29 décembre 2021

Pro-position comme danse - 2.24

Il y a un petit mot courant en grec (« pros ») qu’on a parfois du mal à bien traduire tant il évoque un mouvement vers l’autre. J’écrivais quelque chose à ce sujet il y a quelques jours dans ma méditation sur le prologue de Jean que la liturgie nous donne à manduquer à Noël. Par son « πρὸς τὸν Θεόν » Jean nous parle d’amour, de don, d’un Verbe tourné vers le Père, tendu vers Dieu, trace, là encore ténue, de ce qu’on nommera Trinité. Mais Jean n’en est qu’au prologue et ce qu’il évoque est juste un chemin d’espérance qui se précisera à la fin de son Évangile dans ce dialogue final du Fils qui remet tout au Père.

Noël est le début du chemin. Nous savons que du bois de la mangeoire se dessine déjà le bois de la Croix. Il nous faut peut-être du temps pour comprendre que ce non-événement est le lieu où le Père se retire pour laisser grandir un fils d’homme qui deviendra Christ, l’oint de Dieu, qui révèlera, au bout du voyage qu’il est lumière pour le monde. Jean le suggère mais ne dit pas tout, car il nous faut faire tout le chemin de la mangeoire à la Croix, pour que le sens même de cette incarnation devienne lumineux. »

Cette traduction poétique partait du petit « pros » que glisse Jean dans le grec de son prologue. Dynamique particulière que perçoit Jean entre les personnes divines tournées l’une vers l’autre.

Ce qui est intéressant est peut-être d’aller plus loin au delà d’un Dieu immanent ou immobile, vers ce Dieu qui nous invite à cette danse, dans une pro-position(1). 

Ce qui se joue, notamment dans les sacrements et en particulier dans l’eucharistie, est plus que la mémoire douloureuse qu’évoque JB Metz dans sa théologie, c’est un donateur qui s’efface, dans cette hostie fragile et que nous recevons ou pas dans sa pleine dimension de don.

Je te propose la vie…

Ce « pros » est celui du Dieu nu et à genoux devant Judas lui proposant une dernière bouchée (Jn 13), mais bien plus encore, sans espoir (?) que l’autre se laisse toucher par cette humble posture.


Dieu se propose à nous…

François Cassingena-Trévedy le dit très bien : « Jésus se fait pour nous, en cet instant crucial de son convivre (convivium [incarnation ?] avec nous, le poète de sa propre existence »(...) Jésus ne prend rien que le Père ne lui ait donné (…) « pro-position », pour nous. Jésus se pose dès le principe, comme destiné à nous, et c’est ce qu’il ressaisis en un geste exhaustif, tandis qu’il prend du pain (Mr 26,26) »(2)


Dans l’axe de la mangeoire à la croix le don du pain n’est autre que cette invitation fragile à entrer dans la danse, à se laisser habiter par le don… 

Proposition répétée souvent qui rime avec « l’où es-tu ? » de Gn 3, cette quête éternelle, cet agenouillement particulier de Dieu vers l’homme…


Prenez et mangez…

Peut-on consommer l’insaisissable sans se laisser habiter par une voix contagieuse (3) par l’immensité du don qui se révèle dans un petit enfant. 

Le cri du vieux Siméon se fait nôtre quand on perçoit l’ampleur de ce dévoilement.



« Maintenant, ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix, selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples :

lumière qui se révèle aux nations

et donne gloire à ton peuple Israël. » Luc 2


Il a enfin, un autre stade, qui n’est pas un jeu de mots mais une conversion, celle de changer de position, comme une boussole qui cherche le Nord et se tourne vers l’autre (pros) au lieu de s’enfermer sur soi. Alors nous formons un Corps, nous dansons ensemble dans la musique de Dieu avant d’atteindre celle des anges…


(1) François Cassingena-Trévedy, Étincelles III p. 165

(2) ibid.

(3) cf. son livre éponyme

25 décembre 2021

Double agenouillement et ouverture - 2.23

Avant d’arriver au cœur du mystère de l’incarnation, peut-être fallait-il descendre jusqu’au point où l’on écoute, dans le silence, le bruit du monde, sa plainte, son désarroi, ses impasses et ses chemins stériles, ses fausses joies, son désespoir et plus fondamentalement la violence qui demeure. 

Ce chemin je viens de tenter de le parcourir. Ce n’est en effet qu’en descendant très bas, aussi bas que possible, dans le silence de la nuit, quand le cri de l’enfant martyrisé, abusé, violenté, ou plus sournoisement nié et tué que l’on peut comprendre l’agenouillement de Dieu devant la femme qui va porter en son sein un Sauveur.

Au delà de toutes polémiques, il est demandé à l’homme de s’interroger pour savoir comment il est possible que le Père s’agenouille aussi bas…

C’est quand on perçoit le double agenouillement de Dieu et de la femme qui,  dans leur « me voici / fiat » mêlés, que peut apparaître une lueur, un fragile rayon de lumière et que l’espérance jaillit.

La lecture très spirituelle de Luc et de Matthieu n’est-elle pas finalement au dessus de toute rationalité historique et charnelle ? 

Ne devient elle pas chemin d’espérance ? 

La kénose du Père et la réponse mariale mérite d’arrêter tout discours et de contempler à la fois dans le silence, l’innommable, l’impossible, l’imposture et l’insaisissable…

Comment l’infini s’approche-y-il de l’humain, au plus loin de toutes « périphéries » pour rejoindre sans violence ce monde pris dans le tumulte d’une suffisance.

Le double agenouillement de la femme et de Dieu, l’intercession, la rencontre, la danse, au sein même de la circumincession des Personnes divines, laisse finalement une seule voie fragile, celle de notre propre agenouillement…


À l’épaisseur du mystère et du voile qui recouvrent l’incarnation et cette question souvent discutée de celle qui s’ouvre à ce mystère, que cherche à percer les deux « évangiles de l’enfance », répond pour moi, comme en écho, deux voies / voix tout aussi fragiles, celles qui :

1. aboutit au cri / sommet sorti de la gorge du centurion infidèle (Mc 15, 39) que Marc fait suivre au déchirement du voile (*) 

2. ou l’agenouillement sponsal d’un Christ (*) qui se dépouille de son vêtement pour laver les pieds de l’homme en Jn 13, dans ce X. Leon Dufour appelle un mime d’une extrême densité symbolique.

C’est au creux de ces quatre voies, dans la polyphonie des Écritures que prend chair, pour moi, la symphonie fragile des Évangiles…(1) et que peut se concevoir ce que l’Église cherche à contempler, y compris sur la virginité. 


En ce jour du martyre des saints innocents peut on dire plus, espérer plus que de tracer un chemin fragile qui va d’un souffrant à l’autre jusqu’à la contemplation de la déréliction, ce silence de Dieu qui accompagne la mort du crucifié et nous appelle à croire que Dieu est vainqueur de la mort par ce mystère fragile qui va de l’incarnation à la résurrection ? Et qui, ce faisant, « a besoin de nos mains », comme le disait Etty Hillesum au camp de Westerbroch (2)


(*) cf. mes essais « Le voile déchiré » et « À genoux devant l’homme »

(1) un beau thème développé par Hans Urs von Balthasar dans la fin de sa trilogie 

(2) cf. Une vie bouleversée

22 décembre 2021

La trilogie - lectures pastorales

Écrire ou se taire ?
Contempler ou faire silence...
La kénose ou l’humilité de Dieu est au cœur de ce travail intérieur.
Ici se présente à vous ma trilogie :


Une suite presque complète de mes lectures pastorales rassemblée en trois gros volumes à découvrir gratuitement sur Kobo et le site de la Fnac... (ou en 5 tomes « papier » à prix coutant sur Amazon (1)
Environ 2000 pages de lectures commentées de la Parole de Dieu, lent travail interactif entre la lettre et l’agir, éternelle interpellation d’un glaive tranchant qui interpelle et fait grandir.
Ces pages constituent en quelques sortes le fondement de ma vocation.
Le tome central (A genoux devant l’homme) est intégré dans le premier volume, mais se distingue tellement qu’il peut être aussi une porte d’entrée...
Une série plus vaste de mes travaux de recherche est détaillée partiellement dans le billet précédent.
Quel est l’enjeu de cette écriture toujours évolutive ? 
Peut-être est-ce de retracer mon propre chemin intérieur. Si j’ai résisté 25 ans à l’appel au diaconat, honte à moi ? (*)  Il fallait probablement que je me transforme de l’intérieur et ce chemin n’est pas terminé. Me voici diacre depuis deux ans. Qu’est-ce que cela fait de plus ? La question mérite d’être posée. Comme le dit Paul en Ph. 3 le passé est balayure. L’important c’est de « se laisser saisir par le Christ ». Mon ordination ne fait pas de moi un surhomme, mais continue de m’interpeller. Pourquoi ? En vue de quoi ?  Je travaille sur la réponse... je reviendrai vers vous sur ce point. Ce qui est certain, c’est que le grand danger est d’entrer dans le système de ce que j’appelle la « tentation cléricale » au lieu de percevoir et de stimuler le mouvement complet de l’Église vers sa dimension diaconale. 
Pour moi, c’est toute l’Église qui doit basculer d’une tentation ritualisante vers une dynamique diaconale (2), pour retrouver comme le suggère Jean, à la différence des synoptiques que l’important n’est pas le faire mémoire d’un repas partagé mais l’agenouillement devant l’homme qu’est la kénose. 
Passer d’un « entre soi » à un « pour autrui... » c’est en tout cas la thèse que je commence à développer ici. Saint Augustin le dit très bien entre les lignes dans sa méditation sur les pasteurs (cf. L’office des lectures du mardi 22/9 que je viens de méditer par hasard). Aux ossements desséchés doit faire place des pasteurs qui ne cherchent pas leur intérêt mais la vigne, celle du Seigneur. Cette transformation est totale...
Écoutons Augustin : « Par toutes les montagnes et toutes les collines, mes brebis sont dispersées sur toute la surface de la terre. Que signifie : sont dispersées sur toute la surface de la terre ? Cela désigne ceux qui s’attachent à tous les biens terrestres, à ce qui brille sur la surface de la terre ; voilà ce qu’ils aiment, ce qu’ils chérissent. Ils ne veulent pas mourir pour que leur vie soit cachée dans le Christ. Sur toute la surface de la terre, parce que les brebis égarées par l’amour des biens terrestres sont sur toute la surface de la terre. ~ Elles sont en divers lieux, mais elles ont toutes été enfantées par une seule mère, la fierté orgueilleuse, de même que notre seule mère, l’Église catholique, a enfanté tous les fidèles chrétiens répandus dans le monde entier.
Il n’est donc pas étonnant que l’orgueil enfante le désaccord, tandis que la charité enfante l’unité. Cependant la Mère catholique elle-même, avec le pasteur qui est en elle, cherche partout les égarés, fortifie les faibles, soigne les malades, bande les membres fracturés ; elle s’occupe de ceux-ci aussi bien que de ceux-là ; ils ne se connaissent pas entre eux, mais elle-même les connaît tous, car elle est répandue partout. ~
Elle est comme une vigne qui, en se développant, se répand partout ; eux sont comme des sarments inutiles, coupés par la serpe du vigneron à cause de leur stérilité, pour que la vigne soit élaguée, mais non pas ravagée. Ces sarments-là demeurent à l’endroit où ils ont été coupés. Tandis que la vigne se développe de tous côtés, et elle connaît ses sarments ; ceux qui sont restés sur elle et près d’elle, ceux qui ont été coupés.
C’est pourquoi elle rappelle les égarés, car l’Apôtre dit des rameaux brisés : Dieu a le pouvoir de les greffer de nouveau. Que tu parles des brebis égarées loin du troupeau, que tu parles des branches détachées de la vigne, Dieu peut bien ramener les brebis et greffer les branches, car il est le souverain berger, il est le vrai vigneron. Elles ont été dispersées sur toute la surface de la terre, personne ne s’en préoccupe, personne ne va les chercher, parmi les mauvais pasteurs, personne ne s’en préoccupe, mais il y a eu un homme pour cela.
C’est pourquoi, berger, écoutez la parole du Seigneur : Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur Dieu.Voyez comment cela commence. C’est comme un serment de Dieu, une attestation de sa vie. Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur. Les pasteurs sont morts, mais les brebis sont en sécurité, car le Seigneur est vivant. Aussi vrai que je suis vivant, parole du Seigneur Dieu. Quels sont les pasteurs qui sont morts ? Ceux qui cherchent leurs propres intérêts, non ceux de Jésus Christ.  Y en aura-t-il donc, en trouvera-t-on, des pasteurs qui ne cherchent pas leurs propres intérêts mais ceux de Jésus Christ ? Oui, il y en aura ; oui, on en trouvera, ils ne manquent pas et ils ne manqueront pas » (3)
(1) Les titres des 5 tomes papier équivalent à cette trilogie numérique et disponibles notamment sur Amazon sont les suivants : Pédagogie divine, chemins de miséricorde, chemins croisés, à genoux devant l’homme, Serviteur de l’homme.(2) cf. mon essai La dynamique sacramentelle  
(3) Saint Augustin, sermon sur les pasteurs, office des lectures de la 25eme semaine.
(*) mon épouse plus que moi encore 



Noël autrement, les limites du rite ? 2 - 22


Qu’allons nous célébrer à Noël ? 

Une fête païenne ou la Parole fragile, le silence ténu, le cri d’un enfant ? Prendre le temps de ruminer lentement Luc 2,1-18 (*), nous conduit « Ailleurs ». Noël est bien autre chose. C’est surtout, dans l’axe du cri de Marie [« il relève les humbles »] une semence d’espérance pour les pauvres, loin de nos excès et probablement de nos suffisances ? 


La liturgie a trop découpé le sens donné par Luc 2.

Il faut peut-être aller plus loin… 

Nos rites désuets ne remplaceront jamais ce que révèle la paille rêche d’une crèche. 

Dans le silence de la nuit se murmure à nouveau en effet le psaume dit de David : « tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...) Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

Le dépouillement de Noël est d’une certaine manière le même que celui de Jésus lors du dernier repas.

Avant d’ouvrir des yeux faussement béa sur l’enfant né, n’oublions pas ce qu’il ouvre dans l’espace temps. N’oublions pas de tracer dans nos cœurs la ligne qui va du bois de la mangeoire à celui de la Croix jusqu’à un geyser, signe du fleuve immense des dons de Dieu.

Noël est le prélude discret de la Passion. 

Luc prépare Jean dans la même danse spirituelle.

Quand le fils de l’homme retire son vêtement en Jn 13, il redevient l’enfant pauvre, au milieu des pauvres. Noël n’est pas un simple rituel, mais d’une certaine manière le premier « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante, car il nous révèle l’essentiel : ce qui prime est l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux migrants, aux nouveaux esclaves à qui Jésus s'identifie ici. 

Et cette direction est celle là même qui est évoquée par l’appel des bergers, de ces parias du judaisme de l’époque, rejetés car impurs, [au contact des animaux]. 


Que célébrons-nous ? Et avec qui ?

Noël n’est pas le confinement familial qu’il est devenu, mais le lieu même du don.

On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Luc nous conduit aux mêmes conclusions que Jean par son évangile de l’enfance. Il est peu historique mais très spirituel.


Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 

Notre communion est stérile si elle se contente de satisfaire notre entre soi.

Comme Luc en introduction, Jean dans sa conclusion nous conduit au même décentrement, mais ajoute une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique et la croix, exhortation finale de Jean. 

Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[3] comme cette auberge de Béthleem chez Luc.

« Allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le premier  Noel ou le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pècheurs (Jn 8 et Jn 13), ou courrez vers eux (Luc 15), comme vers les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.


Je rejoins là d’une certaine manière la belle l'injonction de François Cassingena-Trévedy qui nous a longuement préparé au désert par la contemplation des terres froides de son pays avant de nous offrir ses roses de Noël… https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3746631415561337/ Elles font écho aux danses fragiles de mes « tulipes » trinitaires développés dans les 75 billets précédents :-)


[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

* Cf. nos essais fragiles dans la Maison d’Évangile - La Parole Partagée




[1] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »

Voir aussi François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

21 décembre 2021

Chute et frémissement ? 2-21

Il y a peut-être une leçon à tirer de cette situation particulière qui voit l'effondrement de nos babylones anciennes. Au delà du style particulier du message de Jean, de ses exhortations datées, il nous faut peut-être transposer ce qui interpelle l’aujourd’hui dénoter Église, non pour dire que tout est accompli, mais parce qu’il reste un chemin. Écoutons d’abord le cri sous ce prisme : « Malheur ! Malheur ! la grande ville, Babylone, ville puissante : en une heure, ton jugement est arrivé ! (...) les marchands de la terre pleurent et prennent le deuil à cause d'elle, puisque personne n'achète plus leur cargaison : cargaison d'or, d'argent, (...) « Les fruits mûrs de tes convoitises sont partis loin de toi, tout ce qui était brillance et splendeur est perdu pour toi, et cela plus jamais ne se retrouvera. » (...) « Malheur ! Malheur ! La grande ville, vêtue de lin fin, (...) toute parée d'or, (...) , car, en une heure, tant de richesses furent dévastées ! » Ap 18, 10 sq




De quoi parle l'apôtre Jean si ce n'est peut-être de nos constructions humaines, notre monde financier, certes, mais peut-être aussi nos églises de pierre maintenant vidées de leur peuple. Face à ce désert et ce dépouillement, il nous faut revisiter ce qui est essentiel, ce qui compte vraiment, au delà des « cymbales retentissantes »(1Co 13).

Ce qui demeure est peut-être ce qui est dépouillé du faste. C'est ce qui est de l'ordre de l'amour. 

Le rideau s’est déchiré (1) et seule la croix nue et décharnée sur un ciel sombre luit de vérité. « je suis le chemin, la vérité et la vie ». (Jn 14).

La croix est loin de tout faste et de tout or, elle est cet amour désintéressé d'un donateur qui s'efface et meurt après avoir tout donné.

Christ est humilité et kénose...loin de nos splendeurs factices et peut-être même du faste ancien de nos liturgies.

Abandonnons l'or et contemplons le bois transpercé, la chair meurtrie de ceux qui donnent et se taisent, de nos soignants épuisés et vidés. 

Ils brlllent d'un amour plus essentiel que nos ors et nos paroles humaines, voire de certains de nos discours ou de nos prières machinales qui oublient ce qui est voilé et silencieux au fond de nous-mêmes : l'appel à l'humilité et à l'agenouillement.


« Le Christ Jésus, +

ayant la condition de Dieu, *

ne retint pas jalousement

le rang qui l'égalait à Dieu.

7 Mais il s'est anéanti, *

prenant la condition de serviteur.

Devenu semblable aux hommes, +

reconnu homme à son aspect, *

8 il s'est abaissé,

devenant obéissant jusqu'à la mort, *

et la mort de la croix.

9 C'est pourquoi Dieu l'a exalté : *

il l'a doté du Nom

qui est au-dessus de tout nom,

10 afin qu'au nom de Jésus

tout genou fléchisse *

au ciel, sur terre et aux enfers,

11  et que toute langue proclame :

« Jésus Christ est Seigneur » *

à la gloire de Dieu le Père.(Ph 2, 5-11)


Le suis le chemin...

Et quel chemin ?

Peut-être l’humilité de Dieu, la kénose du Père puis du Fils qui se répand ensuite silencieusement dans nos cœurs et loin de tout discours surfait.

Il est vérité et vie.

À quelle vie nous appelle le Christ sinon de tenter cette voie ardue, presqu’inacessible de l’amour donné et partagé ? 

Je suis...

Il est chemin, il est présent.

Présent dans le cri du frère, blessé, abandonné ou, comble de l’horreur, abusé. Il est dans l’appel ténu que nous ne savons pas entendre, dans cette main que nous refusons et ignorons sans cesse...


Déposer son vêtement pour le lavement des pieds c'est aussi, pour le Christ, commencer le dépouillement final. 

On pourrait faire une lecture spirituelle qui voit le dénuement du Christ suivi de son action de verser l'eau dans le bassin puis de s'agenouiller devant l'homme comme une symbolique de la soumission finale et du sang versé. 

C'est comme on le verra plus loin sous la plume de Xavier Léon-Dufour (2), comme un premier « mime symbolique » de la croix qui se déroule ici. 

Il y a alors dans cet axe de lecture une dimension que Pierre ne comprend pas encore, faute d'en avoir la clé ultime. Le lavement des pieds, c'est déjà la Passion, le don final, le sang versé, c'est le jusqu'au bout de l'amour... 

Le refus de Pierre prend alors une autre ampleur : au delà du refus de la kénose c'est le refus de la souffrance et de la mort qui est en jeu. 


La deuxième piste à méditer est peut-être celle du signe, du sacrement et de la distance qui peut se créer entre le rite et l'agir. 

Le rite du jeudi saint n'est rien s'il demeure un mime, un discours en geste au lieu d'être un amour en actes... 

On dit que le lavement des pieds n'est pas un sacrement parce que la vie et la mission de l'Église doit être un éternel lavement des pieds... cela reste à prouver dans l'aujourd'hui de nos vies, de nos agir... 

À méditer 


(1) cf. mon livre éponyme

(2) Xavier Léon-Dufour, Évangile selon saint Jean, tome 3, p. 26 & 60.


PS : je revisite ici des textes déjà parus il y a 18 mois, mais qui me semblent plus pertinents que jamais…

« Hâtez-vous lentement et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez… ». Ce cher Boileau avait du bon. Comme l’argile que traverse à nouveau la charrue, nos cœurs en cet hiver ont des espoirs à faire renaître, pour que grandisse en nous le germe de l’Esprit, si bien enterré dans nos cailloux profonds…

Stérilité et agenouillement - 2-20

Quel avenir pour notre Église ?

Le tressaillement de Jean au sein de l’ancienne femme stérile nous ramène bien loin et nous projette bien haut. Quelle va être notre fécondité ? Sommes nous encore dans l’espérance ?

« Or voici que, dans sa vieillesse, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils et en est à son sixième mois, alors qu’on l’appelait la femme stérile. Car rien n’est impossible à Dieu. »

Si l’on oublie les premiers mythes d’Ecriture tardive et nous concentrons sur celui que l’on considère comme le premier « croyant », il nous faut peut-être contempler, comme le fait Heb 11, les gestes d’Abram et de Sara, voir le père des nations  à genoux à Mambré devant cette triple danse de feu (cf. billet 2.17.6 ), partir de l’origine pour retrouver LA direction.

À l’origine tout commence par un acte de charité.

Tradition culturelle d'hospitalité, le lavement des pieds proposé par Abraham, n'est certes pas à la hauteur du lavement des pieds proposé par Jésus en Jean 13. 

Et pourtant... 

Il devient lieu intérieur de conversion.

Il s'inscrit dans cette dynamique même de dépouillement en dépouillement, d'agenouillement en et agenouillement qui conduira Jésus à prendre la place, à la suite des femmes de Galilée, de celle qui revient à l'esclave, pour nous montrer la voie de l'amour humble de Dieu. 

C'est ce que nous avons peut-être à méditer dans le silence et dans l'attente d'Abram au chêne de Mambré. 

Sur le sable fragile d'un homme et d'une femme, stériles malgré leur union, Dieu veux construire un peuple, une descendance. 

Que dire, de la même façon, de cette leçon d'humilité, s'il en est, que cette stérilité de Sarah qui va jusqu'à rire du projet de Dieu et découvrir pourtant en sa chair que Dieu peut faire germer une graine sur un terrain aride. 

Dieu a besoin de nous ! De nos mains…

Si nous prêtons nos corps stériles et voués à la ruine, nos églises désertées, à la construction d'un Corps, nous devenons participants, malgré notre indignité à l'édification du Temple. 

Il ne s'agit pas cette fois d'une Babel éphémère si notre dépouillement reste entier. Il faut accepter de mourir à nos rêves humains de puissance, à nos prosélytismes moralisateurs, pour que le grain prenne enfin  corps. C'est dans l'argile de nos échecs que le Seigneur dessine un chemin amoureux... 



C'est dans le terreau de nos erreurs que Dieu fait jaillir le grain du Verbe. 

C'est sur le reniement d'Abram que jaillira la descendance. 

C'est sur le reniement de Pierre que se construit l'Église. 

Nous ne sommes que des pécheurs pardonnés. 

De nos échecs Dieu fera des victoires. 

Du cri des victimes jaillira-t-il enfin l’espérance…?

Du jamais plus, combien de fois répété, peut germer un nouvel élan.

Sur la boue des « terreux », sur l'argile du potier, Dieu modèle des amphores. 

De la quête attentive de l'homme, de l'accueil humble d'autrui, jaillit le signe ultime, l'agenouillement de Dieu devant l'homme qui crie que l'amour est possible. 

Si tu veux... 

Laissons Dieu agir. 

Laissons-nous nous dépouiller de nos désirs humains, de nos quêtes de pouvoir, pour qu'au fond d'un vase brisé, d'un rideau déchiré, d'un corps mutilé, d'un rêve cassé, d'un cœur transpercé, jaillisse une source nouvelle...

Laissons le nous laver les pieds, s’agenouiller devant l’homme, percevoir que ce Dieu à genoux est sommet, don, unique geste, mime fécond, car il nous conduit à terre et veut de nos cœurs stériles, de nos églises malades, faire germer la semence.

20 décembre 2021

D’une perle à l’autre

D'une perle à l'autre

Avis de publication de ma saga en téléchargement libre : « D’une perle à l’autre »

Ce livre est un triple hommage :
A la vallée d’Avre
À Jacques et Claude, deux amis prêtres décédés chacun à 93 ans et des poussières.
Il est aussi au cœur de ma propre façon de concevoir l’homme, comme un éternel agenouillement (*)

Deux textes s’y répondent :

«Sur ma couche, pendant la nuit, j'ai cherché celui que mon coeur aime; je l'ai cherché et je ne l'ai point trouvé
‭‭Cantique des Cantiques‬ ‭3:1‬ ‭
Et dans le plus ancien des textes de la Genèse :
« Ils quitteront père et mère et feront une seule chair... » Gn 2, 22

Qu'est-ce qui déchire le cœur de l'homme ?
Qu'est-ce qui suscite en lui un cri ?
Quelle est la course qui le conduit à l'amour ?
Qu'est-ce qu'une seule chair sinon une symphonie ?
Comment faire chair sans rejoindre le Corps ?

Qu'elle est cette perle fine qui mérite un quitter ?
Quel est le cri qui conduit à se dépouiller ?

De l'éros à l'agace.
D'un amour fugace au grand amour...
D'une perle à l'autre...

"Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherchait de belles perles. Ayant trouvé une perle de grand prix, il s'en alla vendre tout ce qu'il avait, et l'acheta
‭‭Matthieu‬ ‭13, 45-46‬ ‭

D'une perle à l'autre.

Après la perle fine qui fait une apparition discrète dans le « collier de Blanche », après « une dernière valse » ou « le chant du large », « D'une perle à l'autre » est un roman de plus de 800 pages. Il raconte l’histoire de deux hommes en quête d’infini.
Le livre est disponible en deux tomes en téléchargement libre et gratuit sur Kobo et le site de la Fnac. Version papier toujours en ligne sur le « vilain site marchand... »



Cf. https://www.fnac.com/livre-numerique/a15025825/Claude-Heriard-D-une-perle-a-l-autrehttps://www.fnac.com/livre-numerique/a15025825/Claude-Heriard-D-une-perle-a-l-autre

PS : Tous mes romans comme mes essais sont ou seront maintenant offerts en téléchargement par le même biais...
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19 décembre 2021

Mystère de l’incarnation - 2 - 19


On peut écrire beaucoup de chose sur l’incarnation, évoquer des certitudes et des dogmes. Il me semble que tout commence par une contemplation, au delà de l’apparente violence des éléments, des vents et du feu, il demeure une tendresse et une espérance qui demeure et fissure nos certitudes, comme cette attente du Printemps qui habite nos hivers.

Les terres arides ne peuvent demeurer stériles, une jeune fille va enfanter crie Michée au milieu de la nuit.



Dans les ombres et marécages de notre propre humanité, dont l’Ancien Testament fait écho, un germe d’espérance se prépare, tressaillement dont Jean-Baptiste se fait le premier écho, marquant une page qui se tourne.

Tout ce qui suit quitte l’histoire pure, pour devenir chemin de foi, d’espérance et de charité.

L’amour divin n’est pas violent, il est brise légère, courant d’air, humilité, incarnation, visitation, alliance. 

Avant même les Évangiles, Paul avait déjà compris l’essentiel, à la fois à travers sa propre expérience, même s’il existe trois récits, et surtout dans son approche de Ph 2. « Il n’a pas retint le rang qui l’égalait à Dieu », mais s’est dépouillé, agenouillé… humilité de Dieu, kénose trinitaire, danse de Dieu vers l’homme.

On peut taxer Paul de visionnaire, il va plus loin sur ce thème que bien des évangiles. Ce n’est pas de l’ordre du dogme, mais chemin à contempler, contemplation et agenouillement, lieu de frémissement et de méditation. Les crispations postérieures ne sont souvent que des bulles de l’histoire 😉

Un sauveur vient, il est là, il reviendra.

18 décembre 2021

Image, ressemblance et danse - 2.17.6

Sommes nous créés, comme le suggère Gn 1 à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Lui dont on ne peut représenter l’infinie tendresse. 

La question que me pose Marie Josèphe en commentaire du point 17.5 est à cet égard intéressante.

En quoi pouvons-nous même prétendre être image de Dieu, lui l’insaisissable ?

Je développe ici ma réponse qui ne peut être que vectorielle, puisque notre image est bien mouvante. Notre apparence extérieure, notre « visage » est bien éphémère. Ce qui compte est plutôt vers quoi nous allons, la dynamique, la direction.

En Gn 1, 26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »

Mais au verset 27 « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » il n’est plus fait mention de ressemblance.

Cela  interroge d’ailleurs certains commentateurs. Pourquoi la ressemblance évoquée au verset 26 n’est pas reprise dans l’acte créateur du verset 27. 

Est-ce pour souligner la distance entre le rêve de Dieu : nous créer à « l’image et la ressemblance » et ce que nous sommes : une bien pâle et fragile image du divin, quand nous ne devenons pas, aussi, il faut le reconnaître, un repoussoir, ou un cauchemar de Dieu, en dépit de ses rêves d’alliance.

Est-ce dans sa capacité de relation entre un homme et une femme que se révèle quelque chose de la Danse trinitaire ? Ce thème est vaste (*).

De quoi parle-t-on ? 

Augustin déjà parlait de trois degrés : la trace, l’image et la ressemblance. La fleur est trace de Dieu, l’homme peut être à l’image, mais seul le Christ atteint, pour lui, la ressemblance véritable. 


Pour saint Bonaventure, nous rappelle longuement Hans Urs von Balthasar(1)  il y a plutôt six degrés : chacun des trois degrés est :

- soit un renvoi, 

- soit une représentation. 

Quand on est image de Dieu, c’est soit « comme un miroir, soit comme un réceptacle, signe immanent de l'inhabitation de Dieu »

Que veut-il dire ?

Un miroir n’ajoute rien…

Une représentation pourrait être comme un arbre qui gémit, tressaille, se transforme et sème peut-être quelques fruits ?

Passer du renvoi à la représentation, c'est finalement déchiffrer combien l'être créé qui renvoie vers Dieu est habité par Dieu et ce travail de déchiffrage est un chemin qui invite à s’interroger sur sa propre ressemblance avec Dieu, qui ne sera totale qu'en Christ. En déchiffrant les traces et notre capacité à être image, nous tendons vers la ressemblance. Et ce chemin nous fait rejoindre notre destinée, ce pourquoi nous avons été créés : « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26), un état que nous ne retrouverons qu’à la fin.


Le rêve de Dieu du verset 26 n’est pas encore réalisé, sauf en Christ qui seul déchire le voile de l’insaisissable. Et notre chemin se trace alors.


On saisit mieux ces propos de Paul que je cite (trop ?) souvent : 

« À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des [skubala = déchets / ordures], afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3, 8-15)


Jean-Luc Marion revient à propos de Ph 3, 8, (p. 544) sur cette notion originale de déchet/ordure décrit par Paul, qui faisant suite à ses propos sur l’humilité de Dieu (Ph 2/kénose) ajoute une couche au nécessaire renoncement de l’homme à sa capacité à être « ressemblance » de Dieu. Comme il l’explique mieux que moi, l’important ce n’est pas ce que j’ai tenté de faire seul, mais se laisser saisir par Lui et tâcher de le saisir, c’est-à-dire se laisser transformer par l’Esprit. 

Seul le don de l’Esprit fait briller en l’homme des éclats de la lumière divine, comme nous le dévoile l’ange chez la jeune fille de Galilée…

Pour cela il faut un renoncement à notre propre image, être dé-figuré pour laisser passer la lumière. 

Ignace d’Antioche dirait « devenir farine » ou « froment de Dieu »(2), moulu par Dieu pour laisser/abandonner ce qui nous encombre et entrer dans sa danse…


« Je suis ce que je suis [uniquement] par la grâce de Dieu »(1 Co 15,10) (...) qu’as tu que tu n’aies reçu (1 Co 4,7).(3)


Nous ne valons que si Dieu nous donne d’être. Ce qui fait de nous des images vient de notre capacité d’inhabiter la grâce divine (au sens Rahnérien- 4), en faisant fructifier les semences reçues de Dieu, sans perdre de vue qu’elles sont théologales, c’est-à-dire qu’elles ne viennent pas de nous, mais d’Ailleurs, qu’elles sont dons divins.

Et peut-être est-ce là le chemin de l’Esprit en nous, cette « économie » intérieure qui nous fait entrer discrètement dans la danse trinitaire.

Nous dessaisir de toutes volontés d’être « image » pour entrer dans le feu ardent d’un amour qui nous embrase et nous rend participant de la lumière divine. 


Comme le note François Cassingena-Trévedy  : A Mambré « Abraham est au plus haut du jour et pour se rafraîchir il invite le Feu ! Le Feu qui va (...) les trois Flammes qui (...) dansent autour de l’arbre »… tout un programme !


Une méditation de l’agenouillement d’Abraham, premier lavement des pieds de la Bible peut conduire à méditer, d’agenouillements en agenouillements, la Révélation de Dieu à genoux devant l’homme, le Christ qui dévoile Dieu de Jn 13 à Jn 21. (6).


(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la Croix, Styles, tome 2

(2) Ignace d’Antioche, lettre aux Romains, 4, 1

(3) cité par Jean Luc Marion, D’Ailleurs la Révélation, Grasset p. 546

(4) Karl Rahner, cf. TFF.

(5) Étincelles 3 p. 157

(6) cf. mon « Dieu dépouillé » https://www.fnac.com/livre-numerique/a14771999/Claude-J-Heriard-Dieu-depouille#FORMAT=ebook%20(ePub)


(*) voir sur ce point mon essai « Aimer pour la vie »

15 décembre 2021

Dons de Dieu Trinitaire- 2.18.2

On a l’impression parfois de trouver un rayon de lumière, alors qu’il s’agit d’un concept déjà lu, compris par tant d’autres. Mon billet précédent, même écrit avec des mots savants, n’apporte finalement pas grand chose par rapport à ce que disait Irénée. C’est ce que me glisse l’office des lectures d’aujourd’hui. Leçon d’humilité ? 

«  Dieu sera vu des hommes.

C'est Dieu, l'unique, qui a fait et harmonisé toutes choses par le Verbe et la Sagesse. ~

Et c'est son Verbe, notre Seigneur Jésus Christ, qui, dans les temps derniers, s'est fait homme parmi les hommes, pour rattacher la fin au principe, l'homme à Dieu.

Voilà pourquoi les prophètes, recevant de ce même Verbe le charisme de la prophétie, ont prêché sa venue selon la chair, qui réalise la jonction et la communion de Dieu et de l'homme comme il paraissait bon au Père. Dès le commencement, le Verbe de Dieu a annoncé que Dieu serait vu des hommes, qu'il vivrait et converserait avec eux sur la terre, qu'il se rendrait présent à son ouvrage pour le sauver, et qu'il se laisserait saisir par lui, pour nous libérer des mains de tous nos ennemis, c'est-à-dire de tout esprit de transgression, et pour faire que nous le servions en justice et sainteté tous les jours de notre vie, afin qu'enlacé à l'Esprit de Dieu, l'homme accède à la gloire du Père. ~

Les prophètes annonçaient donc que Dieu serait vu des hommes, conformément au dire du Seigneur : Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu.

Certes, selon sa grandeur et sa gloire inénarrable, nul ne peut voir Dieu et vivre, car le Père est insaisissable ; mais selon son amour, sa bonté et sa toute-puissance, il accorde à ceux qui l'aiment de voir Dieu, et c'est ce que prophétisaient les prophètes, car ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu.

Ainsi l'homme par lui-même ne verra pas Dieu, mais lui, Dieu, sera vu des hommes s'il le veut, de qui il veut, quand il veut, comme il veut : car Dieu peut tout : il a été vu autrefois grâce à l'Esprit selon la prophétie, puis il a été vu grâce au Fils selon l'adoption, et il sera vu dans le royaume des cieux selon la paternité, car l'Esprit prépare d'avance l'homme pour le Fils de Dieu, le Fils le conduit au Père, et le Père lui donne l'incorruptibilité et la vie éternelle qui résultent pour chacun de la vue de Dieu. Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, ainsi ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Car la splendeur de Dieu vivifie : ils participent donc à sa vie, ceux qui voient Dieu. »(1)


Et pourtant en relisant cela, j’avance un peu dans cette contemplation de l’insaisissable, probablement parce que mes yeux sont aveuglés par des détails plus fugaces.


(1) TRAITÉ DE SAINT IRÉNÉE CONTRE LES HÉRÉSIES

14 décembre 2021

L’Esprit comme don - 2-18

Nous approchons de la conclusion. Et comme esquissé plus bas, la place de l’Esprit se précise comme le travail intérieur et mystérieux qu’il est.

Est-il visible, saisissable cet Esprit qui souffle où il veut ?

Marion nous guide vers un sujet sur lequel il excelle, cette notion du divin comme « grand donateur qui s’efface ». Dans le jeu trinitaire, l’Esprit ne déroge pas à ce concept d’effacement (kénose), au même type d’invisibilité puisqu’il est don, gratuit, icône mêlée et danse d’un don de ce grand Donateur qui disparaît en se dévoilant, à la fois « don du donateur (Le Fils) et le donateur du don (le Père) » (1) qui dans leur communion invisible se donne puis s’efface dans cette triple kénose qu’évoque Hans Urs von Balthasar. 


Danse…


La Trinité nous est finalement invisible parce qu’elle demeure insaisissable étant par essence un don gratuit, qui s’efface totalement après avoir tout donné (comme le Christ après sa mort dans la discrétion d’une résurrection non tangible sans le regard de la foi et le prisme de l’Esprit, cf. 17.5) de peur de devenir une dette qui forcerait notre liberté.


Ici la théologie pratique du baptême peut trouver une piste de méditation de même que les concepts de vertus théologales (cf. 1 cor 13) qui sont les fruits visibles de ces dons gracieux. En donnant à l’homme, foi, espérance et charité, Dieu se donne et se retire tout en invitant, dans le bruit d’un fin silence à danser de ces dons.


Flamme fragile que cet Esprit qui vient et s’enfouit dans le silence intérieur pour germer dans le désert de nos terres desséchées et répandre en nos cœurs des fruits surprenants qui se distinguent de nos habitus.

Comme cet Esprit qui pousse Jésus au désert pour affiner l’homme et le rendre capable d’attendre sa mission de Fils, laissons nous interpeller d’Ailleurs, pour qu’agisse en nos cœurs ce don gratuit et discret que Dieu nous fait…


Je ne me lasse pas, en pastorale du mariage de faire découvrir cette humilité du père qui accepte le départ du fils prodigue (Luc 15) et guette de loin son retour pour courir à sa rencontre. N’est-ce pas l’écho subtile de cet « où es-tu ? » lancé à l’homme dans le premier jardin…


Seul l’Esprit est don fragile qui distille en nous, par le biais du Verbe, le chemin discret de Dieu dans nos déserts. 


Il « donne le premier don, donne en premier (...) dans le secret (...) on ne sait ni ne voit comment on reçoit ce qui se donne »(2), mais on entre dans la danse… 


Cette danse passe par cette découverte toute intérieure, cette contemplation, de l’immensité du don reçu, comme ce fiancé qui s’extasie devant celle qu’il reçoit avant d’entrer à son tour dans le don [je te reçois et me donne à toi]… Contemplation du don immense quel Dieu nous fait, de son pardon et de la communion (danse) à laquelle se destine toute l’économie trinitaire…(3)


Tourbillon…

Kénose…(4)

Danse.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, ibid. p. 503sq

(2) p. 512

(3) sacrifice, pardon et communion, ibid. p. 527-28

(4) p. 529

13 décembre 2021

Danse Trinitaire 17.5

Je crois que Marion mérite à ce stade d’être cité dans le texte. Comment l’Esprit agit-il dans la Révélation ? Comment ouvre-t-il nos coeurs comme celui du Centurion en Mc 15,39 ? Une question qui a fait couler beaucoup d’encre chez les Pères de l’Église. 

Pour Marion, et pour tenter de le dire simplement, seul un regard travaillé par l’Esprit peut approcher l’insaisissable de Dieu en descellant derrière le visage du Christ ce qu’il révèle de l’amour du Père. 

Ce que Jean Luc Marion appelle « Anamorphose »(*) mérite-t-il un détour ? Essayons d’écouter sa manière de le dire… L’anamorphose est pour lui « le dispositif où le regard de l’homme se placerait dans le site exacte qu’exige pour se faire reconnaître en pleine manifestation, l’icône elle-même ; il faudrait se placer dans l’axe du regard iconique, qui soudain et d’un coup, jaillit de la face du Christ enfin appréhendée comme Fils, donc comme manifestation du Père. Placer le regard d’un homme en ce point d’anamorphose, seul l’Esprit le peu : il « guide » et « oriente », « conduit » et place le regard humain à l’endroit précis où (comme une image en deux dimensions, qui, placée sous un angle précis du regard avec la lumière réverbérée, soudain surgit en trois dimensions) sa « puissance optique » et « illuminatrice » « met en icône » une fois pour toute le visage visible et y fait éclater, en profondeur « la vision plus belle que l’Archétype ». L’Esprit Saint met en scène, met en vue, bref dé-couvre et fait jaillir la gloire du Père dans la gloire paternelle du Fils ». (1)


Il faut avoir lu peut être son « idole et la distance » pour percevoir à quoi il parvient à ce stade.


Cela évoque surtout pour moi ce que rappelle Hans Urs von Balthasar de Bonaventure dans sa quête sur l’image et la ressemblance.(2)


Course infinie qui nous prépare à découvrir l’insaisissable. Course que l’on retrouve, au delà du quiproquo d’Exode 33 en Exode 34 où le regard de Moïse s’éclaire dans l’axe qui ira de Noël, au baptême, à la Transfiguration jusqu’à la Croix et le cri déjà évoqué du Centurion…


PS [ajout v2] : Au risque de perdre le lecteur, je dois dire qu’il est frustrant de citer un passage, même si celui ci est magnifique, quand on déchiffre doucement un livre plein de mots difficiles, car on prend le risque de perdre ceux qui n’ont pas lu l’ensemble. Faut-il taire ce que l’on découvre ou simplement inviter le lecteur à se plonger dans un livre si difficile ? Pour moi après 3 mois de lecture poussive faute de temps, je crois que progressivement la lumière vient. Ce passage, je cherchais déjà à l’expliquer dans mon billet 17.4, mais en le relisant j’ai trouvé qu’il parlait de lui même à condition de comprendre ce terme difficile d’anamorphose (dont le sens courant est une « déformation de l’image ») mais qui chez Marion va un pas plus loin. Je crois, même si j’ai encore du mal à tout saisir, qu’il s’agit d’une sorte d’illumination intérieure qui conduit à la conversion du cœur quand Dieu nous vient vraiment d’Ailleurs…

N’est ce pas cela la conversion ou metanoia - inaccessible lumière d’un Dieu qui vient en s’incarnant nous visiter…

A ceux qu’il guérit il demande de se taire. Pourquoi si ce n’est pour que le voile termine son œuvre et en se déchirant révèle sur la Croix et dans la résurrection ce que nous ne pouvions percevoir sans cette « anamorphose » du regard… ?

Pour Marion tout de la Trinité est invisible et c’est l’Esprit qui vient à notre aide et aligne la lumière pour dévoiler le mystère… en dévoilant dans le Fils incarné la lumière cachée.

« L’Esprit ne se voit pas, parce qu’il fait voir » ajoute-t-il p. 490, dans une phrase qui résume bien cette danse trinitaire que je cherche à thématiser ici.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation p. 489

(2) La gloire et La Croix, tome 2, autour des pages 249sq

09 décembre 2021

Danse trinitaire 17.4 - semences

Quelle est cette quête de l’homme qui le pousse à chercher la lumière ?

Quelle est la source de ce désir qui nous conduit à Dieu, ci ce n’est cette graine enfouie au plus profond de nous ?

« Ils se réveilleront, crieront de joie, ceux qui demeurent dans la poussière, car ta rosée, Seigneur, est rosée de lumière, et le pays des ombres redonnera la vie. » (Isaïe 26, 19)

N’est-ce pas cette part silencieuse et secrète que l’on nomme Esprit, don de Dieu, depuis toute éternité, amour qui brûle en nous d’un désir insaisissable et insatisfait. 

Dans un sermon que je découvre cette nuit, saint Pierre Chrysologue le décrit assez bien :

 « Dieu, voyant le monde ravagé par la crainte, agit sans cesse pour le rappeler à lui avec amour, le solliciter par la grâce, le soutenir par la charité, et l'envelopper de tendresse. (...) L'amour engendre le désir, s'enflamme d'ardeur, son ardeur le porte au-delà de ce qui lui est accordé. À quoi bon insister ?


« Il est impossible que l'amour ne voie pas ce qu'il aime ; voilà pourquoi tous les saints ont jugé sans valeur tout ce qu'ils avaient obtenu, s'ils ne voyaient pas le Seigneur.


« Voilà pourquoi l'amour qui désire voir Dieu, s'il manque de jugement, a pourtant une piété ardente.


« Voilà pourquoi Moïse ose dire : Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, montre-moi ton visage. Et le psalmiste : Montre-moi ton visage. Enfin, c'est pour cela que les païens ont fabriqué des idoles : afin de voir de leurs yeux, au milieu de leurs erreurs, ce qu'ils adoraient. »(1)


Dans le regard du centurion qui affirme « vraiment celui ci était Fils de Dieu » (Marc 15, 39) se produit de la même manière, un alignement des planètes, une danse particulière où l’Esprit révèle à l’homme que le Fils est icône du Père.

Chez Marc cela constitue le sommet de son évangile.

Pourquoi chez le centurion et non ailleurs ?

Parce que Dieu est accessible à tous ?


N’est ce pas le but de toute pastorale que d’éveiller chez l’homme cette grâce de reconnaître le Fils comme face visible de l’invisible. ? 

C’est en tout cas ce que je comprends de Marion(2).

Cela rejoint mon essai sur la « pastorale du Seuil »(3). Cette révélation n’est pas le but de nos efforts mais le travail final d’une mise en place de l’essentiel, d’une invitation qui nous dépasse car elle est le fait de Dieu.

C’est ce que Hans Urs von Balthasar décrit comme les « semences de l’Esprit » (4) ce don de Dieu, cette soif de Dieu qui nous ramène toujours au Père, cette grâce particulière faite à tout homme, et qui, plus particulièrement, mais pas exclusivement (!), repose dans le don baptismal et nous conduit à Dieu. Est-ce cela ce qu’Irenée appelle notre divinisation ? Je n’aime pas ce terme parce qu’il nous fait croire trop vite que nous sommes capables du divin. Je préfère croire, à la suite de Paul (Ph3) ou du cappadocien, que cela reste une course infinie (5), mais je veux bien entendre qu’il est ce don fragile que Dieu nous fait, depuis qu’à l’origine, nous ayant transmis le souffle originel (Gn 2), il nous appelle, par notre nom, d’un « où es-tu ?) qui n’est autre pour moi qu’une invitation à danser dans cette musique trinitaire de l’amour.. 

Noël nous révèle le projet de Dieu : « Ce projet de la création de l'univers, non sous forme d'un plan d'organisation de toutes choses, mais d'une semence de liberté et d'amour jetée dans l'univers en formation pour que naisse en son sein une créature spirituelle avec qui Dieu pourrait entrer en communication intime, semence que Dieu confiait au monde (...) un appel, un souhait, une parole, un logos, l'invitation à naître adressée à un Premier-né destiné à ramener à Dieu toute sa famille humaine" (6) tout cela donne du sens à notre aujourd'hui. 


Le don de Dieu est appel... Il s'origine dans un don (Gn 1 et 2) et l'appel d'un "où es-tu ?" (Gn 3) qui est plus qu'un cri, une plainte d'un Dieu qui aime sa création et n'a pour but que de le ramener à lui... 


PS : En écho aux illustrations de François Cassingena-Trévedy sur Isaïe 25 et aux questions sur la théologie pratique de Thibaut Girard


(1) saint Pierre Chrysologue, sermon sur l’incarnation, office des lectures du 9/12 à lire en entier sur AELF.org 

2) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, op. cit p. 489

(3) cf. https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/pastorale-du-seuil (ebook gratuit).

(4) Théologique III, L’•Esprit de Vérité, p.15 voir aussi une discussion sur thème in https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4921219631285815/

(5) cf. La vie de Moïse et mon essai éponyme 

(6) Joseph Moingt, L’esprit du christianisme, Paris, Temps présent, 2018, pages finales

03 décembre 2021

Danse trinitaire - 17.3

L’Esprit qui « fait et fraye le chemin (odêgei) » Jean 16,13

J’aime le commentaire de Marion qui souligne que « frayer ainsi le chemin consiste à guider la marche de celui qui ne sait pas à l’avance où aller et s’en remet au guide (odêgos) qui lui seul, sait où il faut aller. Un tel guidage ouvre un chemin qui mène bien quelque part (1), mais sans que le marcheur sache où il mène, ni même s’il y mène. Le guide qui ouvre la voie procède (avance et s’avance) exactement ainsi à l’inverse de la méthode (methodos) qui sait, elle, à l’avance où elle va (et avance sans jamais se risquer). Ouvrir une voie en montagne ou une piste en skiant ne consiste pas en effet à construire un chemin balisé (…) [à l’inverse] l’ego méthodique s’efforce de garder le même point de vue sur son voyage, s’avance d’un lieu connu vers un autre lieu, d’emblée prévu » (2)


Trois échos à ce texte au moins.

 1. Non pas ma volonté mais la tienne…

 2. Ce beau texte de Michel Rondet déjà souvent cité sur les chemins et non les ports fermés (cf note 3)

 3. Peut-être là encore cette danse trinitaire où Dieu nous fait entrer sous la pression délicate de l’Esprit dans une valse qui nous échappe, nous décentre et nous fait perdre pieds et certitudes

Est-ce que ce n’est pas cela le « bon berger ». Comment l’adapter en pastorale. Privilégier celui ou celle qui nous conduit sans bâton mais en tendresse vers des verts pâturages.

On est loin d’une posture autoritaire, plutôt sur des sentiers inconnus où le guide ne connaît pas la « voie » mais se doute qu’au sommet apparaît la joie…


(1) même si j’aime bien ces « Chemins qui ne mènent nulle part » d’Heidegger

(2) Jean Luc Marion ,D’Ailleurs la Révélation p. 475

(3) paru dans Études fév 97

« les nouveaux chercheurs de sens (...) frappent à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?

Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l’on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.

Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? »

Danse joyeuse

 Projet d’homélie du 2eme dimanche de l’avent

Le Seigneur vient, il approche…

Sommes nous prêts, comme le suggère Baruc et le psaume à qui quitter notre « robe de tristesse » et entrer dans une joie profonde ?

Avons nous creuser dans l’ombre de nos vallées un chemin pour la joie.


Je me rappelle que petit enfant j’avais découvert qu’il pouvait y avoir une différence entre les « petits bonheurs » et la joie. Cette différence n’est pas une question de mots mais de point de vue.


Ce que j’appelle les « petits bonheurs » viennent est comparable à ces bougies fragiles qui s’éteignent au moindre coup de vent. Petits cadeaux, éclats d’un sourire, etc.


La joie est autre chose, plus intérieure, plus profonde, elle prend racine dans la foi, la charité véritable et l’espérance.


Il y’a 3 semaines et la semaine dernière j’évoquais l’espérance qui nous fait sortir du noir. La joie c’est d’apercevoir la lumière, être sur qu’elle est là, tressaillir intérieurement de cette présence comme cet enfant au sein d’Elisabeth, lui faire de la place, l’entretenir.

Jeudi nous avions ce beau texte sur la Maison fondée sur le roc. Laissons la joie mettre en nous des racines profondes car c’est notre façon de partager ce don de Dieu qui habitera notre agir, fera de nous des signes que Dieu est là, qu’il vient…


Sortirons nous de l’Église habités par la joie, sautant de cette joie de porter en nous le Christ sauveur. Est-ce que notre joie est un feu. ?


C’est peut-être ça se préparer à Noël, au Dieu qui viens nous habiter…


Paul ne dit pas autre chose :  à tout moment, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est avec joie que je le fais, à cause de votre communion avec moi (...) J’en suis persuadé, celui qui a commencé en vous un si beau travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ Jésus.


Alors aplanissons ces vallées qui cachent en nous la joie, mettons ensemble nos bougies fragiles pour allumer un grand feu…

La danse trinitaire - 17bis. [v3]

Tourné vers l’autre… comme dans une danse infinie. Les traductions ne rendent pas tout : « AU COMMENCEMENT était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » Jean 1, 1-4. (AELF)

La lecture ce matin de ce beau sermon de saint Bernard fait écho à mon billet précédent… :

« Nous savons qu'il y a une triple venue du Seigneur. ~ La troisième se situe entre les deux autres. ~ Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque — comme lui-même en témoigne — ils l'ont vu et l'ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d'eux-mêmes, et leur âme est sauvée. Ainsi il est venu d'abord dans la chair et la faiblesse ; puis, dans l'entre-deux, il vient en esprit et en puissance ; enfin il viendra dans la gloire et la majesté. ~ Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entre temps il est notre repos et notre consolation.


« Mais pour que personne ne risque de penser que ce que nous disons de cette venue intermédiaire est une invention de notre part, écoutez ce que dit le Seigneur lui-même : Si quelqu'un m'aime, il gardera mes paroles, et mon Père l'aimera et nous viendrons à lui. Ailleurs j'ai lu en effet : Qui craint Dieu fera le bien. Mais je perçois qu'ici Jésus exprime quelque chose de plus en disant de celui qui l'aime : il gardera mes paroles. Mais où les gardera-t-il ? — Dans son cœur, sans aucun doute. Comme le dit le prophète : Dans mon cœur je conserve tes ordres pour ne point faillir envers toi. ~ 


« Voici comment il te faut garder la parole de Dieu : Heureux, en effet, ceux qui la gardent. Qu'on la fasse donc entrer dans ce qu'on peut appeler les entrailles de l'âme ; qu'elle passe dans les mouvements de ton cœur et dans ta conduite. Consomme ce qui est bien, et ton âme y trouvera avec joie de quoi s'y nourrir largement. N'oublie pas de manger ton pain pour ne pas laisser ton cœur se dessécher ; de bonne et grasse nourriture rassasie ton âme.


« Si de la sorte tu t'es mis à garder en toi la parole de Dieu, nul doute qu'elle ne te garde aussi. Le Fils viendra à toi, avec le Père ; il viendra, le grand prophète, qui rétablira Jérusalem ; c'est lui qui fait toutes choses nouvelles. Voici en effet ce qu'accomplira sa venue : alors, de même que nous sommes à l'image de l'homme pétri de terre, de même nous serons à l'image de celui qui vient du ciel. Comme le vieil Adam s'est répandu à travers l'homme tout entier et y a pris toute la place, de la même manière il faut que le Christ occupe toute la place, lui qui a créé l'homme dans sa totalité, qui le rachète intégralement et le glorifie dans son entier. »


℟ Viens bientôt, Sauveur du monde,

Lève-toi, clarté d'en haut ;

Vrai soleil du jour nouveau,

Viens percer la nuit profonde.


Ta naissance dans l'histoire

transfigure nos tourments

En douleurs d'enfantement

Où, déjà, surgit ta gloire.


Source AELF, office des lectures d’aujourd’hui 


Pourquoi remettre à l’honneur ce prologue en parallèle de ce commentaire de Bernard qui n’aborde pas l’Esprit. J’ai beaucoup écris (1) sur ce thème mais mes tâtonnements ne valent pas grand chose par rapport à l’inaccessible qui se révèle à travers ce prologue ou même l’économie visée par Bernard.


En écho à d’autres tatotonements de Claire, Gilles et d’autres qui évoque la lumière à venir, surpassant le soleil de midi et proche de celle à laquelle nous font goûter Moïse en Ex 34 ou les textes de la transfiguration, le prologue est en lui épiphanie nouvelle…


Lorsque que Dieu commença ou « au commencement » ? Déjà l’ »en arche » grec  pose question. 

La version grecque est en effet bien parlante tant elle conjugue les mouvements et la danse des Personnes. 


« Le grec du premier verset (en arche en o logos, kai o logos en pros ton theon) sous-entend, par l’utilisation du « pros », un déplacement, un mouvement que j’ai osé traduire comme un « tourné vers Dieu ». Un mouvement qui amorce une danse, ce que les Pères de l’Église appelleront la « périchorèse* » ou « circum-incession*[2] ». Ce mouvement particulier qui unit les Trois Personnes est égrèné déjà dans les premiers mots de l’Évangile. »


Le texte de saint Bernard ci-dessus, repris aujourd’hui dans l’office des lectures relance le sujet… comment Dieu se révèle et que reste-t-il à découvrir. ? 

Comment agiter en nous cette musique de Dieu, le laisser vibrer en nous. Nous restons bien petits face à l’inaccessible, mais il nous faut contempler dans le silence ce Dieu qui s’abaisse à nous pour nous inviter à cette danse sublime et cette humilité du Fils est Chemin, vérité et Vie. 


La spirale divine n’a de sens que si ce « tourné vers » ne reste pas impassible mais bien jusqu’à nous proposer d’entrer dans cette virevoltante ouverture hors de nous-mêmes.


(1) cf. mes essais « Danse trinitaire » et « Sur les pas de Jean » A genoux devant l’homme » et mon dernier billet d’ hier

(2) cf. La thèse d’Emmanuel Durand, la Périchorèse des Personnes divines.

30 novembre 2021

Danse trinitaire - 17

Est-ce que nous déformons la Trinité par notre prisme trop humain ?

Difficile de dire cela en des mots simples… 

Telle est en tout cas la question posée par Jean Luc Marion alors que j’approche de la fin de son livre (1)

Après une éloge et une critique mêlée des sentiers tracés par Schelling, Barth et de l’adage Rahnérien(2) le philosophe interpelle notre manière de lire historiquement la Trinité dans une succession pour lui trop « chronologique » qui met le Fils puis l’Esprit après la Révélation du Père. 

Je m’explique : est-ce que l’Esprit n’existe qu’après la révélation de la relation Père Fils qui n’existe lui-même qu’en temps que Fils ? Où la Trinité est-elle entre 3 Personnes, circumincession * ou cercle parfait, unité virevoltante, spirale infinie préexistante dans leurs processions que j’ose qualifier de danse…


C’est peut-être aborder, d’une certaine manière cette fameuse et difficile notion de « consubstantialité » beaucoup critiquée avec le nouveau missel.


La réalité n’est pas forcément dans ce que montre l’histoire de la révélation nous dit Marion, qui tente de privilégier l’immanence à ce qu’on appelle l’économie…


Comment expliquer cela avec des mots accessibles ? Faut-il du coup, se laisser interpeller, y compris par l’Esprit qui ne peut être réduit à un don, daté, du Fils, mais fait bien partie de cette danse infinie (3) qui fait des trois Personnes une valse, à laquelle nous sommes conviés de toute éternité. 


L’amour divin n’est pas successif ou généalogique mais bien danse…


L’Esprit, trop souvent oublié, est là, de toute éternité. Est-ce Celui qui souffle déjà sur les eaux originaires ?. Il vient en tout cas jusqu’au cœur de l’homme dans des germes fragiles (4) ou dans la grâce du baptême. S’il nous embrase, n’oublions pas qu’il souffle où il veut, semble nous habiter, mais s’enfuit bien vite, parfois, loin des ors de nos églises, il vient d’Ailleurs et nul ne peut le saisir tout en ne cessant d’avoir à se laisser « saisir par Lui » (cf. Ph 3).


L’Esprit est sortie de soi, il pousse au désert(5), à quitter(6), il est invitation presque forcée à sortir de soi (anamorphose dit Marion).


Faut-il rapprocher cela d’une image de

Balthasar qui va loin dans une analogie avec le mariage :


« L'image de Dieu doit se trouver aussi dans [un] mouvement opposé (...) , qui le force à sortir de lui-même : du Je au Toi, et au fruit de la rencontre, que celle-ci soit la rencontre sexuelle de l'homme et de la Femme (le fruit peut alors être l'enfant, mais aussi, au delà, un fruit intéressant tout l'humain, qui dépasse la sexualité) ou une autre rencontre dans laquelle le Je se donnant au Toi, deviens pour la première fois lui-même, tout deux se réalisant dans un nous, dépassant la recherche du Je. Ce n'est que dans un tel dépassement que se produit la première image, immanente à l'esprit et puisque ces dépassements sont innombrables dans la société humaine, ils brisent toujours ainsi le modèle clos (par exemple d'un mariage) et forment de nombreux mouvements […] comme des vagues. » (7)


Je trouve cette image très belle, parce qu'elle élargit encore plus la notion d'image et en même temps elle la relativise. Nous sommes à l'image de Dieu quand nous parvenons à vivre une véritable relation ouverte et féconde, homme et femme, vis-à-vis constructif(8), dansant et fécond(9). Pourtant nos petites épiphanies, constituent, avec d'autres, une immense tapisserie, que l'on ne peut percevoir, comme le disait saint Augustin, qu'en prenant de la distance. 

Toutes ces lueurs d'amour sur terre, éclaire le monde de l'intérieur. C'est le fourmillement de Dieu qui s'incarne dans nos mains et nos coeurs. Nous sommes les fourmis de Dieu. 

Même si la métaphore a ses limites, car nous restons des êtres libres et ce n'est que scintillements, à l'image des étoiles qui reflètent à leur manière, la beauté d'une création vivante et agissante.


La Trinité est perte de pouvoir, déchaussement (cf. Retire tes sandales) qui dévoile la danse du feu divin, en des langues qui dépassent les récipiendaires et signifient l’amour.


Chant en langues ? Démaîtrise, renoncements ou consentements, la danse nous fait perdre pied, dans une spirale du don qui nous échappe car elle vient et ramène à Dieu…


(1) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, p. 463sq et chapitre 17, op. cit.

(2) cf. notamment la Dogmatique de Barth et Karl Rahner, Dieu Trinité « La Trinité qui se manifeste dans l'économie du Salut est la Trinité immanente, et réciproquement »

Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2006-3-page-453.htm#re58no58

(*) voir la thèse d’E. Durand sur la Périchorèse 

(3) cf. ma danse trinitaire reprise in A genoux devant l’homme 

https://www.fnac.com/livre-numerique/a14805155/Claude-J-Heriard-La-danse-trinitaire

(4) les semences de l’Esprit est un beau thème que l’on trouve dans la fin de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar 

(5) voir « Le chemin du désert »

(6) chemin d’Abraham

(7) Urs von Balthasar, Dramatique Divine 2,2 p. 416

(8) cf. Sylvaine Landrivon, la femme remodelée 

(9) je développe ce point dans « Aimer pour la vie »

27 novembre 2021

Danse fragile - 16bis -

« Comment es-tu foyer de feu

   et fraîcheur de la fontaine,

une brûlure, une douceur

   qui rend saines nos [blessures] ?

Comment fais-tu de l'homme un [signe],

   de la nuit une lumière,

et des abîmes de la mort

   tires-tu la vie nouvelle?


Comment la nuit vient-elle au jour ?

   Peux-tu vaincre les ténèbres,

porter ta flamme jusqu'au cœur

   et changer le fond de l'être ?


Comment n'es-tu qu'un avec nous,

   nous rends-tu fils de Dieu même ?

Comment nous brûles-tu d'amour

   et nous blesses-tu sans glaive ?


Comment peux-tu nous supporter,

   rester lent à la colère,

et de l'ailleurs où tu te tiens

   voir ici nos moindres gestes ?


Comment de si haut et de si loin

   ton regard suit-il nos actes ?

Ton serviteur attend la paix,

   le courage dans les larmes !


Cette « variation » sur l’hymne donné par l’office des lectures est elle la clé que je cherchais pour mes essais d’homélie du WE ?

Voici une v4.0 😉

——-

Nous entrons dans le temps de l’avent. La lecture de Jérémie 33,15,, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?


Une semence, un don de Dieu ?

Qu’est ce que cela peut être ?

Nous sommes au milieu de l’hiver, la neige est à nos portes, nous enfonçons dans la boue, jusque dans nos églises.


Quel va être notre manière de préparer le printemps de Dieu…?

Faire en nous une petite place, creuser notre terre asséchée par des plantes ingrates, se plonger dans l’essentiel, retrouver en nous le terreau fertile, ce qui nous fait vibrer de l’intérieur.


Sommes nous patients envers les autres, patients avec Dieu ?


Patient avec Dieu ? 

Sommes nous patients, quand il semble ne pas répondre  à nos « où es-tu ? »


Dans la nuit, dans le silence…En quoi croyons nous ?

Qu’est ce qui arrête notre regard ?

Où est la flamme ?

Nous allumons à l’extérieur de belles guirlandes mais qu’elle va être la source de cette lumière ?


L’amour…?

L’amour endure tout, prend patience..

L’avent est le temps de la patience.


Le germe de justice dont parle Jérémie est un acte de foi. Il a fallu plusieurs centaines d’années avant que vienne la réponse…


Le Christ, fragile espérance, signe qu’au milieu de la nuit, de la violence, l’amour est possible.


Le don de Dieu est Christ.


Sommes nous prêts à l’accueillir ? C’est la question de l’avent… 


Prenons nous le temps, chaque soir, de laisser résonner en nous le Christ, sa parole, dans le silence… comme une semence fragile ? 


Quelle semence ? 

Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler dans les gestes de Jésus, dans cet homme Jésus qui se penche, écoute, se tait, guérit, relève, demande à boire, s’agenouille, puis s’offre tout entier, se laisse transpercer, jusqu’à ce que, de son cœur, jaillisse un fleuve immense…


L’avent, c’est prendre notre amphore et s’avancer vers l’amour, prendre conscience qu’il est don de Dieu et s’y altérer, pour faire grandir en nous cette graine fragile, semée le jour de notre baptême et nourrie à chaque eucharistie.


Dieu chaque hiver fait un rêve, celui qu’à chaque fois que nous avançons vers la table de la Parole et du pain, la petite graine qui germe en nous grandisse jusqu’à ce qu’au printemps de Dieu, un champ immense apparaisse au milieu du désert. Danse fragile,  germe d'amour qui, en scintillant de l'amour humain devient signe du buisson ardent qu’est le Christ.

« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


Ouvrir nos cœurs à l’amour…jusqu’à cette

« profonde transformation de tout l’être sous l’action de l’Esprit Saint, [jusqu’au]« retournement » né de la rencontre vivifiante avec Dieu » (1)

De nos essais vers le don, Dieu rêve de faire un immense feu….


(1) Frère John de Taizé, cité dans La Croix du 18/11

25 novembre 2021

Danse fragile - 16


La lecture de Jérémie 33,15, dimanche prochain, nous annonce  un « germe de justice ». Qu’est ce à dire ? une semence, un grain qui meurt ?

Puissante prophétie puisqu’elle nous fait probablement à la fois espérer la venue du Christ, fragile espérance, mais aussi, peut-être, ce que Justin appellera les « semences du Verbe », ce que Vatican II (GS §2) relève comme ce don de Dieu fait à tous les hommes qui peut faire germer en nous l’amour…


Le message à porter au monde est-il de l’ordre d’une semence fragile ? Quelle semence ? Peut-être cette danse discrète vers l’homme, que Dieu nous donne à contempler en Jn 13, pour que se révèle en nous "la philanthropie de Dieu ". (1) Un message, précise J. Moingt qu'il ne suffit pas d’évoquer mais qu’il faut ensuite mettre en « oeuvre et en image, en paraboles comme le faisait Jésus »


Quelle sera notre trace ? 

Congar au Concile disait : "Dieu m’a amené à la servir et à servir les hommes à partir de lui et pour lui, surtout par la voie des idées. J’ai été amené à une vie solitaire, très vouée à la parole et au papier. C’est ma part dans le plan d’amour. Mais je veux m’y engager aussi de cœur et de vie et que ce service d’idées lui même soit un service des hommes."(2)


Pense-t-il alors à Pascal qui après l’écriture s’est consacré à la charité ?


Difficile de servir l'humain... Quel que soit soit sa forme, sa visibilité, l'essentiel est peut être ce qui rayonne, en dépit de nos balbutiements fragiles, de la philanthropie même de Dieu, de ce germe d’amour enfoui dans l’homme qui lui chatouille et lui réchauffe le cœur et le conduit, à son tour à aimer.


N'est-ce pas d'ailleurs ce que le monde retient de plus beau à travers les gestes désintéressés des soeurs Téresa, Emmanuelle ou d'un abbé Pierre ou Ceyras. Si ce service de l'humain est le seul message qui passe, n'est-ce pas parce qu’il est signe, à sa manière de celui qui le premier, à la suite des Marie et autres femmes figures fragiles de l’Evangile, s’est mis "à genoux devant l'homme".(3)


Poursuivons avec Congar : "Quand on regarde vivre l'Église, (...) ce qu'elle est et porte en elle (...) il y a là, de sa part, dans les formes mineures au moins de son sacerdoce, de son prophétisme, l'exercice d'une forme de royauté, non d'autorité et de puissance — elle ne l'a pas — mais d'influence et de service, qui répond à sa véritable situation par rapport au monde. Car on peut dire qu'elle en a la responsabilité (...)". (4) 


Un texte qui rebondit avec ma méditation n.15…. Non pas une royauté de pouvoir, mais le service diaconal du royaume. Danse fragile à la lumière de celles que je cherche à thématiser.


Congar précise que "l'Eglise a [notamment] dans ce cadre véritablement le nom de semence ou cellule germinale du Royaume qu'aiment à lui donner en particulier les théologiens de langue allemande (Keimzelle)(5)".


Ce que saint Justin appellait les spermatikos logos ne sont-ils pas ces germes d'amour qui, en scintillant de l'amour humain véritable, deviennent signes de la philanthropie de Dieu.


Germes en tout homme, chrétiens ou non ? C’est notre espérance, celle de voir l’homme touché par le Verbe.


« Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. » nous dit la 2eme lecture. ((1Th 3) Un sentier se dessine…


Une mesure sans mesure…


(1) J. Moingt, L'Évangile sauvera l'Église, op. cit p. 121

(2) Yves Congar, Mon Journal du Concile I, 1960-63, Cerf, Paris, 2002, op. cit. p. 384

(3) cf. mon livre éponyme 

(4) Yves Congar, Jalons pour une théologie du laïcat, Cerf 1953, p. 133

(5) ibid. p. 134 et sa note où il cite le livre de H. André, Die Kirche als Keimzelle der Weltgöttlichung (Leipzig, 1920)

Danse tragique avec la royauté ? - 15

Quelle est cette royauté que nous vénérons aujourd’hui ?  Elle est probablement aux antipodes de tout concept humain puisque le trône de notre roi est un gibet…

Non pas une royauté extérieure, mais le règne de la Vérité en nous, qui nous libère de l’apparence et stimule notre humilité par rapport aux dons du Père…


J’ai toujours un peu de mal avec l’expression qui est pourtant au cœur du sacrement de baptême : Dieu fait de nous des rois…

J’ai trouvé un jour cette nuance que je préfère : Dieu fait de nous des serviteurs du Royaume…


Cette réflexion rebondit avec une introspection récente sur la tentation de l’ordonné… Il n’est pas difficile de percevoir que dans notre Église toute initiative de pouvoir conduit à des dérives.

Qu’elle soit pour un prêtre comme pour un laïc engagé… une femme en charge du caté ou un sacristain trop zélé…

C’est peut-être l’enjeu d’une vraie démarche synodale. 

A commencer par moi-même, qui, pendant mon chemin diaconal avait de beau discours sur la tentation d’être clerc et qui ai pris pourtant plaisir parfois à monter en aube à l’autel. Dur souvent de résister… heureusement que ma tendre épouse n’est pas tendre sur ce point. Elle connaît trop les failles de mon humanité 🙂


Ce plaisir est inhérent à la fonction et atisé par le regard des paroissiens qui vous sanctifie sans discernement. Et vous appelle « mon père » alors que Claude est mon prénom 🙂 


C’est probablement pourquoi la quête des prêtres ouvriers ou des séculiers, sans soutane ou croix affichée, des jésuites sans col romain dans le monde, incarnés et discrets reflétera toujours mieux la kénose (dépouillement) christique que tous les ornements liturgiques, la blancheur virginale de certains réguliers et les soutanes rutilantes payées à prix d’or dans certaines boutiques romaines…


La solitude du prêtre de campagne reflète plus pour moi l’Église en marche que le cléricalisme urbain, mis à part certains vieux vicaires méprisés parce qu’ils ont perdu leurs statuts… et qui pourtant sont plein d’une sagesse humble.


C’est ce qui a motivé en tout cas mon désir de quitter la métropole pour prendre la route chaque WE et rejoindre mon curé solitaire et lui apporter mon fraternel soutien…


Ce qui me motive le plus, c’est qu’il a quitté à 64 ans son Afrique natale pour servir l’Église dans sa fragilité et que sa bonne humeur fait revivre 12 petits clochers bien pauvres, même si la paroisse est 1,5 x plus vaste que Paris… 


Pendant ses trois premières années ici, il a vécu dans un presbytère en ruine, avec une bassine dans sa chambre, qui recueillait l’eau qui traversait le toit (heureusement c’est fini, il est au chaud… )


Quel contraste avec les ors parisiens…

A quand une vraie péréquation ?

Pour moi, en dépit de ses faiblesses, de ses coups de cœur, il est en chemin vers cette sainteté ordinaire dont parle François…


Il incarne ce que j’ai écris il y a 15 ans, dans « cette Église que je cherche à aimer ». Je déteste cette expression « donnez nous des saints prêtres » car il serait tellement plus simple de dire, donnez nous des saints…Je pense que parce qu’il est un homme « donné » mon curé marche dans cette direction, dans la dynamique particulière de Ph. 3.


Les vrais saints ne portent pas souvent d’aubes blanches, ils sont trop occupés à laver les pieds des souffrants. Souvent je me dis que ma diaconie n’est que façade à côté de ceux qui sont l’amour agissant…


Combien de fois, en écoutant l’un et l’autre parler de ce qu’il fait pour le royaume je me sens bien petit. Parfois même je glisse à la personne qu’elle est bien plus « diacre » que moi.


Dansez avec le roi de nos vies, c’est découvrir les signes de l’amour chez autrui. 

Reprendre alors le cri d’Augustin : Tu étais là et je ne le savais pas…


Mardi, je vais « monter » à l’autel à la demande appuyée d’un père et d’une mère qui souhaite me voir accompagner leur souffrance (perte d’un enfant de 21 ans). J’aurais préféré rester dans la « fosse commune »… la souffrance d’une mère qui accompagne son fils pendant ses 18 mois de cancer et jusqu’à la fin est une vraie diaconie. Elle est « danse tragique » avec la royauté du Christ souffrant …