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13 février 2021

Danse, symphonie et liturgie 33.5

J’ose poursuivre mon analyse. Même si le texte de la Genèse est trop court et trop dense pour que l'on saisisse la portée de ce qui est sous-tendu. Il y a  une « esthétique » des origines. C'est un peu comme si les deux auteurs de ces chapitres de la Genèse se taisaient devant l'indicible. Comment décrire en effet ce paradis perdu ?

Il faut d’abord peut-être inverser le sens de la lecture, ce que les deux premiers chapitres de la Genèse décrivent n’est pas une situation passée, mais probablement une situation future ou en tout cas une invitation dans ce sens. Ce qui est décrit n’a pas existé comme tel sauf peut-être dans le plan de Dieu. Cela était voulu par Dieu pour l’homme et cette relation sera, à la fin des temps, quand le mal sera vaincu... 

Peut-on tracer une voie dans ce sens ? 

Il n’est pas anodin que Jésus lui-même cite ces versets dans l'une de ses seules allusions au mariage (Mat 19,5) pour exprimer le bonheur qui nous attend.

Le protestant J. G. Hamann nous donne une image très belle de cette « étincelle esthétique » en décrivant ainsi le paradis ou « tout voyait et goûtait, de première main et de toute sa fraîcheur, la bienveillance du maître d'œuvre, qui jouait sur la terre et trouvait sa joie avec les enfants des hommes. » « Toute manifestation de la nature était une parole. (...) Tout ce que l'homme entendait, voyait et considérait de ses yeux, touchait de ses mains était une parole vivante ; car Dieu était la Parole ». (1) Hans Urs von Balthasar complète cette description en ajoutant que tout le sensoriel était Parole de Dieu à l'homme et réponse de l'homme à Dieu. Il s'agit bien d’une symphonie entre la création, le créateur et l'homme.

Une symphonie où chacun s'efface pour être et transmettre l'amour. Une forme « humaine » et qui reste donc imparfaite de la Trinité pourrait-on dire, dans laquelle l'homme et la femme sont invités à être à l'image et ressemblance de cette Trinité déjà existante, mais que Dieu voulait rendre visible au sein même de la création à travers l'amour d'un homme et d'une femme :

« Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme » (Gn 1,27) »

« Et Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le sixième jour » (Gn 1,31).

 

Introduire un parallèle entre le couple et la Trinité est délicat, mais suit finalement la logique d’Eph. 5. (2) Si la Trinité est cet admirable échange entre le Père, le Fils et Esprit Saint, un échange d'amour, l'humanité, fruit de l'acte libre et gratuit de la création, est invitée de fait à participer à cet amour trinitaire par le don de l'Esprit. En effet, l'amour du Père se manifeste à travers le don et l'incarnation de son Fils, qui rejoignant notre humanité se fait don. Il reçoit son amour du Père et se donne d'un don total, jusqu'au bout. Et cet échange est suivi, transmis à l'humanité par l'Esprit, généré de cet échange d'amour entre le Père et le Fils et inscrit dans le cœur de l'homme avec la discrétion d'un Dieu aimant qui se donne, tout en respectant notre liberté.

Dire ainsi que le projet de Dieu sur l'homme et la femme repose sur cette admirable invitation de Dieu à participer à cet amour trinitaire, c'est signifier que l'amour conjugal est, dans le plan de Dieu, appelé à signifier à sa manière, le mystère invisible de cet amour des trois Personnes au sein du Dieu unique.

Ce projet de Dieu sur l'homme s'entend comme une vision eschatologique, c'est-à-dire qu'il ne sera pleinement réalisé et visible qu'à la fin des temps. Le couple est invité à signifier par la symphonie de son amour imparfait cette bonté même de la création.

Le deuxième récit, de tradition plus ancienne, reprend cette image d'une symphonie en insistant sur la différence homme - femme, sous-entendant le désir. Mais cette description ajoute une touche plus réaliste à cette première description.

Il faudrait ici résumer tout mon livre « aimer pour la vie »(3) que je vous invite à découvrir car il poursuit et manduque longuement ces versets 24 à 26 en partant du « quitter » jusqu’au « faire une seule chair ». On y voit que le mariage humain, qui a pris sa source dans la matrice du désir (éros) humain, devient ainsi signe d'un autre dépouillement (kénose), celui où l'homme quitte ce qui l'attache à sa matrice pour s'ouvrir à l'autre, pour le recevoir dans son immensité, mais en même temps se donner dans sa propre nudité, exposition de tout son être à la grâce. Ce dépouillement visé par le mariage est également double, tout en étant réciproque. Le « Je te reçois et je me donne à toi... » est prononcé par chacun des époux et sous-entend cette double dimension.

D'abord, il appelle à une réceptivité extrême de l'autre et de Dieu en l'autre et invite, en même temps, au don total de soi-même et donc à un renoncement à « l'être-pour-moi » vers un « être-pour-l'autre ». Cet échange ne doit pas pour autant être une violence faite à l'autre. Par cette limitation de moi, je m'élance vers l'autre tout en le laissant être autre...

On se souvient du chemin du Christ décrit par Paul dans l'hymne aux Philippiens :

« Lui qui était dans la condition de Dieu, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu ; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur » (Philippiens 2).

 

Nous sommes appelés à quitter nos parents, comme le Christ quitte son Père pour se faire homme, et même serviteur, don de soi hors de soi.

Le visage de l'autre m'appelle à cette sortie de moi-même. Elle m'assigne au don. Je dois faire un pas en avant dans la confiance en autrui, différent de moi-même. Et ce pas est rupture de mon enfermement sur moi-même ou mon semblable (mêmeté) qui m'enfermait dans mon confort intérieur.

Le pas en avant vers l'autre permet de trouver en soi un au-delà de soi. Ce décentrement autorise une sortie de sa tour, pour planter une tente dans un ailleurs, une relation véritable, une ouverture à l'autre et à l'être véritable qui apparaît dans le visage de l'autre. Cela permet une projection dans l'avenir, dans la confiance, cette foi en l'autre, auquel j'accepte de me donner. (...) Quitter père et mère, c'est finalement accepter qu'un ailleurs puisse être, qu'un autre visage soit devant moi.

Et l'irruption du visage de l'autre devient possible lorsque mes yeux se sont ouverts et que mon cœur est prêt à franchir cette distance.

Une seule chair...?

Il quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme et les deux ne feront qu'une seule chair … (Gn 2,25).

 

Quitter un cocon pour en retrouver un autre ? De quelle union s'agit-il ? Sylvaine Landrivon dans sa thèse déjà citée (4) développe très bien ce danger fusionnel. L'unité à trouver est le cœur de la spiritualité conjugale. Elle est cette symphonie de l'âme et du corps où l'un et l'autre ne perdent pas leur essence, mais conjuguent à l'infini, désir et complétude. Une symphonie où l'autre cœxiste, préexiste parfois à soi-même. Le texte hébreu ne vise pas une fusion. Le terme employé (basar) est plus vaste. Il évoque plus une relation qu'une fusion. La sagesse juive qui est partie du manque ne parle pas d'une réponse à ce manque, mais évoque plutôt une construction, une escalade du désir que le récit de la chute (Gn 3) viendra compléter…

Le terme hébreu basar porte un sens plus large que le sens français; il exprime une symphonie des corps et des cœurs que nous avons du mal à percevoir dans notre monde marqué par la chute, mais qui transparaît dans le sens sacramentel d'une relation conjugale (cf. mes chapitres 10 et 11 d’aimer pour la vie).

Le long soupir d'un violon solitaire ne remplacera jamais les harmonies d'une symphonie ou d'un concerto. La musique n'est pas un plaisir solitaire, mais la rencontre d'instruments. En se répondant, jouant sur les contrastes et les spécificités de chacun, ils parviennent à exprimer une beauté intérieure souvent indicible. La musique est le lieu de la rencontre, de l'expression et du don. Elle n'est pas centrée sur elle-même, mais ouverture à la beauté. Pour beaucoup, elle atteint même le sommet de l'expérience esthétique et ouvre au spirituel. 

Cette symphonie qui consiste à vivre en actes et en vérité le « je te reçois et je me donne à toi » peut tendre vers cette dépossession de l'homme au service de l'amour. Dans cette direction qui devient exercice d'une certaine chasteté peut poindre cette image de la Trinité que nous avons esquissée plus haut.

Il y a, dans le concept même de chair, une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité est danse entre les Personnes, chacune toute tournée vers l'autre (cf. jean 1). En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain, mais d'une danse, c'est-à-dire d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité. C'est dans ce sens que le pape Jean Paul II dans ses Catéchèses du mercredi (5) dit que « le langage des corps devient la langue de la liturgie » (…) et élève le langage du corps « aux dimensions du mystère ». Le mot liturgie, qui dans son sens étymologique signifie action du peuple, prend ici son sens chrétien de culte, de célébration de l'amour divin. Cette célébration dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur, mais aussi d'être signe de cet amour.

On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix dans le Corps de Chair lorsqu'il souligne le sens multiple, la polysémie du mot chair qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, telle que celle reprise par Jean Paul II, cette multiplicité du sens appelle en fait à ce qu'il qualifie de « totalité unifiée ».

« Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage, de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur sans laquelle la musique reste solitaire. Tu es corps, mais aussi Personne, digne de tendresse et de respect, porteur d'une flamme qui te dépasse… » Cette symphonie est ouverture et s'inscrit dans cet échange.

Dès le chapitre 4 de la Genèse, la Bible emploie à ce sujet le mot hébreu « yd » (connaître) pour décrire la rencontre intime d'Adam et d'Ève : « L'homme connut Ève sa femme » (Genèse 4,1), Mais comme le souligne Ève dans le même verset : « J'ai procréé un homme, avec le Seigneur », soulignant ainsi que cette connaissance est plus vaste qu'une simple relation entre deux humains. Dans l'Ancien Testament, la connaissance est d'ordre existentielle, c'est-à-dire exprime toute une série de liens et de relations qui vont de la connaissance intime, familiale à la connaissance de Dieu, dans l'Alliance et à travers sa révélation.

Dans cette direction, le théologien protestant J. G. Hamann va un pas plus loin dans cette analyse de la Genèse en décrivant le connaître de l'enfantement comme une véritable connaissance symphonique. Ce sens plein du terme biblique traduit une forme de révélation.

Cette image d'une femme qui vibre de tout son corps et tressaille d'allégresse dans cette co-création d'un petit homme est alors une connaissance nouvelle, une révélation intérieure, qui dépasse la seule sensation d'un corps présent dans un autre corps, mais évoque une transcendance, c'est-à-dire la perception d'une présence plus intérieure, plus intime. Cette communion avec le créateur, qui conduit à la naissance d'un petit homme, rejoint à sa manière cette communion du Père et du Fils dans l'Esprit Saint. Elle rappelle aussi ce tressaillement du Fils au sein de la Vierge lors de sa visite à Élisabeth.

Nous irons plus loin dans ce sens, mais il faudra ouvrir un autre livre de Sylvaine avec qui j’ose ici entrer en résonance sur la pointe des pieds.


(1) G. Hamann, Ritter von Rosenkreuz n3 p. 32, cf. Urs von Balthasar in la Gloire et Croix, Styles T2.2 p.147 

(2) disponible gratuitement sur kobo

(3) voir mon billet danse 33

(4) Sylvaine Landrivon, La femme remodelée, op. cit., not. p.205sq

(5) Jean Paul II, L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30. Ses catéchèses ont été reprises en un tome dans Homme et femme il les créa aux éditions du Cerf

15 novembre 2017

Le principe de l’agir - Maurice Blondel

Après un long plaidoyer sur l'agir, Blondel en vient au cœur de notre sujet sur l'immanence : Il faut, pour lui, « rechercher s'il n'y a pas un mouvement initial qui persiste toujours, qu'on aime et qu'on veut, même quand on le renie ou quand on en abuse » (1).

C'est la peut-être le creuset de ce que je cherche à définir comme tressaillement, cette interaction fragile entre l'homme et l'auto-communication d'un Dieu agenouillé.

Ce mouvement est-il la symphonie du Dieu trine qui, dans le creuset de notre coeur, nous invite à danser une partition nouvelle ?

(1) Maurice Blondel, l'Action, Paris, Felix Alcan, éditeur, 1893, page XX de l'introduction.

18 juin 2016

Harmonie intra-testamentaire

Quel est l'enjeu de notre contemplation de l'Écriture ? Pour les pères de l'Église les relations entre Ancien Testament et Nouvelle Alliance, c'est la contemplation d'une symphonie, d'une consonance, d'une harmonie (1) , un concert de beauté - concinere, consonare, concitare (2) (...) une mélodie intérieure au monde"(3) qui n'est pas sans rejoindre ce que j'évoque dans mon concept de danse trinitaire.
Dans le désir exprimé par les pères de l'Église d'y voir la face de Dieu‎, on trouvera à leur suite, la lumière des premiers rayons de la résurrection, qui percent parfois nos brouillards humains pour nous pousser plus loin, jusqu'à la quête du Royaume à venir.
L'enjeu, comme l'exprime plus loin Balthasar est de nous laisser pénétrer ‎corporellement par Dieu, d'abord dans les prémices que constitue la résurrection du Christ, puis dans dans le don total qu'est la résurrection générale" (4).

Il ne s'agit pas d'une inhabitation mystique, mais bien de cette dynamique sacramentelle (5) largement commentée par ailleurs, qui vise la manière dont la Parole et les sacrements interagissent en nous et nous conduisent à une véritable imitation du Christ.

(1) Origène, In Jn, 5, 8 (Pr. 105), cité par Balthasar, GC1 p. 559.
(2) Saint Augustin, De Mor. Eccl. cath. I‎, 1, 27, 28, 34, PL 32, 1322-1326
(3) Gc1 ibid.
(4) p. 560.



13 avril 2016

Balancier ? - Les limites de l'exercice

Je souscris à la "sagesse" de Christos Yannaras sur les limites de l'utilisation de la métaphore érotique dans une pastorale. Dans un monde trop érotisé‎, il faut se méfier plus que jamais de notre utilisation de la Parole plus loin qu'elle ne veut aller. Dans un contexte vétéro-testamentaire, les métaphores de d'Osée 2, des premiers chapitres de Proverbes comme du Cantique des Cantiques, avaient leur place. Mais la sagesse de Paul est de la transformer, de la purifier en une métaphore plus aboutie, celle d'Éphésiens 5, dont l'accent lui-même doit être à nouveau contextualisé, comme je le montre dans Aimer pour la vie. On touche là à la vertu de tempérance.
Et pourtant on sent bien l'intention de C. Gripon  qui en cherchant à combattre l'excès masculin qui pèse sur la théologie depuis Lombard et Thomas, nous réouvre‎, par Teilhard à une poétique du féminin.
Cet effet de balancier me semble nécessaire, tant notre rationalisation de la foi européenne peut nuire à son éclosion. 

Il ne faut pas tomber, à l'inverse,  dans une traduction trop érotisée de la théologie du corps qui dépasse les avancées plus prudentes de JP II sur la liturgie des corps(1). 

On le voit tout est complexe et délicat. Suis-je trop prudent et masculin en disant ça ?  ‎

Aristote avec sa tempérance était plus prudent que Platon.  On peut relire plus bas ce que j'écrivais à la suite de Barth et les limites du platonisme telle que mise en évidence dans GC1 de Balthasar...‎

C'est peut être aussi le chemin de Teilhard entre son Éternel feminin et un ouvrage plus tardif sur L'évolution de la chasteté. On sent dans le premier la faille qui s'ouvre en lui dans la rencontre du féminin et dans le second la conversion intérieure (sublimation ? ) d'un désir qui lui permet enfin de saisir que la force érotique fleurit dans une fécondité nouvelle ce que j'appelle symphonie (quand François nous parle de syntonie (2)‎.
Citons Teilhard : "La femme épanouit, sensibilise, révèle [l'homme]à lui-même" (3) et plus loin "L'amour est le seuil d'un autre univers".  C'est  la flamme jaillie de cette première union [conjugale] qui s'élèvera vers Dieu" (4)
(1) Homme et femme, il les créa, p. 30
(2)  cf. Amoris Laetitia n. 13
(3) Pierre Teilhard de Chardin, L'évolution de la chasteté, p. 77 et 80, cité par Christophe Gripon p. 152‎
(4) Ibid p. 88‎







16 juillet 2014

Beauté symphonique

Qui peut dire la signification d’une symphonie de Mozart ? Et pourtant chaque note est pleine de sens nous rappelle Hans Urs von Balthasar. Plus l’œuvre est parfaite, plus aussi son contenu à interpréter est inépuisable.

Il conçoit alors la beauté comme le « rayonnement inexpliqué du foyer de l’être sur le plan extérieur de l’image ». Un rayonnement qui s’imprime sur l’image elle-même et « lui confère une unité, une plénitude et une profondeur représentant bien plus que ce que l’image en elle-même contient. Elle est généralement ce qui donne à la vérité le caractère permanent d’une grâce ». (1)

Cela fait résonner en moi ce que je me plais à affirmer sur le « je te reçois et je me donne à toi ». On reçoit infiniment plus que ce que l’on ne pourra jamais donner, parce que le don de l’autre n’est que la face visible du don de Dieu. L’autre est image d’un mystère plus grand, plus infini qui l’habite et le transcende.



(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.149-150

09 septembre 2007

Basar

Le terme hébreu basar signifie au sens premier la chair de l’animal que l’on sacrifie. On dit aussi que l’homme est charnel. Pour Hans Urs von Balthasar, l’expression toute chair se rencontre aussi bien dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament pour désigner l’humanité dans son ensemble. Et c’est seulement dans les textes tardifs de l’Ancien Testament et dans les apocryphes qu’apparaît par infiltration de l’hellénisme une opposition chez l’homme entre la chair et l’esprit.(1)

J’avais déjà longuement discerné sur cette sémantique du terme basar dans mes pages consacrées au « une seule chair » de Gn 2,23 dans en lui donnant la traduction hyperbolique de symphonie.

Je viens de recevoir une autre interprétation que je n’avais pas perçu. C’est l’utilisation de ce sens dans le « qui ne manges pas ma chair et boit mon sang » prononcé par Jésus lors de la Cène. Si chair est la personne toute entière du Christ, manger sa chair prend un sens tellement plus large. C’est une adhésion complète à sa personne, un basculement dans le en-christoï… Et de même, « boire le sang » est l’acte de vie, l’adhésion à une renaissance, au sens de celle de Nicodème.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, II ibid, p. 243

07 août 2007

Chercher

« Dans la relation de Dieu et de l’homme, aucun appel en effet ne retentit de façon plus constante dans l’Ancien Testament, répété 100 fois et décliné sous toutes ses formes, que celui de « cherche le Seigneur ». C’est comme si le rayon de la grâce, touchant ce qu’il y a de plus profond et de plus intime dans l’homme, avait mis à nu pour la première fois la plénitude de son être comme nature créée. Romain Guardini a certainement saisi un point décisif quand il dit qu’il n’y a pas seulement une nature et une grâce surnaturelle, mais qu’il existe aussi un troisième plan, celui des profondeurs de la nature qui ne s’éveillent que lorsqu’elles sont atteintes par la lumière de la grâce. Il écrit : « Il y a certaines réalités qui en soi appartiennent au monde (...) et qui n’émergent à la conscience qu’après avoir été ressaisies par les réalités correspondantes de l’ordre surnaturel » (1)

N’est-ce pas en quelque sorte le champ symphonique du monde, cette entrée en résonance qui fait de la création un miroir de Dieu.

(1) R. Guardini, Welt und Person, Würzburg, Werkbund 1952, 67