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18 février 2022

La danse de l’agapè 2.35

Il y a une danse particulière qui m’habite, celle d’un Christ à genoux qui se fait petit et suppliant, comme en Jn 13 devant Pierre et Judas. Humilité fondamentale d’un Dieu qui appelle la seule réponse possible : non un agenouillement servil ou rituel mais une descente intérieure, une plongée dans la mer de Galilée où, comme Pierre, nu en Jean 21, et conscient de nos 7x77 reniements nous pouvons glisser d’une voix hésitante : tu sais bien que je t’aime, avec cette humble nuance du grec qui différencie notre réponse humaine (Philo te), seule réponse réaliste à « l’agapas me ? » divin. Jamais nous n’atteignerons l’amour du Christ mais c’est à cette danse kénotique que nous sommes conviés.

Relisons l’échange en grec : «ἀγαπᾷς με » Jean 21,15 ‭‭  Agapas me : M’aimes-tu d’agapè ? demande par deux fois Jésus à Pierre. 

M’aimes tu de cet agape dont parlera si bien Paul (et que nous avons contemplé récemment en 1 Co 13) ?

La question résonne encore sur nos routes. Elle ne fait que donner écho à « l’où es-tu ? » de Dieu a lancé au jardin en Gn 3. (1)


Nous sommes au cœur de cette danse trinitaire d’un Dieu qui s’efface devant le don du Fils et d’un Fils qui s’agenouille en attendant la seule réponse possible : m’aimes-tu ? Oui Seigneur tu sais bien que je [cherche] à t’aimer.  

Philo te... φιλῶ σε. 


Pierre n’aura finalement que cette humble réponse, encore marqué par son triple reniement. C’est probablement ce qui conduira Jésus à changer sa troisième question en « Phileis me ? » reprenant le même verbe que Pierre.


Ultime agenouillement d’un Christ qui vient de crier son « J’ai soif ( de ton amour) » en Jn 19. Un Christ dont le cœur transpercé nous donne la seule chose qui lui reste à donner, son sang mêlé d’eau qui est, pour Jean, Esprit de paix...


Entre la « philo » et cette « agapè » se dresse l’océan de nos fragilités...


Je reprend cette introduction tirée de mon dernier livre « danse avec ton Dieu » pour en venir à l’essentiel. Une des grandes révélations pour moi du nouveau livre de Sylvaine Landrivon (Les leçons de Béthanie) est ce même petit mot grec glissé au début du verset 5 de Jean 11. Ma lecture du grec reste balbutiante et je n’avait pas remarqué cet « agapè » que cite Jean 11,5 entre Jésus et ses amies de Béthanie : « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. ». L’êgapa est à mettre en écho et en tension avec ce « philo te » cité plus haut de Pierre en Jean 21. Pierre ne l’atteint pas… 


Que Jean l’utilise ici, comme il l’utilisera pour évoquer le disciple « préféré » (Jn 13,23 ; 19, 26 ; 21, 7 & 20) est une interpellation. 

Cet amour là, cette danse particulière entre Jésus et ces deux femmes de Béthanie, qu’en avons nous fait ? Va-t-on continuer à l’effacer ? 

Il faut lire toutes les nuances qu’apporte l’auteure pour percevoir ce qui est pour moi soudain lumineux. Ephata… Avons nous été aveugles, sourds ou muets sur ce sujet  ? 

Avons nous ignoré une évidence ? Cette nécessaire complémentarité du vis à vis ?

J’ai déjà été long.

Mais j’y reviendrais 

A suivre.

29 avril 2021

Homélie du 5eme dimanche de Pâques - année b

Projet 9
Quand Jésus prononce-t-il ces phrases [du chapitre 15] que je viens de lire ? Pour Jean, ce passage est placé entre le lavement des pieds et la croix et représente une sorte de testament spirituel et d'exhortation.

Qui dit testament dit don et cela me fait toujours penser à la question que l’on peut se poser, qu’est-ce qu’a pensé le père du fils prodigue au moment où il a partagé ses biens ? Quels étaient ses dons ? 
Une réponse se trouve peut-être ici.
En effet, si l’on trouve dans la Bible nombreuses allusions à la vigne et notamment dans la parabole de la vigne et des vignerons, chez Jean, le « Je suis la vigne » (1) nous fait faire un bon (2) puisque Jésus s’identifie à elle et devient en somme la révélation de l’amour de Dieu en actes. Il est don de Dieu en vérité... la mort du Fils signant comme le don ultime du Père [avant le don de l’Esprit qui nous « relie » à celle du Fils par la magie de cette danse trinitaire que je ne cesse d’évoquer]. 
Aujourd'hui nous découvrons également ce beau lien entre la vigne et les sarments. Avec de nombreuses insistances sur le mot demeurer et donc sur le lien entre les sarments et la vigne, qu'est-ce que ça veut dire pour nous aujourd'hui ? 
Sommes-nous véritablement attachés à cette vigne ? 
Qu’est ce que la vigne pour nous ? La parole, le pain, ou plus profondément Dieu en nous ? 
Dieu vient-il demeurer en nous ? 
Nous laissons nous la place ?
Je suis d’ailleurs frappé par certaines manières de communier. Le beau sens de la main tendue pour recevoir le corps du Christ exprime notre réceptivité fragile de ce don. N’hésitons pas à nous faire temple rien que dans ce « mime » symbolique...
Mais le fond du mystère est dans ce demeurer... qui résonne avec le « où demeures tu ? » des disciples des les premiers chapitres, le «  je veux demeurer chez toi » dis à Zachée, mais aussi avec l’où es-tu originel. 
La vigne -elle la source de notre vie, est-elle le but ultime ?

Cette question, il faut l'avoir en tête quand nous lisons avec attention la deuxième lecture ou saint Jean nous propose d'aimer « en actes et en vérité ».

Car cette question de la vérité de nos actes est finalement la question des « beaux fruits » évoqués dans l’Evangile...

Il est a priori assez simple de savoir si nous aimons en actes mais c'est peut-être plus compliqué de savoir si nous aimons en vérité. Laissons cette question raisonner avec notre lien avec la vigne. Sommes-nous rattachés à cette vigne ? Est-elle la source, la sève, le point central qui vient nourrir nos actes ?
Est-elle aussi communion, danse entre nous et avec notre Dieu ?

Aimer en actes et en vérité.
Quand je parle à ceux qui préparent leurs mariages, j'aime souvent les interroger sur leur amour [avec le triple prisme de saint Augustin] : aimez-vous aimer pour la simple joie d'aimer ou d'être aimés où êtes-vous dans l'amour don, (dans l’agapè) ?

Est-ce que vous offrez des fleurs à l'autre pour avoir un retour ou par don... ? Il est peut-être plus vrai de déposer un bouquet devant la porte de la vieille voisine sans mettre un mot qui rattache ce bouquet à vous... que d'offrir des fleurs à son épouse - je ne suis pas très bon sur ce point....

Ce qui compte le plus, n'est-ce pas en effet de parvenir au don gratuit, un don où le donateur s'efface (3) Ce type d'amour est par essence celui de l'amour divin, un amour qui est par essence gratuité... c’est d’ailleurs ce que nous contemplons depuis Emmaüs, un Dieu qui se retire après la fraction du pain, c’est à dire qui donne sa vie et se retire dans le silence pour préparer la venue en nous de l’Esprit,

Ce Paul, dont nous parle la première lecture, est celui qui en parlera le mieux : "L'amour prend patience, il ne cherche pas son intérêt." (cf . 1 Co 13..)
Si nous sommes unis à la vigne, à cette vigne même que constitue le Christ qui a donné sa vie pour nous, alors notre don ne sera vrai, il prendra patience, ne cherchera pas son intérêt et sera comme le Christ un don total, alors nous aimerons en actes et en vérité, à la suite du Christ, rattachés à sa vigne.
Alors nous entrerons dans cette danse...


L’enjeu, comme le suggère une amie est bien dans ce « Demeurez en moi comme je demeure en vous », qui revient huit fois dans ce passage pour bien insister sur l’importance de ce trait d’union, cette danse, qui nous rend participant à la lumière et l’espérance qui pointe chez Jesus au delà de la trahison qui va suivre. Il est « la lumière (...) venue dans le monde pour que celui qui croit en [lui] ne demeure pas dans les ténèbres » Jn 12 (44-50).

Dieu connaît nos limites. Il nous invite à cette danse tout en sachant que nous ne savons pas danser, alors son message devient un cri à entendre dans la lignée de tous les cris et de tous les agenouillements de Dieu. C’est le cri de l’ amour du père du fils prodigue (Luc 15) : même si vous quittez la vigne, n’oubliez pas mon amour, le pain et le vin versés pour vous, ce fruit de mon amour/ de ma vigne qui vous redonnera le sens profond de l’amour...
Demeurez en moi comme je cherche à genoux, à demeurer en vous...
Le Christ parle à des disciples qui vont le quitter, le trahir...
Il vient de leur laver les pieds et il va mourir pour eux —- et pour nous —- ces paroles sont comme le cri non prononcé du père du fils prodigue.... va, vis ta vie, mais n’oublie que je t’aime en parole et en vérité...
Laissons demeurer en nous ce souvenir, faisons le habiter en nous...
Car nos vies ne porteront fruits, ne seront en vérité que si Dieu demeure en nous. Pas par un rite, un bref passage dominical à l’Église pour nous rassurer mais parce que Dieu aura SA place en nous, habitera chacun de nos actes....
Ouvrons nos mains, mes surtout nos cœurs à ce Dieu qui se donne...

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(1) cf. Zumstein tome 2 p. 98
(2) Zumstein évoque une hypertextualité et une métaphore qui danse pour moi avec les métaphores vives de Ricoeur.
PS :  Lire jean 15 ne peut se faire qu’à la lumière de cet agenouillement extraordinaire de Jean 13... son discours est loin d’être anodin, car il est encadré par un pont théologique entre l’agenouillement et la croix, le premier étant, comme je le rappelle à la suite de XLD. (4) qu’un mime de cette vigne à venir, coupée de ses sarments les plus chers et versant, au prix le plus fort, un vin nouveau qui devient fleuve au sens d’Ezechiel 47...
Il faut donc entendre derrière le cri...






(3) cf. sur ce thème les travaux de Mauss ou Jean Luc Marion, Étant -donné, op, cit.
(4) cf. Xavier Léon Dufour et son commentaire de Jean tome 2
PS : merci à l’amie fidèle, qui par ses suggestions donne du relief à ces essais d’homélies et en font un travail « collégial »

09 avril 2021

La kénose de Pierre - danse 49.2

L’évangile d’aujourd’hui, bien que triste saucisson du chapitre 21 de Jean nous conduit bien loin.

Simon-Pierre veut pêcher tout seul ou entre amis, mais les poissons ne sont pas là. N'est-ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. « Cette nuit-là, ils ne prirent rien » (Jn 21, 3). 

Dans une lettre à Louise Brunot, Madeleine Delbrêl insiste sur l’importance de mourir à nous-mêmes afin que nous puissions renaître dans le sens développé par Jean 3, 5-7. Pour elle notre naissance se fait « à proportion » de notre mort. C'est-à-dire que tout abandon, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement à « obéir au métro qu'on rate », est à la fois obéissance au monde, renoncement à « sa volonté propre » et de ce fait abandon de notre autonomie pour se couler dans le vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre. « Non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux » (Luc 22,42 // Matt 26,42). Leçon d’humilité qui nous rend réceptifs à la miséricorde.

Pourquoi évoquer tout cela à propos de la pêche miraculeuse ? À la question de Jésus sur le rivage : « Enfants, n'avez-vous rien à manger ? », ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Ce n'est finalement qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre, comme on le verra, jusqu'à sa fin : « tu étendras la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas ». (v. 18)

Il nous faut passer au-delà de l’illusion de se croire capable seul de réussir, ébaucher une démarche de pardon, de mise à nu. Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.

9. Quand ils furent descendus à terre, ils virent là des charbons allumés, du poisson mis dessus, et du pain. 10. Jésus leur dit : « Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. » 11. Simon-Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet qui était plein de cent cinquante-trois grands poissons; et quoiqu'il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. 12. Jésus leur dit : « Venez et mangez. » Et aucun des disciples n'osait lui demander : « Qui êtes-vous ? » parce qu'ils savaient qu'il était le Seigneur.

13. Jésus s'approcha, et prenant le pain, il leur en donna; il fit de même du poisson.

14. C'était déjà la troisième fois que Jésus apparaissait à ses disciples, depuis qu'il avait ressuscité des morts.

Notons, en passant, que John P. Meier considère que la version de Jean de la pêche miraculeuse est probablement plus plausible que celle placée par Luc avant la mort de Jésus, même si Jean a instillé dans le texte, comme en Jn 11, un important ajout théologique et symbolique que nous commentons plus loin.


La contemplation du Dialogue avec Pierre Jean 21, 15-25 nous conduit plus loin. 

Il est dangereux de couper le chapitre alors que l’ensemble du récit à sa structure propre. Rappelons le contexte. Il y a d’abord l’opposition nuit/jour que nous avions déjà notée entre Nicodème et la Samaritaine. Ici, comme nous l’avons vu, la nuit du pêcheur a été stérile et c’est à l’appel du Christ que la pêche devient féconde.

Il y a ensuite la symbolique du vêtement. Pierre est à nu (v. 8). Il ne se cache plus derrière son assurance. Depuis son reniement, il est probablement couvert de honte. C’est à ce moment-là que Jésus choisit l’ultime appel. Le dernier « où es-tu ? » vient le relever. Il passe un vêtement, mais est-ce suffisant ? Il lui faut plonger dans la mer pour accéder au repas. Est-ce une allusion au baptême de l'Église ?

Le questionnement montre qu’il a encore du chemin à parcourir jusqu’au décentrement final où l’amour pourra être un amour d’agapè et d’une certaine manière, un « lavement des pieds » au sens où il devient imitation de « l’amour-serviteur » de Jésus :

« Quand tu deviendras vieux, un autre te ceindra et t’entraînera, là où tu ne veux pas aller ». Jn 21, 18.

Ramenée à l'Église, cette dernière arche fait résonner ce que nous avons découvert, dans cette longue traversée de la Passion. Au pas de Dieu qui s’agenouille devant l’homme doit répondre ceux de l’homme vers Dieu. Il ne peut en tirer gloire, puisque Dieu seul emplit les filets. Mais au bout du chemin sera la pêche abondante, le repas partagé et la gloire de voir Dieu…

Pierre, lors du lavement des pieds, n’avait pas saisi l’enjeu du geste. Il restait crispé sur l’apparence. Ce que nous fait découvrir l’ensemble du récit, c’est que l’invitation du Christ n’est pas rituelle, mais totale. Ce qui est demandé à l’homme, par l’agenouillement de Dieu, est d’entrer dans une réciprocité totale, une participation à la danse trinitaire qui va jusqu’à l’amour total, sans limites, et peut conduire à la croix, non comme un autosacrifice, mais comme la conséquence d’un dépouillement, d’un décentrement de l’homme, jusqu’à l’extrême, en Dieu.

Au bout de cette traversée, nous retrouvons un schéma qui traverse l’ensemble de nos recherches, celle de la « descente de tours », ce lieu où l’homme, en quittant toutes ses certitudes, y compris pour Pierre, l’illusion de tenir dans l’adversité, parvient à la nudité d’une rencontre, « sous la tente légère ». En rencontrant Jésus lui-même dépouillé de sa toute-puissance, il parvient à l’entre-vue véritable, celle d’un Dieu aimant.

C’est ainsi que ce dernier pont peut nous apparaître, comme une révélation finale :

Décentrement                            Réception

Ils étaient nus Gn 2                Don du Jardin

Où es-tu ? Gn 3                Don de la vie

Retire tes sandales Ex 3                     Je suis

 Retire tes vêtements Ex 33     Tente de la rencontre

Il retira son vêtement Jn 13 Il lave les pieds

Ils lui enlevèrent sa tunique Jn 19

J’ai soif

        Tout est accompli

     Jaillissement du cœur

     Tombeau vide Jn 20

       Don de l’Esprit Jn 20


Le Seigneur ne demande pas plus que ce que nous pouvons porter. Il considère chacun comme s'il était la perle unique en qui il avait mis tout son amour.  Contemplons le dialogue sublime qui réunit Pierre avec Jésus au bord du lac de Tibériade. Le dialogue commence par une subtilité des deux verbes grecs utilisés par Jésus dans son questionnement.  Il demande d'abord si Pierre l'aime d'amour (agapas me) avant d'utiliser le verbe qu'utilise Pierre à chaque fois pour lui répondre. Philo te ! Je t'aime d'amitié.  

On sait que Pierre sort de son reniement,  qu'il doit avoir la honte du fils prodigue, qu’il a plongé nu dans la mer – un geste à la forte symbolique baptismale – pour se présenter devant le Seigneur et pourtant Jésus se remet à genoux devant lui, en le rejoignant dans ses mots mêmes. Et lui dit "paix mes brebis".

Écoutons ce commentaire de saint Augustin : « Le Seigneur demande à Pierre s'il l'aime, ce qu'il savait très bien ; et il le lui demande non pas une fois, mais deux et même trois fois. Et chaque fois Pierre répond qu'il l'aime, et chaque fois Jésus lui confie le soin de faire paître ses brebis. À son triple reniement répond une triple affirmation d'amour. Il faut que sa langue serve son amour, comme elle a servi sa peur ; il faut que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu'elle l'a été devant la menace de la mort. Il faut qu'il donne une preuve de son amour en s'occupant du troupeau du Seigneur, comme il a donné une preuve de sa timidité en reniant le Pasteur. »

N'est-ce pas nos tentations pastorales,  qui ne sont autres que celles que Mat 4 décrit au désert.  L'avoir, le pouvoir, le valoir.

Saint Augustin poursuit : « Ceux qui s'occupent des brebis du Christ avec l'intention d'en faire leurs brebis plutôt que celles du Christ se montrent coupables de s'aimer eux-mêmes au lieu d'aimer le Christ. Ils sont conduits par le désir de la gloire, de la domination ou du profit, et non le désir aimant d'obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Cette parole trois fois répétée par le Christ condamne ceux que l'apôtre Paul gémit de voir chercher leurs intérêts plutôt que ceux de Jésus Christ (Ph 2,21). »

Prenons le temps de relire  ce texte de Philippiens 2, dans son contexte, c'est-à-dire depuis l'évocation de la kénose du Christ (qui n’est autre qu’une illustration théologique du lavement des pieds évoqué en Jn 13).

« Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus : bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé (en grec : ekenosen) lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. (...) Agissez en tout sans murmures ni hésitations, afin que vous soyez sans reproche, simples, enfants de Dieu irrépréhensibles au milieu de ce peuple pervers et corrompu, dans le sein duquel vous brillez comme des flambeaux dans le monde, étant en possession de la parole de vie; et ainsi je pourrai me glorifier, au jour du Christ, de n'avoir pas couru en vain, ni travaillé en vain. (...) Car je n'ai personne [hormis Timothée] qui me soit tant uni de sentiments, pour prendre sincèrement à cœur ce qui vous concerne; tous, en effet, ont en vue leurs propres intérêts, et non ceux de Jésus-Christ (Ph2, 5-8, 14-16, 20-21) ».

C'est dans l'esprit kénotique de Paul et sous l'éclairage de la triple tentation (Mt 4 / Lc 4) que l'on peut entendre l'évêque d'Hiponne. « Que signifient, en effet, ces paroles : « M'aimes-tu ? Pais mes brebis » ? C'est comme s'il disait : « Si tu m'aimes, ne t'occupe pas de ta propre pâture, mais de celle de mes brebis ; regarde-les non comme les tiennes, mais comme les miennes. En elles, cherche ma gloire, et non la tienne ; mon pouvoir, et non le tien ; mes intérêts, et non les tiens »... Ne nous préoccupons donc pas de nous-mêmes : aimons le Seigneur et, en conduisant ses brebis vers leur pâturage, recherchons l'intérêt du Seigneur sans nous inquiéter du nôtre. »

À nous les pécheurs pardonnés, Jésus nous met l'anneau,  nous revêt du manteau du pardon (Luc 15) et nous comble de sa grâce. Louange et gloire à notre Dieu.

28 août 2020

Homélie Mariage du 29/8

Projet 1 de notes pour le mariage de samedi 

Chers X et Y 
Je reste admiratif devant votre désir d'affronter les éléments et de poursuivre ce projet de mariage jusqu'au bout.

Il traduit quelque chose de profond en vous, cet amour qui vous a rapproché, conduit déjà bien loin, jusqu'à cette belle maison, la naissance de votre fille et aujourd'hui à vous unir devant Dieu.

Dans votre lettre d’intention vous parliez de cette harmonie particulière qui vous unit. J’ai pu le vérifier dans nos entretiens. L'amour qui vous habite n'est pas un feu follet et les choix des textes que nous venons de lire le disent bien.

Je voudrais à ce sujet insister sur deux points.

L'amour dont parle Paul n'est pas non plus ordinaire. Le mot grec utilisé est agape. Dans une autre histoire Pierre va faire à ses dépends la douloureuse expérience de ce terme. Il vient de renier Jésus, il se sent mal et pourtant le voici devant le ressuscité et Jésus lui demande par deux fois : m'aimes-tu d'agape ? [la troisième fois Jésus parle de Philie] Pierre sais bien qu'il n'a pas aimé jusqu'au bout, il lui répond sur le bout des lèvres : je t'aime d'amitié (philo te). 

X et Y  vous allez vous promettre de vous aimer de cet amour immense qui prend patience, ne cherche pas son intérêt, va jusqu'au bout de la vie, ne renie pas, même dans les épreuves. En choisissant ce texte, en échangeant vos consentements, vous manifestez à tous que l'amour est grand, immense et que vous voulez en vivre, en être le signe. Ce sera votre mission impossible et dans 3 minutes se message ne s'autodétruira pas comme dans la série télévisée...
Comment allez jusqu'au bout ? L'évangile donne une réponse ; en restant attaché à la vigne. En mettant Dieu dans votre vie, en contemplant le plus possible l'amour qui s'est donné jusqu'à la Croix. Vous habitez tout près de l'Église de Z, tous les matins en poussant les volets, méditez sur ce qu'elle contient : le signe d'un amour infini qui va jusqu'au bout, jusqu'à en mourir. 

L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ;  il ne fait rien d'inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.

On le sent, cet amour auquel vous êtes appelés est immense. Vous aurez besoin de force pour y parvenir, vos amis, votre fille sera là dans les moments plus difficiles pour tenir le cap. Cet amour particulier qui vous unit se nourrira de cela.
Je vous souhaite quelque chose de grand, à l’image de ce qui, en vous, vous a conduit jusque-là.


22 août 2020

Le message de Jean - une actualité brûlante

Le message de Jean - une actualité brûlante

Une concordance osée entre l'injonction du psaume 40 et Jn 13 mais plus globalement ma lecture actuelle de Jean (*) me conduit à cette conclusion un peu disruptive que je voudrais tester avec vous.

Extrait...
Rappelons le psaume 40 :
«Tu n'as pas pris plaisir au sacrifice ni à l'offrande: tu m'as ouvert les oreilles; tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...)
Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n'était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les quatre recensions n'ont pu déroger à une lecture semblable[237]. Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n'est raconté que par Jean et remplace, nous l'avons dit, le récit de l'institution de « l'eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d'une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité dans l'amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique[238]. Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s'identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 
Jean nous conduit aux mêmes conclusions, mais donne une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est presque depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique, qui devient l'exhortation finale de Jean. Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[239]
« allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pêcheurs (Jn 8 et Jn 13), les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.

Je rejoins là l'injonction récente de François Cassingena-Trévédy : « Ne faudrait-il pas envisager courageusement, pour l'avenir, et jusque dans nos communautés religieuses encore privilégiées, des messes plus espacées dans le temps, des messes qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d'habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l'effort d'un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu » [240]


[237] cf. DODD, La tradition historique du IV° Évangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38.
[238] On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7. 
[239] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »
[240] François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

(*) cf. « À genoux devant l'homme » dont je prépare une troisième édition (disponible déjà en version bêta sur le site de la Fnac)

01 mai 2020

Le bon berger... Méditation pour le 4eme dimanche de Pâques


Projet version 5 à discuter (merci à Georges pour sa contribution)

Qui est le bon pasteur ?
Le droit de l'Église qu'on appelle le droit canon distingue fort bien (canon 516sq) celui à qui est donné la tâche de diriger, des autres ministres de l'Église. Cela appelle au moins une double réflexion :
  1. D'où vient ce pouvoir ?
  2. Qu'est-ce que l'autorité ?
Peux-t-on distinguer les deux ?
La réponse à la première question est a priori simple. Elle se trouve directement dans l'évangile de la Passion dans le dialogue avec Pilate : «Tu n'as aucun pouvoir (...) à part celui que Dieu t'a accordé.» Jean‬ ‭19:11‬ ‭
De cette réponse peut dériver celle que l'on peut faire à la deuxième question. L'autorité viendrait de Dieu,. Mais le risque est d’abuser de cette affirmation. En réalité l’enjeu n’est pas  d’imposer une autorité, mais que cette autorité rejoigne l’agapè qui « prend patience, est longanime et ne cherche pas son intérêt » (1 Co 13), c'est-à-dire qu'elle dérive de l'amour, est amour, n'est qu'amour(1)

Toute autorité qui n'est pas pétrie de cela sort de la « porte sainte », ne vient pas de Dieu. Depuis Luc et Matthieu 4, nous savons que le pouvoir est l'une des tentations centrales de l'homme. Elle n'échappe pas à Jésus lui même tenté au désert. Le Christ a dépassé cette tentation en prenant le chemin de l'humilité (kénose) et de l'amour jusqu'à la Croix, c'est pourquoi l'autorité lui est donnée par Dieu, non pour ses mérites et sa connaissance mais parce que l'amour est la véritable autorité, le chemin, la vérité et la vie.

Les épîtres pastorales complètent cette direction : « si quelqu'un souhaite la fonction de dirigeant dans l'Église, il désire une belle tâche. Il faut qu'un dirigeant d'Église soit irréprochable, mari d'une seule femme, sobre, raisonnable et convenable, hospitalier, capable d'enseigner; qu'il ne soit ni buveur ni violent, mais doux et pacifique; qu'il ne soit pas attaché à l'argent; qu'il soit capable de bien diriger sa propre famille et d'obtenir que ses enfants lui obéissent avec un entier respect. En effet, si quelqu'un ne sait pas diriger sa propre famille, comment pourrait-il prendre soin de l'Église de Dieu? Il ne doit pas être récemment converti; sinon, il risquerait de s'enfler d'orgueil et de finir par être condamné comme le diable. Il faut aussi qu'il mérite le respect des non-chrétiens, afin qu'il ne soit pas méprisé et qu'il ne tombe pas dans les pièges du diable.»
‭‭1 Timothée‬ ‭3:1-7‬ ‭BFC‬‬

Nous avons besoin d’une autorité qui reste collégiale et qui surtout demeure un agenouillement (2) devant l’inviolable nature d’autrui.
C’est tout le la difficulté. L’autorité n’a de sens que si elle est au service de l’unité. C’est le projet de l’Église, toujours visé, souvent manqué. Chacun doit travailler à y contribuer.

L’éternel risque est de désirer le pouvoir que nous apporte une éventuelle autorité en oubliant que la kénose (cf. Ph 2) est la porte étroite : le Christ en renonçant à l’autorité nous montre la « porte étroite », celle du bon berger, qui met ses brebis avant lui-même..., s’agenouille pour les soigner, cours après les perdus et les aime plus que lui-même, jusqu’à en mourir. La croix est la porte étroite, comme nous le rappelle la lettre de Pierre de la liturgie d’aujourd’hui (1P2, 20-25). Le Christ est l’unique pasteur, parce qu’il a été jusqu’au bout de l’amour.
Dans l’échange qui précède la consécration, le peuple s’efface devant le prêtre et lui confie le dialogue liturgique, mais cet effacement ne lui enlève rien, car ni le peuple, ni le prêtre n’a autorité pour reproduire le sacrifice unique, célébré par le Christ : « Ceci est mon corps, donné pour la multitude ».

(1) François Varillon, joie de vivre, joie de croire
(2) cf mon livre https://www.amazon.com/genoux-devant-lhomme-French-ebook/dp/B00HKTU838

Annexe :

Ajout tardif : pour Alain Madelin, cf. Heurs et malheurs de l’autorité (Éd. Lessius, 2018), l’autorité se mesure « à la capacité de faire grandir autrui pour lui permettre de donner sa pleine mesure ».

Pour mémoire : Can. 516 - § 1. Sauf autre disposition du droit, la quasi-paroisse est équiparée à la paroisse: elle est une communauté précise de fidèles dans l'Église particulière qui est confiée à un prêtre comme à son pasteur propre, mais n'est pas encore érigée en paroisse à cause de circonstances particulières2. Là où il n'est pas possible d'ériger des communautés en paroisse ou en quasi-paroisse, l'Évêque diocésain pourvoira d'une  autre manière à leur charge pastorale.
Can. 517 - § 1. Là où les circonstances l'exigent, la charge pastorale d'une paroisse ou de plusieurs paroisses ensemble peut être confiée solidairement à plusieurs prêtres, à la condition cependant que l'un d'eux soit le modérateur de l'exercice de la charge pastorale, c'est-à-dire qu'il dirigera l'activité commune et en répondra devant l'Evêque.
§ 2. Si, à cause de la pénurie de prêtres, l'Évêque diocésain croit qu'une participation à l'exercice de la charge pastorale d'une paroisse doit être confiée à un diacre ou à une autre personne non revêtue du caractère sacerdotal, ou encore à une communauté de personnes, il constituera un prêtre pour être muni des pouvoirs et facultés du curé, le modérateur de la charge pastorale.

02 août 2019

Passivité, effacement et Agapè - 10

Passivité plus que passive.
« Arrachement de soi à soi-même, détachement par lequel on se détache, y compris dudétachement (...) effacement (...) Agapè qui ne résiste ni ne contourne ni n'échappe à la violence de la nuit, mais vaillamment, y prend place et s'y loge (...) solicitude éthique (...) compassion (...) générosité que ne précède aucune réquisition (...) incessante, taraudante inquiétude (...) voilà ce qui n'est guère conforme à nos catéchismes tranquilles » (1)

Dans sa conclusion aux élans lévinassisiens F. Marxer résume bien l'enseignement de son livre dont je vous ai partagé déjà trop d'extraits dans le seul but de vous inviter au voyage...

Un chemin qui dérange nos conforts établis à la lumière de ces femmes qui sont Église plus que nos communautés parfois stériles.

A lire sans modération


(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 564sq

01 février 2019

Au fil de Luc 4, 21-30, le prophète ou les larmes de Dieu - Homélie du 4ème dimanche du Temps Ordinaire

Projet pour le 3/2/19 - version 4
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Avez-vous déjà perçu les larmes de Dieu ? prenons le risque d’une métaphore humaine et poétique : si nous écoutions la pluie, comme le signe d'un Dieu qui pleure ? Ou la neige, comme le silence de Dieu souffrant.
Est-ce que nous entendons la souffrance du Dieu trinitaire (1), depuis le cri qu'il lance à l'homme dans le jardin d'Eden, jusqu'au cri du Christ en croix ? 
« Où es-tu ? », dit-il à Adam (Gn 3) - J’ai soif [de toi] (2), lance-t-il en Croix (Jean 19, 28, (cf. mon livre éponyme)

Les textes que nous avons entendus ce 4ème dimanche du temps ordinaire, nous dévoile la fonction du prophète. Ils font à leur manière résonner la parabole des vignerons homicides qui tuent les envoyés du maître...
Qui est le prophète ? N’est-ce pas celui qui nous fait part de la désolation de Dieu. Dans la première lecture, Dieu lui demande de revêtir sa ceinture (Jérémie 1), une ceinture bien fragile (cf. Jer 13 sq). De la même façon, par une allusion à Élie, Jésus nous conduit dans l'évangile sur les pas du grand prophète jusqu'à Sarepta, (cf. 1 Rois 17, 9 sq) retrouver la veuve qui n'a plus rien et qui s'apprête à mourir avec son fils. 
Quel est l'enjeu, sinon que Dieu as entendu son cri, loin de l'indifférence de son peuple, qui dans son opulence, n'entend plus Ses appels.

Par ce récit (Luc 4) , Jésus nous fait entendre sa désolation et les larmes qu'il verse sur son village natal incapable de reconnaître sa fonction de prophète. 
C'est au sein de cette tension que deux clés se révèlent. Deux clés qui nous conduisent à une contemplation et une méditation.

1ère clé 
Nous avons entendu déjà, la semaine dernière, le début du texte. Il s'est arrêté, sur la notion d'accomplissement, aujourd'hui nous allons un peu plus loin. 

Je vous propose de contempler encore cette notion d'accomplissement, de la « manduquer » dans un premier temps, avant de méditer sur la deuxième lecture et sur ce qu'elle me dit de l'amour de Dieu.

Premier temps - contemplation.
L'accomplissement, ce que le Christ  me dit comme accompli, se tend dans les évangiles entre cette affirmation de Jésus à Nazareth et ce « tout est accompli » qu'il prononce sur sa croix.
Savez vous combien de fois le mot accompli est cité dans l'évangile ?
En fait on le trouve une petite vingtaine de fois dans l'évangile, mais ce qui est frappant, c'est que c'est l'un des premiers mots de Jésus dans Luc et le dernier dans Jean. Tout est accompli. C'est peut-être cela que nous avons à contempler aujourd'hui. Un Dieu qui fait tout pour l’homme, jusqu’à donner son Fils et qui pleure sur son Amour rejeté par l’homme.
C'est néanmoins dans cette tension entre le début et la fin de son ministère, que Jésus va tenter de d’aller plus loin, de révéler la hauteur de l'amour de Dieu et en meme temps sa souffrance de n’être  pas entendu. 

La deuxième clé est enchâssée dans la première : cet amour infini de Dieu qui cherche à se révéler.

C'est cet amour de Dieu que nous avons à méditer et que saint Paul nous révèle dans la deuxième lecture.

« L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil (...) ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; (..) il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. » (1 Cor 13). Ce que Paul nous dit, ce qu'il nous révèle entre les lignes, c'est d'abord l'amour de Dieu avant d'être une exhortation sur ce vers quoi nous devons tendre. Le chemin du prophète, le chemin de Jésus, n'est ce pas finalement de nous révéler l'amour avec un grand A
Ce n'est que lorsque que nous avons découvert cela que nous pouvons passer au deuxième temps et à une méditation sur ce que cela appelle chez nous.

Deuxième temps - Exhortation 
Quel est le but de Paul, quel est le message de Jésus ? N'est-ce pas finalement nous faire goûter la largeur, la profondeur, la grandeur et la hauteur de l'amour de Dieu. Il n'est pas anodin que les fiancés prennent ce texte pour leur mariage. C'est l'amour idéal, c'est l'amour de Dieu, c'est l'amour d'un Dieu qui pleure. Prenons le temps de méditer cela. 

Si Dieu pleure, c'est sur l'aveuglement des hommes. 
Mais après la pluie il y a toujours le signe de l'alliance, le signe d'un dieu qui est espérance, l'arc-en-ciel, ce clin d'œil de Dieu qui précède le soleil, la lumière la chaleur, la vie. Dieu nous fait signe, il me dit qu'au-delà des pleurs, au delà des larmes, vient l'amour. Alors écoute ton Dieu pleurer et cherche au fond de ton cœur comment répondre à son amour infini, comme entendre son cri, comment répondre par l'amour à un amour qui se donne sans chercher son intérêt, jusqu'au bout. 

(1) cf. aussi François Varillon, La souffrance de Dieu
(2) cf. mes travaux évoqués, mais aussi une réflexion de sœur Térésa


10 novembre 2018

Au fil de Luc 16,9-15. - l’amour de l’argent - Clément d’Alexandrie

« Faites-vous des amis avec l'argent malhonnête » Luc 16, 10
Il ne s'agit pas pour Luc de nous pousser à la malhonnêteté, mais bien à une générosité féconde, à nous servir pour autrui d'une mesure pleine et débordante.
Il ne s'agit pas d'acheter autrui et le royaume, mais de transformer notre cœur pour aimer au sens de l'agape. Un amour large, profond, élevé et durable. 

« Celui qui donnera à boire à l'un de mes disciples, même un simple verre d'eau fraîche, ne perdra pas sa récompense » (Mt 10,42)... 

 Écoutons saint Clément d'Alexandrie : « Les richesses dont nous disposons ne doivent pas ne servir qu'à nous ; avec des biens injustes on peut faire une œuvre juste et salutaire, et soulager l'un de ceux que le Père a destinés à ses demeures éternelles... Qu'elle est admirable, cette parole de l'apôtre Paul : « Dieu aime celui qui donne avec joie » (2 Co 9,7), celui qui fait l'aumône de bon cœur, qui sème sans compter afin de moissonner aussi abondamment, et qui partage sans murmure, hésitation ou réticence... Et il est encore plus grand, ce mot que le Seigneur dit ailleurs : « Donne à quiconque te demande » (Lc 6,30)... (...). 
Réfléchis alors à la récompense magnifique promise à ta générosité : les demeures éternelles. Quel beau commerce ! Quelle affaire extraordinaire ! On achète l'immortalité pour de l'argent ; on échange les biens caducs de ce monde contre une demeure éternelle dans les cieux ! Si donc, vous les riches, vous avez de la sagesse, appliquez-vous à ce commerce... Pourquoi vous laissez fasciner par des diamants et des émeraudes, par des maisons que le feu dévore, que le temps écroule, qu'un tremblement de terre renverse ? N'aspirez qu'à vivre dans les cieux et à régner avec Dieu. Un homme, un pauvre, vous donnera ce royaume... D'ailleurs, le Seigneur n'a pas dit : « Donnez, soyez généreux et larges, secourez vos frères », mais « Faites-vous des amis ». L'amitié ne naît pas d'un seul don, mais d'une longue familiarité. Ni la foi, ni la charité, ni la patience ne sont l'œuvre d'un jour : « mais celui qui aura persévéré jusqu'au bout sera sauvé » (Mt 10,22). (1)

L'agape n'est pas la simple philia de l'amitié des hommes. Même si Luc évoque la philia au verset 9, il vise l’agape au verset 13. On découvre la distinction dans l'échange de Pierre et de Jésus dans Jean 21. M'aimes-tu d'Agape, demande deux fois Jésus à Pierre, avant de passer à la philia. Là est l'enjeu final. 

Prenons de la distance et contemplons le chemin tracé par Luc : « Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni les gens de ta parenté, ni des voisins riches, de peur qu'ils ne te rendent ton invitation et qu'ainsi tu sois payé de retour. Mais lorsque tu donnes un banquet, invite des pauvres, des estropiés, des infirmes, des aveugles. Heureux seras-tu, parce qu'ils n'ont pas de quoi te payer de retour! En effet, tu seras payé de retour à la résurrection des justes.» Luc 14:12-14 NBS 

L'agape est déjà entre les lignes au chapitre 14. Elle se transforme en miséricorde au chapitre 15, prends de l'ampleur dans l'histoire du gérant malhonnête... (Luc 16, 1-8) et nous voici grimper une nouvelle marche, course en avant qui nous conduit dans la dynamique de Philippiens 3 (cf. Post de jeudi). Il y a là un chemin hyperbolique à contempler...
Le point ultime n'est-il pas Jésus sur la Croix ?

(1) Saint Clément d'Alexandrie, Sermon « Quel riche peut être sauvé ? », § 31 (trad. coll. Icthus, t. 6, p. 45 rev.), source Evangelizo 


19 juin 2016

Nudité transfigurée

Pourquoi Jean ne parle t-il pas de la transfiguration ? Pour Balthasar qui commente là la figure sacramentelle du Christ et insiste sur la kénose, la métamorphose de Jésus devant ses disciples se trouve dans sa nudité. Seul Jean est pour lui "capable de contempler l'une dans l'autre ces deux mises à nu : celle du Cantique des Cantiques, où l'époux se découvre corporellement dans l'ardeur de l'éros - et celle de l'amour souffrant, corporel lui aussi, du Dieu trinitaire. Cette amplitude inouïe de l'amour corporel : à la fois dégrisé, vidé jusqu'à la moelle en face de la Croix, devant l'agapè divine qui prend le langage du corps, et, ravi au-dessus de lui-même, élevé jusqu'à l'éternité en face de ce langage enivrant de la chair et du sang répandus, pour devenir, éros de la créature, le tabernacle et la demeure de l'amour de Dieu !" (1)

Cette tension qui rejoint celle décrite dans notre dynamique sacrementelle nous donne à penser. Elle rejoint ce qu'écrivait Christophe Gripon dans son hymne sur Christ-Sophia (2).

(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la croix, tome 1, Apparition, op. cit. GC1 p. 151
(2) Eros, un chemin vers Christ Sophia, op. Cit. ch. 2 et 3

08 novembre 2015

Difficile chasteté

Trouver la juste place. Tel est l'enjeu de toute relation humaine.  Quelle soit parentale, conjugale ou simplement relationnelle la chasteté est cet art d'être ni trop loin (indifférence) ni trop prêt (main mise sur autrui). C'est l'art de toute vie, à l'école de l'amour.  Le seul guide : cette petite phrase de 1 Cor 13 : "L'amour prend patience... il ne cherche pas son intérêt".





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18 mars 2008

Dieu Amour


Dieu est l’Amour et rien d’autre (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, Epilogue p. 67

04 septembre 2007

Le don total - II

Il ne reste rien à Dieu le Père. Le Père, en engendrant le Fils a « tout donné » (Rm 8,32) sans aucun reste, si bien que pour quiconque refuserait ce tout, le Père n’ait rien d’autre à proposer ». (1) Cela pourrait rester des spéculations de théologien, si ce n’était le cœur du message de la Parabole de l’enfant prodigue. Dieu donne tout et plus encore.

Ainsi ajoute Balthasar « en premier lieu, dans la foulée de la génération par le Père, il y aura une sortie de soi pour se déverser en quelque sorte dans une totalité qui dépasse tout ce qui peut appréhender comme forme, image, expression ». On retrouve l’image souvent évoquée du fleuve jaillissant de l’amour du Fils qui reproduit pour moi le tout donné du Père en un tout donné à son Eglise.

Le théologien précise que l’on ne saurait le qualifier autrement « qu’en le désignant comme amour pur et simple ». « En second lieu, puisque le fondement originaire (...) ne peut être désigné que comme amour pur et simple, le Fils se retourne vers le Père. Et ceci répond à ce qu’il est essentiellement, puisque sa substance n’est que totale réception : en se recevant, il se tourne vers la source ». (2) Pour moi cet aller-retour n’est pas différent du « je te reçois et je me donne à toi », tant et si bien qu’un couple qui perçoit les deux mouvements c'est à dire altérité et retour sur don peut être à son échelle petite « image » trinitaire. Mais cette corrélation reprise d’ailleurs par K. Barth n’est pas acceptable pour Hans Urs von Balthasar (3)

Il distingue non sans raison l’économie trinitaire de l’imitation et souligne que « Tout cela se vérifie dans l’économie et sur la croix » (4)

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, II ibid, p.162
(2) p. 165-6
(3) cf. p. 187
(4) p. 167

22 juillet 2007

Aimer


« le mot ultime qui lie Dieu et l’homme est en même temps le mot décisif entre l’homme et l’homme : il s’agit d’aimer (agapân) »(1)

Sans commentaires...

(1) W. Grundman, Das Evangelium nach Markus, dans Theologisches Hand Kommentar zum Neuen Testament II, Berlin, 1965, 252