens même de la vie de Jésus. C’est pourquoi il nous a semblé important d’insister sur ce qui dans la vie de Jésus traduit tout particulièrement l’amour que le Père porte à l’homme. 


[1] Pour W. Kasper, les trois sens principaux rejoignent notre typologie : « Le mot hyper a dans ces textes une triple signification : 1. à cause de nous, 2. pour nous, en notre faveur, 3. à notre place. Les trois significations sont présentes et voulues, car il s'agit d'affirmer que la solidarité de Jésus est vraiment le centre de son humanité », in Jésus le Christ, p. 326ss.

[2] Cf. sur ce point la Thèse de R. Girard, in Des choses cachées depuis la fondation du monde.

(3) prière de saint François d’Assise

(*) Suite de mon extrait de « Dieu dépouillé » dont une deuxième édition vient d’être mise en téléchargement sur Kobo.



29 décembre 2020

Danse tragique - billet n. 24

Que pouvons-nous dire aujourd’hui, jour de la fête des saints innocents - dans un contexte actuel qui n’est pas beaucoup plus joyeux...?

Le massacre rapporté par le seul Matthieu nous ramène à cette contemplation d’un « Dieu nu » (1) devant la violence et la souffrance des hommes, d’un « Dieu à genoux devant l’homme » (2) y compris Judas.. d’un « Dieu dépouillé » (3) et fragile.

On peut relire Jérémie 31 qui évoque à la fois dans un même paragraphe « la jeune fille se réjouira dans la danse, » et «  Rachel qui pleure ses fils; (...) refuse de se laisser consoler au sujet de ses fils, car ils ne sont plus. » avant de glisser « Ainsi parle le SEIGNEUR: Cesse de sangloter, sèche tes larmes; car il y aura une récompense pour tes actions – déclaration du SEIGNEUR: ils reviendront du pays de l’ennemi.» Jérémie‬ ‭31:13-16‬ ‭

La logique de rétribution de Jérémie a ses limites et il nous faut écouter probablement la fin du livre de Job... Qui est tu pour comprendre ? Mais cela ne sèche pas les larmes de ceux qui sont affligés par le malheur. 

La petite espérance de Péguy est bien petite...

Le cri est nécessaire et ce n’est pas pour rien qu’il résonne dans un grand nombre de psaumes... Où es-tu mon Dieu ? (4)

Dans mon mémoire de licence, « quelle pastorale pour les souffrants ? » (5) je cherche à tracer, non des voix de réponse, mais des chemins d’accompagnement...‬‬


pour ces personnes, nombreuses, en manque d’espérance.

Plusieurs auteurs ont tracé des pistes sur ce chemin. Dans l’essai précité je joins la traduction inédite et fort interessante d’un texte de Karl Rahner. 

On peut citer une fois encore François Varillon avec son « beauté du monde, souffrance des hommes ».

On peut évoquer Hans Jonas, Jurgen Moltmann et son Dieu crucifié...(6) Elie Wiesel et bien d’autres...

On peut aussi rester dans le silence. Mais ce dernier est-il une fuite ? 

Comme celle de la Sainte Famille au désert ? Une fuite pour un plus grand bien ? 

Est-ce que Matthieu introduit ce récit en contemplation des massacres de 70 ?

La seule réponse possible est probablement dans la Croix, dans ce Dieu dépouillé et déchiré. Mais qui peut l’entendre ?


Si j’ai choisi ce thème de mémoire, c’est en entendant un jeune en préparation de son mariage me dire : «  quand je regarde le ciel, je me demande ce qu’il va encore m’envoyer comme malheur ». 

Nous sommes bien démunis...

On peut probablement se glisser intérieurement la question : suis-je complice de ce mal... ? Sans tomber, dans la culpabilité, car c’est le risque bien soulevé par Lytta Basset (7) 

Saint Thomas distingue le mal de faute du mal de peine... mais ne donne pas de solution.

On peut surtout, comme le fait Etty Hillesum se relever et dire « Dieu a besoin de nos mains »(8)

L’année dernière j’étais au chevet d’un ami prêtre - 93 ans, d’une vie donnée et malgré cela une grande souffrance physique et d’une certaine manière forcément spirituelle. Que faire à part un verre d’eau, une main posée sur un cœur meurtri... ?

N’oublions pas que l’Église est là. Elle l’est à Calculta (cf. La Croix d’aujourd’hui) en Grèce comme à Calais. Visages rayonnants d’une Église au service des souffrants...

Sur ce sujet impossible du mal de peine, je me trouve bien petit et suis toujours preneur d’avis...


(1) cf. ma recension du livre d’Arnold

 (2 à 5) cf. mes travaux de recherches éponymes téléchargeables sur Kobo, cf Http://chemin.blogspot.com 

(6) voir aussi dans mon mémoire un bel extrait sur ce thème d’une conférence donnée à Paris

(7) cf. notamment Je ne juge personne 

(8) lettre à Westerbroch in Une vie bouleversée

11 juillet 2020

Pourquoi ? - dernier hommage à une amie

Pourquoi C. nous a t elle quitté ?

Nous sommes en droit de nous poser cette question ?
Nous avons même le devoir de nous interroger sur ce pourquoi.
Nous avons le droit de crier ?
Le silence apparent de Dieu est toujours mis en cause....
Il n'y a pas de réponse directe, évidente à cette question...
Mais il nous reste des traces,
Des graines,
Des semences...
Si le grain ne meurt, nous dit l'évangile il ne peut porter de fruit...
Vous le savez plus que moi, le grain ne meurt pas vraiment
Au contraire, planté en terre, abandonné à la terre, il prépare une plante, il germe et porte du fruit...
Et quel fruit...
C. tu as été confié à la terre et tu n'as cessé de porter du fruit
Tu es vivante encore, c’est notre espérance
Tu resteras vivante,,, en nous...
Comme tu l'as été avec nous....
Je me souviens de toi comme quelqu'un de droit,,,
Non pas rigide, mais droit....
Ta droiture, je dirais même ta verticalité, venait d'une longue histoire, difficile, douloureuse parfois, joyeuse certainement mais toujours nourrie de cette verticalité.
Dieu avait sa place chez toi...
Une place immense
Une quête
Combien de fois, assise en face de moi, ouvrant la Bible, tu as cherché à mieux connaître ce Dieu qui reposait caché au fond de ton cœur ?
Ce Dieu fragile, discret, silencieux, t'a toujours habité
Dans cette église de N. comme celle de ton village, tu étais toujours là...
Au premier rang,,,
Dieu était en toi,,, au fond de toi
Tu l'as semé à ta manière dans tout qui était amour chez toi.
Dans ton amour pour ton mari, tes enfants, petits enfants...les enfants du catéchisme, tes amis...
Ce qui était amour chez toi, ne mourra pas, en nous car il ne pouvait mourir en toi.
Tu étais, par bien des manières, amour...
Tu portais l'amour. Or l'amour ne meure pas...
Il y a une demeure préparée pour toi la haut, nous dit l’Évangile choisi aujourd’hui (Jn 14)
Comme tu demeureras en nous, dans cette verticalité qui t'as caractérisé
Ce Dieu souffrant planté en croix que tu n'as jamais renié t'attends.
Il est amour et il est chemin.
Tu as laissé en nous ta trace, parce que l’amour qui vibre en toi est chemin, il est vérité
L'amour a fini par t'emporter,
Mais il reste en nous comme un manque.
Une semence
Une quête, un cri...
Dieu est amour
Il est semence
Il est vie
Tu es partie mais tu vies en nous, tu vivras par la mémoire de ton sourire et de ta joie.
Parce que l'amour est plus fort que la mort...
Amen

01 avril 2020

Homélie du dimanche des Rameaux et de la passion année A - Isaïe 50…

Projet 2


Jusqu'où peut-on aimer ?

À l'heure où de nombreux soignants donnent tout ce qu'ils peuvent et parfois leur vie pour sauver les plus fragiles d'entre nous, il nous faut rentrer dans le silence et la contemplation de la Passion.

« Ceci est mon corps (...) et mon sang versé »

On cherche trop Dieu dans les miracles et les bonheurs apparents alors qu'il est là dans le don, la souffrance, les outrages (cf. Is. 50, 6) et se révèle sur la croix. Dieu est nu...

Jamais Dieu ne se révèle mieux que dans la croix.

Si le rideau du temple se déchire de haut en bas, (Mat 27, .Mc 16) c'est que Dieu lui-même dévoile ce qui était caché.

C'est ce que nous dit Paul dans cet hymne magnifique des Philippiens 2 qui révèle le cœur du mystère :


Le Christ Jésus,
 ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu.
    Mais il s'est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
Reconnu homme à son aspect,
    il s'est abaissé,
devenant obéissant jusqu'à la mort,
et la mort de la croix.
    C'est pourquoi Dieu l'a exalté :
il l'a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
    afin qu'au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
    et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

Il n'y a rien à ajouter... Sauf peut-être à ne pas fermer notre porte. Dieu se fait proche, petit, faible pour que nous puissions le laisser germer en nous. Ne laissons-pas cette lumière sous le boisseau, laissons-là transparaître.

Il y a une interaction subtile entre la lente révélation de Dieu et la prise de conscience intérieure de sa présence et surtout l'ouverture du cœur qui en résulte.
Ceux qui on compris cela ne demeure pas dans une contemplation stérile, mais deviennent acteurs, co-créateurs, mains de Dieu.

C'est peut-être ce que nous contemplons aujourd'hui dans cette belle mobilisation des aidants.
Nos soignants sont, par leur sacrifice, les nouveaux prêtres du saint mystère de l'amour donné, livré et nu, car fragile et exposé...

Nous autres clercs n'arriverons pas forcément à égaler cela. Ce que nous symbolisons virtuellement ils le rendent visible par leur vie.
Prions pour eux

17 février 2020

Job, Dieu et le scandale du mal - La Croix, jeudi 6 février 2020

Deux livres en résonances sur Le livre de Job, déroutant à bien des égards en écho à mes travaux sur ce thème (3)

Job est une « tentative de conciliation » de l'existence du mal et de Dieu."Pourquoi ? (...) Job, comme chacun d'entre nous en pareille circonstance, voudrait au moins comprendre », écrit la bibliste. (1) « Les hommes parlent et Dieu se tait ; ils parlent d'autant plus, d'ailleurs que Dieu se tait : S'ils se taisaient, peut-être Dieu pourrait-il parler ? » (...) quand Job, enfin peut se taire, apaisé, toute sérénité retrouvée… Il a bien fait d'attendre. »

Dieu « transfigure l'absurde » en décrivant un monde sublime où tout est « effervescence gratuite ». Aux pourquoi de l'homme, il n'y a pas d'autre réponse que la gratuité : Dieu est « Dieu pour rien »(2). Une découverte qui suffit pour apaiser les angoisses de Job et lui redonner goût à la vie.

(1) Marie-Noëlle Thabut Qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ? Job, la souffrance et nous, Artège, Poche, 2020, Cité par Dominique Greiner, Job, Dieu et le scandale du mal, La Croix, jeudi 6 février 2020

(2) Alain Houziaux, Job ou le problème du mal. Un éloge de l’absurde, Cerf , 2020, ibid. 
(3) où es-tu mon Dieu ? Amazon

08 février 2020

Homélie du 9 février 2020 - 5eme dimanche du temps ordinaire - année A - Lumière et boisseau

Projet 4
Paul évoque  dans la première lecture sa propre faiblesse : « c’est dans la faiblesse, craintif et tout tremblant, que je me suis présenté à vous. Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » (1 Co 2).

Il y a une apparente contradiction entre la faiblesse dont il nous parle et le langage du Christ qui appelle ses apôtres « sel de la terre et lumière du monde »
Cette contradiction est en fait une tension qu’Isaïe permet de résoudre...
 C’est sur ce chemin que le Seigneur vous invite aujourd’hui à marcher.
Quelle est cette lumière qui traverse les textes de ce dimanche ?

Il y a celle du soleil qui nous pousse agir en vérité

Il y a la lumière de la révélation, celle qui parfois dans nos coeurs à jailli un jour et nous aide à tenir dans la nuit.

Il y a aussi souvent une lueur plus fragile sur laquelle je voudrais m'arrêter....

Qu'est ce que cette lueur ? C’est celle qui traverse nos doutes, nos déserts, c'est dune certaine manière cette foi théologale (don de Dieu).. pure et fragile que Dieu révèle à nous dans nos nuits, sans empiéter sur nos libertés, mais en laissant une trace discrète. Cette lumière brûle en nous d’une petite flamme inquiète et que l’on peut ignorer, laisser mourir, lorsqu’il nous arrive de nous laisser attirer par des feux follets.
Cette lueur presqu’indicible d’un Dieu qui semble absent quand nous sommes envahis par la  souffrance et qui pourtant est là, se révèle dans chaque geste de tendresse partagé au delà des apparences.

Qu’est-ce que cette puissance si ce n’est l’amour et l’espérance qui nous vient de Dieu
La lumière jaillit de l’amour.
La lumière vient du Christ...

Relisons Isaïe : «  Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. »

Le « alors » n’est pas anodin. Il établit un lien direct en charité active et lumière intérieure.

Quel est ce lien fait par cet « alors » sinon l'amour en actes dont le Christ se fait la lumière.

En ce dimanche de la santé nous allons prier pour et autour de nos malades. Dans la souffrance se cache cette lumière sombre et douloureuse du Christ crucifié. Il est celui avec qui nous allons communier. Que son amour fragile nous fasse entrer dans le feu lumineux d'un amour qui va jusqu'au bout, au delà de la mort vers cette petite espérance que le Christ nous indique par sa résurrection et sa présence discrète dans le pain de vie....

Alors notre bougie fragile participera au buisson ardent de l’amour partagé.



Alors la lumière sera éclatante et viendra illuminer nos cœurs...

« Que votre lumière intérieure brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien,
ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.(Mt 5,16) »






01 février 2020

Au fil de marc 4,35-41 - Christ au delà de la mort - Augustin et Gaudium et Spes


« Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l'autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d'autres barques l'accompagnaient.
Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l'arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N'avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d'une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »

Pourquoi sombrons nous dans le désespoir ? Pourquoi la tempête à prise sur nous. Quel attachement avons nous aux choses de ce monde ?

Viens et suis moi. Je n'ai pas d'endroit où poser ma tête, je fais la volonté de mon père. Qu'importe le reste. Écoutons saint Augustin : « Ne laissez pas la foi dormir dans vos cœurs au milieu des tempêtes et des houles de ce monde. Le Seigneur Jésus Christ exerçait sans aucun doute son pouvoir sur le sommeil non moins que sur la mort, et quand il naviguait sur le lac, le Tout-Puissant n'a pas pu succomber au sommeil sans le vouloir. Si vous pensez qu'il n'avait pas cette maîtrise, c'est que le Christ dort en vous. Si, au contraire, le Christ est éveillé en vous, votre foi aussi est éveillée. L'apôtre Paul dit : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi » (Ep 3,17).
Donc le sommeil du Christ est le signe d'un mystère. Les occupants de la barque représentent les âmes qui traversent la vie de ce monde sur le bois de la croix. En outre, la barque est la figure de l'Église. Oui, vraiment, tous les fidèles sont des temples où Dieu habite, et le cœur de chacun d'eux est une barque naviguant sur la mer ; elle ne peut sombrer si l'esprit entretient de bonnes pensées. On t'a fait injure : c'est le vent qui te fouette. Tu t'es mis en colère : c'est le flot qui monte. Ainsi, quand le vent souffle et que monte le flot, la barque est en péril. Ton cœur est en péril, ton cœur est secoué par les flots. L'outrage a suscité en toi le désir de la vengeance. Et voici : tu t'es vengé, cédant ainsi sous la faute d'autrui, et tu as fait naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ s'est endormi en toi, c'est-à-dire que tu as oublié le Christ. Réveille-donc le Christ, souviens-toi du Christ, que le Christ s'éveille en toi ; pense à lui. » (1)

Et si la mort t'envahit, si tu es tourmenté « par la souffrance, par la déchéance progressive de [ton] corps, mais plus encore par la peur d'une destruction définitive, [si tu ] (...) déteste et refuse cette ruine totale, cet échec définitif de la personne. [Si le] germe d'éternité que [tu] portes (...) s'insurge contre la mort. [et demeure] impuissant à calmer ton anxiété (...) [n'oublie pas que] Dieu a créé l'homme en vue d'une fin bienheureuse, au-delà des misères du temps présent. De plus, la foi chrétienne enseigne que cette mort corporelle, à laquelle l'homme aurait été soustrait s'il n'avait pas péché, sera vaincue lorsque le salut, perdu par la faute de l'homme, lui sera rendu par son tout-puissant et miséricordieux Sauveur. Car Dieu a appelé l'homme et l'appelle toujours à adhérer à lui de tout son être, dans une communion éternelle à la vie divine qui ne peut se dissoudre. Cette victoire, le Christ l'a acquise lorsqu'il est ressuscité, parce qu'il libérait l'homme de la mort par sa propre mort. À partir des titres sérieux qu'elle offre à la réflexion de tout homme, la foi lui offre une réponse à son interrogation angoissée sur son propre avenir. Elle nous offre en même temps la possibilité de communier dans le Christ avec nos frères bien-aimés qui sont déjà morts, en nous donnant l'espérance qu'ils ont trouvé près de Dieu la véritable vie. ~

Certes, la nécessité et le devoir s'imposent au chrétien de lutter contre le mal en supportant de nombreuses épreuves, et de subir la mort. Mais, associé au mystère pascal, devenant conforme au Christ dans la mort, fortifié par espérance, il ira au-devant de la résurrection.

Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, la grâce est à l'œuvre. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et toute la vocation dernière de l'homme est réellement unique, c'est-à-dire divine, nous devons soutenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associés au mystère pascal.

Telle est la qualité et la grandeur du mystère de l'homme, ce mystère que la Révélation chrétienne éclaire pour les yeux des croyants. C'est donc par le Christ et dans le Christ qu'elle devient lumineuse, cette énigme de la douleur et de la mort qui, hors de son Évangile, nous accable. Le Christ est ressuscité ; par sa mort, il a vaincu la mort, et il nous a donné la vie en abondance pour que, devenus fils dans le Fils, nous puissions nous écrier dans l'Esprit : Abba, Père ! »(2)

Ta rosée, Seigneur, est une rosée de lumière ;
la terre donnera aux ombres la vie.(3)

(1) Saint Augustin, Sermon 63, 1-3; PL 38, 424-425 (Les Pères de l'Église commentent l'Évangile; Collection liturgique Mysteria sous la direction de Henri Delougne; trad. Abbaye de Clervaux; Éd. Brepols 1991, p. 259), source : l'Évangile au Quotidien.
(2) Gaudium et spes 18
(3) office des lectures du 1/2/20

Claude Hériard
06 26 33 82 85

14 mars 2019

L’office pour l’enfant mort - Marie Noël - kénose 148



Il y a des morts que l'on ne peut excuser, des souffrances impossibles à concilier, des silences que l'on ne peut comprendre.
Marie Noël est de ces femmes qui touchent à l'indicible et l'inconnaissable, à ce Dieu qui semble absent. Cette déréliction est celle du Golgotha, celle d'un Dieu qui ne répond plus. Que la kénose du Fils soit allée jusque là ne donne qu'une réponse partielle au mystère. Ce chemin qui laisse Dieu être au delà de nos souffrances nous avons à le trouver, au fond de nous-mêmes. Personne ne peut nous l'imposer, c'est le jeûne du samedi saint, le silence où tout est cri :

« Office pour l'enfant mort"
L'enfant frêle qui m'était né,
Tantôt nous l'avons promené
L'avons sorti de la maison
Au gai soleil de la saison ;
(...) 
A l'église ont pris soin de lui.
C'est le bedeau qui l'a bordé
Dans son drap blanc d'argent brodé.
Le fossoyeur qui l'a couché
Dans un berceau très creux, très bas,
Pour que le vent n'y souffle pas
(...) 
Allez-vous en ! Allez-vous en !
La sombre heure arrive à présent.
(...) 
Rentrez chez vous et grand merci !...
Mais il faut que je reste ici.
Avec le mien j'attends le soir,
J'attends le froid, j'attends le noir.
Car j'ai peur que ce lit profond
Ne soit pas sûr, ne soit pas bon.
Et j'attends dans l'ombre, j'attends
Pour savoir... s'il pleure dedans.

Poème de Marie-Noël

Que peut-on ajouter sans casser ce processus de deuil, ce cri nécessaire qui seul permet à l'homme de traverser le mal et de trouver son chemin intérieur jusqu'à l'amour plus grand que le mal ?

“Pas de théodicée explicative, pas de justification, mais la brutalité des faits, la facticité brute, l’impréhensible énigme : (...) Marie Noël se tient sur le seuil de l’impénétrable Mystère” (1)

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 129

12 décembre 2018

Au fil de Matthieu 11, 28-30 - mon fardeau est léger

«Venez à moi, vous tous qui peinez sous la charge; moi, je vous donnerai le repos. Prenez sur vous mon joug et laissez-vous instruire par moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Car mon joug est bon, et ma charge légère.» (1)

« Venez à moi » est presque un cri du coeur de Jésus au souffrant. Il n'a de sens qu'en vue de la Croix qu'il a choisi de porter.
J'ai été très marqué, il y a de nombreuses années par un ami qui l'a glissé un jour que quand il n'en pouvait plus, il déposait son fardeau au pied de l'autel. Parfois la souffrance semble insurmontable et il nous faut crier comme le psalmiste « où es-tu mon Dieu ? ». Parfois la réponse viens, discrète dans le silence de nos coeurs : « je suis à tes côtés, je souffre avec toi ». Dans la foulée du texte sur la brebis perdue entendu hier (Mat 18), la compassion du Christ est notre soutien.


‭‭(1) Selon Matthieu‬ ‭11:28-30‬ ‭

21 septembre 2017

Urgences pastorales de Christoph Théobald

Saluons ici la belle recension d'Élodie Maurot dans la Croix d'aujourd'hui qui m'invite à courir acheter le nouveau livre de Théobald(1).
J'y trouve déjà les thèmes que je ne cesse de travailler dans mes livres (la "pastorale du seuil", la "dynamique sacramentelle" ou "quel espérance pour l'homme souffrant ?").
On y verra aussi peut être des réponses aux questions soulevées par la lecture du dernier livre d'Alphonse Borras (cf. plus haut) ou les thèmes développés par Joseph Moingt dans L'Evangile sauvera l'Église.
Gageons que le défenseur de la pastorale d'engendrement va nous conduire un pas plus loin. À bientôt sur ce blog pour en commenter les meilleures pages.

(1) Urgences pastorales de Christoph Theobald, Bayard, 540 p., 19,90 €

15 septembre 2017

A l'ombre de la croix - Notre dame des douleurs

Notre dame des douleurs nous rappelle que la Croix n'est glorieuse que parce qu'elle est d'abord lieu de souffrance. Ignorer que la souffrance habite le monde et que le Fils de l'homme s'est vidé de toute divinité pour souffrir à nos côtés,  c'est faire de l'Evangile une illusion. La douleur d'une mère, comme la douleur du Fils nous interpelle. Le signe élevé sur le monde est signe de compassion et de conversion.

29 mars 2017

L'œuvre et le silence

Dans mon commentaire de la Genèse comme dans "où es-tu, mon Dieu" ( 2), je défends d'une certaine manière la thèse d'Hans Jonas du retrait de Dieu, seul explication à mon sens du mystère du mal et de la liberté donnée à l'homme. Et pourtant, il existe un paradoxe, soulevé par Augustin à la suite de Jean : Dieu reste à l'oeuvre dans le silence.. Écoutons-le : "Nous voudrions expliquer comment sont également vrais deux textes : celui de la Genèse où il est écrit que Dieu se reposa le septième jour de toutes ses œuvres et celui de l'Évangile où le Seigneur, par qui toutes choses ont été faites, dit : « Mon Père est à l'œuvre jusqu'à maintenant, et moi aussi je suis à l'œuvre »... L'observation du sabbat a été prescrite aux juifs pour préfigurer le repos spirituel que Dieu promettait aux fidèles qui feraient de bonnes œuvres. Repos dont le Seigneur Jésus Christ... a confirmé le mystère par sa sépulture. Car c'est le jour du sabbat qu'il a reposé dans le tombeau... lorsqu'il avait consommé toutes ses œuvres... 
On peut penser que Dieu s'est reposé d'avoir créé les divers genres de créatures, parce qu'il n'a plus créé ensuite de nouveaux genres, mais... que, même en ce septième jour, il n'a pas cessé de gouverner le ciel, la terre et tous les autres êtres qu'il avait créés ; sinon, ils auraient aussitôt sombré dans le néant. Car la puissance du Créateur, la force du Tout-Puissant, est la cause par laquelle subsiste toute créature... Il n'en est pas en effet de Dieu comme d'un architecte : la maison est achevée, celui-ci s'en va et... l'œuvre subsiste ; au contraire, le monde ne pourrait subsister, ne serait-ce l'instant d'un clin d'œil, si Dieu lui retirait son appui...
C'est ce que dit l'apôtre Paul quand il est venu annoncer Dieu aux Athéniens : « En lui nous avons la vie, le mouvement et l'être » (Ac 17,28)... En effet, nous ne sommes pas en Dieu comme sa propre substance, au sens où il est dit qu'« il a la vie en lui-même » ; mais, puisque nous sommes autre chose que lui, nous ne pouvons être en lui que parce qu'il agit ainsi : « Sa Sagesse s'étend avec force d'un bout du monde à l'autre et elle gouverne l'univers » (Sg 8,1)...

Les œuvres bonnes que Dieu a faites (Gn 1,31), nous les voyons ; son repos, nous le verrons après avoir accompli nos bonnes œuvres."(1)
Nous avons donc à conjuguer cela, à la fois comme source d'espérance et comme conviction, jusqu'à croire que l'œuvre de Dieu peut passer dans nos mains, quand nous acceptons de lui laisser la place.
(1) Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, 4, 11-13 [21-24] (trad. Bibliothèque Augustinienne, t. 48, DDB 1972, p. 307s rev.) 

(2) commentaires de la Genèse et où es-tu ?, cf.https://www.amazon.fr/Claude%20Heriard/e/B004MSYHWI/