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15 octobre 2021

Danse en Eglise - 9

J’aimerais revenir sur la dernière publication de François Cassingena-Trévedy qui ne mâche pas ses mots sans lâcher l’essentiel : cet attachement à l’Église qui nous prend aux tripes en dépit des déceptions et des faillites.

Je vous invite à méditer son denier cri(1).


Oui, notre Église devenue soudain si laide reste à reconstruire, même s’il faut pour cela déboulonner ses lourdeurs et ses impasses, pour assembler à mains nues, avec des pierres vivantes, burinées à l’envie, usées et meurtries, une chapelle ardente plus fragile, mais qui reflète enfin le projet d’un Christ nu, un « Dieu dépouillé »(2)


Nous sommes nous laissés emporter par le succès d’une Église socialement acceptable au point d’oublier l’essentiel ?


Si la lumière de ses ors s’éteint, si ses dogmes s’effritent, si ses monseigneurs en perdent leur titres, notre Église brillera d’un feu plus intérieur mais non moins lumineux. Ce sera une autre lueur, plus fragile, qui n’est autre que la petite espérance du royaume promise et pour autant toujours inaccessible. 


Il y a qui 15 ans j’écrivais « cette Église que je cherche à aimer » (3) paraphasant le titre de Vidal. Elle m’énervait cette Église enfermée dans ses impasses et laissant déjà transparaître ces drames qui éclatent au grand jour aujourd’hui. Et pourtant je l’ai rejoint, car au delà de ses lourdeurs, elle est aussi habitée par des prophètes, souvent maltraités et vilipendés comme ce Congar qui s’est battu pour lui redonner sens. 

Je crois que ce sont ses mémoires du concile, Moingt et Theobald et d’autres prophètes souvent méprisés qui m’ont fait basculer… 

L’Église que j’aime porte l’espérance d’un peuple fragile qu’on ne peut laisser sans lien avec L’unique, le Berger, la Porte.

L’Église reste l’appel et le don d’un Dieu qui s’efface en nous laissant, derrière le voile déchiré du temple(4), un Verbe à déchiffrer ensemble, sans jamais pouvoir prétendre le saisir vraiment…


Pas seul, mais au moins deux ou trois, en Son nom. Il faut voir l’intérêt surprenant à mes yeux de la Maison d’Évangile - La Parole Partagée, créée non sans hésitation, et qui n’a jamais eu autant d’inscriptions que depuis qu’a éclaté le scandale. Qu’est ce qui attire sinon ce partage à la table du Verbe ? 


Refuge, l’Église l’est et demeurera, avant d’être institution, l’espoir d’une Kononia, au sens paulinien, d’une famille humaine qui trouve en son sein le repos annoncé. Prions pour qu’elle écoute ces 45 recommandations du rapport Sauvé, qu’elles soient lues, entendues, et qu’elle avance et redevienne le Corps de celui qui nous précède en Galilée. 


L’Église ne peut plus être comme avant. Elle a besoin comme je l’écrivais samedi d’un chemin au désert(5), mais je crois  qu’en son sein réside l’eklesia originelle, le souffle qui nous échappe dès que nous voulons le dogmatiser ou l’imposer 🙂 


l’Église n’est pas d’abord une institution mais l’espoir réuni d’un peuple qui espère toujours et attend de redécouvrir que nous ne pouvons avancer seul. 


Quand elle aura finie d’être pouvoir et orgueil elle pourra enfin s’agenouiller devant l’homme (6).


Ma plus belle expérience pastorale a été St Séverin, il y a 20 ans, quand après 5 rencontres collective type CPM un jeune homme s’est levé regardant les autres couples (et non moi et ma femme) et a déclaré : « j’ai compris, l’Église c’est nous ! »


C’est cette Koinonia qui me fait vivre.


(1) voir sur sa page

(2) gratuit sur le site de la Fnac https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(3) voir sous le même lien

(4) voir aussi « Le rideau déchiré »

(5 et 6) voir mes livres éponymes

08 octobre 2021

Sur la pointe des pieds…

Il y a un temps pour parler et un temps pour faire silence.

Aujourd’hui je commencerai à la suite de J.Moingt par un appel au silence. À faire résonner en nous ce vide [du samedi saint] qui seul peut nous laisser entendre les cris… et quels cris… (1)

Après les événements de cette semaine, après la lecture insoutenable de ce rapport, que j’ai loin d’avoir finie, il me semble urgent de faire silence, de se taire devant cet innommable, pour retrouver ensemble un véritable chemin d’humilité et de service, se laisser saisir par le Christ qui est si loin de notre humanité et, seul, est image véritable de Dieu, parce que son don est entier et sans partage.

Qui sommes-nous pour revendiquer d’autres titres que celui de pécheurs en chemin vers le pardon ?


Les lectures de ce dimanche nous conduisent vers cela avec force. Laissons les textes parler d’eux-mêmes plutôt que d’en rajouter…


« Elle est vivante, la parole de Dieu,

énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ;

elle juge des intentions et des pensées du cœur.

Pas une créature n’échappe à ses yeux,

tout est nu devant elle, soumis à son regard ;

nous aurons à lui rendre des comptes. » (Heb 4)


L’auteur d’Hebreux ne mâche pas ses mots. Nous laissons nous traverser par eux ? Qu’allons nous faire pour mettre en actes ce « plus jamais ça » qui vient aux lèvres ?


Laissons Dieu pénétrer dans les recoins les plus sombres pour que jaillissent enfin la lumière 


L’Église ne sera que si elle se laisse totalement traverser jusqu’aux jointures de l’âme, jusqu’à ce que nous cachons de plus sinistre en nous, ce qui se colle à nous et nous empêche d’entrer dans le don véritable. 


« J’ai prié,

et le discernement m’a été donné.

J’ai supplié,

et l’esprit de la Sagesse est venu en moi ». Nous dit la première lecture.


Seigneur viens m’habiter, viens nous habiter…

Viens Seigneur, convertis moi…


Au fond de nous, après ce temps de silence, que nous dit l’Evangile… 

Pourquoi nos richesses nous empêchent-t-elles d’accéder au royaume ? Quels sont ces biens qui nous centrent sur nous et nous empêchent d’entendre le cri de nos frères ? 


Laissons nous pousser au désert, comme Jesus poussé par cet Esprit de Sagesse dont parle la première lecture. Les trois tentations du Christ se résument dans 3 verbes :  l’avoir, le pouvoir et la valoir… 

Que nous dit notre cœur sur cela ?

Quelles sont ces variations subtiles de l’avoir et du pouvoir qui nous empêchent d’etre aimant.

L’amour n’est pas naturel souligne Marion(2). Il ne vient que dans un quitter, dans un abondon. 


C’est le problème du jeune homme de l’Evangile.


Une tradition voit dans Marc ce jeune homme nu au mont des oliviers. Il lui a fallu toute la prédication de Jésus pour comprendre que ses biens l’empêchait d’aimer…


Laissons nous conduire au désert… (3) car c’est là que Dieu nous parle…


Ce n’est que dans le dénuement que reviendra notre soif, que nous pourrons être attentifs aux petits, à ceux qui crient..  quittez vos vêtements de fête, dit le Seigneur en Ex 33 juste après l’épisode du veau d’or… nos apparats et nos apparences ne sont que des manières de masquer cette nudité première de l’homme qui seule nous met en chemin, sans honte vers autrui… laissons nos sandales de rechange, abandonnons nos ors inutiles, la maison de Dieu est une tente bien fragile où Dieu quitte son vêtement pour s’agenouiller devant les souffrants(4), les petits et les pécheurs, pour les amener à l’essentiel… l’amour inconditionnel…

Tout quitter pour le suivre…

Quand on n’a pas tout donné a-t-on donné ? 

dit l’adage. Un chemin difficile…

Le poverollo avait bien raison…

Notre maison est à reconstruire, une fois encore… 

Chacune des recommandations du rapport Sauvé mérite toute notre attention. J’en ajouterai une. Cessons d’appeler maître, ou « mon Seigneur » ceux qui ne sont que des hommes. 


La semaine dernière nous entendions le Christ mettre l’enfant au centre.

C’est à pleurer…


(1) Joseph Moingt, L’homme qui venait de Dieu, Cerf, 1995, Ed° de 2002, Cogitatio Fidéi n° 176, p.546ss

« Quiconque contemple en Jésus l'humanité victime de ses manipulations du divin au point de s'entretuer, se sentant solidairement coupable de cet état de choses et impuissant à s'en libérer, est invité à y écouter le silence du Dieu qui parle en Jésus et à y découvrir l'inconnu d'un Dieu tout différent de ses images, plein d'amour et de respect pour les hommes, qui les appelle à l'aimer et à le respecter par le respect et l'amour les uns des autres, à exister pour les autres comme pour Dieu même. »

(2) Jean Luc Marion, d’ailleurs la Révélation 

(3) cf. mon essai Chemins du désert 

(4) cf. à genoux devant l’homme


PS : Notes pour une homélie dominicale que j’ai eu bien du mal à prononcer

03 avril 2021

Le vide et le silence - 48.1


Dans mes recherches, la rencontre des écrits de Joseph Moingt m’a conduit, en effet, à un déplacement conséquent. Je ne peux plus écrire et lire sans être influencé par les écrits de ce théologien. Moingt insiste plus que d’autres (et notamment Kasper) sur le vide qui a suivi la mort du Fils. Un temps incertain où des hommes qui avaient suivi Jésus se retrouvent dans le noir et la désespérance. Ils avaient cru trouver chez lui le Messie, le libérateur et voilà qu’il est mort, qu’il a disparu sous les coups conjugués des Romains et de certains pharisiens. Ce temps de la désespérance passe par l’expérience du vide.

On voudrait passer au récit de la résurrection trop vite (c’était le cas de mes premiers essais sur ce sujet). Ce serait oublier ce temps essentiel qui est celui que nous vivons et que vivent surtout tous ceux que la lumière du ressuscité n’a pas encore éclairés…

En effet, ce vide premier et constitutif est celui de l’absence de Dieu. À notre époque, après Auschwitz, le retrait de Dieu, sa mort, ne sont pas anodins, ils emplissent notre temps. « Où est-il ton Dieu ? », nous crient certains à la figure, alors que le mal et la souffrance leur éclatent au visage et les conduisent au désespoir. Le vide du Samedi saint est le temps d’arrêt dans la symphonie de Dieu, un temps de silence où nous sommes interpellés au plus profond de notre foi et de notre croyance. Va-t-on demeurer à cette place, devant le silence, où va-t-on faire le pas du croire… ?

Jean passe trop vite sur ce temps. Et il nous faut peut-être alors quitter cette lecture cursive pour un vaste retour aux autres Évangiles…

Avant le saut de la foi, Luc nous conduit par exemple dans ce temps de silence intérieur. C’est le chemin des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-25). Ils n’avaient rien compris, ces marcheurs en perdition. Celui qui « s'étant approché, se mit à faire route avec eux » sans qu’ils le reconnaissent, leur explique l’Écriture. Il retrace et développe ce qui, depuis les temps anciens, était la musique de Dieu, combien ce temps de silence et de vide était déjà précédé par la symphonie des instruments de la révélation. Lente et humble pédagogie de Dieu qui se révèle dans le passé…

Et pourtant, celui qui les accompagne, que le lecteur a reconnu, mais que leurs yeux ne voient pas comme avant, reste en retrait. Cette troublante discrétion de Dieu dans sa pédagogie amplifie le sentiment de vide. Il est là dans le silence, il parle, mais ne se révèle pas entièrement. Peut-être qu’il y a, dans ce Christ déjà ressuscité, une autre facette du Jésus terrestre. Avant sa mort, il pouvait être Fils, mais ils ne le savaient pas. Ils n’avaient pas reconnu Dieu en Lui. S’ils l’avaient fait, ils ne seraient pas partis en courant lors de son arrestation.

Des deux côtés de la mort, transparaît donc déjà quelque chose de Dieu que nous traduisions par l’entre-deux, un Dieu qui reste faible, pauvre, silencieux, pour ne pas forcer notre liberté, mais nous accompagner sur le chemin, nous conduire, pas à pas, vers la révélation de ce qui est au plus intérieur de notre cœur, ce sentiment de Dieu, déposé en nous dès l’origine, cherché à l’extérieur, alors qu’il brûle, en-nous, sans relâche.

L’expérience du vide, c’est ce temps où nous pouvons crier, rester incrédules, outrés et bouleversés par la souffrance et la mort. À l’image de ces deux pèlerins, dépourvus d’espérance, ne sommes-nous pas souvent dans le temps de l’incertain ? Quand le monde nous semble marqué par la mort et la désespérance, quand les justes semblent punis à côté des pécheurs, à l’heure où les pauvres sont plus pauvres, où la mort rôde et frappe sans discernement, ne sommes-nous pas aussi désemparés, comme ces pèlerins ?

La première urgence n’est-elle pas alors de crier ? Crier : « pourquoi ? » C’est le premier temps du récit. Jésus accueille d’ailleurs ce désespoir. Il ne redit pas le « me voici » de Jean, mais demeure caché. Pourquoi ? Parce qu’il respecte notre chemin. Ce chemin intérieur qui passe du cri, de la révolte, à la compréhension, est, par excellence, le lieu de notre liberté. Le vide et le silence de Dieu sont probablement ce qui manifeste le plus son respect de l’homme.

À la mère qui souffre le départ d’un enfant, à l’homme qui vient de perdre son épouse, à l’enfant qui souffre du mal, à celui qui est touché par la maladie, les mots n’ont pas de place. Dieu respecte ce temps. Face à cela, il n’a qu’une réponse, troublante, interpellante, celle du vide…

Et ce vide n’est-il pas, à sa manière, une autre façon de percevoir l’humilité de Dieu ?

Aujourd’hui, plus qu’ailleurs, nous en sentons l’importance. Dans le silence des camps de la mort, dans le désespoir de ceux oubliés par la richesse, le silence de Dieu est la première réponse. Elle n’implique pas le fait que Dieu est absent. Elle dit juste quelque chose de son respect de l’homme… Ce n’est qu’en méditant ce silence, que l’on peut sentir qu’il est pourtant là. Dans le silence de la croix, dans la nuit de l’agonie, Jésus n’a-t-il pas fait, lui aussi, cette expérience, jusqu’au doute, jusqu’au sentiment d’abandon qui va jusqu’au cri « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ce silence, apparent, pesant, révoltant parfois, est le premier pas de Dieu. Il masque une présence autre, qui ne se révèle pas tout de suite, qui laisse à l’homme le temps de l’humain…

En cela, il n’est pas loin de nous, mais comme l’affirme en chœur certains théologiens, depuis Luther, Barth, Moltmann, Hans Urs von Balthasar ou Moingt : « Il est solidaire de notre souffrance »… Ce qui se révèle dans le vide et dans le cri partagé de l’homme et de Dieu, c’est un Christ qui n’est pas loin de nous, mais solidaire, marcheur à nos côtés, souffrant plus, voire autant que nous… Homme, pleinement homme !

Une rumeur

Mais voilà, au bout de quelque temps, une rumeur est née. Elle apparaît selon les trois premiers évangélistes dès le troisième jour. Au vide du cœur de l’homme répond un autre creux. Ce n’est pas encore la pleine manifestation du ressuscité, mais l’incertain qui fait résonner le manque. Au lieu de répondre tout de suite à la quête, Dieu respecte encore nos incertitudes. Il ne nous impose pas un ressuscité palpable et visible pour l’éternité. L’expérience de la puissance de Dieu après la mort commence par une brise légère. Est-ce la voix d’un fin silence qui fait écho à ce qu’Élie a pu percevoir sur la montagne. À la fois silence impalpable et, en même temps, voix insaisissable, chant ou musique d’un Dieu qui laisse résonner quelques notes dans un cœur avide de sens.

Cette tendresse dans la manifestation est aussi celle décrite par Luc sur le chemin d’Emmaüs. Alors qu’il se dévoile dans la fraction du pain, Jésus disparaît du regard pour que résonnent encore les notes du tombeau vide…

C’est peut-être le deuxième temps de la manifestation après le silence. D’abord le creux, puis une première note, si ténue que l’on sent le souffle sur son visage, caresse éphémère d’un Dieu qui manifeste sa présence, sans s’imposer, feu follet d’un sourire perçu chez l’autre qui éveille notre curiosité, nous fait demander s’il est possible, qu’au-delà du gouffre, du désespoir, chante, ailleurs, la voix du bien-aimé. Fleur fragile qui révèle que tout n’est pas mort.

« J’ai ouvert la porte et il n’était déjà plus là », nous dit en substance ce beau chant d’amour du Cantique des Cantiques. Dieu ne ponctue le silence que de signes fragiles, d’une rumeur, d’un souffle ténu qui nous fait tourner la tête, rend possible un espoir et nous appelle ailleurs.

La rumeur du tombeau vide fait courir Pierre et Jean. Elle pousse Marie Madeleine à interroger le jardinier. « Où as-tu mis mon Seigneur ? » Bizarrement cette note fragile entre encore en écho avec une autre voix, celle qui résonnait dans le premier jardin. On se souvient, qu’après la chute, l’homme a découvert sa nudité, sa fragilité et qu’il se cache. Dans la souffrance ou dans la faute, il a lui aussi pris conscience du vide, d’un « tombeau vide ». Alors, comme nous l’avons déjà noté, a résonné une rumeur, une Shékinah dit le Targum, présence indéfinissable dans le jardin qui dit l’« Où es-tu ? » de Dieu (cf. Gn 3).

Ici, au jardin où reposait le Christ, Marie Madeleine cherche son Dieu. Parallèle saisissant entre ces deux hommes et cette femme qui cherchent Dieu et Dieu qui n’a cessé de chercher l’humain. Au creux de cette quête, le tombeau vide nous joue une note toute nouvelle de la symphonie trinitaire. Dans ce creux qui répond au vide du cœur de l’homme, Dieu relance sa première musique, il fait vibrer ses instruments.

Les évangélistes auront, ensuite, plusieurs façons d’évoquer le ressuscité. Ici, cette polyphonie des voies postpascales traduit la réception différente des communautés au fait le plus extraordinaire de Pâques. Au tombeau vide succède une deuxième rumeur. « Il est ressuscité ! » Fait incroyable qui heurte encore notre conscience d’homme moderne. Comment est-ce possible ? Notre raison refuse le message. Elle accepte ou rejette la réalité de la puissance de Dieu. Et de fait, cela n’est plus de l’ordre du raisonnable. La vie après la mort, plus que toute autre affirmation, est l’incroyable de Dieu. On ne peut se résigner à faire le pas du croire sans abandonner toutes les certitudes palpables de la vie. Pourquoi laissera-t-on cours à cette légende, à ce mythe qui n’a plus de prise avec ce que l’on peut palper, sentir ? Cela heurte le cri qui résonne encore à nos oreilles. Pourquoi serait-il vivant alors que Jacques, François, Michel et tant d’autres sont morts ?

Sommes-nous prêts à faire le pas de la foi, à nous abandonner à l’acte de croire que Dieu peut être plus fort que la mort, qu’il peut mettre un terme à cette inéluctable fin qui nous guette et emporte ceux qui nous sont chers ? Pourquoi serait-il ressuscité, alors qu’en dépit de nos cris et de nos prières, l’enfant, le père, la sœur sont partis vers le vide ?

Peut-il y avoir quelque chose après ? Il s’agit bien d’une rumeur… Quelle rumeur ! Au cours normal du temps, Dieu pourrait mettre un terme et dévoiler ainsi qu’il est Autre au monde ? Non. Ce n’est pas sa voix ! Nous l’avons vu à Emmaüs, marcheur à nos côtés, il laisse se répandre une rumeur qui révèle encore une infime partie de l’indicible.

Que dire, face à ces interrogations ? Nous le sentons bien, au-delà de la certitude historique de la mort, la certitude de la résurrection est d’un autre ordre… Et pourtant.

Et pourtant, la rumeur s’est amplifiée, elle a bouleversé Jean, Pierre puis Paul au point de les pousser à une conversion du cœur. Des peureux qu’ils étaient, malgré leur trahison et leurs doutes, ils sont devenus forts d’une certitude. C’est peut-être là que la symphonie trinitaire a réveillé sa musique. Alors que nous avions atteint le silence, que seul le cri d’un homme mourant sur la croix retentissait avant le grand silence, une musique nouvelle est née. Elle emplit le cœur d’une communauté. Des pêcheurs sans instruction, faibles et incroyants a jailli un extraordinaire souffle. Le feu de Dieu résonne dans leur cœur et nous devons reconnaître, à défaut de pouvoir prouver la résurrection, que ce feu jaillit encore, au cœur même d’une communauté d’un milliard d’êtres humains. Certes, ce feu est fragile, il est masqué par les ombres et lumières de notre Église et pourtant, c’est quelque part, dans le sourire ou le geste d’un frère qu’a jailli, en nous, une lueur d’espérance. Si nous ne pouvons avoir foi en la résurrection, nous pouvons encore en sentir le souffle de renouveau qui a ébranlé une petite communauté et qui jaillit maintenant, dans une Église plus grande encore. C’est là où la rumeur apparaît comme force nouvelle.

Elle n’est pas vérité palpable qui nous force à croire. Elle nous invite seulement à la danse de Dieu…

Pédagogie évangélique

Quand on médite sur le passage entre le tombeau vide et la création de l'Église, on ne peut que reconnaître que quelque chose s’est passé. Les Évangiles nous donnent des images balbutiantes et parfois contradictoires des manifestations du ressuscité. Mais ce temps intermédiaire reste de l’ordre de l’indicible. Comment décrire le sentiment d’une présence nouvelle ? Comment raconter ce qui ne peut être croyable ? Il était mort et il est vivant… Ce qui a résulté de ces récits et qui est certitude pour nous, c’est la création de plusieurs communautés qui ont dépassé leur peur et commencé à rayonner d’une espérance.

La force de l’Esprit, déposée au cœur de chacun d’eux, les a conduits à rechercher qui était l’homme Jésus. C’est dans la méditation de sa vie qu’ils ont construit un discours. Chacun des auteurs a tracé un chemin, une pédagogie pour dire l’incroyable nouvelle. Les évangélistes ont parlé de l’homme Jésus, de sa vie et de sa mort. Paul a fait l’économie du récit de la vie et a surtout cherché à interpréter le sens de la mort… Ses textes sont historiquement plus anciens. Nous avons donc là plusieurs approches qui se complètent et cherchent à dire l’incroyable mystère d’un homme que Dieu aurait réveillé des morts.

Face à cela, qu’elle peut être notre chemin, deux mille ans plus tard ? Nous ne pourrons jamais savoir qu’elle a été la vie réelle de Jésus, encore moins sa vie nouvelle. Ce qui demeure, c’est néanmoins une trace et une contemplation. Dans le Jésus terrestre décrit par chacun des Évangiles, à sa manière, se révèle quelque chose de l’homme, de son humanité véritable, mais également de cette proximité particulière entre Jésus et celui qu’il a osé appeler Père. C’est en méditant à notre tour cette histoire que nous pouvons faire nôtre la conversion du cœur qui a conduit ces hommes à croire en la résurrection.


Extrait de mon « Dieu dépouillé », pour critique et discussion

24 décembre 2020

Les noces éternelles ? - danse 21


Il y avait la rencontre à Mambré, la femme stérile qui sourit à l’annonce de sa fécondité...puis toutes ces histoires de puits et de rencontres, d’eau et de noces...

Puis tout s’est transformé en désert 

Les ossements sont desséchés 

La voix du dernier serviteur au Temple s’est tu...

Fin d’un cycle

Hiver..


Nous sommes au samedi saint de Noël, l’heure où la nuit devient épaisse, les étoiles s’éteignent.


La danse de Dieu n’est pas une valse viennoise, elle va de renoncements en renoncements, de fuite en agenouillements...


Comme le suggérait Joseph Moingt à propos du samedi saint, c’est l’heure où il faut écouter les pleurs du monde, visiter les solitudes, être attentifs à la terre qui crie son désespoir...


Dieu viens visiter nos silences...


Et si toutes ces épousailles ne tendaient qu’à une rencontre sublime et discrète, au creux du silence et de nos nuits....


Nouvelles noces, qui chez Luc résonnent avec celles de Cana chez Jean....

A la fiancée qui attend son époux sur une terre désertée Dieu vient comblée la soif...


Demain s’approche la nouvelle alliance...

Nouvelles noces qui se préparent, celle de Dieu en l’homme, celle d’une femme qui ouvre son cœur et prépare son corps à la douleur d’un enfantement difficile, aux noces éternelles et tragiques de l’humain et du divin.


Ici nul artifice, pas d’autres trompettes que celles des anges aux bergers. C’est auprès des rejetés, des bannis que Dieu se met à nu. C’est dans une mangeoire pour animaux impurs, qu’il est déposé le tout petit. Et sa nudité est déjà le signe d’un autre repas, d’une autre nudité, celle d’un corps offert aux coups et aux rejets...


C’est auprès des exclus, des sans abris et des migrants qu’il reviendrait celui que nous espérons dans nos maisons douillettes. 


« Allons-nous tromper nos inquiétudes secrètes et insulter à la gravité du drame contemporain avec ce Noël que nous avons rendu si petit en le farcissant de nos bavardages et de nos mangeailles, au lieu qu’il faudrait nous taire, sortir à la bonne étoile (...) qu’avons nous fait de cette joie pour tout le peuple ? » (1)


Dieu parmi nous, avec nous...?

Que soit béni le tout petit...


Il n’est petit et nu que s’il nous fait retrouver la nudité première. Tombons-nous nos habits de fêtes (Ex 33, 3) pour nous soucier que cette joie soit bien pour tous ? 


Question que je me pose à moi-même car elle ne peut être posée à autrui que dans le silence du cœur. 


Nous sommes pris dans le tourbillon de nos cultures. La danse de Dieu est ailleurs, dans une frugalité et une modération qu’il ne faut pas occulter...


(1) François Cassingena-Trévedy La voix contagieuse, p. 23

31 juillet 2020

Hommage à Joseph Moingt


Pour ne citer que deux ouvrages (et sans évoquer la puissance de réflexion de « l'esprit du christianisme », j'ai trouvé dans les trois tomes de « Dieu qui vient à l'homme » une réflexion riche sur un thème qui m'habitait depuis longtemps, mais qui cherchait des mots. Après avoir passé beaucoup de temps à lire la trilogie de Balthasar, Rahner, Congar et Lubac, j'ai découvert chez J. Moingt une façon bien particulière de rejoindre le monde, il s'agenouillait comme le Christ à genoux
devant Judas et Pierre.

Il n'arrachait pas l'ivraie (comme le rappelle le texte médité plus bas), mais contemplait le travail de Dieu, sa douce pédagogie et la triple kénose... Un dépouillement particulier que j'ai cherché de mon côté à contempler de bien des manières et qui m'a conduit, à sa suite, à oser écrire beaucoup plus maladroitement probablement sur ce thème (1).

Dans « l'Evangile sauvera l'Église » il y a aussi un retour aux sources de notre foi, une contemplation de l'essentiel qui dépasse nos querelles superficielles sur rite, cléricalisme et traditions pour reprendre l'élan originel, la Dynamis du Verbe. Cette liberté particulière de Moingt a construit ma vocation diaconale...

Voir aussi ce bel hommage de C. Theobald : https://www.jesuites.com/deces-du-p-joseph-moingt-sj/

Paru dans La Croix, extrait qui me touche le plus et que je « pratique » à sa suite depuis 20 ans : « Il avait mis en place « des groupes de laïcs fréquentant l’eucharistie mais ayant besoin de se retrouver pour des partages d’évangile ou des relectures de vie », annonçait une « Église en diaspora », fondée sur des chrétiens, certes bien moins nombreux, mais mieux formés et vivant une vie spirituelle et apostolique réelle.

Car, pour Joseph Moingt, ce n’est pas en se focalisant sur l’institution ecclésiale que l’on pourra mener une réforme radicale du catholicisme, mais en revenant à l’Évangile. « Il y a urgence à repenser toute la foi chrétienne pour dire ”Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme” dans le langage d’aujourd’hui et en continuité avec la Tradition », répétait-il en puisant dans son immense culture théologique et biblique pour confirmer que l’Église ne peut s’imaginer un avenir avec des réponses dogmatiques et qu’il faut qu’en son sein des théologiens « fassent du neuf sans être menacés d’excommunication ». En ce qui le concerne, sa plume n’a jamais été motivée par la peur d’une sanction ecclésiale, mais plutôt par le désir d’écrire en accord avec sa foi. Et puis, « à mon âge, on ne risque plus grand-chose ! ».(2)

(1) cf. notamment « À genoux devant l'homme » en téléchargement libre sur Kobo et Fnac.com qui s'inspire bcp de Dieu qui vient à l'homme
Voir aussi les 36 balises sur Moingt dans ce blog
(2) La Croix du 28/7

06 mai 2020

Lectures pastorales - récapitulatif et accès en téléchargement gratuit sur kindle

Texte révisé le 13/4 cf plus bas puis le 15/5

Profitant de mes soirées de confinement et du bouclage d’une première version de Pédagogie Divine qui attend vos commentaires, j’ai remis à jour quatre des 18 tomes de mes lectures pastorales, cette longue série de manducation de la parole sans prétention à la lumière des éclairages des pères de l’Église et de mes lectures diverses, notamment de J. Moingt, Kasper, J. Meier, B.  Sesboué, K. Rahner, C. Theobald ou l’incontournable Hans Urs von Balthasar.
Ces tomes intègrent un certain nombre de redondances mais constituent chaque fois des approches particulières de la Bible. Je rappelle ici l’enchaînement chronologique de mes essais :

  1. A genoux devant l'homme, (Jean) 2012
  2. Chemins de miséricorde, (Luc) 2013
  3. Chemins d'Eglise (actes des apôtres)
  4. Serviteur de l'homme, kénose et diaconie (lettres de Paul) 2014
  5. Sur les pas de Marc, 2015
  6. Sur les pas de Jean, 2015
  7. Chemins croisés (Matthieu), 2015
  8. Chemins d’Évangile (Les 4), 2015
  9. Le chemin du désert (de Gn et Ex à Mat 4 et Jn 21)
  10. Nouveau Testament, tome 3 - autres lettres)
  11. L'humilité de Dieu, tome 11 - Humilité et miséricorde (tome 1)
  12. Décentrement et communion, - Humilité et miséricorde (tome 2)
  13.  Miséricorde, un chemin en Église, - Humilité et miséricorde (tome 3)
  14. Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse, 2016
  15. Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des tomes 10,11 et 19)
  16. Chemins de prière, nouvelle édition - lire l'Ancien Testament, tome 3 (les psaumes)
  17. Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (614 p.)
  18. Le rideau déchiré - nouvelle édition revue de Sur les pas de Marc (extrait du tome 17)

En lisant les tomes 17, 8, 3, 4, 10, 11, 12, 13, 9, 15, 16 vous avez plus ou moins l’intégrale.Mais l’ordre est volontairement non imposé...Vous pouvez aussi commencer par le 5, le 9, le 14 ou le 18 et voir ensuite... 

Je précise  qu’à l’occasion de la parution de Pédagogie divine j’avais rendu 4 tomes de mes lectures pastorales offerts en téléchargement gratuits sur Kindle jusqu’au vendredi saint..(une promotion spéciale d’Amazon, au lieu des 0,99 euro, que je ne peut malheureusement renouveler avant deux mois - limitation imposée par l’éditeur**).
Cela donnait un autre accès à mes livres depuis quelques années publiés à prix coûtant...(*)
Même si je trouve qu’un bon livre se lit surtout sur du papier, l’édition sur Kindle qui respecte les notes est un bon ersatz...

(*) pour des raisons probablement liées à la situation actuelle les versions brochées ne sont plus accessibles via Amazon.fr mais le sont encore via ce lien sous amazon.co.uk
** du coup j’ai mis en ligne gratuitement à genoux devant l’homme et mardi de Pâques la dynamique sacramentelle...Cf. le lien et je continue de mettre en ligne d’autres tomes.
Au 20 avril étaient disponibles gratuitement les numéros 9 et 11 à 16 (cf. plus haut) de la série sur Amazon/Kindle et « cette église que je cherche à aimer »
Depuis le 15 mai, retrouvez les tomes 17 et 8 disponibles gratuitement en un seul volume chez kobo.com et Fnac.com sous le titre « Dieu dépouillé »

11 février 2020

Salut et rédemption - Joseph Moignt

Depuis Pélage, Augustin et Anselme, le concept de rédemption méritait d'être approfondi pour éviter de sombrer dans une vision étriquée du salut qui se focalise trop sur le rachat de nos fautes originelles et ignore l'essentiel : l'amour inconditionnel et immense de Dieu révélé par son Fils. Si Dieu pleure sur nos obstinations, s'il nous conduit malgré tout vers la lumière, c'est que son projet sur l'homme est plus grand que nos petitesses.

Le feu de son amour est la vraie lumière.

22 novembre 2019

création et liberté - 8 - Joseph Moingt

Si l'on considère le récit de la genèse dans son sens spirituel en effaçant toute propension à lui donner une valeur biologique ou historique, on peut concevoir alors que le plan d'un Dieu créateur est plus vaste et plus fécond.

Joseph Moingt en fait un chemin de liberté qui englobe toute l'histoire du salut et lui donne une direction :
"La foi au Dieu créateur ne veut nullement s'imposer comme une explication de l'origine de l'univers, mais seulement exprimer la confiance mise en Dieu pour avoir créé l'humanité dans l'intention de former sa propre famille de tous les hommes qui deviendrait ses fils en se reconnaissant dans l'un d'entre eux, Jésus, dépositaire de l'image de Dieu et révélateur de sa présence parmi nous. Cette foi ne vise donc pas formellement la constitution de l'univers (comme il en est dans la théorie du créationnisme), mais le projet salutaire de Dieu concernant l'homme, projet qui enveloppe sa dignité spécifique, la liberté de chacun d'orienter son destin, l'amour fraternel les uns des autres, (...) Ce projet de la création de l'univers, non sous forme d'un plan d'organisation de toutes choses, mais d'une semence de liberté et d'amour jetée dans l'univers en formation pour que naisse en son sein une créature spirituelle avec qui Dieu pourrait entrer en communication intime, semence que Dieu confiait au monde naissant comme un appel, un souhait, une parole, un logos, l'invitation à naître adressée à un Premier-né destiné à ramener à Dieu toute sa famille humaine" (1), tout cela donne du sens à notre aujourd'hui. Le don de Dieu est appel... Il s'origine dans un don (Gn 1 et 2) et l'appel d'un "où es-tu ?" (Gn 3) qui est plus qu'un cri, une plainte d'un Dieu qui aime sa création et n'a pour but que de le ramener à lui...

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 228


Envoyé de mon iPhone

20 novembre 2019

Au fil de Jean 17 - Danse trinitaire 46

La prière de Jésus postule la même réciprocité d'unité et d'amour entre les disciples qu'entre lui et le Père dans une parfaite réversibilité du présent dans le futur et de l'avenir dans le passé le plus lointain (...) adorer en esprit et en vérité, parce que nous sommes esprit, nous aussi, ayant été faits à sa ressemblance, et nous pouvons vérifier sa présence en Jésus à l'amour que Dieu met entre ceux qui croient en Jésus comme il en est entre Dieu et lui" (1)
Il y a chez Moignt des accents concordants avec ce que je décris souvent comme cette invitation à la danse trinitaire (2) faite à l'homme.

“Puisque la foi en lui nous fait communier à la vie de Dieu qui est en lui, notre résurrection est déjà commencée dans le temps où nous vivons et s’achève en lui en vie éternelle, dans “la communion des saints”, sans interruption dans le temps ni éloignement dans l’espace ; l’intimité réciproque du Père et du fils s’étant à l’union des élus entre et avec Jésus en Dieu, dans la continuité d’une même histoire qui s’éternise sans s’aliéner”(3).

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 215
(2) cf. mon livre éponyme repris dans Sur les pas de Jean
(3) Moingt p. 216

05 novembre 2019

Trinité et économie du salut - Danse trinitaire 45

Peut-on prendre le risque d'ignorer l'économie du salut ? demande en substance Joseph Moingt. "Est-ce que l'amour de Dieu pour les hommes ne serait donc pas constitutif de son éternité, ni son inspiration à être "tout en tout", l'épreuve et la sortie de la mort serait exclu de l'éternité de Jésus, de le devenir homme du Verbe, exclu de l'amour éternel que lui porte le Père, et l'Esprit de Dieu, que nous ne connaissons que par sa venue en nous, serait-il soudain privé de toute raison d'être ? Comment s'étonner que les hommes de notre temps ne soit plus intéressé par la foi en Dieu si la théologie ne peux pas les assurer que Dieu s'intéresse à eux de toute éternité ? Prenons garde, en effet, que la seule nouveauté révélée au monde par la Bonne Nouvelle qu'est l'Évangile, c'est que Dieu nous aime : « Nous », pas seulement le peuple de Dieu que le judaïsme avait conscience d'être, puis que le christianisme a prétendu être rénové en lui, mais tous les hommes, juste et pécheurs, croyants et incroyants, à l'exemple de tous les gens si divers que Jésus entraînait à sa suite ou appelait à le suivre". (1)

Dieu serait-il incapable de nous communiquer sa vérité parce que sa toute-puissance serait impuissante à sortir de soi ? Dieu est-il un mouvement immobile ?
Les contraintes de la philosophie ne peuvent enserrer le mystère de la Révélation. La dimension immanente ne se révèle pour moi que parce que Christ nous conduit au Père dans et par son humanité.
Tout schéma qui n'intègre pas cela risque de rester une vision détachée du coeur de l'Evangile. Dieu n'est pas impassible. Depuis Exode 3 ou Osée nous savons qu'il pleure, à sa manière sur l'homme, que ses entrailles maternelles sont bouleversées par le mal et que la mort du Fils est le dernier ou le premier cri d'un Dieu crucifié.

Le Dieu impassible est un dieu stérilisé (ou cléricalisé). Il n'est pas le Dieu qui s'agenouille devant Judas.

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 156sq

22 octobre 2019

Retour à la kénose du Père - Joseph Moingt

je suis heureux de retrouver chez Moingt cette insistance discrète sur la kénose du Père. En rappelant notamment Barth, mais sans pour autant citer Moltmann, il rappelle l'importance de « parler de l'humanité de Dieu, conscient (...) que le Père ne peut pas être tenu à l'écart de l'humanité du Fils puisqu'elle a pour cause la volonté du Père de faire de nous ses enfants »(1)

À creuser dans la dynamique même de cette danse trinitaire que je retrouve dans cette icône découverte à Issoudun et que je trouve admirable



(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 140

12 octobre 2019

La tradition apostolique ? - Hyppolite de Rome - Pouvoir et religion

« Ordination et office cultuel, canons liturgiques (...) Tout cela remontrait à un petit livre écrit vers 215 par Hipolyte, evêque de Rome (...)  un livre qui ne tarda pas à faire loi en tout lieu, sans doute à cause de son titre, La tradition apostolique. Titre trompeur en ce sens que rien de ce qu'il prône n'était pratiqué ni imposé du temps des apôtres (...) ni de leurs successeurs immédiats ni même plus lointains (...) nom mensonger toutefois parce que les réformes qu'il préconise ont été acceptées partout sans contestation sous l'impulsion et l'autorité de la foi des apôtres victorieuse de la gnose et des troubles qu'elle avait engendrés. Il est beaucoup plus hasardeux de faire remonter cette institution religieuse à Jésus lui-même, qui attendait la venue imminente du Royaume de Dieu dont il rassemblait déjà les élus (Mt 16,18), sans jamais avoir laissé entendre qu'il préparait une religion nouvelle destinée à supplanter le judaïsme et à durer jusqu'à la fin des temps. (1)

Et si le cléricalisme était le fruit d'une tentation de pouvoir, loin du message évangélique originaire et auto-entretenu par ceux qui s'y retrouvent.. Depuis que je suis clerc, moi-même, je me méfie de cette tentation inhérente à ma fonction qui me fait chercher une autorité qui serait personnelle et non « donnée » comme tout charisme.
À méditer en ces temps de crise de l'Église.

« Le monde est rempli de prêtres, mais on rencontre rarement un ouvrier dans la moisson de Dieu ; nous acceptons bien la fonction sacerdotale, mais nous ne faisons pas le travail de cette fonction. »(2)

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 114
(2) Saint Grégoire le Grand, Homélie sur l’évangile, source office des lectures du 12/10/19 Aelf

05 octobre 2019

Homélie du samedi 5 octobre - Luc 10 - Fils de Dieu

« Père, Seigneur du ciel et de la terre,
je proclame ta louange :
ce que tu as caché aux sages et aux savants,
tu l'as révélé aux tout-petits.
Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bienveillance.
    Tout m'a été remis par mon Père.
Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ;
et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils
et celui à qui le Fils veut le révéler. » Luc 10, 21-23 AELF

Prenons nous conscience du mystère ?
La révélation de ce lien particulier entre le Père et le Fils, n'est pas, comme le souligne si bien Joseph Moingt (1) une phrase pouvant être tirée d'une réflexion post pascale de Jean, mais probablement une phrase très ancienne, tirée des premiers « logia », ces fragments qui ont servis à la constitution des trois premiers évangiles dits synoptiques. Il y a des chances qu'elle ait été prononcée par Jésus lui même.

Ici les apôtres sont, comme la plupart d'entre nous, des petits, à qui le grand mystère de l'amour divin a été révélé. Le Christ est le FILS, c'est-à-dire qu'il est, au delà de son humanité le chemin unique pour nous conduire au Père. Quand nous oublions de voir l'étendue de notre faiblesse, quand nous croyons être sage et savant par nous-mêmes, il nous faut prendre le temps de revenir à l'essentiel, à l'essence même de notre foi : la contemplation du mystère de la Croix, cet effacement mystérieux de l'homme Dieu qui révèle notre violence, nos désirs de pouvoir et nous conduit à l'amour. Ici seulement, comme le suggère Marc 15, le voile se déchire de haut en bas...:

«Le rideau suspendu dans le temple se déchira en deux depuis le haut jusqu'en bas. Le capitaine romain, qui se tenait en face de Jésus, vit comment il était mort et il dit: «Cet homme était vraiment Fils de Dieu!» Marc‬ ‭15:38-39‬ ‭BFC‬‬



L'homme veut prendre le pouvoir sur la vie et la mort, il se croit sage et puissant. Il oublie que la vie est un don. Don de Dieu, dont du Père. Méditons cela ce week-end, dans le silence et la prière.
(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 102

24 septembre 2019

Création et réconciliation - 6

Dans la mort et la résurrection du Christ nous pouvons devenir créature nouvelle. En renonçant à ce qui nous attache à l’égoïsme, à la division, au mal nous devenons participants de la dynamique divine, de sa danse...

«De ce qui était divisé, le Christ a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de la séparation : la haine »(1)

En renonçant à la haine nous entrons dans l'amour...

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 90

10 juillet 2019

Autoritarisme, cléricalisme (5) et crise de l’Église - Joseph Moingt

Je poursuis ma lecture...

L'analyse que fait J. Moingt de notre Église est sans concession. Elle part d'une longue interrogation sur l'autorité que j'ose retranscrire presque entièrement : 
« Le relâchement du sentiment religieux qui s'était accru depuis deux siècles sous la pression du laïcisme, de la sécularisation et de la philosophie athée, [s'est] répercuté partout où l'esprit du christianisme avait imprimé ses traces, pour les effacer de la société.

Les structures d'autorité de l'Église (…) furent évidemment les premières victimes de ce raz-de-marée : de nombreux prêtres quittèrent leur ministère, des religieux et religieuses abandonnèrent leurs couvents (...) et les communautés paroissiales perdirent également un grand nombre de fidèles, qui ne supportaient plus d'être tenus en tutelle par leurs curés. (...) Il faut donc admettre que la perte de la foi venait principalement du dedans de l'église, d'un refus croissant du discours d'autorité le plus souvent employé par le clergé pour l'imposer au nom de l'obéissance (...) au lieu d'encourager une démarche de foi et de confiance dans la bonté de Dieu. Cela signifie que l'Église enseignait plus volontiers le dieu de la Loi (...) que celui de Jésus, afin de soutenir sa propre autorité (...) de mandatrice de Dieu chargée par lui de répandre  la foi en Jésus son fils. (...) Ce langage était vide de sens pour des esprits désormais formés dans un climat de rationalité critique et de libre examen. (1) 

En suit une considération des faits similaires qui ont conduit à la perte des jeunes, des femmes et des laïcs engagés (Rejets des ADAP) au profit d'une structure encore très cléricale faite de prêtres et de diacres tenant l'autorité(2) au dépit d'un travail plus pragmatique qui redonnerait aux laïcs une véritable mission de co responsabilité. Tout risque de demeurer dans cette illusion que seuls ceux qui sont formés et ordonnés sont les tenants de la foi au lieu d'avoir un véritable sensum fidei, un peuple de Dieu auto-éduqué accompagné et éveillé par une maïeutique véritable...
Quel est l'enjeu ? Une véritable kénose ? L'auteur de « l'Evangile sauvera l'Église » avance en tout cas ses arguments.

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p.43
(2) p.44-47 

14 juin 2019

Solitude périphérique, effacement et espérance - 5


Nous arrivons à la confluence entre deux sujets déjà développés dans ces pages entre les questions de périphérie et d'effacement. Comme souligne Christoph Theobald (1) en citant Lumen Gentium : « dans ces communautés, même si souvent elles sont petites et pauvres ou vivent la dispersion, est présent le Christ, par la vertu duquel s'assemble l'Église une, sainte et apostolique». LG26.

Même si la dimension cléricale et institutionnelle de l'église est amenée à baisser, voire disparaître (peut-on rêver ?) c'est peut-être là, dans ses périphéries humbles et parfois effacées que le Christ peut rester vivant, rayonner et redonner à l'Église sa fonction et dynamique sacramentelle(2), première et en cela véritablement évangélique. 

L'enjeu est de reconstruire sur l'essentiel : la communauté de base, vivant autant que possible l'Evangile au quotidien loin des positions souvent pharisiennes d'une institution qui en ne cessant de se cléricaliser n'ont cessé de tuer l'esprit du christianisme tel que cherche à le décrire J. Moingt dans son livre éponyme (cf. par ailleurs - ou sa thèse plus ancienne in L'Évangile sauvera l'Église).
Est-ce accessible? Pas humainement mais par le travail de l'Esprit dans les cœurs, en s'effaçant encore plus devant la volonté du Père, kénose de l'Église qui entre en résonance avec la kénose trinitaire. Un chemin ardu mais source de la réelle évangélisation, celle qui agit dans l'intérieur de l'homme.

"L'unité du genre humain ne [passera pas] par la construction d'une civilisation mondiale, elle viendrait, ici et maintenant, dans la plus humble des rencontres... (...) l'Église naît où la foi s'engendre (...) capacité d'un être à faire crédit à la vie, à rester debout", engendrement fragile à l'image de cette naissance évoquée plus haut. (3)




(1) Christoph Théobald, Paroles humaines, parole de Dieu, Salvator, 2015, p. 71
(2) cf. mon livre éponyme 
(3) Christoph Théobald, ibid. p. 73

10 juin 2019

Effacement 2 - Joseph Moingt

Nouvelles correspondances entre ces lectures de Christoph Théobald et de Moingt : « nous devons revenir à l'Évangile de Jésus pour désaliéner l'annonce du salut et comprendre qu'elle enjoint aux chrétiens de partager les espoirs temporels de tout leurs frères humains et de prendre en charge avec eux l'avenir sur terre de l'humanité. La mission n'est pas d'attirer le monde, elle est d'aller à lui ». (1)

Quelle est l'enjeu de cet effacement ?
Ne pas se positionner en maître mais bien, comme le dit Christoph Théobald, écouter, entendre le bruit du monde, s'effacer devant la rumeur, la rejoindre, souffrir à ses côtés, car telle est la voie de notre Seigneur...

Une pastorale de l’enfouissement ou de l’engendrement ? Les termes doivent irriter certains. Et pourtant, dans une ère post-cléricale, c’est un serpent de mer qui ressurgit, peut-être parce qu’il est proche de la pastorale même de Jésus sur les chemins d’Emmaüs...

Personnellement il me ravit... On pourra relire sur ce point les propos de Rondet...

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 28

06 juin 2019

Paroles humaines, parole de Dieu - 2 - Joseph Moingt - Esprit du christianisme

Surprenante correspondance dans mes lectures aujourd'hui entre Joseph Moingt et Christoph Théobald.
Mais est-ce un vrai hasard ? où le résultat d'une quête ?

« La révélation n'est pas une parole soudain tombé du ciel dans l'oreille d'un prophète ou d'un scribe inspiré, cela, c'est le mythe qui enveloppe toute religion ; non, elle est réminiscence et dévoilement d'une vérité depuis toujours déposée par Dieu dans l'esprit des hommes, car il est à la recherche de tout le temps mais ils apprennent à leur recherche de tout temps mais ils apprennent à le chercher dans le déploiement infini des temps. (1)

(1) Joseph Moingt, L'esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, p. 23

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21 septembre 2017

Urgences pastorales de Christoph Théobald

Saluons ici la belle recension d'Élodie Maurot dans la Croix d'aujourd'hui qui m'invite à courir acheter le nouveau livre de Théobald(1).
J'y trouve déjà les thèmes que je ne cesse de travailler dans mes livres (la "pastorale du seuil", la "dynamique sacramentelle" ou "quel espérance pour l'homme souffrant ?").
On y verra aussi peut être des réponses aux questions soulevées par la lecture du dernier livre d'Alphonse Borras (cf. plus haut) ou les thèmes développés par Joseph Moingt dans L'Evangile sauvera l'Église.
Gageons que le défenseur de la pastorale d'engendrement va nous conduire un pas plus loin. À bientôt sur ce blog pour en commenter les meilleures pages.

(1) Urgences pastorales de Christoph Theobald, Bayard, 540 p., 19,90 €

31 mai 2017

Précarité pastorale

L'analyse d'Alphonse Borras dont je viens d'achever la lecture(1) n'est pas d'un optimisme béat.  Il rejoint malheureusement mes propres observations sur le terrain et notamment dans deux des trois diocèses que je fréquente.  La raréfaction des prêtres comme des fidèles soulève des enjeux que l'on ne peut ignorer.  Les solutions proposées par Borras,  du 517.2 à l'utilisation de prêtres étrangers n'adressent pas le fond du problème, celui de la remise en route de la dynamique sacramentelle propre et commune des baptisés. 
Borras repousse le sacerdoce féminin, n'exclut pas la question du diaconat féminin et prône l'utilisation parcimonieuse et raisonnable des viri probati,
Mon expérience pousserait plus dans les directions de fond proposée par Moingt(2) ou Théobald(3),  celle d'une nouvelle évangélisation des fidèles qui met plus l'insistance sur l'évangile que le rite. Cela demande d'adresser le coeur du problème : mon expérience propre est que l'évangile n'est plus au coeur de la foi. Remettre le Christ au centre, par la lecture pastorale et commune des évangiles en maison d'Evangile comme nous tentons de le faire(5) ne porte plus sur des questions de présidence qui semble obséder Borras, mais sur l'inhabitation de l'homme en Christo qui conditionne tout le reste. Les travaux de la nouvelle école d'évangélisation de Versailles va probablement aussi dans ce sens(4). Elle ne vise pas la conversion des autres mais notre propre rapport au Christ.  Alors la question du pouvoir n'est plus, car nous n'agissons plus. C'est Christ qui agit malgré nous.
A discuter.

(1) Quand les prêtres viennent à manquer,  op. Cit.
(2) cf. L'Évangile sauvera l'Église (voir mes notes sur le tag Joseph Moingt).
(3) cf. ses analyses sur la Pastorale d'engendrement
(4) hommage discret à ma petite soeur....
(5) en lien avec les recherches du diocèse d'Arras. Voir aussi mes travaux sur ce thème.