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09 avril 2021

La kénose de Pierre - danse 49.2

L’évangile d’aujourd’hui, bien que triste saucisson du chapitre 21 de Jean nous conduit bien loin.

Simon-Pierre veut pêcher tout seul ou entre amis, mais les poissons ne sont pas là. N'est-ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21, 3). 

Dans une lettre à Louise Brunot, Madeleine Delbrêl insiste sur l’importance de mourir à nous-mêmes afin que nous puissions renaître dans le sens développé par Jean 3, 5-7. Pour elle notre naissance se fait « à proportion » de notre mort. C'est-à-dire que tout abandon, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement à « obéir au métro qu'on rate », est à la fois obéissance au monde, renoncement à « sa volonté propre » et de ce fait abandon de notre autonomie pour se couler dans le vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre. « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » (Luc 22,42 // Matt 26,42). Leçon d’humilité qui nous rend réceptifs à la miséricorde.

Pourquoi évoquer tout cela à propos de la pêche miraculeuse ? À la question de Jésus sur le rivage : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? », ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Ce n'est finalement qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre, comme on le verra, jusqu'à sa fin : « tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas ». (v. 18)

Il nous faut passer au-delà de l’illusion de se croire capable seul de réussir, ébaucher une démarche de pardon, de mise à nu. Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.

9. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. 10. Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11. Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. 12. Jésus leur dit : « Venez et mangez. » Et aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui êtes-vous ? » parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur.

13. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson.

14. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts.

Notons, en passant, que John P. Meier considère que la version de Jean de la pêche miraculeuse est probablement plus plausible que celle placée par Luc avant la mort de Jésus, même si Jean a instillé dans le texte, comme en Jn 11, un important ajout théologique et symbolique que nous commentons plus loin.


La contemplation du Dialogue avec Pierre Jean 21, 15-25 nous conduit plus loin. 

Il est dangereux de couper le chapitre alors que l’ensemble du récit à sa structure propre. Rappelons le contexte. Il y a d’abord l’opposition nuit/jour que nous avions déjà notée entre Nicodème et la Samaritaine. Ici, comme nous l’avons vu, la nuit du pêcheur a été stérile et c’est à l’appel du Christ que la pêche devient féconde.

Il y a ensuite la symbolique du vêtement. Pierre est à nu (v. 8). Il ne se cache plus derrière son assurance. Depuis son reniement, il est probablement couvert de honte. C’est à ce moment-là que Jésus choisit l’ultime appel. Le dernier « où es-tu ? » vient le relever. Il passe un vêtement, mais est-ce suffisant ? Il lui faut plonger dans la mer pour accéder au repas. Est-ce une allusion au baptême de l'Église ?

Le questionnement montre qu’il a encore du chemin à parcourir jusqu’au décentrement final où l’amour pourra être un amour d’agapè et d’une certaine manière, un « lavement des pieds » au sens où il devient imitation de « l’amour-serviteur » de Jésus :

« Quand tu deviendras vieux, un autre te ceindra et t’entraînera, là où tu ne veux pas aller ». Jn 21, 18.

Ramenée à l'Église, cette dernière arche fait résonner ce que nous avons découvert, dans cette longue traversée de la Passion. Au pas de Dieu qui s’agenouille devant l’homme doit répondre ceux de l’homme vers Dieu. Il ne peut en tirer gloire, puisque Dieu seul emplit les filets. Mais au bout du chemin sera la pêche abondante, le repas partagé et la gloire de voir Dieu…

Pierre, lors du lavement des pieds, n’avait pas saisi l’enjeu du geste. Il restait crispé sur l’apparence. Ce que nous fait découvrir l’ensemble du récit, c’est que l’invitation du Christ n’est pas rituelle, mais totale. Ce qui est demandé à l’homme, par l’agenouillement de Dieu, est d’entrer dans une réciprocité totale, une participation à la danse trinitaire qui va jusqu’à l’amour total, sans limites, et peut conduire à la croix, non comme un autosacrifice, mais comme la conséquence d’un dépouillement, d’un décentrement de l’homme, jusqu’à l’extrême, en Dieu.

Au bout de cette traversée, nous retrouvons un schéma qui traverse l’ensemble de nos recherches, celle de la « descente de tours », ce lieu où l’homme, en quittant toutes ses certitudes, y compris pour Pierre, l’illusion de tenir dans l’adversité, parvient à la nudité d’une rencontre, « sous la tente légère ». En rencontrant Jésus lui-même dépouillé de sa toute-puissance, il parvient à l’entre-vue véritable, celle d’un Dieu aimant.

C’est ainsi que ce dernier pont peut nous apparaître, comme une révélation finale :

Décentrement                            Réception

Ils étaient nus Gn 2                Don du Jardin

Où es-tu ? Gn 3                Don de la vie

Retire tes sandales Ex 3                     Je suis

 Retire tes vêtements Ex 33     Tente de la rencontre

Il retira son vêtement Jn 13 Il lave les pieds

Ils lui enlevèrent sa tunique Jn 19

J’ai soif

        Tout est accompli

     Jaillissement du cœur

     Tombeau vide Jn 20

       Don de l’Esprit Jn 20


Le Seigneur ne demande pas plus que ce que nous pouvons porter. Il considère chacun comme s'il était la perle unique en qui il avait mis tout son amour.  Contemplons le dialogue sublime qui réunit Pierre avec Jésus au bord du lac de Tibériade. Le dialogue commence par une subtilité des deux verbes grecs utilisés par Jésus dans son questionnement.  Il demande d'abord si Pierre l'aime d'amour (agapas me) avant d'utiliser le verbe qu'utilise Pierre à chaque fois pour lui répondre. Philo te ! Je t'aime d'amitié.  

On sait que Pierre sort de son reniement,  qu'il doit avoir la honte du fils prodigue, qu’il a plongé nu dans la mer – un geste à la forte symbolique baptismale – pour se présenter devant le Seigneur et pourtant Jésus se remet à genoux devant lui, en le rejoignant dans ses mots mêmes. Et lui dit "paix mes brebis".

Écoutons ce commentaire de saint Augustin : « Le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime, ce qu'il savait très bien ; et il le lui demande non pas une fois, mais deux et même trois fois. Et chaque fois Pierre répond qu'il l'aime, et chaque fois Jésus lui confie le soin de faire paître ses brebis. À son triple reniement répond une triple affirmation d'amour. Il faut que sa langue serve son amour, comme elle a servi sa peur ; il faut que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'elle l'a été devant la menace de la mort. Il faut qu'il donne une preuve de son amour en s'occupant du troupeau du Seigneur, comme il a donné une preuve de sa timidité en reniant le Pasteur. »

N'est-ce pas nos tentations pastorales,  qui ne sont autres que celles que Mat 4 décrit au désert.  L'avoir, le pouvoir, le valoir.

Saint Augustin poursuit : « Ceux qui s'occupent des brebis du Christ avec l'intention d'en faire leurs brebis plutôt que celles du Christ se montrent coupables de s'aimer eux-mêmes au lieu d'aimer le Christ. Ils sont conduits par le désir de la gloire, de la domination ou du profit, et non le désir aimant d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Cette parole trois fois répétée par le Christ condamne ceux que l'apôtre Paul gémit de voir chercher leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus Christ (Ph 2,21). »

Prenons le temps de relire  ce texte de Philippiens 2, dans son contexte, c'est-à-dire depuis l'évocation de la kénose du Christ (qui n’est autre qu’une illustration théologique du lavement des pieds évoqué en Jn 13).

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé (en grec : ekenosen) lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (...) Agissez en tout sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez sans reproche, simples, enfants de Dieu irrépréhensibles au milieu de ce peuple pervers et corrompu, dans le sein duquel vous brillez comme des flambeaux dans le monde, étant en possession de la parole de vie; et ainsi je pourrai me glorifier, au jour du Christ, de n'avoir pas couru en vain, ni travaillé en vain. (...) Car je n'ai personne [hormis Timothée] qui me soit tant uni de sentiments, pour prendre sincèrement à cœur ce qui vous concerne; tous, en effet, ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph2, 5-8, 14-16, 20-21) ».

C'est dans l'esprit kénotique de Paul et sous l'éclairage de la triple tentation (Mt 4 / Lc 4) que l'on peut entendre l'évêque d'Hiponne. « Que signifient, en effet, ces paroles : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis » ? C'est comme s'il disait : « Si tu m'aimes, ne t'occupe pas de ta propre pâture, mais de celle de mes brebis ; regarde-les non comme les tiennes, mais comme les miennes. En elles, cherche ma gloire, et non la tienne ; mon pouvoir, et non le tien ; mes intérêts, et non les tiens »... Ne nous préoccupons donc pas de nous-mêmes : aimons le Seigneur et, en conduisant ses brebis vers leur pâturage, recherchons l'intérêt du Seigneur sans nous inquiéter du nôtre. »

À nous les pécheurs pardonnés, Jésus nous met l'anneau,  nous revêt du manteau du pardon (Luc 15) et nous comble de sa grâce. Louange et gloire à notre Dieu.

22 février 2019

Au fil de Marc 8 et Matthieu 16 - La chaire de Pierre

« Tu es Pierre, et je te donnerai les clés du royaume des Cieux » (Mt 16, 13-19)

Il n'est pas anodin que le récit de Césarée (Marc 8), entendu hier, précède dans la liturgie celui où Jésus donne à Pierre la primauté.

La figure de Pierre est entière, impulsive, toute donnée au Christ et pourtant fragile.
Pierre est à la fois le premier à déclarer le Messie et à rejeter La Croix, le premier à le renier et le premier pardonné (cf. Jn 21)

Ceux qui critiquent l'Église n'ont pas perçu entièrement la force de ce paradoxe qui traduit pourtant toute la miséricorde divine : l'Église ne sera jamais à la hauteur et pourtant habitée par l'Esprit et portée par lui.

Pourtant ne percevons pas en nous ce paradoxe. Pécheurs, nous le resterons, et néanmoins ce qui est « impossible à l'homme devient possible en Dieu » (cf. Mat 19)

A toute tentation cléricale se dresse le réalisme de notre fragilité. Nous portons un trésor dans un vase bien fragile.

22 février 2018

Chaire de saint Pierre et mystère de l'unité

"C'est le seul Simon que le Seigneur a établi comme rocher et porteur des clefs de l'Église et qu'il a fait pasteur de tout son troupeau (Jn 21,15s) ; mais la charge de lier et de délier qui a été confiée à Pierre (Mt 16,19), on la voit également impartie au collège des apôtres uni à son chef (Mt 18,18 ; 28,16-20). Ce collège, en tant qu'il est composé de plusieurs membres, reflète la variété et l'universalité du Peuple de Dieu ; et en tant qu'il est rassemblé sous un seul chef, il signifie l'unité du troupeau du Christ." (1)

Ce que rappelle le Concile est le coeur fragile de ce qui fait notre Église.  Fragile car Pierre et ses successeurs restent des "pécheurs pardonnés" comme le rappelle si bien le pape François.
Coeur, parce que cette difficile unité est l'un des lieux central, pneumatique et eschatologique de la grandeur de notre Catholicité.

"Tu es Pierre, c'est-à-dire : moi, je suis le rocher inébranlable, la pierre d'angle, qui fais l'unité de deux réalités séparées, le fondement tel que nul ne peut en poser un autre ; mais toi aussi, tu es pierre, car tu es solide par ma force, et ce que j'ai en propre par ma puissance, tu l'as en commun avec moi du fait que tu y participes.Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la mort ne l'emportera pas sur elle. Sur cette solidité j'érigerai un temple éternel, et la hauteur de mon Église, qui doit la faire pénétrer dans le ciel, s'élèvera sur la fermeté de cette foi.Les puissances de l'enfer n'arrêteront pas cette confession, les liens de la mort ne l'enchaîneront pas : car cette parole est une parole de vie.(...) Elle porte jusqu'au ciel ceux qui la confessent." (2)


(1) Lumen gentium

(2)Saint Léon le Grand,  sermon pour l'anniversaire de son ordination

19 septembre 2016

Le beau démoniaque

Ambivalence et tension. "Aucun transcendantal n'est plus démoniaque que le "kalon" (beau)(...) apparence projetée sur la réalité périssable : reflet de Dieu ou du néant" (1). Nous devons porter ce risque qui depuis Cesarée (Mc 8, 34) fait cohabiter en nous l'intuition du divin et le risque de passer à côté et sombrer dans la vanité et la fatuité de se croire plus grand que Dieu. Ce rêve d'Icare habite notre condition humaine. Nous devons l'apprivoiser pour ne pas le laisser nous envahir. Pierre l'a appris à ses dépends. Dès que nous nous croyons proche de Dieu, il nous rappelle que nous ne sommes qu'un homme tout en nous couvant de son amour miséricordieux.

(1) GC6 p. 28

14 septembre 2016

Pierre un Pécheur aimé

Dans la tension que nous avons ouverte entre Marie et Pierre, il peut nous arriver de percevoir combien nous sommes de la race de ceux qui ne cessent de chuter, renier et délaisser notre maître au lieu de nous tenir fidèle au pied de la Croix.
Notre seule consolation, à la suite du pape François est de nous savoir "pécheur aimé"(1).

C'est la joie de Pierre. Elle doit nous porter dans l'espérance.

(1) Spadaro, op. cit. p. 203


05 août 2016

Pierre


A contempler à l'aune des grands discours sur l'Eglise.
Un chemin d'humilité et de miséricorde...

"Il a fallu que Pierre, lui à qui l'Église devait être confiée, la colonne des Églises (Ga 2,9), le port de la foi, celui qui allait enseigner le monde entier, se montre faible et pécheur. Oui, vraiment, c'était pour qu'il puisse trouver dans sa faiblesse une raison d'exercer sa bonté envers les autres." (1)

(1) Saint Jean Chrysostome, ‎Homélie sur saint Pierre et saint Élie, 1 ; PG 50, 727 ‎