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22 décembre 2021

Noël autrement, les limites du rite ? 2 - 22


Qu’allons nous célébrer à Noël ? 

Une fête païenne ou la Parole fragile, le silence ténu, le cri d’un enfant ? Prendre le temps de ruminer lentement Luc 2,1-18 (*), nous conduit « Ailleurs ». Noël est bien autre chose. C’est surtout, dans l’axe du cri de Marie [« il relève les humbles »] une semence d’espérance pour les pauvres, loin de nos excès et probablement de nos suffisances ? 


La liturgie a trop découpé le sens donné par Luc 2.

Il faut peut-être aller plus loin… 

Nos rites désuets ne remplaceront jamais ce que révèle la paille rêche d’une crèche. 

Dans le silence de la nuit se murmure à nouveau en effet le psaume dit de David : « tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...) Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

Le dépouillement de Noël est d’une certaine manière le même que celui de Jésus lors du dernier repas.

Avant d’ouvrir des yeux faussement béa sur l’enfant né, n’oublions pas ce qu’il ouvre dans l’espace temps. N’oublions pas de tracer dans nos cœurs la ligne qui va du bois de la mangeoire à celui de la Croix jusqu’à un geyser, signe du fleuve immense des dons de Dieu.

Noël est le prélude discret de la Passion. 

Luc prépare Jean dans la même danse spirituelle.

Quand le fils de l’homme retire son vêtement en Jn 13, il redevient l’enfant pauvre, au milieu des pauvres. Noël n’est pas un simple rituel, mais d’une certaine manière le premier « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante, car il nous révèle l’essentiel : ce qui prime est l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux migrants, aux nouveaux esclaves à qui Jésus s'identifie ici. 

Et cette direction est celle là même qui est évoquée par l’appel des bergers, de ces parias du judaisme de l’époque, rejetés car impurs, [au contact des animaux]. 


Que célébrons-nous ? Et avec qui ?

Noël n’est pas le confinement familial qu’il est devenu, mais le lieu même du don.

On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Luc nous conduit aux mêmes conclusions que Jean par son évangile de l’enfance. Il est peu historique mais très spirituel.


Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 

Notre communion est stérile si elle se contente de satisfaire notre entre soi.

Comme Luc en introduction, Jean dans sa conclusion nous conduit au même décentrement, mais ajoute une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique et la croix, exhortation finale de Jean. 

Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[3] comme cette auberge de Béthleem chez Luc.

« Allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le premier  Noel ou le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pècheurs (Jn 8 et Jn 13), ou courrez vers eux (Luc 15), comme vers les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.


Je rejoins là d’une certaine manière la belle l'injonction de François Cassingena-Trévedy qui nous a longuement préparé au désert par la contemplation des terres froides de son pays avant de nous offrir ses roses de Noël… https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3746631415561337/ Elles font écho aux danses fragiles de mes « tulipes » trinitaires développés dans les 75 billets précédents :-)


[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

* Cf. nos essais fragiles dans la Maison d’Évangile - La Parole Partagée




[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

23 décembre 2019

Noël - Homélie de la messe du jour - au fil de Jean 1 - kénose 148

Notes pour l'homélie - version 4

Quel est l'enjeu de Noël ?
Il n'est pas uniquement la fête des familles que notre société de consommation entretien, non sans un certain intérêt.
Il n'est pas non plus uniquement dans la naissance d'un enfant il y a deux mille ans. Il nous révèle quelque chose d'immense : le plan de Dieu sur l'homme. C'est ce que les textes d'aujourd'hui nous dévoile et je voudrais prendre le temps de les relire et les commenter avec vous...

Isaïe 52 nous parle d'une annonce toute particulière, de cette joie du salut qui vient. Avons nous cela à cœur, porter la joie d'un Dieu sauveur ?

Dans le début de sa lettre aux hébreux Paul insiste à son tour sur ce chemin de Dieu vers l'homme et il n'est pas anodin de le rapprocher d'une parabole que vous connaissez bien, celle de la vigne (à développer)

Dieu se livre mais il ne le fait pas avec trompette et tremblement de terre, comme le croyait les. Générations passées. Il se livre dans la faiblesse et la fragilité d’un enfant...

C'est dans ce contexte que le début de l'évangile de Jean peut être lu...

« Le Verbe s'est fait chair, une chair que nous puissions voir, afin que soit guéri en nous ce qui pourrait voir le Verbe » nous dit saint Augustin dans son commentaire sur la première lettre de Jean [source AELF]

L'amour vient nous visiter ainsi de l'intérieur et c'est dans la faiblesse et la dépendance de l'Enfant que se révèle en nous ce qu'il y a corriger, ce qui n'est pas digne d'être enfant, ce qui n'est pas empli de confiance et d'amour. 

Qu'est-ce que le Verbe ?
Le logos grec [la raison ou la logique du monde) n'est qu'une partie de la réponse. Est-ce la Sagesse de Dieu ? Non, pas uniquement. N'est-il pas à la fois amour et créateur, désir et action, danse et silence, cercle et triangle, inaccessible et proximité ?
Le mot théologique le plus interpellant est tension.
Car c'est au sein de cette tension entre les opposés égrenés plus haut que se révèle le Dieu chrétien.
Ce que nous dévoile Noël c'est l'amour de Dieu en actes.
Il faut entendre Dieu à la fois comme créateur et amour pour saisir qu'il est infini, mais aussi retenue, silence et humilité (1).

Le grec des premiers versets de Jean 1 reprend et conjugue le mot « pros ». Le Verbe, ce désir de Dieu en actes, ce « dire » qui devient « dit » (2) sans se perdre est tension, tourné vers, pro-jection, pro-position, pro-action de Dieu vers l'homme (3).

Dans ce "pro" se souligne à la fois l'amour in-transitif et ex-tourné de Dieu. Les pères de l'Église parlent de circumincession c'est-à-dire de danse(4) entre les personnes divines. En se "tournant vers", elles ne cessent de se pro-jeter au devant de l'autre et en cela d'être amour.

Que nous dit Noël ?
Alors que Dieu pourrait être pouvoir et gloire, il se fait faiblesse et humilité. « Il n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu, mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur » (Philippiens 2).

Dans sa faiblesse l'enfant Jésus conjugue grandeur et humilité, pureté et simplicité. Le Verbe qui se fait chair danse pour l'homme sa plus belle création. Il se dévoile amour.

Dans son dépouillement (kénose) (1) le dire devient dit (2) sans perdre son intention. Il est agenouillement (3).

Noël nous révèle le projet de Dieu : « Ce projet de la création de l'univers, non sous forme d'un plan d'organisation de toutes choses, mais d'une semence de liberté et d'amour jetée dans l'univers en formation pour que naisse en son sein une créature spirituelle avec qui Dieu pourrait entrer en communication intime, semence que Dieu confiait au monde (...) un appel, un souhait, une parole, un logos, l'invitation à naître adressée à un Premier-né destiné à ramener à Dieu toute sa famille humaine" (5) tout cela donne du sens à notre aujourd'hui. 

Le don de Dieu est appel... Il s'origine dans un don (Gn 1 et 2) et l'appel d'un "où es-tu ?" (Gn 3) qui est plus qu'un cri, une plainte d'un Dieu qui aime sa création et n'a pour but que de le ramener à lui... 

Et notre chemin ?
Il est aussi agenouillement (3). Non pas avilissement ou négation de nous mêmes mais décentrement et don, imitation et humilité, miséricorde et simplicité.

Ce petit homme, cet enfant fragile est chemin de vérité et d’amour.

Aujourd’hui nous est né un sauveur, verbe et gloire de notre Dieu et pourtant faible semence qui nous invite à aimer.
Que cette lumière et cette vie confiée par le Seigneur vienne inonder vos vies de grâce et de paix.

(1) cf. mon livre Kénose, humilité et miséricorde
(2) cf. Emmanuel Lévinas, Autrement qu'être 
(3) cf. À genoux devant l'homme
(4) cf. La danse trinitaire in L'amphore et le fleuve
(5) Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, pages finales

21 décembre 2019

Homélie de la messe de Minuit

Homélie de la messe de Minuit - projet 4

 Les enfants, nous venons de jouer une petite saynète qui nous fait entrer dans le mystère de Noël. Je voudrais vous raconter une petite histoire. C'est celle de Silo, un petit berger(1) du temps de Jésus. Il était tout jeune et le soir de Noël il a perdu sa brebis. Il l’a longtemps cherché, mais quand il l’a trouvé il faisait nuit. Et comme il était un peu perdu, il a été lui aussi à l'auberge, attiré par les lumières et la fête. Mais les bergers, au temps de Jésus, n'étaient pas considérés comme des gens biens. Ils étaient rejetés parce qu'ils sentaient forts, qu'ils avaient les mains sales. il s'est vu interdire la porte de l’auberge.. alors il s’est couché à côté du puits, affamé et apeuré.
Quand les premières étoiles sont arrivées c'est lui a rencontré Marie et Joseph et les a conduit à la crèche.Comme ils avaient soif,  il a confié sa brebis à Joseph puis il a couru plusieurs fois, entre le puits et la crèche.  Lorsque les anges ont appelé ses frères,  il était là, lui aussi, les mains vides. Il était fatigué d’avoir aidé Joseph, d’avoir donné à boire à l’âne, d’avoir porté de l’eau à Marie, mais il avait les mains vides. Il est entré tout doucement alors que les autres bergers arrivaient. Ils avaient tous des petits cadeaux pour Joseph et Marie, du fromage, de la laine. Lui n'avait rien, qu'un cœur d'enfant et les mains propres à force d’avoir titré de l’eau. Quand Marie a vu cette foule, elle a cherché à poser le petit Jésus pour recevoir tous ces petits cadeaux et elle lui a confié l'enfant. Il avait les mains vides et c'est lui qui a reçu Jésus.

Pourquoi ? D'après- vous ?

Ce soir, peut-être allez-vous recevoir des cadeaux de vos parents. Peut-être y aura-t-il des lumières de toutes les couleurs au sapin...

N'oubliez pas l'essentiel. Ce n'est pas l'extérieur qui compte. L'essentiel c'est l'amour. C’est l’amour qui/que vous donnera Jésus.

C’est Noël chaque fois que vous serez serviteur, chaque fois que l’amour sera premier pour vous.
C’est aussi l’amour qui conduit votre papa et votre maman qui est l’important. L’essentiel c'est surtout Jésus qui vient et vous rend visite, vous inviter à aimer...
L'essentiel c'est d'avoir un cœur pur... et un cœur qui bat pour ceux qui sont exclus, souffrants.

L'essentiel c'est l'amour de Jésus qui vient vous visiter
L'essentiel c'est d'oublier le superflu
L'essentiel c'est d'avoir un cœur qui bat pour aimer.
L'essentiel c'est l'amour.

Alors vous comprendrez que contempler la crèche, comme la Croix, c’est contempler l’amour qui se donne et vous invite à donner. Ces deux lieux sont les lieux où Dieu se montre faible, où il se met à nu devant l'homme pour l'inviter à aimer.

Petit message pour les parents :
Il y a quelques jours le pape a mis au Vatican un gilet de sauvetage sur un crucifix. Ce gilet appartenait à un disparu en Méditerranée. Pourquoi ce geste ? Parce que pour lui, les nouveaux migrants, ceux qui sont exclus de l’auberge, sont à nos portes et souvent nous restons à l’auberge... Je vous laisse méditer cela, au jour de Noël.

(1) Autre variation d’un conte raconté par le P. Cantalamessa
PS : Silo est le héros de mon livre éponyme (en téléchargement gratuit sur Fnac.com), dont je présente ici une petite variation




24 décembre 2017

Heureux es-tu !

Tu as crié dans la nuit, 
     Je t'ai entendu
Tu as pleuré dans le silence
     Je pleure pourtant à tes côtés
Tu m'as cherché dans le désert
     Je t'attends à la source
Tu m'as cru mort
     Je suis le vivant.

Tu as chanté en plein jour
      Je pleure chaque nuit.
Tu as écrasé la fleur
      Je fais germer la semence
Tu as oublié de me parler
      Je chuchote à ton coeur

Tu as souffert de mon absence
      Je te porte dans mes bras
Tu as nié ma présence
      Je vis dans ta conscience
Tu as oublié mes paroles
      Je souffre sans un mot
Tu as crié dans le noir
      Je renais dans la crèche

       Viens danser 
        Je t'aime
          Je t'attends




Illustration : Tableau de Phil'Dugué

24 décembre 2016

Silo, berger de Palestine - extrait 1

 Extrait du conte interactif Silo le berger

"1. Silo et le vieil homme

Notre histoire commence il y a plus de deux mille ans, sous le règne du grand César Auguste, alors que Quirinius gouvernait la Syrie et le roi Hérode la Palestine. Quelque part, dans les montagnes de Juda, tu es là, petit homme de Palestine. Tu t'appelles Silo, tu es berger.
Enfin, c'est plutôt ton père qui est berger. Toi tu n'es qu'un petit pâtre, en charge d'une dizaine de brebis du troupeau. Comme dans ton pays, l'herbe et l'eau se font rares, il te faut les conduire vers des pâturages d'herbe fraîche et veiller à ce qu'elles puissent boire, en quantité suffisante. C'est un travail souvent épuisant, parce que le soleil tape fort dans ton pays et les cailloux dans les montagnes sont acérés.
Tu as les cheveux tout roux. Ta mère, parfois, t’appelle le petit David, du nom de ce roi d’Israël qui a tant marqué le peuple juif. Parfois, ce surnom te fait rêver et tu t’imagines roi de Palestine.
En ce jour d’été, tu as décidé de grimper sur la crête, pour voir l’étendue de ton royaume imaginaire. Depuis ton observatoire, tu aperçois au loin, les grandes montagnes de Judée, usées par le soleil et le vent. Au nord, dans la brume d’été, tu aperçois Jérusalem. Soudain, à ta gauche, un couple de jeunes bouquetins de Nubie apparaît. Tu les connais bien, ces grandes chèvres sauvages aux cornes acérées. Tu aimes leurs lignes gracieuses et souvent, tu guettes leurs apparitions le soir sur la crête ou près des ruisseaux.
Un cri rauque attire ton regard. C’est un faucon. Profitant de la brise légère, il se laisse porter vers les hauteurs. Par de brefs coups d’aile, il se maintient en dessus d’un point que tu cherches à deviner. Est-ce un petit rongeur, une vipère du désert ? Soudain, il plonge et tu le vois disparaître, derrière la colline. Comme le jeune David, tu t’amuses alors avec ta fronde, cherchant à atteindre, la grosse pierre, à plus de trente mètres devant toi. Tu n’as pas la dextérité légendaire du jeune roi et tu te lasses de ce jeu.
D’un coup d’œil, tu surveilles la course de l’astre de feu et, plus bas, ton petit troupeau. Tes brebis se sont regroupées à l’ombre d’un vieux sycomore et ne broutent plus. Tu décides qu’il est temps de leur donner à boire. En quelques grandes enjambées, tu les rejoins et, d’un petit sifflement, tu les appelles. Les voilà qui te suivent, sur le petit chemin qui conduit au puits. Là, tu lances le seau et remontes, une à une, de grandes lampées d’eau fraîche que tu déverses dans la longue vasque en pierre qu’elles entourent déjà. Au bout de dix seaux, épuisé, tu t’es assis sur la margelle d’un puits. Tu viens de tirer sur la corde de chanvre. C’est alors qu’au loin apparaît un vieil homme. Il marche doucement, appuyé sur sa canne. Il semble, lui aussi, terrassé par la chaleur.
Il s’approche. Il est là.
- Bonjour petit, tu peux me tirer de l’eau. Mes mains sont usées et le puits est profond.
Tu hésites. Tu ne connais pas l’homme. Il est habillé comme un prêtre, mais sa tunique est rapiécée. Pourtant tu te lèves, un peu malgré toi. Toi non plus, tu n’es pas riche. Et tes sandales sont usées par ces courses sans fin derrière le troupeau.
Tu lâches le seau. Il arrive au fond du puits et tu tires sur le bout de chanvre, pour qu’il se redresse et se remplisse à moitié. Et puis tu le hisses, à nouveau. Tes mains calleuses sentent les nœuds de la corde. La sueur coule sur ton front. D’un œil, tu surveilles tes brebis, qui boivent lentement. Bientôt le seau apparaît, tout près. Tu le soulèves dans un dernier effort et le présentes à l’homme.
- Comment t’appelles-tu, petit ?
- Silo, fils de Bénabath.
- C’est ton troupeau ?
- Oui, enfin, une partie. Mon père est là-haut, sur la crête.
L’homme te regarde, te dévisage. Il a une bonne tête, le regard qui pétille, au milieu de ses rides. Il ne dit rien. Puis soudain, il se met à parler.
- Je m’appelle Zacharie, dit-il, de la tribu d’Aaron. Je vais à Jérusalem, au Temple.
Tu ne réponds rien. Son regard t’intimide.
- Je vais prier le Dieu de nos pères, lui demander de nous envoyer le Messie.
- Le Messie, demandes-tu ?
- Oui, le sauveur de notre peuple. Celui que l’on attend.
Tu restes en silence. Il te parle encore un moment, assis sur la margelle. Tu l’écoutes, tout en surveillant tes brebis. Elles semblent ragaillardies. L’homme se lève, sourit et reprend sa route. Tu rejoins ton troupeau. Le soir, tu retrouves les tiens dans le campement itinérant, installé par ta mère, Judith, et tes deux grandes sœurs, Esther et Rebecca. Le petit Tobie est là, lui aussi, dans les bras de ta sœur aînée. Il n’a que six mois, mais déjà il pousse sur ses jambes et te tend les bras. Tu l’attrapes, le fais sauter en l’air, par trois reprises. Il rit de bon cœur.
Quand le soleil s’approche des collines, tu t’empresses d’y pousser tes brebis. Quand tout va bien, l’ensemble du troupeau est réuni par Félix et Nestor les deux chiens de ton père. Tu aides à la traite, puis tu retrouves ton frère et tes sœurs, au coin du feu. Là, tu manges en silence, les yeux tournés vers le ciel qui chaque nuit s'emplit d'étoiles. Ta vie est toute simple. Pourtant, la phrase du vieux Zacharie te taraude. Un Messie ? Est-ce possible ?"


Pour en savoir plus : voir post précédent....

25 décembre 2015

Humilité de Dieu - 4

Ce n'était probablement pas ce à quoi la Vierge s'attendait après la visite de l'ange. On lui avait prédit l'arrivée d'un grand homme à qui l'on "donnera le trône de David" (Luc 1, 32) et la voilà rejetée de la salle commune,  obligée d'accoucher dans une mangeoire,  lieu impur dans le monde juif et pour cette femme que l'Église acclame comme immaculée. Paradoxe que cette naissance humble,  que ce Dieu qui se cache dans un homme dont la vie sera longtemps faite de fuite et de silence et qui finira dressé sur un gibet au milieu des malfaiteurs.  Il n'est pas venu pour les pharisiens mais les prostituées et les publicains (Mat 21, 30), qui nous précéderons dans le royaume.  

Le Fils de l'homme est né, Noël !
Jésus nous est donné.
Jour de notre grâce :
L'étable accueille un Dieu caché,
Rebut de notre race,
Il vient sauver le monde entier.





27 décembre 2014

Noël et le tombeau vide



« Ce qui était depuis le commencement..., ce que nous avons contemplé..., nous vous l'annonçons » (1Jn 1,1-3)

La liturgie nous redonne aujourd'hui deux textes qui nous renvoient à la fois aux premiers temps de Noël et de Pâques. La mise en parallèle est saisissante. Nous sommes à l'aube, dans les deux cas, d'un nouveau jaillissement de la vie. Le premier est le prologue du second, il s'éclaire d'ailleurs du second. Car c'est bien à la lumière de la résurrection que les évangélistes nous le font percevoir.

Le tombeau vide est ce temps où l'on erre sans savoir, entre souffrance et interrogation. Seuls ceux qui sont portés par la foi et l'intelligence de la foi nous permettent de passer au delà de cette impression d'abandon du monde par Dieu. De même que pendant les temps de la Nativité, le monde semblait livré à lui-même, au matin de Pâques, les apôtres étaient dans le doute, jusqu'à ce que pointe une étoile, qu'un lumière apparaisse dans la nuit. Alors ils courent, n'osant espérer la lumière. Écoutons Jean Scot Erigène : "Pierre et Jean courent tous deux au tombeau. Le tombeau du Christ c'est l'Écriture sainte, dans laquelle les mystères les plus obscurs de sa divinité et de son humanité sont défendus, si j'ose dire, par une muraille de rocher. Mais Jean court plus vite que Pierre, car la puissance de la contemplation totalement purifiée pénètre les secrets des œuvres divines d'un regard plus perçant et plus vif que la puissance de l'action, qui a encore besoin d'être purifiée. Pierre entre cependant le premier dans le tombeau ; Jean le suit. Tous deux courent, et tous deux entrent. Ici Pierre est l'image de la foi, et Jean représente l'intelligence... La foi doit donc entrer la première dans le tombeau, image de l'Écriture sainte, et l'intelligence entrer à sa suite... Pierre, qui représente aussi la pratique des vertus, voit par la puissance de la foi et de l'action le Fils de Dieu enfermé d'une manière inexprimable et merveilleuse dans les limites de la chair. Jean, lui, qui représente la plus haute contemplation de la vérité, admire le Verbe de Dieu, parfait en lui-même et infini dans son origine, c'est-à-dire dans son Père. Pierre, conduit par la révélation divine, regarde en même temps les choses éternelles et les choses de ce monde, unies dans le Christ. Jean contemple et annonce l'éternité du Verbe pour le faire connaître aux âmes croyantes Je dis donc que Jean est un aigle spirituel au vol rapide, qui voit Dieu ; je l'appelle théologien. Il domine toute la création visible et invisible, il va au-delà de toutes les facultés de l'intellect, et il entre divinisé en Dieu qui lui donne en partage sa propre vie divine." (1) 

(1) Jean Scot Érigène (?-v. 870), bénédictin irlandais, Homélie sur le prologue de l'évangile de Jean, §2 (trad. Jean expliqué, DDB 1985, p. 27 rev.), source Evangileauquotidien.org