29 décembre 2016

L'Église au XVIème siècle

"La situation religieuse en Europe à la veille de la Réforme protestante (...) est en fait plus complexe, à un degré qui ne permet pas les raccourcis sommaires et qui remet en question les stéréotypes toujours dominants dans les médias populaires" (1)

O'Malley évoque ainsi une réforme spontanée du clergé, surtout dans les ordres religieux.

Si je résume c'est un peu comme dire que l'église actuelle se résume aux crimes et abus de certains. La tentation de l'amalgame ignore le travail de l'Esprit dans le Corps...

Sommes-nous des pécheurs pardonnés ?

La sainteté de l'Eglise est-elle un but à atteindre ici-bas...?

La coexistence entre une Église sainte et pécheresse reste une tension. Affirmer le contraire serait présomptueux, ce que l'on ne peut plus se permettre.

(1) O'Malley, Le concile de Trente ibid. p. 57

Langue vernaculaire 2 - Concile de Trente

Une première contre-vérité démantelée à la lecture des travaux d'0'Malley : "La messe devrait être célébrée uniquement dans la langue vernaculaire". En d'autres termes, selon le concile de Trente, "le latin était légitime mais pas obligatoire" précise l'historien (1).
On est loin de l'image tridentine colportée près de 500 ans plus tard.

Affaire à suivre.

(1) John W. O'Malley, Le concile de Trente, Ce qui s'est vraiment passé, Bruxelles, Lessius, 2013, p. 33

Souffrance - Saint Bernard

"N'interroge pas ce que tu souffres, toi, mais ce qu'il a souffert, lui. À ce qu'il est devenu pour toi, reconnais ta valeur à ses yeux, afin que sa bonté t'apparaisse à partir de son humanité. En effet, l'abaissement qu'il accomplit dans son humanité a été la grandeur même de sa bonté, et plus il s'est rendu méprisable en ma faveur, plus il me devient cher." (1)

A méditer

(1) Saint Bernard,  Homélie sur l'épiphanie

28 décembre 2016

Anima ecclesiastica

Dante a cultivé ce qu'Hans Urs von Balthasar appelle à la suite d'Origène et jusque dans les commentaires médiévaux du Cantique des Cantiques l'anima ecclesiastica, cette "âme dont l'expérience et la sensibilité, la pensée et le vouloir, se sont dilatés jusqu'à l'universalité de la Sponsa Christi, l'épouse de l'Agneau, la Jérusalem céleste, jusqu'à la communauté de tous les saints et de tous ceux qui aiment". (1)

On a là une description presque poétique de la Koinonia paulinienne, cette unité à construire en dépit de la nécessaire diversité décrite par lui en 1 Co 12, 14.

Une unité en Christ à construire.

À méditer.

(1) GC2 p. 365

Contempler la grâce - Dante

"Ouvrez vos yeux et regardez : car avant que vous fussiez elle vous aima, préparant et ordonnant votre venue". (1)

On peut contempler en écho cette phrase de Dante sur la grâce et l'idée de prédestination chez Paul (cf notamment Eph. 1, 7), non au sens d'une perte de liberté mais dans celui du rêve de Dieu pour nous. Car s'il ne veut agir contre notre liberté, on peut penser qu'il rêve sans cesse de nous voir prendre le chemin de vie qu'il trace devant nos pas.

Certes les souffrants auront du mal à entendre cela. C'est ignorer que Dieu souffre à nos côtés ou prépare pour nous le creuset d'une tendresse qui nous permettra dans ce temps ou dans l'autre de comprendre l'inacceptable.

(1) Dante, Conv. 3, 15, (Le Banquet) cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 359

24 décembre 2016

Silo, berger de Palestine - extrait 1

 Extrait du conte interactif Silo le berger

"1. Silo et le vieil homme

Notre histoire commence il y a plus de deux mille ans, sous le règne du grand César Auguste, alors que Quirinius gouvernait la Syrie et le roi Hérode la Palestine. Quelque part, dans les montagnes de Juda, tu es là, petit homme de Palestine. Tu t'appelles Silo, tu es berger.
Enfin, c'est plutôt ton père qui est berger. Toi tu n'es qu'un petit pâtre, en charge d'une dizaine de brebis du troupeau. Comme dans ton pays, l'herbe et l'eau se font rares, il te faut les conduire vers des pâturages d'herbe fraîche et veiller à ce qu'elles puissent boire, en quantité suffisante. C'est un travail souvent épuisant, parce que le soleil tape fort dans ton pays et les cailloux dans les montagnes sont acérés.
Tu as les cheveux tout roux. Ta mère, parfois, t’appelle le petit David, du nom de ce roi d’Israël qui a tant marqué le peuple juif. Parfois, ce surnom te fait rêver et tu t’imagines roi de Palestine.
En ce jour d’été, tu as décidé de grimper sur la crête, pour voir l’étendue de ton royaume imaginaire. Depuis ton observatoire, tu aperçois au loin, les grandes montagnes de Judée, usées par le soleil et le vent. Au nord, dans la brume d’été, tu aperçois Jérusalem. Soudain, à ta gauche, un couple de jeunes bouquetins de Nubie apparaît. Tu les connais bien, ces grandes chèvres sauvages aux cornes acérées. Tu aimes leurs lignes gracieuses et souvent, tu guettes leurs apparitions le soir sur la crête ou près des ruisseaux.
Un cri rauque attire ton regard. C’est un faucon. Profitant de la brise légère, il se laisse porter vers les hauteurs. Par de brefs coups d’aile, il se maintient en dessus d’un point que tu cherches à deviner. Est-ce un petit rongeur, une vipère du désert ? Soudain, il plonge et tu le vois disparaître, derrière la colline. Comme le jeune David, tu t’amuses alors avec ta fronde, cherchant à atteindre, la grosse pierre, à plus de trente mètres devant toi. Tu n’as pas la dextérité légendaire du jeune roi et tu te lasses de ce jeu.
D’un coup d’œil, tu surveilles la course de l’astre de feu et, plus bas, ton petit troupeau. Tes brebis se sont regroupées à l’ombre d’un vieux sycomore et ne broutent plus. Tu décides qu’il est temps de leur donner à boire. En quelques grandes enjambées, tu les rejoins et, d’un petit sifflement, tu les appelles. Les voilà qui te suivent, sur le petit chemin qui conduit au puits. Là, tu lances le seau et remontes, une à une, de grandes lampées d’eau fraîche que tu déverses dans la longue vasque en pierre qu’elles entourent déjà. Au bout de dix seaux, épuisé, tu t’es assis sur la margelle d’un puits. Tu viens de tirer sur la corde de chanvre. C’est alors qu’au loin apparaît un vieil homme. Il marche doucement, appuyé sur sa canne. Il semble, lui aussi, terrassé par la chaleur.
Il s’approche. Il est là.
- Bonjour petit, tu peux me tirer de l’eau. Mes mains sont usées et le puits est profond.
Tu hésites. Tu ne connais pas l’homme. Il est habillé comme un prêtre, mais sa tunique est rapiécée. Pourtant tu te lèves, un peu malgré toi. Toi non plus, tu n’es pas riche. Et tes sandales sont usées par ces courses sans fin derrière le troupeau.
Tu lâches le seau. Il arrive au fond du puits et tu tires sur le bout de chanvre, pour qu’il se redresse et se remplisse à moitié. Et puis tu le hisses, à nouveau. Tes mains calleuses sentent les nœuds de la corde. La sueur coule sur ton front. D’un œil, tu surveilles tes brebis, qui boivent lentement. Bientôt le seau apparaît, tout près. Tu le soulèves dans un dernier effort et le présentes à l’homme.
- Comment t’appelles-tu, petit ?
- Silo, fils de Bénabath.
- C’est ton troupeau ?
- Oui, enfin, une partie. Mon père est là-haut, sur la crête.
L’homme te regarde, te dévisage. Il a une bonne tête, le regard qui pétille, au milieu de ses rides. Il ne dit rien. Puis soudain, il se met à parler.
- Je m’appelle Zacharie, dit-il, de la tribu d’Aaron. Je vais à Jérusalem, au Temple.
Tu ne réponds rien. Son regard t’intimide.
- Je vais prier le Dieu de nos pères, lui demander de nous envoyer le Messie.
- Le Messie, demandes-tu ?
- Oui, le sauveur de notre peuple. Celui que l’on attend.
Tu restes en silence. Il te parle encore un moment, assis sur la margelle. Tu l’écoutes, tout en surveillant tes brebis. Elles semblent ragaillardies. L’homme se lève, sourit et reprend sa route. Tu rejoins ton troupeau. Le soir, tu retrouves les tiens dans le campement itinérant, installé par ta mère, Judith, et tes deux grandes sœurs, Esther et Rebecca. Le petit Tobie est là, lui aussi, dans les bras de ta sœur aînée. Il n’a que six mois, mais déjà il pousse sur ses jambes et te tend les bras. Tu l’attrapes, le fais sauter en l’air, par trois reprises. Il rit de bon cœur.
Quand le soleil s’approche des collines, tu t’empresses d’y pousser tes brebis. Quand tout va bien, l’ensemble du troupeau est réuni par Félix et Nestor les deux chiens de ton père. Tu aides à la traite, puis tu retrouves ton frère et tes sœurs, au coin du feu. Là, tu manges en silence, les yeux tournés vers le ciel qui chaque nuit s'emplit d'étoiles. Ta vie est toute simple. Pourtant, la phrase du vieux Zacharie te taraude. Un Messie ? Est-ce possible ?"


Pour en savoir plus : voir post précédent....

22 décembre 2016

Dieu Trinité - Emmanuel Durand

J'ai beaucoup cité cet auteur dans mes travaux de recherche sur la danse trinitaire repris dans l'Amphore et le fleuve et Kénose et miséricorde.
Gageons que son nouveau livre(1) vaut le détour.
J'aime déjà sa conclusion citée dans la Croix du 22/12 : "il faut avant tout croire, espérer, aimer, célébrer, agir et… se taire."

(1) Emmanuel Durand, Dieu Trinité. Communion et transformation, Paris, Cerf, 2016.

21 décembre 2016

Bach, échelle de larmes

"Bach, échelle de larmes sur lesquelles gravissent nos désirs de Dieu". Emil Cioran (1)
À méditer

(1) Un aphorisme cité par Bruno de Cessole lors d'une conférence aux Bernardins de novembre 2016

20 décembre 2016

Le phénomène érotique - Dante

J'emprunte à Jean-Luc Marion le titre de son livre pour décrire ce que Hans Urs von Balthasar nous dit de Dante. Par l'éros de Béatrice et la notion du voile et du dévoilement, il nous prépare en effet à cette révélation du divin qui culminera dans sa Divine Comédie : "la force de persuasion de la belle femme qui nous séduit en vue du mieux et qui voile et dévoile ses charmes, mais les voile en permettant de les dévoiler" est pour Hans Urs von Balthasar le prélude chez Dante de ce "désir éternel" vu comme contradiction, impossibilité et même éthiquement une abomination.
Cependant,  ajoute-il plus loin, l'éros nous purifie ainsi en nous rappelant l'humilité, (...) il nous entraîne toujours plus haut, jusqu'à cette figure ultime que Dante nous dévoilera dans la rose céleste (1).

Il y a donc là une dynamique qui n'est autre que celle de l'incarnation.  En rejoignant l'homme jusque dans ses tensions charnelles, en les purifiant jusqu'à comprendre leurs limites,   Dieu nous conduit à sa danse (un autre concept qui nous vient aussi de Dante).

(1) GC2 p. 359

18 décembre 2016

Moise et la captation de Dieu

Intéressant commentaire de Hans Urs von Balthasar sur Exode 19 à 34 qui rejoint mes travaux sur "Dieu n'est pas violent"(1) Les couches rédactionnelles de ces passages suggèrent des ajouts successifs, à partir d'une histoire originale où "le pasteur Moïse était conduit à la montagne de Dieu" (2), il y recevait l'ordre d'amener le peuple, puis congédié, il réclame plus...(3)
Ce que je commente dans mon livre à la suite de certains exégètes sur le quiproquo d'Exode 33, aboutit finalement, à la lecture de Hans Urs von Balthasar, à une question : Comment peut-on parler de Dieu ? Tout cela n'est-il pas une mise en exergue de nos propres désirs de mettre Dieu en bouteille, c'est-à-dire de le faire entrer dans nos cases, comme le judaïsme a pu le faire jusqu'au déchirement du voile de Marc 15,38 et ce que nous ne cessons de faire à notre tour. Comment peut-on parler de Dieu ? Lui seul est maître de sa révélation. Et tous nos propos ne peuvent être que de la théologie négative : Dieu n'est pas....
Seul le Fils et l’Esprit dévoilent le Père...
À méditer
(1) Lectures pastorales, tome 8
(2) La Gloire et La Croix, Théologie, Ancienne Alliance, p. 46
(3) ibid.

14 décembre 2016

Les profondeurs de la souffrance du Fils - Saint Jean de la Croix

"Il est impossible de parvenir à la profondeur de la sagesse et des richesses de Dieu sans pénétrer dans la profondeur de la souffrance de mille manières, l’âme y mettant sa joie et ses désirs (afin de comprendre avec tous les saints quelle en est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur) ! L’âme qui désire vraiment la sagesse désire aussi vraiment entrer plus avant dans les profondeurs de la Croix qui est le chemin de la vie ; mais peu y entrent. Tous veulent entrer dans les profondeurs de la sagesse, des richesses et des délices de Dieu, mais peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient être déjà parvenus au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit." (1)
À méditer...

(1) Saint Jean de la Croix,  Cantique spirituel, source AELF

13 décembre 2016

Silo le berger, un conte de Noël

Comment aider nos jeunes enfants à découvrir et à goûter l'Écriture ? Écrit pour mon jeune filleul, Silo le berger est une histoire interactive, inspirée du tome 1 de mes lectures pastorales : "Chemins de misericorde".
Il nous conduit, par les yeux d'un petit berger, devenu pêcheur en Gallilée, de Zacharie à la résurrection. Le livre, qui suit fidèlement l'évangile de Luc dans la version Crampon vient de paraître en édition brochée couleur à prix coûtant. Il est également disponible en version Kindle à prix mini. (0,99 €)
Les 16 premiers chapitres (un conte de Noël) peuvent être lus à partir de 7 ou 8 ans. L'ensemble vise plutôt 10 ans et plus.
Il est illustré de photos de Palestine.

08 décembre 2016

Langue vernaculaire

Poursuite de la lecture de la Gloire et La Croix tome 2 (GC2) de Hans Urs von Balthasar qui nous conduit sur les pas de Dante. Il y a, je trouve, dans le choix d'écrire en italien le même mouvement qui a emballé l'après Vatican II : une kénose véritable qui cherche à rejoindre l'homme jusque dans sa langue. Après tout, comme le note John P. Meier, Jesus appelait son Père Papa... La proximité est celle de l'amour vrai et nos ornements liturgiques, dont je ne nie pas l'esthétique et l'universalité oublie ce principe de proximité...

07 décembre 2016

L'apostolat de la bonté - Charles de Foucauld

"Charles de Foucauld a compris très vite qu'il n'avait pas à « proclamer » l'Évangile sur les toits, mais plutôt à vivre ce qu'il appelait « l'apostolat de la bonté » en le faisant rayonner par toute sa vie."(1)

A contempler

(1) Mgr Claude Rault Évêque de Ghardaïa (Algérie), La Croix du 4 décembre 2016

05 décembre 2016

Le flair du laïc - PF2

Plutôt que favoriser la construction d'une élite de laïcs, le pape poursuit en incitant à véritablement soutenir "et accompagner un baptisé dans sa vie de tous les jours". Leur rôle n'est pas de "servir les prêtres" mais bien de "poursuivre la lutte quotidienne pour vivre sa foi".(1)

Quel est l'enjeu ? Ne pas se focaliser sur la Vie sacramentelle mais bien au contraire transformer la vie entière en sacrement, aider le peuple de Dieu à vivre, habiter l'espace public. Le berger ne doit pas "dicter" ce que le peuple doit faire, il "le sait mieux que lui", mais il doit le soutenir et "l'accompagner" (2)

(1) Pape François, LME, op. Cit. p. 20
(2) p. 21

03 décembre 2016

Rite et Passion

Un autre point où je rejoins véritablement Bonaventure c'est bien dans cette phrase :"Toute la pompe des cérémonies ne représentent rien d'autre que la Passion du Christ ; pendant la messe, il n'y a rien de plus important que de penser à la mort du Christ"(1). Pour lui il s'agit de célébrer ce moment d'amour entre le Dieu qui s'est fait pauvre et l'homme qui s'est fait pauvre.

J'ajouterai que contempler l'hostie sans penser au don de son Corps, c'est mal comprendre le sens même du sacrement.

(1) Bonaventure, praep. ad. Miss., 10 (VIII, 103a) cité in GC2 p. 319

02 décembre 2016

La tentation cléricale - Pape François

Suite à une conférence donnée par Guzman Carriquiry à l'institut catholique, je découvre avec bonheur cette lettre apostolique du pape François au cardinal Marc Ouellet du 19 mars 2016, où le pape commence, dans la lignée d'Evangelium Nuntiandi de Paul VI à nous alerter sur la "mémoire et le flair" (1) du peuple de Dieu qu'un cléricalisme exacerbé priverait de considérer au nom d'un mépris pour la piété populaire.
"La foi de notre peuple (...) manifeste une présence authentique de l'Esprit" (2)

(1) pape François, Les laïcs, messagers de l'Evangile - lettre apostolique du pape François au cardinal Marc Ouellet du 19 mars 201, Paris, Salvator, 2106 (ci-après LME).
(2) ibid.

01 décembre 2016

Humilité et pauvreté chez Bonaventure

Les stigmates de François donnent en eux-mêmes une "force d'expression au langage de la Croix". Le double mystère de l'humilité et de la pauvreté du Christ lui-même conduit à considérer que devenir pauvre par amour, c'est faire place nette pour que les rayons descendants de l'amour de Dieu, en tant que beauté ne rencontrent pas d'obstacle"(1).

Ce "baiser nuptial" de Dieu en Croix est mouvement descendant et sponsal...

(1) Bonaventure, cité par Hans Urs von Balthasar, in La Gloire et la Croix, tome 2 (GC2) p. 318-9

30 novembre 2016

Humilité de Dieu chez Bonaventure

"Le Père a tout dans son Fils". Il s'y exprime en descendant dans le néant. C'est là l'humilité de Dieu, sa condescensio(1) que le mot condescendance traduit mal, puisqu'elle exprime littéralement une "descente avec". "Le Dieu éternel s'incline humblement (humiliter se inclinans)". Le plus profond de Dieu se révèle dans la Croix, clef de tout (omnia in cruce manifestantur), non seulement le péché, non seulement l'homme, mais Dieu lui-même.
Cette "sortie dans le néant" fait que son apparition devient son obscurité et se dépouille de sa beauté native. Christus deformis, le bien-aimé est dépouillé, mais sa laideur extérieure conserve en même temps intérieurement la beauté (...) puisque en lui habite toute la plénitude de la divinité" (2).

On pourrait suivre là Philippiens 2 et évoquer le relèvement, mais Hans Urs von Balthasar s'interroge sur la perception de la déréliction chez Bonaventure (sujet sur lequel il reviendra dans sa Dramatique) et nous conduit sur le cœur ouvert, la blessure visible qui rend visible l'invisible de l'âme (3)

(1) Bonaventure notamment dans Brevil. 4,1 (V , 241b), cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 315
(2) p. 317
(3) p. 318

29 novembre 2016

Beauté et gratuité

Revenons au tome 2. "En toute offre de beauté, il y a un facteur de gratuité, de liberté et de désintéressement (...) trace et reflet de la beauté trinitaire qui, en se donnant elle-même, ne doit rien à personne"(1). Cette manifestation objective de la bonté est en effet ce qui nous renvoie à notre excursus dans le tome 6. La beauté véritable est dans la bonté qui révèle, plus que tout agir, le don de Dieu qui se donne et s'efface.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 312

28 novembre 2016

Beauté et bonté chez Platon

La beauté est chez les Grecs un concept plus vaste et plus complexe que le sens commun dans le langage français. Le terme kalon se traduit,  nous dit Hans Urs von Balthasar, autant par beau que par juste convenable, bon, adapté à l'être... (1) jusqu'à atteindre une dimension transcendantale, qui nous échappe. De même le rapport entre bonté et beauté peut s'approcher :
"Tout ce qui est bon (agathon) est beau (kalon) et la beauté n'est pas sans mesure intérieure(2)".
Cette notion de mesure, qui inspirera le livre de la Sagesse puis saint Augustin nécessite une bataille contre le principe de plaisir, qui va être, selon Balthasar, le grand combat de Platon. L'enjeu est d'inverser le principe subjectif du plaisir (édonisme) pour caractériser objectivement la beauté sur une autre échelle, non plus celle de l'extérieur mais de l'agir. Est beau ce qui rayonne et transpire de bonté. Sur cette dimension objective le Christ peut alors être placé en haut alors qu'à l'inverse nos beautés apparentes se fanent à la mesure de nos hypocrisies.
Mais Hans Urs von Balthasar note une autre difficulté, celle du plaisir procuré par sa propre bonté, sa rectitude qui procure une certaine béatitude(3) et donc peu être source d'orgueil.
Là se comprend que les grands saints restent éprouvés jusqu'au bout. Car cette épreuve qui est aussi celle du Christ est la condition pour ne pas considérer que la bonté vient de l'homme mais bien de Dieu. Elle est théologale.


(1) Hans Urs von Balthasar, GC6 p. 162
(2) Platon, Le Timée, cité in GC6. p. 164.
(3) ibid.




26 novembre 2016

La sagesse, véritable beauté chez Bonaventure

Une deuxième approche de la beauté va du monde sensible "à celui, intérieur, de l'âme et des anges, puis au Christ, puis au Dieu trinitaire (...) voir l'humanité du Christ et la divinité du Dieu un et trine" (1).
"La véritable beauté réside dans la beauté de la Sagesse" ajoute-t-il. Tout en la ramenant au Verbe, "splendeur et expression du Père" (2).

Retrouve-t-on là l'oxymore de la beauté du Christ en Croix, image du donateur qui s'efface dans une kénose invisible pour les yeux mais éclatante pour le cœur ?

(1) Bonaventure, cité in GC2 p. 303
(2) p. 304

25 novembre 2016

Circumincession chez Bonaventure

Nous poursuivons l'analyse d'Hans Urs von Balthasar qui note l'insistance de Bonaventure sur trois transcendantaux : l'unité, la bonté et la vérité, mais précise à la suite de Karl Peter, que la beauté réside "nécessairement dans une circumincession de l'un, du vrai et du bon". Le terme même que nous avons traduit dans un autre ouvrage par danse trinitaire s'applique-t-il ici ? Pour Bonaventure le beau "circuit omnen causa et est commune ad ista [unum, verum, bonum]". (1)

Qu'est-ce à dire ? On ne parle pas ici d'une beauté apparente mais de cette unité des Personnes divines qui dans l'unité révèle le sublime. Pour Peter, Bonaventure élève la sensibilité à ce qui conduit distinctement les 5 sens vers une "rencontre directe avec l'essence divine". (2)

Il y a là un chemin délicat entre une contemplation mystique et par nature risquée et ce chemin dynamique d'interaction entre Dieu et nous, dans cette invitation discrète et kénotique du divin jusqu'en nous pour nous élever à la seule beauté qui vaille, celle du don, de l'unité et de la vérité qui ne se révèle pleinement que dans la mort en Croix et la résurrection.

(1) GC2 p. 300
(2) p. 301

24 novembre 2016

Christ au centre

En tant que "verbum incarnatum", le Christ est au centre de la théologie de Bonaventure poursuit Hans Urs von Balthasar. Mais la Trinité de Dieu permet d'en approcher la profondeur. "La profondeur du Dieu fait homme, c'est à dire son humilité, est si grande que la raison s'y brise (1) (...) Il est le centre qui s'efface en indiquant le Père dans le Saint-Esprit" (2).
On trouve déjà là des accents kénotiques repris par Balthasar dans sa Dramatique, semence de cette triple kénose qu'il commentera largement. 

(1) Hex. 8, 5 (V, 370a), cité in GC2 p. 295
(2) De Don. Sp. Sti. 1, 10, ibid. p. 296

22 novembre 2016

Sens spirituels et inspiration

Après un longue diatribe sur les cinq sens spirituels chez Bonaventure, Hans Urs von Balthasar apporte une précision qui mérite d'être contemplée à l'aune de nos élans mystiques. Ces sens ne sont accessibles que s'ils sont inspirés par Dieu (Verbum inspiratum).
"Si la Parole de Dieu ne retentit pas à l'oreille du coeur, si l'éclat éternel n'illumine pas l'œil spirituel, si le parfum du Dieu tout puissant n'est pas sensible à l'odorat et sa suavité au goût, si l'éternité ne pénètre pas dans l'âme, alors tu n'es pas apte à comprendre les visions."(1)

À méditer.

(1) Bonaventure,  cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 293

20 novembre 2016

Le chemin intérieur

Le chemin vers soi évoqué plus haut consiste à contempler, à l'aune de nos imperfections la perfection divine. "Nul ne sait discerner ce qui est le meilleur, s'il ne sait reconnaître ce qui ressemble le plus au bien par la excellence" (1)

(1) d'après GC2 p. 277

19 novembre 2016

Tourné vers

Il y aurait chez Bonaventure une bonne dialectique entre l'être tourné vers soi et celui qui est tourné vers Dieu. Quel est l'enjeu ? Il n'est pas a fortiori égoïste précise Hans Urs von Balthasar mais "comme la saisie par soi de l'être qui est l'homme" (1)
Je la conçois comme cette ouverture intérieure aux deux tables, à cette Parole et ce Corps livrés qu'il nous faut accueillir jusqu'au "jointures intérieures" (cf. Heb 4,12) de l'âme pour balayer ces adhérences qui nous éloignent de Lui.

(1) GC2 p. 274

18 novembre 2016

Avis de publication - 2016-2022

Dans la suite des travaux de recherche publiés sur ce blog, voici maintenant disponible la série complète de mes "Lectures pastorales"*, un essai de lecture cursive du Nouveau Testament :

  1. Sur les pas de Marc
  2. Chemins de miséricorde (Luc)
  3. Chemins croisés (Matthieu)
  4. Sur les pas de Jean (une nouvelle édition de "A genoux devant l'homme")
  5. Chemins d'Evangile (1 à 4 en un recueil)
  6. Chemin d'Eglise (Actes)
  7. Serviteur de l'homme, Kénose et Diaconie (Actes et Paul)
  8. Commentaire du NT, tome 3
A cela s'ajoutent les trois tomes qui viennent de paraître sur la miséricorde* :
  1. Humilité et miséricorde - Tome 1 : L'humilité de Dieu (qui reprend "Sur les pas de Jean")
  2. Humilité et Miséricorde - Tome 2 : Décentrement et communion
  3. Humilité et Miséricorde - Tome 3 : Miséricorde, un chemin en Eglise
Puis les trois livres écrits en écho à partir de Gn 1 à 3, Os et Ex.
:
  1. Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse (Os, Gn) 
  2. La dynamique sacramentelle - quatrième édition
  3. Dieu n'est pas violent - Lire l'Ancien Testament, tome 2 - une lecture pastorale de l'Exode (parution le 18 octobre 2016)
Utilement complétés par :
15. Le chemin du désert, un itinéraire spirituel
16. L'amphore et le fleuve
17. Danse avec ton Dieu

* Ces livres sont disponibles à prix coûtant sur Amazon.fr et publiés en "Creative commons"

Proximité divine

"Au moment où il devient un être intérieurement lumineux [tout un programme en soi !], son origine et son but doivent s'éclairer pour lui. Il est capax Dei, et pour cette raison, informabilis par Dieu. Il a la plus excellente de toutes les puissances réceptives: celle d'être uni (unibilitas) à Dieu". "il porte en lui la lumière de la face divine". (1)

On ne peut s'empêcher de penser aux montées successives de Moïse vers le mont Moriah qui culmine en Ex. 34. (2). Pour Hans Urs von Balthasar, on touche là également au "point central de la spiritualité de saint Bonaventure, et en même temps de son esthétique : l'esprit humain ne peut s'accomplir que dans la foi, car c'est alors qu'il se comprend lui-même comme expression de la vie trinitaire (...) et voit apparaître en lui l'image immanente du Dieu trinitaire" (3).

On rejoint là aussi mes propos sur la danse trinitaire, mais également cette découverte humble que cette inhabitation de Dieu en nous n'est qu'éphémère de peur qu'elle se traduise en orgueil et manque de nous conduire à la communion in Christo.

Nos élans mystiques n'ont pas d'autres buts que de nous rapprocher de nos agir in ecclesia, porte étroite de notre vie en Christ.

(1) S 2 de Nativ. (IX, 110a) cité in GC2, p. 272
(2) voir Dieu n'est pas violent, une lecture de l'AT, tome 2
(3) GC2 p. 273

17 novembre 2016

De la trace à l'image - Bonaventure

Nous avons déjà largement commenté cette idée de saint Augustin reprise par Bonaventure des trois degrés de ressemblance entre la simple trace (vestigium), l'image et la ressemblance (similitudo)(1).

Ce qui me marque en deuxième lecture est le double rapport entre l'image et le beau souligné plus bas par Hans Urs von Balthasar : soit comme "renvoi à l'archétype", soit comme représentation ( donc réceptacle) de l'archétype. (2)

L'enjeu souligne-t-il est de n'être pas seulement un simple renvoi ou rappel de l'existence de Dieu, comme la fleur qui signale la création, mais devenir en soi une représentation. Comment est-ce possible ? Probablement par le travail intérieur de l'humilité et de la miséricorde (3) qui nous rend temple de l'Esprit et signe efficace de sa présence. C'est pour moi l'enjeu décrit dans ma "dynamique sacramentelle".(4)
Cette attitude n'est belle et vraie que dans la mesure où elle reproduit celle du Fils envers son Père(5). Le Fils ne veut être rien d'autre que l'image du Père.
"Contrairement à la trace, l'imago en l'homme est une assimilatio expressa et de proximo à Dieu", probablement en phase avec les propos de Paul en Philippiens 3 (du saisissement à l'imitation).

(1) GC2 p. 271, repris notamment dans "Aimer pour la vie".
(2) Ibid. p. 271.
(3) cf. Ma recherche éponyme.
(4) idem.
(5) De red. art., 8 (V, 322 a), cité par Hans Urs von Balthasar GC2 p. 270
(6) 2 d 16, 1 q.1, ibid. p. 272

16 novembre 2016

Qu'est ce que l'amour?

"Qu'est-ce que l'amour » ? L'amour est ce par quoi nous aimons." (1) il ne vient pas de nous, il nous vient de Dieu.  Je suppose que c'est ce que veut dire l'expression vertu thélogale.
A méditer à l'aune de la distinction augustienne entre amare amari, amare amare et amare (aimer être aimé,  aimer aimer, et aimer tout court).

(1) Saint Augustin, commentaire du psaume 63, source office des lectures

12 novembre 2016

Une théologie de l'excès - Bonaventure

Pourquoi la première lecture de ce tome 2 de la Gloire et la Croix d'Hans Urs von Balthasar avait fait germer chez moi le titre de l'Amphore et le Fleuve. Ce n'est pas seulement la mention de la cruche et de la Seine de la page 244 mais probablement cette insistance de Balthasar sur la "théologie de l'excessus" de Bonaventure et cette phrase qui est tout un programme : "l'excès d'amour dans le Crucifié requiert la pure humilité et le don de soi, et même (...) la pauvreté totale qui, en tant que geste humain de renoncement à tout, est la réponse exacte, autant que l'homme peut la donner, au don total de Dieu jusqu'à la mort de la Croix". (1)

C'est peut-être là qu'une juste interprétation de ce que nous disions plus haut chez Anselme prend du sens. Devant l'amour infini de Dieu nous sommes comme un homme debout dans le fleuve, une petite amphore à la main, et notre réponse n'est peut-être pas dans le désir de retenir le don mais de se laisser porter par l'amour qui vient.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 256

11 novembre 2016

Science et sagesse chez Bonaventure

Il y a une distinction intéressante chez Bonaventure entre science et sagesse. Elle passe par la sainteté c'est à dire par la rencontre transformante avec le divin. "C'est la sainteté qui permet de s'approprier vraiment la sagesse" (1). Or la sainteté ne se trouve pas dans les livres mais dans cette lente manducation de la Parole qui ravive la foi et nous conduit à l'agir. Le chemin est rude...
Par cette affirmation Bonaventure prend de la distance avec le thomisme grandissant et renvoie "à l'étude approfondie de l'Écriture (...) mais il ne faut pas verser dans le vin de l'Écriture tant d'eau de philosophie que le vin devienne de l'eau, ce serait un bien triste miracle"(2)...
Ce qui compte chez l'homme c'est l'événement intérieur, la venue du Christ dans l'esprit, "se laisser porter par la lumière surnaturelle de la foi, autrement dit par l'inspiration divine qui ne peut se tromper"(3)

(1) Hex. 2, 3, cité par Hans Urs von Balthasar, in GC2 p. 251.
(2) ibid. p. 252.
(3) p. 254

10 novembre 2016

Union spirituelle avec le Syrien de Mossoul

À la suite de mes propos sur François d'Assise et en union de prière avec les chrétiens de Mossoul, contemplons la méditation du jour donnée par Isaac le Syrien :

" Dieu et ses anges désirent l'homme qui cherche Dieu dans son cœur jour et nuit avec ferveur, et qui repousse loin de lui les agressions de l'ennemi. Le pays spirituel de cet homme pur en son âme est au-dedans de lui : le soleil qui brille en lui est la lumière de la Sainte Trinité ; l'air que respirent les pensées qui l'habitent est le Saint Esprit consolateur. Et les saints anges demeurent avec lui. Leur vie, leur joie, leur réjouissance sont le Christ, lumière de la lumière du Père. Un tel homme se réjouit à toute heure de la contemplation de son âme, et il s'émerveille de la beauté qu'il y voit, cent fois plus lumineuse que la splendeur du soleil.       
C'est Jérusalem. Et c'est « le Royaume de Dieu caché au-dedans de nous », selon la parole du Seigneur. Ce pays est la nuée de la gloire de Dieu, où seuls entrerons les cœurs purs pour contempler la face de leur Maître (Mt 5,8), et leur entendement sera illuminé par les rayons de sa lumière." (1)

(1) Isaac le Syrien (7e siècle), moine près de Mossoul
Discours ascétiques, 1ère série (trad. DDB 1981 rev.)

09 novembre 2016

Les 4 fleuves du Paradis - saint Bonaventure

Revenons sur cette image du fleuve chez Bonaventure qui m'a inspiré le titre de l'amphore et le fleuve (1). Pour le franciscain, les quatre fleuves du Paradis résonnent comme l'éternel mouvement de Dieu vers l'homme, ce que j'appelle la danse trinitaire :"Le premier, c'est l'éternel épanchement trinitaire de Dieu lui-même ; le second, c'est la création vaste et profonde comme la mer, dans l'abîme de laquelle habite le dragon ; le troisième, c'est l'incarnation de Dieu qui, dans le Christ sort de lui et y retourne ; (...) le quatrième, ce sont les Sacrements, ce "torrent d'eau vive, claire comme le cristal, qui jaillit du trône de Dieu et de l'Agneau".(2)

Ils résonnent aussi pour Bonaventure avec les 4 mystères cachés : l'essence divine, la sagesse, la puissance et la miséricorde(3).

(1) cf. le livre éponyme dont le titre est une libre adaptation d'un texte parlant de la Seine et d'une cruche, cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 244
(2) ibid. p. 241
(3) p. 244

Une expression de l'amour du crucifié - stigmates de saint François

Dans la suite de ma recherche sur la dynamique sacramentelle je note cette contemplation par Bonaventure des stigmates de saint François comme "expression de l'amour du crucifié" qui, plus que l'extase fugitive va jusqu'à imprimer dans la chair du saint les traces de la Croix. "En voyant le Séraphin, François comprit qu'il devait par une ardeur spirituelle être entièrement changé en une image expressive (expressam similtudinem) du Crucifié (...) et sa chair marquée d'une ressemblance avec le Crucifié" (1)
N'est on pas là au point ultime de cette dynamique sacramentelle déjà évoquée, qui voit chez un homme un tel désir de ressembler au Christ sauveur que celui-ci lui permet de communier à son sacrifice,  d'être signe en sa chair du sacrifice ultime et unique de l'homme-Dieu pour l'humanité ?
Il ne s'agit plus ici d'une simple extase,  mais d'une union retrouvée entre l'homme et son Dieu.


(1) Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 247

08 novembre 2016

Anselme et Bonaventure - Convergences

Une phrase de Bonaventure reprise dans le tome 2 de la Gloire et la Croix d'Hans Urs von Balthasar me fait entrer en contemplation : "la créature rendue bienheureuse par Dieu, elle qui ne saisit pas son bonheur, mais est saisie par lui" (1)
Le verbe saisir renvoie à Philippiens 3, mais nous retrouvons aussi cette distinction déjà notée chez Anselme entre un Dieu qui ne fait pas que venir en nous, mais nous tire toujours plus loin. Le bonheur ne peut être intérieur longtemps. S'il n'est pas communion sponsale ou surtout ecclésiale il est une cymbale qui résonne dans le vide (1 Cor 13). Le bonheur se conjugue avec le sens symphonique du "une seule chair" de Gn 2, 24 (2)

(1) Bonaventure citant Anselme in Hans Urs von Balthasar, GC2, p. 239
(2) cf. Lire l'Ancien Testament, tome 1, Genèse et Exode.

04 novembre 2016

Le gérant malhonnête - Luc 16


Paul nous le souligne dans la première lecture : "Ils ne pensent qu’aux choses de la terre. Mais nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, d’où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ". ( Ph. 3). On pourrait y voir un élitisme.  Ne s'agit il pas plutôt d'une exhortation,  car en nous réside bien les deux extrêmes,  cette adhérence au monde et l'appel divin ?

Cette interprétation prépare une clé de lecture de ce texte difficile du gérant malhonnête (Luc 16, 1-10). Elle est donné par la petite Thérèse (1) : si les gens de ce monde sont habiles en générosité,  combien plus devrions nous faire oeuvre de charité,  nous qui avons reçu de Dieu des biens en abondance.  "Donne nous un double Amour", demande-telle, soulignant qu'il nous viendra de Dieu. Reste ensuite à agir.

(1) Thérèse de Lisieux, Manuscrit autobiographique B, 4r°

03 novembre 2016

Trois lectures de l'Écriture - Saint Jérôme

"La science de la loi de Dieu, nul ne peut la recevoir si elle ne lui a été donnée par le Père des lumières qui illumine tout homme venant en ce monde". Jérôme continue plus loin en précisant : "Une triple manière nous est chère pour exposer les Écritures. La première est de les comprendre selon le sens historique, la seconde selon la tropologie [sens éthique], la troisième selon l'intelligence spirituelle". (1) Dans le dernier niveau, il ajoute que "la méditation de la vie courante devient ainsi la figure du bonheur futur". Henri de Lubac, dans ses exégèses médiévales parlera, sur la base d'autres Pères de l'Église de quatre sens. Il distingue la lecture spirituelle de la téléologique qui sont contenues, de fait, dans ce troisième point. Personnellement je travaille notamment à la croisée de ces deux points. Mes 8 tomes de lectures pastorales cherchent pour l'instant à réveiller dans l'aujourd'hui de nos vies, les pas de Dieu vers nous. Les 4 sens sont présents mais ce qui prime, c'est le chemin du Verbe jusqu'au coeur.

(1) Saint Jérôme, Lettre 120 à la veuve Hédypia, cité in Claude Ollivier, Jérôme, Paris, Éditions Ouvrières, 1993, p. 101.

31 octobre 2016

Miséricorde - suite

Il y a beaucoup à contempler 
dans le texte de dimanche
(31eme dimanche du temps ordinaire) 
sur la miséricorde divine : 
"tu as pitié de tous les hommes,

parce que tu peux tout.
Tu fermes les yeux sur leurs péchés,
pour qu'ils se convertissent. (...)
 

Ceux qui tombent, tu les reprends 

peu à peu,

tu les avertis, tu leur rappelles en quoi 

ils pèchent,
pour qu'ils se détournent du mal
et croient en toi, Seigneur."  (
Sg 11, 22 – 12)

Le psaume 144 souligne cela avec tendresse, 

reprenant l'affirmation d'Exode 34 :

"Le Seigneur est tendresse et pitié, 

lent à la colère et plein d'amour ; 

la bonté du Seigneur est pour tous, 

sa tendresse, pour toutes ses œuvres."

La tendresse du Christ 

pour Zachée (Lc 19, 1-12), 

se révèle quant à elle quand il 

qui veut habiter chez le publicain.

Que nous dit tout cela ?

La faute de l'homme ne demande 

pas une "expiation infinie" mais 

"qu'il se redresse et se relève 

par lui-même" nous dit saint Anselme (1).

 Et pour offrir ce choix, le seul chemin

tracé par Dieu est la voie 

prise librement par l'homme-Dieu 

et qui interpelle notre liberté 

tout en criant cet "où es-tu ?" (Gn 3)

 qui nous réveille et nous invite 

à la danse. Cette voie n'est pas de l'ordre 

de la réparation, mais de la justification 

au sens paulinien et non français : 

Dieu n'exige rien, il pleure et il souffre

de nos erreurs, il meurt de nos violences,

Il est partout où l'homme souffre et meurt,

Il est crucifié de nos collusions au mal,

Et son cri n'a qu'un but : nous aider à prendre

le chemin de la justice, à suivre le fils

aimant et en cela à nous "justifier", à devenir juste

c'est-à-dire à choisir le destin auquel ils nous appellent.

Cf. Rom 8, 30.


(1) Anselme,  CDH 2, 8 cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 226

30 octobre 2016

Suivre nu, le Christ nu...

Jusqu'où va le don ? Il n'est pas simple de mettre la limite. Et pourtant la porte est étroite pour celui qui as des biens. Quel chemin avant d'entendre le message du Christ, que de détours dans notre disponibilité à l'appel.

Saint Jérôme, lui, n'hésite pas : "Si l'Évangile ordonne à ceux qui ont des terres et des richesses de tout vendre, de tout donner aux pauvres, et de suivre, nus, le Christ nu, tu dois, mon respectable ami, dans le cas où tu serais riche, faire ce qui t'est commandé. (...) cette humble veuve de l'Évangile qui mit dans le tronc deux petites pièces de monnaie est au dessus de tous les riches. Toi donc, ne cherche pas ce que tu dois donner, mais donne ce que tu as acquis afin que le Christ reconnaisse le courage (...) et que le Père aille joyeux à ta rencontre (...) et te donnes l'anneau (Lc 15) (1)".

(1) Saint Jérome, Lettre 146 au prêtre Evangelius, cité par Claude Ollivier, op. Cit p. 62

29 octobre 2016

Portrait d'un prêtre

"Considérant la sacerdoce non comme un honneur mais comme une charge, il se préoccupa d'abord de faire taire la jalousie par son humilité (...) il soulageait les pauvres, visitait les malades, leur offrait un asile, les consolait par ses douceurs, et pleuraient avec ceux qui pleurent. C'était la canne des aveugles, la nourriture des affamés, l'espoir des malheureux. (...) il a méprisé sa propre chair, parce qu'il marche tout paré de sa pauvreté, il découvre en son entier la vraie parure de l'Église" (1)

À contempler

(1) Saint Jérôme, lettre n°60 à Héliodore, éloge du prêtre Népotien, cité in Claude Ollivier, Jérôme, Paris, Les Éditions ouvrières, 1993, p. 56

28 octobre 2016

De la théorie du rachat au tout amour de Dieu

Encore une leçon d'humilité. J'ai souvent tendance à oublier que l'insistance sur le rachat n'est pas d'Anselme, mais de ses élèves. Pour Balthasar, la Croix n'est pas pour Anselme un rachat des âmes au Diable. "Dieu est absolument libre, il ne doit rien à personne. La rédemption du pécheur par le Christ n'est pas un rachat (...) l'obéissance du Christ incarné dépend intégralement de la spontanéité de son amour. (...) Tout le mystère trinitaire entre le Père et le Fils : que le Fils obéisse réellement et jusqu'à la fin, que le Père de son côté n'impose aucune contrainte, mais permettre le cheminement sacrificiel du Fils, tout ce mystère, de quelque biais qu'on l'envisage, est un mystère d'amour spontané, non contraint" (1).

Qu'est-ce à dire pour nous ? La liberté du Christ, son adhésion au projet du Père n'est pas sacrifice inutile, il s'inscrit pleinement dans cette pédagogie de Dieu qui met l'amour au centre, couronnement d'un refus de la violence. La mort du Fils est le jusqu'au bout de la non-violence de Dieu (2).


(1) Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 223.
(2) je rejoins là mon dernier travail : "Dieu n'est pas violent".

La liberté comme victoire - Anselme de Cantorbéry

Un deuxième apport d'Anselme peut être de concevoir la liberté non comme un droit mais comme une victoire(1), celle d'accéder à la veritable liberté sur toutes les "adhérences humaines", addictions, tentations, péchés qui nous éloignent de ce à quoi nous sommes destinés (la joie en Dieu) et nous éloignent de Dieu.
Cette distinction conceptuelle est pleine d'intérêt car elle ne voit plus le pêché originel comme un boulet incontournable, mais comme une vision temporaire, anti-pélagienne et incomplète de notre réalité humaine. Nous sommes créés en vue de cette joie à venir... Et tout ce qui nous retient de marcher vers Dieu est chemin, lieu d'effort, de conversion, d'écoute, de décentrement en direction du seul but à atteindre, considérer :
- le passé comme balayure (cf. Ph. 3) et en même temps chemin de conversion et d'apprentissage
- et l'avenir comme appel et joie à venir, celle d'être porté par la grâce et d'être saisi en Christ (Ph 3) pour participer librement au Royaume.

Il reste un point à ajouter. C'est l'insistance sur la grâce, car nos adhérences au mal nous retiennent souvent d'accéder à cette victoire et nos addictions nous empêchent d'avancer. Là plus qu'ailleurs la prière prend du sens car Dieu seul peut nous aider à surmonter cet obstacle qui est de fait de l'ordre de l'originel. Si nous ne pouvons aller seul plus loin, c'est parce que la médiation du Christ est essentielle, point de basculement qui fait de nous des êtres assoiffés de cette grâce qui nous conduira à la victoire finale.

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 217

Une joie pour tous - Joie en Dieu -Toussaint

Une distinction intéressante chez Anselme appelle à la réflexion. Ce n'est pas "la joie de Dieu qui entrera dans le coeur humain, mais les cœurs bienheureux qui entreront dans la joie toujours plus grande de Dieu" (1). Où est la différence ? Elle est probablement de même ordre que toute mystique qui ne constitue pas une inhabitation de Dieu en l'homme mais bien une dynamique qui nous conduit à construire la demeure de Dieu. J'ai déjà souvent commenté cette idée de "custode" chez Theilhard de Chardin, de ce Christ qui vient en nous, dans l'écrin et le temple que nous constituons pour Dieu, mais qui se garde bien d'y rester, s'échappe aussitôt pour nous tirer plus loin, vers la cathédrale des vivants. "Vous aussi, [soyez] les éléments d'une même construction pour devenir [] demeure de Dieu par l'Esprit Saint" (Éph 2, 22). L'enjeu n'est pas d'être demeure de Dieu mais de construire l'Église, et à terme, le royaume. La danse des anges n'est pas individuelle mais communion collective et union avec le cercle trinitaire qu'évoque Francois à la fin de Laudato Si.

En ce jour de la Toussaint où l'Église nous invite à méditer Apocalypse 5 et 7, cette dynamique prend un sens particulier.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 214

Dans un registre proche je n'oublie pas mes deux derniers romans : La caresse de l'ange et La danse des anges.

Un Dieu de miséricorde

La gloire de Dieu nous précède et nous dépasse.  Avant même que l'idée de nous ait pu surgir de l'amour de nos parents, Dieu avait posé sur nous son regard :"Il fut un temps où je n'étais pas, et tu m'as créé. Je n'avais pas prié, et toi, tu m'as fait. Je n'étais pas encore venu à la lumière, et tu m'as vu. Je n'avais pas paru, et tu as eu pitié de moi. Je ne t'avais pas invoqué, et tu as pris soin de moi. Je n'avais pas fait un signe de la main, et tu m'as regardé. Je n'avais pas supplié, et tu m'as fait miséricorde. Je n'avais pas articulé un son, et tu m'as entendu. Je n'avais pas soupiré, et tu as prêté l'oreille. Tout en sachant ce qui allait m'arriver actuellement, tu ne m'as pas dédaigné. Ayant considéré avec tes yeux prévoyants les fautes du pécheur que je suis, tu m'as cependant façonné. Et maintenant, moi que tu as créé, moi que tu as sauvé, moi qui ai été l'objet de tant de sollicitude, que la blessure du péché, suscité par l'Accusateur, ne me perde pas pour toujours ! ... Liée, paralysée, courbée comme la femme qui souffrait (Lc 13, 10-17) mon âme malheureuse reste impuissante à se redresser. Elle fixe la terre sous le poids du péché, à cause des durs liens de Satan... Penche-toi vers moi, seul Miséricordieux, pauvre arbre pensant qui est tombé. Moi qui suis desséché, fais-moi refleurir en beauté et splendeur, selon les paroles divines du saint prophète (Ez 17,22-24)... Toi, seul Protecteur, veuille jeter sur moi un regard sorti de la sollicitude de ton amour indicible... et de rien tu créeras en moi la lumière même. (cf Gn 1,3)" (1)

(1) Saint Grégoire de Narek, Le Livre de prières, n°18 (trad. SC 78, p. 123 rev.) 

27 octobre 2016

La gloire et l'agir

Quelle est la conclusion de notre traversée de l'Exode ? (1) Elle ne peut être que partielle tout en étant double. Partielle, parce que le livre de l'Exode n'est pas le tout de la révélation mais un chemin fragile. Double, parce que le Dieu qui y apparaît n'est pas nécessairement celui qui s'aperçoit en première lecture. Il n'est pas le Dieu des armées que clamaient trop vite les Juifs en mal de libération et de victoires sur leurs ennemis. Il est Dieu de gloire, Dieu qui se révèle à qui il veut, quand il veut, comme il veut (2).

Il n'est pas le Dieu violent que nos projections humaines pourrait espérer. Nous le voyons déjà dans notre traversée de la Genèse. Nous l'avons vu encore dans les multiples théophanies de l'Exode, nous l'avons trouvé surtout en creusant plus loin cette chaîne de révélations qui nous a conduit via 1 Rois 19 jusqu'à la Croix. Sans la Croix, comme clé de lecture, nous ne pourrions percevoir cette direction donnée à la révélation. C'est dans la comtenplation seule de la Croix que tout se révèle, que le voile du temple se déchire et qu'un Dieu offert, par amour, aux hommes, révèle l'unique gloire divine tout en niant tout chemin de violence. 

Quelle conclusion se dessine donc de cette lecture ? La voie de l'Exode n'est-il pas d'abord un chemin au désert, celui là-même que nous avons déjà commenté par ailleurs (3). Il est chemin pour nous, comme il l'est symboliquement pour tout lecteur, lieu de mise à l'épreuve de notre foi, lieu d'abandon et de décentrement, lieu de quête spirituelle qui nous amène à nous décentrer de nous-mêmes, à entrer en dialogue avec Dieu, à nous laisser conduire.

On ne peut faire l'économie de ce passage. Et comme le note avec justesse Balthasar, "le chrétien ne rencontre son prochain que lorsqu'il a éprouvé, dans la "crainte de Dieu", quelque chose de la dimension "tout autre" de l'amour de Dieu le Seigneur et lorsqu'il tente d'aimer humblement son prochain en tendant à cette dimension inaccessible (4)".

Pourquoi ? Parce que dans ce déchirement intérieur s'aperçoit un autre Dieu que celui de nos fantasmes et de nos projections, un autre Dieu que le Dieu violent et omni-créateur. Ce qui transparaît est l'amour infini que Dieu révèle sur la Croix, un Dieu qui nous donne tout et face auquel nous ne sommes que des amateurs. Un Dieu qui seul peut agir en nous, à travers nous, en dépit de nos adhérences au mal....

Ce Dieu est celui qui n'est qu'amour. Un amour infini face auquel nous nous sentons petits, incapables, impuissants, un Dieu dont seul l'amour est puissance,  force, vie et vérité.  Un Dieu qui se met à genoux devant nous pour nous conduire à l'amour. Face à ce tout orgueil,  toute puissance,  toute possession semblent vides. Non Dieu n'est pas violent. Il est amour et sa justice ne pourra être que cet amour déployé jusqu'à l'infini, jusqu'à pleurer de nos dénis et de nos aveuglements.  


(1) Lire l'ancien testament, tome 2 - Le livre de l'Exode (vient de paraître)
(2)  cf. Sur ce thème, Hans Urs von Blathasar, La gloire et la Croix, 3, Théologie, Ancienne alliance, Aubier, n°82, (ci-après GC4) p. 16ss. : "L'homme croit toujours avoir une compréhension globale (de Dieu), (...) mais en présence de la gloire qui s'avance, il tombe à genoux".

(3) Cf. notre recherche Le chemin du désert, un itinéraire spirituel.

(4) GC4 p. 14.

25 octobre 2016

Les Pépites

Un documentaire qui vous prend aux tripes.  L'histoire d'un couple au service des plus pauvres au Cambodge, fondateurs de l'association"Pour un sourire d'enfant" www.pse.org. Actuellement en salle.  À ne pas manquer.

23 octobre 2016

Les mains vides

Difficile chemin que celui de l'humilité tant nos propres oeuvres nous conduisent au contentement de soi. Et pourtant ce ne sont nos oeuvres mais la réponse d'un don de Dieu et le travail de Dieu en nous.
Aller les mains vides  c'est au contraire creuser en nous la place pour Dieu. 
"Quel est le vase où la grâce se déverse de préférence ? Si la confiance est faite pour recevoir en elle la miséricorde, et la patience pour recueillir la justice, quel récipient pourrons-nous proposer qui soit apte à recevoir la grâce ? Il s'agit d'un baume très pur et il lui faut un vase très solide. Or quoi de plus pur et quoi de plus solide que l'humilité du cœur ? C'est pourquoi Dieu « donne sa grâce aux humbles » (Jc 4,6) ; c'est à juste titre qu'il « a posé son regard sur l'humilité de sa servante » (Lc 1,48). À juste titre parce qu'un cœur humble ne se laisse pas occuper par le mérite humain et que la plénitude de la grâce peut s'y répandre d'autant plus librement...   Avez-vous observé ce pharisien en prière ? (Lc 18, 9-14). Il n'était ni un voleur, ni injuste, ni adultère. Il ne négligeait pas non plus la pénitence. Il jeûnait deux fois par semaine, il donnait le dixième de tout ce qu'il possédait... Mais il n'était pas vide de lui-même, il ne s'était pas dépouillé lui-même (Ph 2,7), il n'était pas humble, mais au contraire élevé. En effet, il ne s'est pas soucié de savoir ce qui lui manquait encore, mais il s'est exagéré son mérite ; il n'était pas plein, mais enflé. Et il s'en est allé vide pour avoir simulé la plénitude. Le publicain, au contraire, parce qu'il s'est humilié lui-même et qu'il a pris soin de se présenter comme un vase vide, a pu emporter une grâce d'autant plus abondante.(1)

(1) Saint Bernard, 3eme sermon sur l'Annonciation, 9-10 

22 octobre 2016

Image et ressemblance - suite

L'office des lectures du samedi 22 octobre nous invite à relire la belle homélie de saint Pierre Chrysologue sur l'ancien et le nouvel Adam. 

"Saint Paul nous apprend que deux hommes sont à l'origine du genre humain : Adam et le Christ. Deux hommes égaux quant au corps, mais inégaux en mérite ; vraiment tout à fait semblables par l'agencement de leurs membres, mais vraiment tout à fait dissemblables par leur origine. Le premier Adam, dit-il, a été créé comme un être humain qui a reçu la vie ; le dernier est un être spirituel qui donne la vie. 

Le premier a été créé par le dernier de qui il a reçu l'âme qui le ferait vivre ; il a été formé par son Créateur ; et celui-ci n'attendait pas que la vie lui soit donnée par un autre, puisque c'est lui seul qui donne la vie à tous. Le premier est modelé d'un limon très vil le dernier est né du sein très noble de la Vierge ; chez l'un, la terre se transforme en chair ; chez l'autre, la chair est élevée jusqu'à Dieu. 

Que puis-je dire encore ? Le second Adam a établi son image dans le premier Adam, alors qu'il le modelait. De là vient qu'il en a endossé le rôle et reçu le nom, afin de ne pas laisser perdre ce qu'il avait fait à son image. Premier Adam, dernier Adam : le premier a commencé, le dernier ne finira pas. Car le dernier est véritablement le premier, comme il l'a dit lui-même : Je suis le Premier et le Dernier. 

Je suis le Premier, c'est-à-dire sans commencement. Je suis le Dernier, c'est-à-dire sans fin. Mais, dit l'Apôtre,ce qui est apparu d'abord, ce n'est pas l'être spirituel, c'est l'être humain et, ensuite seulement, le spirituel. En effet, la terre précède le fruit ; mais la terre n'a pas autant de valeur que le fruit. Celle-là exige des gémissements et des travaux. Celui-ci donne la richesse et la vie. Le prophète a raison de tirer gloire d'un tel fruit lorsqu'il dit : Notre terre donnera son fruit. Quel fruit ? Celui dont il dit ailleurs : C'est un fruit de tes entrailles que je placerai sur ton trône. Comme dit encore saint Paul : Pétri de terre, le premier homme vient de la terre ; le second, lui, vient du ciel. Puisque Adam est pétri de terre, comme lui les hommes appartiennent à la terre ; puisque le Christ est venu du ciel, comme lui : les hommes appartiennent au ciel. 

Comment des hommes dont la naissance n'est pas céleste pourront-ils devenir célestes, en ne gardant pas la nature de leur naissance mais en persévérant dans celle de leur seconde naissance ? (...) l'Esprit Saint féconde le sein de la source virginale du baptême, en y introduisant sa lumière : ainsi, des hommes terrestres, que leur extraction du limon de la terre avait introduits dans une condition misérable, sont enfantés à la vie du ciel et ramenés à la ressemblance de leur auteur. Puisque maintenant nous sommes renés, remodelés à l'image de notre Créateur, accomplissons le précepte de l'Apôtre :De même que nous avons porté l'image de celui qui est pétri de terre, portons aussi l'image de celui qui vient du ciel. (...)

Maintenant renés à la ressemblance de notre Seigneur, comme nous l'avons dit, (...), réalisons une image parfaite par une ressemblance parfaite avec notre Créateur, non par la gloire, qu'il est seul à posséder, mais par l'innocence, la simplicité, la douceur, la patience, l'humilité, la miséricorde, la concorde, puisque c'est par ces vertus qu'il a daigné venir et demeurer en communion avec nous."(1)

Il y a deux chemins pour l'homme,  poursuit comme en écho la Didaché, une catéchèse du premier siècle :" l'un de la vie, l'autre de la mort ; mais il est entre les deux chemins une grande différence. Or le chemin de la vie est le suivant : D'abord, tu aimeras Dieu qui t'a créé ; en second lieu, tu aimeras ton prochain comme toi-même ; et ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait, toi non plus ne le fais pas à autrui. Et voici l'enseignement signifié par ces paroles : Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis, jeûnez pour ceux qui vous persécutent. Quel mérite, en effet, d'aimer ceux qui vous aiment ?(...) Veille à ce que nul ne te détourne de ce chemin de la doctrine, car cette personne-là t'enseigne en dehors de Dieu. Si tu peux porter le joug du Seigneur tout entier, tu seras parfait ; sinon, fais du moins ce qui est en ton pouvoir.(2) "

(1) Homélie de saint Pierre Chrysologue
(2) La Didachè n* 1-6 (trad. coll. Icthus, t. 1, p. 112s) 

18 octobre 2016

Dieu n'est pas violent - Lire l'Ancien Testament, tome 2 - une lecture pastorale de l'Exode

Vient de paraître sur Createspace / Amazon, cette lecture, contemplative et spirituelle du livre de l'Exode, puis des autres théophanies de l'Ancien Testament, à la lumière des Pères de l'Eglise, nous conduit à prendre de la distance sur le récit qui ne peut être historique, pour percevoir, à la lumière de Jésus-Christ que Dieu n'est pas du côté de  la violence, qu'il aime et qu'il souffre le pire tourment de nous voir tourner le dos à son amour.
Après une lecture pastorale du Nouveau Testament (6 tomes), et la lecture de Gn et Os, ce 8ème tome nous conduit toujours plus loin vers la contemplation des pas de Dieu vers l'homme.

Claude Hériard, titulaire d'une licence (bac canonique) de théologie a publié dans la même collection 7 lectures pastorales du Nouveau et de l'Ancien Testament dont "A genoux devant l'homme", "Sur les pas de Jean", "Chemins de miséricorde", "Serviteur de l'homme - Kénose et Diaconie".

Ces livres, vendus à prix coûtant s'intègrent, depuis la publication de "Pastorale du seuil" dans une longue recherche pastorale de la "périphérie" qui anime l'auteur depuis plus de 30 ans.

"Dieu n'est pas violent (Lire l'Ancien Testament, tome 2 - une lecture pastorale de l'Exode)"  comprend aussi en bonus :
1. Une suite commune à Le chemin du désert - un itinéraire spirituel et à Dynamique sacramentelle
2. La course infinie - Une étude de La vie de Moïse de Grégoire de Nysse

07 octobre 2016

Dynamique sacramentelle - suite

Au delà de l'approche contemplative et liturgique du pseudo Denys, il faut noter cette insistance particulière sur la dynamique sacramentelle qui rejoint notre essai éponyme. Pour lui, "l'action morale n'est pas une seconde action à côté de l'action sacramentelle qui ne ferait que la susciter, elle doit être une avec celle-ci, sinon l'action sacramentelle n'existe absolument pas" (1). Ce lien est plus qu'essentiel. Il est constitutif et fondement du sacrement. Pour l'Aéropagite, tout est ordonné à l'imitation de Dieu, "toute l'histoire est comme esthétiquement projetée dans une sorte de concert céleste (...) toute la vie humaine du Christ est absorbée dans la contemplation intemporelle du sacrement eucharistique" (2).

Il nous reste à entrer dans cette danse liturgique qui n'est autre qu'une réponse symétrique au don de Dieu.

(1) GC2 p. 160
(2) p. 161

06 octobre 2016

Exode 34 et l'indicible

Deux remarques sur ce sommet théologique. Au delà de la tension humaine entre Ex 32 (veau d'or), Exode 33 (tente de la rencontre) et Exode 34 (tables), un écrin liturgique a été construit par le rédacteur dans la description et la mise en place de la demeure et du voile. Mais la finale du chapitre 34 ne dit rien de la dernière conversation. On nous rapporte que l'épisode du visage de Moise, rayonnant de la gloire divine aperçue. Sur ce point le Pseudo Denys peut nous éclairer : "plus haut nous nous élevons (...) et plus nos paroles deviennent concises (...) nous sommes au-delà de l'intelligible (...) muets et pleinement unis à l'ineffable(1)" au point que la parole qui s'adresse au dehors doit, pour être vraie, contenir en soi le Silence divin (...) et la liturgie uniquement contemplative (2), mais aussi "plus secrète, plus simple, et plus unificatrice" (...) en "honorant par son silence le secret qui le dépasse" (3)

(1) Mth, 3 (1033 BC), œuvres p. 182, cité en GC2 p. 159
(2) GC2, ibid.
(3) Hier. cel. p. 191, GC2 ibid.

Le feu chez Denys l'Aéropagite

Le feu est pour lui, "à la fois totalement lumineux et comme secret, inconnaissable en-soi (...) insoutenable et impossible à regarder (...) revifiant par sa chaleur vitale, éclairant par ses illuminations sans écran, impossible à maîtriser, sans mélange, dissociateur, inaltérable, tendant vers le haut, agissant vite, sublime et exempt de toute faiblesse (...) saisissant et insaisissable, n'ayant besoin de rien d'autre, s'accroissant en secret et révélant sa propre grandeur selon les matières qui l'accueillent, actif, puissant, invisiblement présent à tout être (...) se manifestant de manière soudaine" (1)

Une description qui pourrait presque s'adapter à ce passage d'Exode 3, dit du buisson ardent et qui, à sa manière sert d'antichambre à Dieu.

(1) Denys l'Aéropagite, CH XV, 2 (239 AC, Hiér. Cél. p. 168-171, cité par Hans Urs von Balthasar in GC2 p. 165

05 octobre 2016

Le voile -2 - Où es-tu, mon Dieu ?

Où es-tu mon Dieu ? Dans notre monde où Dieu semble de plus en plus absent,  où la violence, la haine et le mépris semble avoir pris la première place,  nous pouvons répéter la question : "Où es-tu mon Dieu ?"

Loin des tremblements de terre et des orages de la guerre, loin du vent de la haine, la réponse de Dieu se trouve dans le bruit d'un fin silence (cf. 1 Rois 19),  dans le chant des martyrs et des anges. 

Écoutons ce que nous dit Augustin : "Croyez-vous, frères, que Dieu ignore ce qui vous est nécessaire ? Celui qui connaît notre détresse connaît d'avance aussi nos désirs. C'est pourquoi, quand il enseignait le Notre Père, le Seigneur recommandait à ses disciples d'être sobres de paroles : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l'ayez demandé » (Mt 6,7-8). Si notre Père sait ce qui nous est nécessaire, pourquoi le lui dire, même en peu de mots ? ... Si tu le sais, Seigneur, est-il même nécessaire de te prier ? Or celui qui nous dit ici : « Ne multipliez pas vos paroles dans vos prières » nous déclare ailleurs : « Demandez et vous recevrez », et pour qu'on ne croie pas que c'est dit en passant, il ajoute : « Cherchez et vous trouverez », et pour qu'on ne pense pas que c'est une simple manière de parler, voyez par où il termine : « Frappez, et on vous ouvrira » (Mt 7,7). Il veut donc que pour recevoir tu commences par demander, que pour trouver tu te mettes à chercher, que pour entrer enfin tu ne cesses de frapper... Pourquoi demander ? Pourquoi chercher ? Pourquoi frapper ? Pourquoi nous fatiguer à prier, à chercher, à frapper comme pour instruire celui qui sait tout déjà ? Et même nous lisons dans un autre endroit : « Il faut prier sans cesse, sans se lasser » (Lc 18,1)... Eh bien, pour éclaircir ce mystère, demande, cherche et frappe ! S'il couvre de voiles ce mystère, c'est qu'il veut t'exciter à chercher et trouver toi-même l'explication. Tous, nous devons nous encourager à prier." (1) et la seule question de l'où es-tu ? nous conduira vers Celui qui nous cherche derrière le voile de l'amour donné. Dans le jardin du monde, il pose lui aussi la question. Où es-tu homme. Ta vie est-elle don fragile ? Si elle l'est tu ne peux qur me trouver. Car je suis don.

(1) Saint Augustin, Sermon 80, source AELF.

04 octobre 2016

Le voile iniatique

Nous reprenons notre lecture du deuxième tome de la trilogie de Balthasar après un large détour vers les tomes 6 et 7.
Chez Denys, qui réfléchit à la ressemblance, on aimera la notion de "peintres divins" pour les saints "qui se soucient fort peu d'attirer le regard des hommes" mais regardant immuablement Dieu cherchent à se conformer à l'exacte ressemblance (indalma) du modèle (1) et se heurtant à deux limites : le possible et le permis cherchent la mesure et la modération (2).
Sur ce chemin le voile qui cache Dieu est pour eux initiation. Tout est voile sacré (3) y compris la liturgie qui ouvre le coeur au langage de Dieu.

(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la Croix, Styles. D'Irenée à Dante, tome 2, Cerf Ddb, 1967-1993 (ci-après GC2) p. 152.
(2) p. 155.
(3) p. 158.

L'épiphanie du visage

Il y a un chemin de contemplation possible entre le visage de Moïse dans les derniers versets d'Exode 34, si "lumineux qu'il devait y mettre un voile", celui du Christ, transfiguré de lumière, dans les évangiles synoptiques* et "l'épiphanie du visage de l'autre", dans "sa transitivité non-violente"(1).
Cet axe n'est autre que celui tracé par Jn 5 ou Matthieu 25.
Chez Jean 5,6 , dans l'attitude du Christ pour cet homme souffrant, chez Matthieu 25,36 dans cet appel à voir tout homme comme s'il s'agissait du Christ. Cet axe est l'appel même qui nous pousse à aimer Dieu et autrui d'une même intensité.

(1) Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, op. Cit. p. 43.

02 octobre 2016

Platon et le don

Quittons les poètes et abordons la philosophie grecque à la suite de Hans Urs von Balthasar. "Savoir dans quelle mesure la figure de Socrate a été idéalisée par Platon importe peu ; ce qui compte c'est que l'acte philosophique consiste dans la décision mortelle du don absolu à la vérité" (1) et de "donner à chaque individu rencontré le bienfait le plus grand".

C'est probablement là que la philosophie rejoint le christianisme de près.

(1) GC6 p .142.

01 octobre 2016

Euripide

Euripide continuera la série avec une lourde insistance sur la souffrance et la mort à laquelle il ne voit que deux issues : la colère ou l'amour, la violence ou le don de soi (1), là où la Bible fera intervenir Dieu, le Grec en reste à l'humain et son chemin est instructif d'un monde sans Dieu. Car la réponse de l'amour y est fragile.

Au bout du don de soi, Euripide nous ouvre le chemin de la liberté ; le héros dépasse "le ténébreux destin qui lui est imposé, pour accéder à un oui lumineux, jaillissant des richesses insondables du coeur, et c'est alors comme si on quittait une sombre caverne pour émerger dans la lumière du jour et retrouver la liberté et la beauté de l'existence" (2)

(1) Hans Urs von Balthasar, GC6 p. 111
(2) 112

30 septembre 2016

Charis grecque

Continuons de suivre Balthasar qui nous conduit à Sophocle. "L'épiphanie extérieure de Dieu n'est plus nécessaire (...) c'est de l'intérieur que, dans le trépas, la souffrance fait resplendir la gloire divine. Une gloire qui ne se dérobe pas dans un insaisissable au-delà (...) La beauté de pareil salut réside dans cette courageuse et libre acceptation de la souffrance (...) il faut supporter avec courage (ce qu'envoie la divinité). Ce n'est pas avec les mots - dit Thésée - que je tiens à illustrer ma vie (...), c'est avec des actes (1)". Balthasar poursuit :"c'est cela et seulement cela la charis grecque : un bel amour, donné gratuitement et réciproquement". (2)

Que nous chrétiens trouvions ici encore des traces de ce qui sera la déréliction n'est pas fortuit.
Mais ce n'est pas tout. Il y a aussi une ouverture qui mérite d'être soulignée dans la différence, la tension entre le dit et le faire, qui rejoint Pascal. Si le penseur s'est arrêté d'écrire et est passé aux actes, c'est que la raison a ses limites. La véritable charité se vit. À méditer.

(1) Prom. 88-91, cité par Hans Urs von Balthasar in GC6 p. 103
(2) GC6, ibid.

29 septembre 2016

S'ouvrir au don - 2

Le risque en effet est de se "vautrer"(Amos 6,7) dans le Même, de s'y autojustifier par des œuvres qui endorment notre culpabilité alors que le cri résonne à nos oreilles sans réveil.

"Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu'il est nu. Ne l'honore pas ici, dans l'église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit : « Ceci est mon corps » (Mt 26,26), et qui l'a réalisé en le disant, c'est lui qui a dit : « Vous m'avez vu avoir faim, et vous ne m'avez pas donné à manger » et aussi : « Chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait » (Mt 25,42.45). Ici le corps du Christ n'a pas besoin de vêtements, mais d'âmes pures ; là-bas il a besoin de beaucoup de sollicitude... Dieu n'a pas besoin de vases d'or mais d'âmes qui soient en or. (...) Pense qu'il s'agit aussi du Christ, lorsqu'il s'en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l'accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d'argent ; mais lui, tu ne veux même pas voir qu'il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t'empêcher de faire de telles générosités, mais je t'exhorte à les accompagner lorsque tu ornes l'église n'oublie pas ton frère en détresse, car il est un temple et de tous le plus précieux". (1)

(1) Saint Jean Chrysostome, Homélies sur l'évangile de Matthieu, n°50, 3-4 (trad. bréviaire)

28 septembre 2016

S'ouvrir au don

Entrer dans le schéma de pensée de Lévinas et son opposition entre Même et Autre(1), c'est percevoir combien la Raison, qu'elle soit réduction ontologique de l'Autre dans un Même raisonnable ou système du Même qui s'enroule sur lui même n'est pas le véritable Désir de l'Autre qui constitue pour lui l'appel éthique par excellence. Comment redire cela plus simplement avec des termes plus accessibles si ce n'est en montrant que nos lois humaines resterons toujours entachée par nos propres adhérences. En cherchant à rejoindre l'amour par la Raison, on reste enfermé dans nos raisonnements, nos systèmes. Ce n'est pas ce à quoi Dieu nous appelle. À quoi nous appelle-t-il ? À se laisser faire, à entrer dans le no man's land de la nudité d'un étant qui s'expose dans la fragilité et la faiblesse à ce qui l'appelle et le dépasse en même temps.
Le saut vient par le don. Si mon don est calcul, obligation, réponse, dette, il n'est pas don mais échange, économie.
Le don véritable nous dit Jean-Luc Marion est le don où le donateur s'efface et disparaît(2). Tant que nos dons restent dans l'échange (c'est à dire dans un jeu de pouvoir ou d'avoir) il n'est pas don. S'il est dans le valoir du donateur, il ne l'est pas non plus. Nous n'échappons que rarement à ce triple crible. Car il en est de nos adhérences au monde. Le vrai don est celui qui répond au visage, donne, non pour avoir ou pouvoir mais parce que ce qu'il donne ne vient pas de lui, mais d'un autre.
Le vrai don fait violence à nous même. Il est arrachement, décentrement, kénose c'est à dire évidement de nous mêmes.
Non pas ma volonté mais la tienne. Extrusion de ce qui nous est confié pour autrui. Le vrai don coûte car il nous arrache au confort du même pour entrer dans le cercle trinitaire d'une éternelle kénose.

(1) Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, op. cit. p. 31ss
(2) cf. Étant donné.

27 septembre 2016

Toute puissance et faiblesse

Le livre des Actes nous dit que Moïse avait déjà 40 ans quand il fut interpellé par la souffrance de son frère et tua l'Égyptien (Ex 2, 11). Nous n'avons pas encore là la preuve qu'il était habité par Dieu car il répond à la souffrance par la violence. Dire le contraire serait cautionner le droit de tuer. Et pourtant, que s'est-il passé pour que le fils adoptif de Pharaon soit interpellé par la souffrance d'autrui. Nous reviendrons plus loin sur l'appel du visage (cf. notre post sur Lévinas). Ce qui est intéressant de contempler ici est la faille qui se crée chez l'homme. Il a conscience d'autrui, quelque chose naît en lui, une soudaine compassion mêlée au désir de vengeance. Il surveille les alentours pour voir s'il peut agir sans être vu. Quelque chose vient de faire irruption en lui. Le visage d'autrui l'a interpellé... Il n'a pas trouvé la voie, mais il est en chemin. C'est peut-être le début d'une descente de tour (cf. par ailleurs) qui lui permet de quitter la stature indépendante de l'indifférent pour entrer dans celle du concerné. Un chemin qui nécessite une fuite au désert...

26 septembre 2016

La nudité qui m'interpelle - Emmanuel Lévinas

Face aux cris de l'humanité en souffrance évoquée dès le début de l'Exode, il est bon également de relire ce qu'écrivait Emmanuel Lévinas en 1987 dans sa nouvelle préface de Totalité et Infini. "La nudité humaine m'interpelle (...) de sa faiblesse, sans protection et sans défense, mais elle m'interpelle aussi d'étrange autorité, impérative et desarmée, parole de Dieu et verbe dans le visage humain. (...) langage de l'inaudible, langage de l'inoui, langage du non-dit. Ecriture ! (1)

"Socialité utopique qui commande cependant toute l'humanité en nous et où les Grecs aperçurent l'éthique"(2)

Que tout juif qu'il est, il fasse mention des Grecs ne fait qu'ajouter du poids à nos propos précédents sur les semences du Verbe dans leur universalité. La souffrance est, par essence, le lieu d'interpellation de l'humanité et nos élans de charité, nos attentions "au visage" sont ce qui, de fait, nous rapproche des soucis de Dieu. Elle nous fait voir de ses yeux, entrer dans sa danse.

(1) Préface de 1987 de Totalité et Infini p. III, Martinus Nijhoff 1971
(2) Ibid

25 septembre 2016

Tragédie - 2

"La théophanie visible n'est jamais que la face extérieure et contingente d'une apparition essentiellement intérieure, la gloire divine s'attestant elle-même dans la monstruosité de la douleur humaine et du sacrifice" (1)

"Chez Sophocle, derrière l'homme de plus en plus solitaire, Dieu se révèle comme le Dieu lointain, caché, courroucé. Il faut au cœur de l'homme un grand courage et une grande piété pour affronter cette nuit de l'abandon". (2)

Qu'est-ce qui se joue ici, dans cette terre où Dieu ne diffuse pas sa lumière, si ce n'est la prise de conscience des limites humaines ? La tragédie grecque est aussi, comme peut l'être l'AT, notre histoire...

(1) GC6 p. 85
(2) p. 86

24 septembre 2016

Tragédie grecque et déréliction

Intéressante thèse de Hans Urs von Balthasar sur la tragédie grecque que je vous livre a brut : "C'est dans la souffrance que la vérité éclate (...) celle qui met a nu l'homme dans sa déréliction, le démasque violemment et l'humilie. (...) La souffrance n'est pas niée (...) fuie, tout au contraire c'est au plus profond de la douleur que passe le chemin menant de l'homme a Dieu, et que se révèle la vérité profonde de l´être. Inconnu des philosophes, cet héroïsme d'un coeur sans defense conduit directement au Christ(1).
Plus loin(2), il précise a propos dr Prométhée et d'Oedipe roi que l'homme y apparait dans sa nudité et que c'est "ce dévoilement qui constitue l'événement de la tragédie" On découvre ainsi que "la tragédie est liturgie en ce sens quelle est au service de Dieu qui se révèle, de son Epiphanie(3)".
"De quel côté que l'homme se tourne, il souffre, et qu'il accuse les dieux est encore un visage de sa souffrance : dans tous les cas en effet, au dessus de l'homme pris au filet, tombe dans le malheur extreme, Dieu surgit, tel le fruit mûr sortant de sa coque éclatée".

On n'est pas loin, à mon avis, de ce que cherche a dire Marc 15,8 dans son déchirement du voile.

Il nest pas étonnant alors que Hans Urs von Balthasar évoque dans ce cadre le lien intrinsèque entre cette "plénitude mythique et le "fait sacramentel" (4) qui le dépasse, car il s'agit bien de la même dynamique.

Pour rejoindre ma "dynamique sacramentelle", mais aussi la théologie de JB Metz, l'intérêt est que ce qui se dévoile là n'est pas de l'ordre du parfait, mais d'un chemin douloureux.

(1) GC6 p. 83
(2) p. 84
(3) il cite ici W.F. Otto, Ursprung der Tragédie. Aeschylos, dans Das wort der Antike, 1962, p. 175-179
(4) GC6 p. 85

23 septembre 2016

Théophanie homérique

L'analyse par Hans Urs von Balthasar des théophanies chez Homère nous ouvrent un champ de contemplation cohérent avec ce que nous disions sur les semences du Verbe. Tout chercheur de Dieu a accès a des parcelles de la lumière même sil est de notre devoir de montrer que le Christ nous conduit plus loin : "Un rapport dieu-homme qui baigne tout d'une lumière scintillante que le mot éros ne traduit pas, pas plus que celui de philia (...) et qui est celui de l'amour, d'un amour essentiel, silencieux, et qui enveloppe tout de tendresse. Les apparitions divines sont pour Homère un donné traditionnel qu'il purifie manifestement (...) et auquel il donne la forme pure et lumineuse qui correspond bien à sa vision intérieure de Dieu et de l'homme" (1) et l'amène à conclure : "nous sommes tout proches d'eux"(2)


(1) Hans Urs von Balthasar, GC6 p. 51.
(2) Homère, Od. 7, 201-205, ibid.

Les pleurs de Zeus

Une faille dans le "Dieu sans changement" grec que Hans Urs von Balthasar se plait à relever (1). Un Zeus émut par la souffrance de l'homme, qui "pleure des larmes de sang", (2) et prend pitié des plaintes d'Achille.

À méditer à l'aune de nos propos précédents.

(1) GC6 p. 46
(2) Ibidem.

Burin spirituel - Padre Pio

Je découvre dans le bréviaire du 23 septembre ce beau texte de Padre Pio, qui évoque pour moi un veille tradition spirituelle depuis Gn 32, 26, Ex 4 et 1 Rois 19, le combat avec Dieu. 

C'est ce qu'appelle Jérémie la circoncision du coeur (Jr 4, 6) et que Paul reprend à plusieurs reprises. 

"C'est par les coups répétés d'un burin salutaire et un nettoyage soigneux que l'Artiste divin veut préparer les pierres avec lesquelles se construit l'édifice éternel.(...) Le Père céleste se comporte de la même manière avec les âmes choisies (...) Mais que sont ces coups de marteau et de burin ? Ma sœur, ce sont les ombres, les craintes, les tentations, les afflictions de l'esprit et les troubles spirituels, avec un parfum de désolation, et aussi le malaise physique.


Dès lors, remerciez l'infinie bonté du Père éternel qui traite votre âme de cette façon, parce qu'elle est destinée au salut. (...) Ouvrez votre cœur à ce médecin céleste des âmes et abandonnez-vous en toute confiance entre ses bras très saints. Il vous traite comme les élus, afin que vous suiviez Jésus de près par la montée du Calvaire. (...).

Ayez la certitude que tout ce que votre âme a éprouvé a été disposé par le Seigneur. Alors, n'ayez pas peur de tomber dans le mal et l'offense de Dieu. Qu'il vous suffise de savoir qu'en tout cela vous n'avez jamais offensé le Seigneur, mais qu'au contraire il en a été davantage encore glorifié.

Si cet Époux très tendre se cache à votre âme, ce n'est pas, comme vous le pensez, qu'il veuille vous punir de votre infidélité, mais parce qu'il met toujours à l'épreuve votre fidélité et votre constance, et qu'en outre il vous purifie de certains défauts, qui n'apparaissent pas tels aux yeux de chair, c'est-à-dire ces défauts et ces fautes dont le juste lui-même n'est pas exempt. Dans la sainte Écriture, il est dit en effet : Le juste tombe sept fois.

Et, croyez-moi, si je ne nous savais pas dans une telle affliction, je serais moins content, parce que je verrais que le Seigneur vous donne moins de pierres précieuses… 

Chassez comme des tentations les doutes contraires… Chassez aussi les doutes qui concernent votre façon de vivre, c'est-à-dire que vous n'écoutez pas les inspirations divines et que vous résistez aux douces invitations de l'Époux. Tout cela ne provient pas de l'esprit du bien mais de l'esprit du mal. Il s'agit d'artifices du diable, qui cherchent à vous éloigner de la perfection ou, du moins, à retarder votre marche vers elle. Ne perdez pas courage !

Si Jésus se manifeste, remerciez-le ; s'il se cache, remerciez-le encore : ce sont comme des jeux amoureux. Je souhaite que vous arriviez à rendre votre souffle avec Jésus sur la croix et à crier avec Jésus : Tout est consommé ( 1)

Écoutons ce que dit Paul en Colossiens 2:11

En lui vous avez été circoncis d'une circoncision non faite de main d'homme, de la circoncision du Christ, par le dépouillement de ce corps de chair.

"Tu ne repousse pas un coeur brisé" Ps 51

(1) lettre du Padre Pio, source AELF