Entrer dans le schéma de pensée de Lévinas et son opposition entre Même et Autre(1), c'est percevoir combien la Raison, qu'elle soit réduction ontologique de l'Autre dans un Même raisonnable ou système du Même qui s'enroule sur lui même n'est pas le véritable Désir de l'Autre qui constitue pour lui l'appel éthique par excellence. Comment redire cela plus simplement avec des termes plus accessibles si ce n'est en montrant que nos lois humaines resterons toujours entachée par nos propres adhérences. En cherchant à rejoindre l'amour par la Raison, on reste enfermé dans nos raisonnements, nos systèmes. Ce n'est pas ce à quoi Dieu nous appelle. À quoi nous appelle-t-il ? À se laisser faire, à entrer dans le no man's land de la nudité d'un étant qui s'expose dans la fragilité et la faiblesse à ce qui l'appelle et le dépasse en même temps.
Le saut vient par le don. Si mon don est calcul, obligation, réponse, dette, il n'est pas don mais échange, économie.
Le don véritable nous dit Jean-Luc Marion est le don où le donateur s'efface et disparaît(2). Tant que nos dons restent dans l'échange (c'est à dire dans un jeu de pouvoir ou d'avoir) il n'est pas don. S'il est dans le valoir du donateur, il ne l'est pas non plus. Nous n'échappons que rarement à ce triple crible. Car il en est de nos adhérences au monde. Le vrai don est celui qui répond au visage, donne, non pour avoir ou pouvoir mais parce que ce qu'il donne ne vient pas de lui, mais d'un autre.
Le vrai don fait violence à nous même. Il est arrachement, décentrement, kénose c'est à dire évidement de nous mêmes.
Non pas ma volonté mais la tienne. Extrusion de ce qui nous est confié pour autrui. Le vrai don coûte car il nous arrache au confort du même pour entrer dans le cercle trinitaire d'une éternelle kénose.
(1) Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, op. cit. p. 31ss
(2) cf. Étant donné.
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