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23 mai 2021

Trinité et danse 50.4.1

Certains semble découvrir cette notion de danse que j’évoque à propos de la Trinité alors que je ne fais que commenter cela depuis plus d’un an sur RT. Il me faut peut-être reprendre depuis le début cette invitation à la danse qui nourrit depuis 30 ans mes lectures pastorales et ses 17 tomes. Je crois que tout est né dans la contemplation par mon frère jésuite de Jean 8… qui n’a cessé de m’inspirer. 

En voici une nouvelle manducation (1) :  


« Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers. » Jn 8,1.


Que nous dit l’évangéliste ? Il y a là, d’abord, montée de Jésus. À l’inverse d’une descente à Jéricho – vers le monde – ici le Fils se tourne vers le Père. Il monte vers une certitude, non comme une affirmation mais comme vers une source et un appel. Sa montée est prière et interrogation. Vers quoi monte-t-il ?

Est-ce que le mont des Oliviers serait plus élevé que le temple ? Le fait est qu’il le domine et l’on peut se demander si cette comparaison implicite ne nous introduit pas à quelque chose, ne nous alerte pas à une différence de hauteur. Il y a le temple bâti de mains d’hommes, pis-aller que Dieu n’habite qu’à reculons, si l’on en croit le livre de Samuel [on pourrait dire cela de nos églises:-)] et cette montagne qui sera celle de l’élévation (sur la Croix), lors de la prière « finale », le lieu d’une communion avec le Père quand viendra cette « heure » à laquelle il ne cesse de se préparer. Le lecteur est prévenu. Un drame se joue déjà ici…


« Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple. Et s'étant assis, il les enseignait. Alors les Scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. » Jn 8, 2-5


On imagine ces hommes debout face à Jésus assis. Ils dominent le maître, qui pourtant cherchait à les enseigner. Ils semblent le dominer de leurs lois, de leurs savoirs, de leurs certitudes. Maîtres du temple, maître du savoir, ils sont en haut de leurs « tours » bien humaines et lui est assis. Il est monté à la montagne, mais il est maintenant assis. Le drame se précise…


« Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Jn 8, 6-7


Il a consenti à se relever. Est-ce pour condamner la femme ? Est-ce pour se mettre à leur niveau ? Non ! Ce qu’il propose est d’une autre hauteur. Il ne juge pas, mais, en se relevant, en appelle à plus grand que lui. 


Celui qui est sans péché… Qui est-il ? 


Il se garde bien d’affirmer qu’Il peut être celui-là… Il interpelle et pour ne pas faire preuve d’orgueil, « s'étant baissé de nouveau, il [écrit] sur la terre ». La loi qu’il prône n’est pas celle que l’on grave sur les tables de pierre, comme le Moïse de la tradition juive. Ce n’est pas celle que prêchent ces pharisiens hypocrites [que nous sommes, nous aussi, parfois souvent tour à tour]. Sa loi est fragile, écrite sur du sable, au cœur de l’homme. 


Signe humble d’un Dieu humble qui vient interpeller l’homme au cœur de sa faiblesse. Fragile appel où résonne, encore une fois, « l’où es-tu ? » que Dieu adresse à l’homme, après la faute (Gn 3, 9). Qui peut répondre ? Cet appel de l’humble travaille la conscience.

« Ayant entendu cette parole, et se sentant repris par leur conscience, ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d'abord, puis tous les autres, de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu ».

N’a-t-on pas là plus que tous les discours ? N’y a-t-il pas ici, comme le suggère à sa manière Paul Beauchamp, une autre montagne ? La loi de Dieu trace ici un sillon fragile au cœur de l’homme et vient l’éveiller à autre chose. Ce chemin d’humilité que nous cherchions à débroussailler dans cette longue traversée de l’Écriture (2) est ici mis à nu…


« 10. Alors Jésus s'étant relevé, et ne voyant plus que la femme, lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusent ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? 11. Elle répondit : « Personne, Seigneur »; Jésus lui dit « Je ne te condamne pas non plus. Allez, va ne pèche plus. »


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous commenterons plus loin. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. 


D’agenouillements en agenouillements… dont Jn 13 est le point culminant avant la Croix. 


Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. 

N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu(4), ces gestes qui révèlent l’indicible ?

On peut objecter à cette vision un laxisme de Dieu. Ce à quoi répond Augustin : « Quoi, Seigneur ? Tu favorises le péché ? Certes non. Écoute ce qui suit : Va, et désormais ne pèche plus. Le Seigneur a porté condamnation, lui aussi, mais contre le péché, et non pas contre l'homme». (1) 

La danse du Fils n’est ici qu’une petite théophanie de la danse trinitaire. Je vais développer cela, mais je voulais commencer par ce texte, car c’est dans cet agenouillement que tout m’est venu à l’idée.


La Trinité n’est pas une invention romaine comme le suggère un commentateur de RT, mais bien une contemplation dont on trouve les traces à Mambré ou dans Gen 1 et qui sous-tend le discours de Jesus chez Jean. Je l’ai toujours vu comme une danse, traduction poétique du terme « périchorèse » des pères de l’Église (cf. mon essai gratuit sur Kobo « la danse trinitaire »). C’est ce mouvement particulier d’un Dieu qui se retire pour laisser place à un Christ qui s’efface à son tour humblement (en kénose) pour nous confier l’Esprit… sur la pointe des pieds….

La trinité est expression fragile, révélation et jeu subtil d’une pédagogie de Dieu…

Cette danse, on la contemple depuis la création jusqu’à l’incarnation, la mort et la résurrection, avant le vide et le silence qui précède la brise discrète de l’Esprit. Elle s’aperçoit déjà dans le prologue de Jean avec ce « tourné vers l’autre », mais devient aussi une danse « sur la place » où Dieu joue de la flûte et rêve de nous voir danser jusqu’à cette danse des anges si bien peinte par Fra Angelico…


Perichorèse ou circumincession rappelle E. Durand(3), trinité économique souligne Karl Rahner »(4), harmonie glissait Gregoire de Nysse(5),… unité… La trinité est mystère mais invitation, jusqu’à ce passage de l’une seule chair au Corps(6)… elle est inaccessible et en même temps éternelle invitation… d’un Dieu « à genoux »(1) devant cette femme et qui d’agenouillements en agenouillements jusqu’au lavement des pieds… nous prépare à la Croix…


À suivre : Trinité et danse chez J. Moingt 50.4.2


(1) Extrait de « Á genoux devant l’homme », voir aussi  « Dieu dépouillé » et « danse trinitaire »

(2) cf. mon « pédagogie divine »

(3) cf. sa thèse sur la périchorèse des personnes divines

(4) voir son traité sur la Trinité 

(5) cf. notamment sa vie de Moïse 

(6) voir mes développements dans « Aimer pour la vie »

25 mars 2021

La femme et Jésus - danse 43


 

L’Evangile d’aujourd’hui (Jn 8 ) est pour moi une danse. Jésus qui s’accroupît devant la femme adultère est loin de tout moralisme...


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous avons déjà commenté. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur (1) et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu, ces gestes qui révèlent l’indicible ? (2) 


La danse de Jésus commence très loin, rime avec les lavements des femmes à Bethanie ou ailleurs et se poursuivent jusqu’au lavement des pieds.

A contempler ou à danser 🙂 


(1) cf. l’alliance nouvelle de Jr 31 d’hier

(2) Extrait de mon livre « À genoux devant l’homme ». Voir aussi mon roman également téléchargeable gratuitement sur Kobo, « d’une perle à l’autre »...

16 mars 2020

Jeûne eucharistique

Jeûne eucharistique

La conjoncture dramatique nous prive d'eucharistie. C'est dans cette privation, au cœur du carême, que Dieu se fait désir.

Comme un cerf altéré mon âme te cherche, au mon Dieu...dit le psaume 41.

Écoutons le à nouveau :

Comme un cerf altéré
cherche l'eau vive,
ainsi mon âme te cherche
toi, mon Dieu.

Mon âme a soif de Dieu,
le Dieu vivant ;
quand pourrai-je m'avancer,
paraître face à Dieu ?

Je n'ai d'autre pain que mes larmes,
le jour, la nuit,
moi qui chaque jour entends dire :
'' Où est-il ton Dieu ? ''

Je me souviens,
et mon âme déborde :
en ce temps-là,
je franchissais les portails !

Je conduisais vers la maison de mon Dieu
la multitude en fête,
parmi les cris de joie
et les actions de grâce.

Pourquoi te désoler, ô mon âme,
et gémir sur moi ?
Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce :
il est mon sauveur et mon Dieu !

Si mon âme se désole,
je me souviens de toi,
depuis les terres du Jourdain et de l'Hermon,
depuis mon humble montagne.

L'abîme appelant l'abîme
à la voix de tes cataractes,
la masse de tes flots et de tes vagues
a passé sur moi.

Au long du jour, le Seigneur
m'envoie son amour ;
et la nuit, son chant est avec moi,
prière au Dieu de ma vie.

Je dirai à Dieu, mon rocher :
'' Pourquoi m'oublies-tu ?
Pourquoi vais-je assombri,
pressé par l'ennemi ? ''

Outragé par mes adversaires,
je suis meurtri jusqu'aux os,
moi qui chaque jour entends dire :
'' Où est-il ton Dieu ? ''

Pourquoi te désoler, ô mon âme,
et gémir sur moi ?
Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce :
il est mon sauveur et mon Dieu ! (1)

Un jour viendra où nous communierons à la table du Christ. En attendant sentons nous proche de ceux qui n'ont pas accès à cette table, parce que leur situation traduit en apparence une rupture que nous sommes souvent plus d'un à partager.(2)

« Que celui qui n'a pas péché jette la première pierre » (Jn 8).

C'est peut-être en méditant cela, en toute humilité que notre communion à la table sera plus féconde.

(1) traduction AELF
(2) cf. sur ce point mon roman Le vieil homme et la perle et Dynamique sacramentelle

17 octobre 2019

Au fil de Luc 11 - Humilité et miséricorde - 4

« Toi, l'homme qui juge, tu n'as aucune excuse, qui que tu sois : quand tu juges les autres, tu te condamnes toi-même car tu fais comme eux, toi qui juges.
    Or, nous savons que Dieu juge selon la vérité ceux qui font de telles choses.
    Et toi, l'homme qui juge ceux qui font de telles choses et les fais toi-même, penses-tu échapper au jugement de Dieu ?
    Ou bien méprises-tu ses trésors de bonté, de longanimité et de patience, en refusant de reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse à la conversion ?
    Avec ton cœur endurci, qui ne veut pas se convertir, tu accumules la colère contre toi pour ce jour de colère, où sera révélé le juste jugement de Dieu, lui qui rendra à chacun selon ses œuvres.
    Ceux qui font le bien avec persévérance et recherchent ainsi la gloire, l'honneur et une existence impérissable,recevront la vie éternelle ; mais les intrigants, qui se refusent à la vérité pour se donner à l'injustice, subiront la colère et la fureur.
    Oui, détresse et angoisse pour tout homme qui commet le mal, le Juif d'abord, et le païen. Mais gloire, honneur et paix pour quiconque fait le bien, le Juif d'abord, et le païen. Car Dieu est impartial. (1)

Les textes d'aujourd'hui vont plus loin :
« En ce temps-là, Jésus disait : « Quel malheur pour vous, pharisiens, parce que vous payez la dîme sur toutes les plantes du jardin, comme la menthe et la rue et vous passez à côté du jugement et de l'amour de Dieu. Ceci, il fallait l'observer, sans abandonner cela. Quel malheur pour vous, pharisiens, parce que vous aimez le premier siège dans les synagogues, et les salutations sur les places publiques.
    Quel malheur pour vous, parce que vous êtes comme ces tombeaux qu'on ne voit pas et sur lesquels on marche sans le savoir. »
    Alors un docteur de la Loi prit la parole et lui dit : « Maître, en parlant ainsi,
c'est nous aussi que tu insultes. » Jésus reprit : « Vous aussi, les docteurs de la Loi, malheureux êtes-vous, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes, vous ne touchez même pas ces fardeaux d'un seul » Lc 11, 42-46 Textes liturgiques © AELF.

Depuis que le chapitre 8 de Jean a été écrit, il nous faut être plus prudent sur notre capacité à juger autrui. « Que celui qui n'a pas péché jette la première pierre ».

Humilité et miséricorde (2) constitue l'une des clés de l'avenir de notre Église. Brandir la morale sur les places publiques ne dessert pas la véritable mission confiée à l'homme. L'annonce du kérigme n'est pas à confondre avec le moralisme pharisien.

Jésus est amour.

Les pères du désert avait compris cela : « Malheureux êtes-vous, parce que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter »
Un frère qui avait péché fut chassé de l'église par le prêtre ; abba Bessarion se leva et sortit avec lui en disant : « Moi aussi, je suis un pécheur. » (...)
Un frère fauta une fois à Scété. On tint un conseil, auquel on convoqua abba Moïse. Mais celui-ci refusa de venir. Alors le prêtre lui envoya dire : « Viens, car tout le monde t'attend. » Il se leva, et vint avec une corbeille percée qu'il remplit de sable qu'il mit sur son dos et qu'il porta ainsi. Les autres, sortis à sa rencontre, lui dirent : « Qu'est-ce que cela, père ? » Le vieillard dit : « Mes fautes sont en train de s'écouler derrière moi et je ne les vois pas ; et moi, je suis venu aujourd'hui pour juger les fautes d'autrui ? » Entendant cela, ils ne dirent rien au frère, mais lui pardonnèrent.
Abba Joseph interrogea abba Poemen en disant : « Dis-moi comment devenir moine. » Le vieillard dit : « Si tu veux trouver du repos ici-bas et dans le monde à venir, dis en toute occasion : Moi, qui suis-je ? Et ne juge personne. »
Un frère interrogea le même abba Poemen en disant : « Si je vois une faute de mon frère, est-il bien de la cacher ? » Le vieillard dit : « À l'heure où nous cachons les fautes de notre frère, Dieu lui aussi cache les nôtres, et à l'heure où nous manifestons les fautes de notre frère, Dieu lui aussi manifeste les nôtres. »(3)



(1) Rm 2, 1-11
(2) cf. ma trilogie éponyme
(3) Les Sentences des Pères du désert (4e-5e siècles)
Collection systématique, ch. 9, ; SC 387 (Les Apophtegmes des Pères; trad. J.-C. Guy, s.j.; Éds Cerf 1993, p. 427s), source : l'Évangile au Quotidien

11 avril 2019

Au fil de Jean 8,51-59 - Le sacrifice - Tressaillement d’Abraham

En ce temps-là, Jésus disait aux Juifs : « Amen, amen, je vous le dis : si quelqu'un garde ma parole, jamais il ne verra la mort. »
Les Juifs lui dirent : « Maintenant nous savons bien que tu as un démon. Abraham est mort, les prophètes aussi, et toi, tu dis : "Si quelqu'un garde ma parole, il ne connaîtra jamais la mort."
Es-tu donc plus grand que notre père Abraham ? Il est mort, et les prophètes aussi sont morts. Pour qui te prends-tu ? »
Jésus répondit : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien ; c'est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites : "Il est notre Dieu",
alors que vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais et, si je dis que je ne le connais pas, je serai comme vous, un menteur. Mais je le connais, et sa parole, je la garde. Abraham votre père a exulté, sachant qu'il verrait mon Jour. Il l'a vu, et il s'est réjoui. » Les Juifs lui dirent alors : « Toi qui n'as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham ! » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : avant qu'Abraham fût, moi, JE SUIS. »
Alors ils ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus, en se cachant, sortit du Temple. » (1)

Il existe un lien mystique entre Jésus et Abraham et ce lien réside dans la contemplation de ce récit énigmatique du sacrifice. C'est en méditant la foi du patriarche qui avance, aveugle, vers un Dieu qui semble lui demander l'impossible et l'improbable que se révèle le sens même de la Croix. 
L'erreur serait de croire en un Dieu sadique qui exige le sacrifice des premiers nés (tentation des religions pré-judaïque). Le récit du sacrifice d'Abraham, à la lumière de celui du Christ est une conversion du regard. Dieu ne demande pas l'impossible. Écoutons sur ce point Origène (v. 185-253), prêtre et théologien : « Abraham a tressailli d'allégresse dans l'espoir de voir mon jour. Et il l'a vu »
« Abraham prit le bois de l'holocauste et le chargea sur son fils Isaac ; lui-même prit en mains le feu et le couteau, et ils s'en allèrent tous deux ensemble. Isaac dit à son père : Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? À quoi Abraham répondit : L'agneau pour l'holocauste, Dieu y pourvoira, mon fils » (Gn 22,6-8). Cette réponse d'Abraham, à la fois exacte et prudente, me frappe. Je ne sais pas ce qu'il voyait en esprit, car il ne s'agit pas du présent mais de l'avenir quand il dit : « Dieu y pourvoira ». À son fils qui l'interroge sur le présent, il parle de l'avenir. C'est que le Seigneur lui-même devait pourvoir à l'agneau dans la personne du Christ...
« Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. » Rapprochons de cela les paroles de l'apôtre Paul où il est dit de Dieu qu'il « n'a pas épargné son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous » (Rm 8,32). Voyez avec quelle magnifique générosité Dieu rivalise avec les hommes : Abraham a offert un fils mortel qui en fait ne devait pas mourir, tandis que Dieu a livré à la mort pour les hommes un Fils immortel...
« Et, se retournant, Abraham leva les yeux, et voici qu'un bélier était retenu par les cornes dans un buisson. » Le Christ est le Verbe de Dieu, mais « le Verbe s'est fait chair » (Jn 1,14)... Le Christ souffre, mais c'est dans sa chair ; il subit la mort, mais c'est sa chair qui la subit, dont le bélier est ici le symbole. Comme le disait Jean : « Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jn 1,29). Le Verbe au contraire est demeuré dans l'incorruptibilité ; c'est lui le Christ selon l'esprit, celui dont Isaac est l'image. Voilà pourquoi il est à la fois victime et grand prêtre. Car, selon l'esprit, il offre la victime à son Père, et selon la chair, lui-même est offert sur l'autel de la croix. (2)

Ne croyons pas ceux qui exige un sacrifice impossible. « «Tu n’as pas pris plaisir au sacrifice ni à l’offrande: tu m’as ouvert les oreilles; tu n’as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j’ai dit: Je viens avec le livre-rouleau écrit pour moi. Je désire faire ta volonté, mon Dieu, et ta loi est au fond de mes entrailles (Psaumes‬ ‭40:7-9‬) », c'est en méditant le psaume 39 (40) que s'éclaire à la fois la folie salvatrice du Fils et l'amour souvent incompris du Père. (3)





(1) Traduction Liturgique de la Bible, AELF, Paris
(2) Origène, Homélies sur la Genèse, VIII, 6, 8, 9 : PG 12, 206-209 (trad. Orval)
(3) cf. sur ce point Paul Beauchamp, d'une Montagne à l'autre et mon commentaire in « J'ai soif » repris dans Dieu n'est pas violent.

07 avril 2019

Au fil de Jean 8

« La Loi avait ordonné de lapider les adultères. Or la Loi ne pouvait prescrire une injustice ; et si quelqu'un parlait contre ce que la Loi commandait, il était coupable d'injustice. Aussi les pharisiens se dirent-ils entre eux à propos de Jésus : « Il a réputation d'être vrai, il respire la douceur ; c'est sur la justice qu'il nous faut l'attaquer. Amenons-lui une femme prise en flagrant délit d'adultère et disons-lui ce que la Loi ordonne à son sujet. » ~

Que répond le Seigneur Jésus ? Que répond la Vérité ? Que répond la Sagesse ? Que répond la Justice elle-même ainsi mise en cause ? Jésus ne dit pas : « Qu'elle ne soit pas lapidée », car il ne veut pas avoir l'air de parler contre la Loi. Cependant, il se garde bien de dire : « Qu'elle soit lapidée », car il est venu non pour perdre ce qu'il a retrouvé, mais pour chercher ce qui est perdu. Alors, que répond-il ? Voyez comme il est rempli de justice, de douceur et de vérité ! Que celui d'entre vous qui est sans péché, dit-il, lui jette la première pierre. Réponse de sagesse. Comme il les fait rentrer en eux-mêmes ! ~ Leurs manœuvres étaient extérieures, mais ils ne regardaient pas au fond de leur propre cœur. Ils voyaient l'adultère, mais ils ne s'observaient pas eux-mêmes. Or quiconque s'observe attentivement se découvre pécheur. C'est inévitable. Donc, ou bien rendez la liberté à cette femme, ou bien subissez avec elle le châtiment de la Loi.

Si Jésus avait dit : « Qu'on ne lapide pas l'adultère », il aurait été convaincu d'injustice. S'il avait dit : « Qu'elle soit lapidée », il aurait paru manquer de douceur. Il dira donc : Que celui qui est sans péché lui jette la première pierre. C'est la voix de la justice. Que la coupable soit punie, mais non par des coupables ; que la Loi soit mise à exécution, mais non par ceux qui violent la Loi. C'est tout à fait la voix de la justice. Frappés par cette justice comme par un fer de lance, ils rentrèrent en eux-mêmes et, se découvrant pécheurs, ils se retirèrent l'un après l'autre. ~

La femme restait donc seule. Tous étaient partis. Et Jésus leva les yeux sur la femme. Nous avons entendu la voix de la justice, écoutons celle de la douceur. Je pense en effet que cette femme devait être bien effrayée par cette parole du Seigneur : Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. Ces hommes étaient rentrés en eux-mêmes, et leur départ était un aveu. Mais ils avaient laissé la femme avec sa grande faute à celui qui était sans péché. Et comme elle avait entendu cette parole de Jésus, elle s'attendait à être châtiée par celui en qui ne se trouvait aucun péché. Mais lui, après avoir repoussé ses adversaires par la voix de la justice, lève sur elle les yeux de la miséricorde et lui demande : Personne ne t'a condamnée ? — Personne, répond-elle. — Moi non plus, dit Jésus, je ne te condamnerai pas. Moi par qui tu croyais être condamnée parce que tu n'as pas trouvé en moi le péché, moi non plus je ne te condamnerai pas. Quoi, Seigneur ? Tu favorises le péché ? Certes non. Écoute ce qui suit : Va, et désormais ne pèche plus. Le Seigneur a porté condamnation, lui aussi, mais contre le péché, et non pas contre l'homme. (1)
A méditer 
(1) Saint Augustin, commentaire de l'Évangile de Jean, source bréviaire du 5 émérite dimanche de carême 

01 mars 2019

Au fil de Marc 10,1-12. - il s’attachera à sa femme - Saint Jean Chrysostome

Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme.
À cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère,
il s'attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
Donc, ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ! »

Commentaire 1 :
« Une seule chair » (Marc 10, 8) : Allusion au chapitre 2 de la Genèse v 24. Le terme "chair" (en grec sarx) évoque une réalité plus grande que le terme français. Une seule chair traduit une relation, un lieu de rencontre où les différences subsistent, mais la communion est entière. Une seule chair traduit la rencontre et le don, l'élan du don sans retour, voire même l'enfant. Dans cette phrase essentielle pour la compréhension du sacrement de mariage, la logique du don sans retour, du « je me donne à toi et je te reçois » prend sens.
Jésus fixe ici la barre haute. Il en appelle au plan de Dieu pour l'homme. Ce chemin de crête est à contempler à la lumière d'autres attitudes du Christ envers les pécheurs (Mc 2, 13-18) ou la femme adultère (Jn 8).(1)

Commentaire 2 :
Le « une seule chair » englobe la relation au sens large, une symphonie où chacun doit trouver sa place au service d'une unité à construire. Faire « une seule chair » n'est pas fusionner en un, mais prend le sens d'une harmonie toujours à parfaire, dans laquelle, l'unité, la joie et la fécondité au sens large peuvent trouver leur place.
Cette dimension du couple déplace le rigorisme des pharisiens sur un autre ordre. Dans la lignée de l'axe théologique pris par Matthieu dans les chapitres précédents, on retrouve cette insistance, non sur la norme, mais sur l'esprit de la loi : l'amour, au sens large.
Les petits calculs humains qui jouent avec la loi pour assouvir leurs désirs sont ici jugés mesquins, par rapport à l'axe même de l'amour.
Bien sûr, le chemin tracé par Jésus est hyperbolique. Deux mille ans plus tard, sans perdre de vue l'enjeu tracé par Jésus, on ne peut ignorer les souffrances causées par la rupture d'un couple. Si l'Église travaille à mettre en place une nouvelle pastorale dans ce sens, elle ne peut nier l'enjeu dévoilé par le Christ. Il y a donc une tension à trouver entre ceux qui cherchent à « sauver ce qui était perdu » (Mt 18, 11) et la force de la Parole qui éclaire les consciences et conduit à l'amour.(2)

Commentaire de saint Jean Chrysostome :
« L'homme...s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un »
Que faut-il que tu dises à ta femme ? Dis-lui avec beaucoup de douceur : « ...Je t'ai choisie, je t'aime et te préfère à ma propre vie. L'existence présente n'est rien ; c'est pourquoi mes prières, mes recommandations et toutes mes actions, je les fais pour qu'il nous soit donné de passer cette vie de manière à pouvoir être réunis dans la vie future sans plus aucune crainte de séparation. Le temps que nous vivons est court et fragile. S'il nous est donné de plaire à Dieu durant cette vie, nous serons éternellement avec le Christ et l'un avec l'autre dans un bonheur sans limites. Ton amour me ravit plus que tout et je ne connaîtrais pas de malheur plus insupportable que d'être séparé de toi. Quand je devrais tout perdre et devenir plus pauvre qu'un mendiant, encourir les derniers périls, et endurer n'importe quoi, tout me sera supportable tant que ton affection pour moi demeure. Ce n'est qu'en comptant sur cet amour que je souhaiterai des enfants » .
Il faudra aussi conformer ta conduite à ces paroles... Montre à ta femme que tu apprécies beaucoup de vivre avec elle et que tu aimes mieux, à cause d'elle, être à la maison que sur la place. Préfère-la à tous les amis et même aux enfants qu'elle t'a donnés ; et que ceux-ci soient aimés de toi à cause d'elle...
Vos prières, faites-les en commun. Que chacun de vous aille à l'église et qu'à la maison le mari demande compte à sa femme, et la femme à son mari, de ce qui a été dit ou lu... Apprenez la crainte de Dieu ; tout le reste coulera comme de source et votre maison s'emplira de biens innombrables. Aspirons aux biens impérissables, et les autres ne nous feront pas défaut. « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu, nous dit l'Évangile, et tout le reste vous sera donné par surcroît » (Mt 6,33)(3)

(1) Cf. mon livre Chemins d'Évangile, p. 50
(2) ibid p. 371
(3) Saint Jean Chrysostome, Homélie 20 sur la lettre aux Éphésiens, 8, 9 ; PG 62, 140s (trad. Orval), source : l'Évangile au Quotidien

04 avril 2016

Sur le toit du monde - 1

Pourquoi sommes nous là réunis aujourd'hui dans ce monde défiguré par la haine, la violence et tous ces égoïsmes auxquels nous ajoutons notre part ?
Vous allez me dire, pas moi, je ne suis pas de ceux là. Je ne vous croirez pas.... Car en nous levant ce matin nous avons consommé, pollué, négligé la planète,  ignoré la main tendue, refusé un sourire...
Nous sommes donc tous participants à cette défiguration du monde. Nous ne sommes pas des parfaits... Nous ne méritons pas cette adresse de Paul, au début de ses lettres : peuple de saints. Et pourtant nous sommes....
Dieu nous a donné vie....
Pourquoi ?
Laissons résonner en nous cette question.
Pourquoi ?
Elle résonne comme une vieille phrase, écrite il y a 2500 ans au chapitre 3 d'un vieux livre : "Où es-tu ?"
Écoutons cette phrase résonner dans le jardin du monde.
Pourquoi ?
Où es-tu ?
On pourrait en ajouter une autre qui résonne comme en écho sur la face irisée d'un lac de Gallilée :
Aimes-tu ?
En version originale,  elle se prononce de manière plus directe : "m'aimes-tu ?"
Posée par trois fois à Pierre,  elle vient s'ajouter aux deux premières questions et déchire le silence de nos nuits.
Alors la réponse du pourquoi pointe son nez,  fragile.
Je suis là pour aimer...
Et vient alors une quatrième question,  posée sur la pointe des pieds.
Jusqu'où ?
Quatre questions donc, gravées sur le sable,  de la pointe d'un bâton,  tant celui qui la pose ignore encore s'il pourra lui même y répondre. 
Ces questions ne sont pas des lieux d'enfermement, elles n'ont pas de morale attachée.  Elles se contentent de résonner depuis un tombeau qui semble vide.
Et pourtant,  ce vide apparent nous laisse habité par ces questions et il nous faut  sans cesse prendre le temps de les écouter et tenter d'y répondre.
Pour aller plus loin :
1) textes évoqués :  Gn 3,  Jn 21, Jn 8
2) C. Hériard, Sur les pas de Jean....

15 octobre 2015

Écrit sur le sable

Il a écrit sur le sable nous rapporte Jean au chapitre 8. Qu'est-ce à dire ?
 La loi divine dépasse toutes les lois humaines. Elle est gravée au fond de notre coeur en lettres de feu. Elle va jusqu'au jointures de l'âme (cf. Héb 3). Elle équivaut à le voir "à genoux devant nous" nous dire : relève toi et ne péche plus. 

Appel à notre humanité,  injonction an-archique (avant tout commandement,  comme le souligne Emmanuel Lévinas), appel à notre responsabilité...

Quand on n'y parvient pas, un seul remède,  la lente méditation du psaume 118.

16 avril 2014

Les écueils de l'évangélisation - II - Divorcés remariés

Dans le premier post sur ce sujet, j'évoquais parmi les écueils, la difficile question d'une pastorale des divorcés remariés, mais aussi des homosexuels, deux chemins sur lesquels j'ai déjà commencé des travaux de recherche à travers "Le vieil homme et la perle" (tome 1 à 3) puis tome 4.

J'ai eu la chance de diner la semaine dernière avec trois théologiens dont l'un des plus grands théologiens moralistes actifs et nous avons évoqué ce sujet, cette faille pastorale comme un des enjeux majeurs de notre Eglise. Bien sûr, je ne suis qu'un petit chercheur sur ce chemin. J'aimerai avoir leur science. La mienne n'est qu'une intuition pastorale.

Il y a actuellement deux courants dans l'Eglise qui se croise et une "tension théologique" qui se précise entre les partisans d'une morale autoritaire et ceux qui ont le souci d'une pastorale "de la faiblesse". Ceux qui connaissent mes écrits sur le Dieu de faiblesse (1), savent vers quel côté je penche. On ne peut qu'espérer que les conclusions du synode en cours n'oublieront pas qu'au delà des débats théologiques, il y a une faille qui s'écarte progressivement entre les "biens pensants" et le monde. Certes le sujet est délicat et il convient de travailler les nuances. Mais la contemplation de Jean 8 doit continuer à nous interpeller. Les pharisiens, dans ce récit, sont debout. Jésus, quant à lui, effectue une "danse", celle qui s'abaisse vers la femme, trace des traits qui s'effacent, et en se relevant, relève la femme blessée et l'invite à marcher (2).

A cet égard, je suis touché, par le commentaire d'une lectrice, marquée par son divorce et son remariage : "Le rite du lavement des pieds tel qu'il est raconté par Claude dans son livre "Le vieil homme et la perle" est éblouissant de signification et tire les larmes du corps, ou de l'âme ..." Espérons que ce chemin soit un jour utile à d'autre...

(1) Cf. "A genoux devant l'homme"
(2) voir aussi mon commentaire dans le même ouvrage