Sommes nous créés, comme le suggère Gn 1 à l’image et à la ressemblance de Dieu ? Lui dont on ne peut représenter l’infinie tendresse.
La question que me pose Marie Josèphe en commentaire du point 17.5 est à cet égard intéressante.
En quoi pouvons-nous même prétendre être image de Dieu, lui l’insaisissable ?
Je développe ici ma réponse qui ne peut être que vectorielle, puisque notre image est bien mouvante. Notre apparence extérieure, notre « visage » est bien éphémère. Ce qui compte est plutôt vers quoi nous allons, la dynamique, la direction.
En Gn 1, 26 Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. »
Mais au verset 27 « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » il n’est plus fait mention de ressemblance.
Cela interroge d’ailleurs certains commentateurs. Pourquoi la ressemblance évoquée au verset 26 n’est pas reprise dans l’acte créateur du verset 27.
Est-ce pour souligner la distance entre le rêve de Dieu : nous créer à « l’image et la ressemblance » et ce que nous sommes : une bien pâle et fragile image du divin, quand nous ne devenons pas, aussi, il faut le reconnaître, un repoussoir, ou un cauchemar de Dieu, en dépit de ses rêves d’alliance.
Est-ce dans sa capacité de relation entre un homme et une femme que se révèle quelque chose de la Danse trinitaire ? Ce thème est vaste (*).
De quoi parle-t-on ?
Augustin déjà parlait de trois degrés : la trace, l’image et la ressemblance. La fleur est trace de Dieu, l’homme peut être à l’image, mais seul le Christ atteint, pour lui, la ressemblance véritable.
Pour saint Bonaventure, nous rappelle longuement Hans Urs von Balthasar(1) il y a plutôt six degrés : chacun des trois degrés est :
- soit un renvoi,
- soit une représentation.
Quand on est image de Dieu, c’est soit « comme un miroir, soit comme un réceptacle, signe immanent de l'inhabitation de Dieu »
Que veut-il dire ?
Un miroir n’ajoute rien…
Une représentation pourrait être comme un arbre qui gémit, tressaille, se transforme et sème peut-être quelques fruits ?
Passer du renvoi à la représentation, c'est finalement déchiffrer combien l'être créé qui renvoie vers Dieu est habité par Dieu et ce travail de déchiffrage est un chemin qui invite à s’interroger sur sa propre ressemblance avec Dieu, qui ne sera totale qu'en Christ. En déchiffrant les traces et notre capacité à être image, nous tendons vers la ressemblance. Et ce chemin nous fait rejoindre notre destinée, ce pourquoi nous avons été créés : « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26), un état que nous ne retrouverons qu’à la fin.
Le rêve de Dieu du verset 26 n’est pas encore réalisé, sauf en Christ qui seul déchire le voile de l’insaisissable. Et notre chemin se trace alors.
On saisit mieux ces propos de Paul que je cite (trop ?) souvent :
« À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des [skubala = déchets / ordures], afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (Ph 3, 8-15)
Jean-Luc Marion revient à propos de Ph 3, 8, (p. 544) sur cette notion originale de déchet/ordure décrit par Paul, qui faisant suite à ses propos sur l’humilité de Dieu (Ph 2/kénose) ajoute une couche au nécessaire renoncement de l’homme à sa capacité à être « ressemblance » de Dieu. Comme il l’explique mieux que moi, l’important ce n’est pas ce que j’ai tenté de faire seul, mais se laisser saisir par Lui et tâcher de le saisir, c’est-à-dire se laisser transformer par l’Esprit.
Seul le don de l’Esprit fait briller en l’homme des éclats de la lumière divine, comme nous le dévoile l’ange chez la jeune fille de Galilée…
Pour cela il faut un renoncement à notre propre image, être dé-figuré pour laisser passer la lumière.
Ignace d’Antioche dirait « devenir farine » ou « froment de Dieu »(2), moulu par Dieu pour laisser/abandonner ce qui nous encombre et entrer dans sa danse…
« Je suis ce que je suis [uniquement] par la grâce de Dieu »(1 Co 15,10) (...) qu’as tu que tu n’aies reçu (1 Co 4,7).(3)
Nous ne valons que si Dieu nous donne d’être. Ce qui fait de nous des images vient de notre capacité d’inhabiter la grâce divine (au sens Rahnérien- 4), en faisant fructifier les semences reçues de Dieu, sans perdre de vue qu’elles sont théologales, c’est-à-dire qu’elles ne viennent pas de nous, mais d’Ailleurs, qu’elles sont dons divins.
Et peut-être est-ce là le chemin de l’Esprit en nous, cette « économie » intérieure qui nous fait entrer discrètement dans la danse trinitaire.
Nous dessaisir de toutes volontés d’être « image » pour entrer dans le feu ardent d’un amour qui nous embrase et nous rend participant de la lumière divine.
Comme le note François Cassingena-Trévedy : A Mambré « Abraham est au plus haut du jour et pour se rafraîchir il invite le Feu ! Le Feu qui va (...) les trois Flammes qui (...) dansent autour de l’arbre »… tout un programme !
Une méditation de l’agenouillement d’Abraham, premier lavement des pieds de la Bible peut conduire à méditer, d’agenouillements en agenouillements, la Révélation de Dieu à genoux devant l’homme, le Christ qui dévoile Dieu de Jn 13 à Jn 21. (6).
(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la Croix, Styles, tome 2
(2) Ignace d’Antioche, lettre aux Romains, 4, 1
(3) cité par Jean Luc Marion, D’Ailleurs la Révélation, Grasset p. 546
(4) Karl Rahner, cf. TFF.
(5) Étincelles 3 p. 157
(6) cf. mon « Dieu dépouillé » https://www.fnac.com/livre-numerique/a14771999/Claude-J-Heriard-Dieu-depouille#FORMAT=ebook%20(ePub)
(*) voir sur ce point mon essai « Aimer pour la vie »
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