Je crois que Marion mérite à ce stade d’être cité dans le texte. Comment l’Esprit agit-il dans la Révélation ? Comment ouvre-t-il nos coeurs comme celui du Centurion en Mc 15,39 ? Une question qui a fait couler beaucoup d’encre chez les Pères de l’Église.
Pour Marion, et pour tenter de le dire simplement, seul un regard travaillé par l’Esprit peut approcher l’insaisissable de Dieu en descellant derrière le visage du Christ ce qu’il révèle de l’amour du Père.
Ce que Jean Luc Marion appelle « Anamorphose »(*) mérite-t-il un détour ? Essayons d’écouter sa manière de le dire… L’anamorphose est pour lui « le dispositif où le regard de l’homme se placerait dans le site exacte qu’exige pour se faire reconnaître en pleine manifestation, l’icône elle-même ; il faudrait se placer dans l’axe du regard iconique, qui soudain et d’un coup, jaillit de la face du Christ enfin appréhendée comme Fils, donc comme manifestation du Père. Placer le regard d’un homme en ce point d’anamorphose, seul l’Esprit le peu : il « guide » et « oriente », « conduit » et place le regard humain à l’endroit précis où (comme une image en deux dimensions, qui, placée sous un angle précis du regard avec la lumière réverbérée, soudain surgit en trois dimensions) sa « puissance optique » et « illuminatrice » « met en icône » une fois pour toute le visage visible et y fait éclater, en profondeur « la vision plus belle que l’Archétype ». L’Esprit Saint met en scène, met en vue, bref dé-couvre et fait jaillir la gloire du Père dans la gloire paternelle du Fils ». (1)
Il faut avoir lu peut être son « idole et la distance » pour percevoir à quoi il parvient à ce stade.
Cela évoque surtout pour moi ce que rappelle Hans Urs von Balthasar de Bonaventure dans sa quête sur l’image et la ressemblance.(2)
Course infinie qui nous prépare à découvrir l’insaisissable. Course que l’on retrouve, au delà du quiproquo d’Exode 33 en Exode 34 où le regard de Moïse s’éclaire dans l’axe qui ira de Noël, au baptême, à la Transfiguration jusqu’à la Croix et le cri déjà évoqué du Centurion…
PS [ajout v2] : Au risque de perdre le lecteur, je dois dire qu’il est frustrant de citer un passage, même si celui ci est magnifique, quand on déchiffre doucement un livre plein de mots difficiles, car on prend le risque de perdre ceux qui n’ont pas lu l’ensemble. Faut-il taire ce que l’on découvre ou simplement inviter le lecteur à se plonger dans un livre si difficile ? Pour moi après 3 mois de lecture poussive faute de temps, je crois que progressivement la lumière vient. Ce passage, je cherchais déjà à l’expliquer dans mon billet 17.4, mais en le relisant j’ai trouvé qu’il parlait de lui même à condition de comprendre ce terme difficile d’anamorphose (dont le sens courant est une « déformation de l’image ») mais qui chez Marion va un pas plus loin. Je crois, même si j’ai encore du mal à tout saisir, qu’il s’agit d’une sorte d’illumination intérieure qui conduit à la conversion du cœur quand Dieu nous vient vraiment d’Ailleurs…
N’est ce pas cela la conversion ou metanoia - inaccessible lumière d’un Dieu qui vient en s’incarnant nous visiter…
A ceux qu’il guérit il demande de se taire. Pourquoi si ce n’est pour que le voile termine son œuvre et en se déchirant révèle sur la Croix et dans la résurrection ce que nous ne pouvions percevoir sans cette « anamorphose » du regard… ?
Pour Marion tout de la Trinité est invisible et c’est l’Esprit qui vient à notre aide et aligne la lumière pour dévoiler le mystère… en dévoilant dans le Fils incarné la lumière cachée.
« L’Esprit ne se voit pas, parce qu’il fait voir » ajoute-t-il p. 490, dans une phrase qui résume bien cette danse trinitaire que je cherche à thématiser ici.
(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation p. 489
(2) La gloire et La Croix, tome 2, autour des pages 249sq
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