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28 février 2021

La Transfiguration - de la kénose à la Gloire. Danse 37.1


S’Il y a un schéma littéraire très particulier dans le Premier Testament qu’il est beau de contempler à travers l’Ecriture, c’est bien celui des théophanies où Dieu se révèle aux hommes dans sa pédagogie particulière(1). Comme en Gn 22 ou dans les grandes théophanies du Sinaï, Il y a, à chaque foi, un messager (malak) qui prépare l’irruption, insupportable à l’homme, du divin, puis la manifestation d’une gloire extraordinaire, suivi d’une conversion et d’un agenouillement. 

Pour Abraham et Isaac la conversion apparaît au bout d’une longue marche (voir mes commentaires de septembre). 

Mais plus globalement ce schéma trace chez nous aujourd’hui un chemin d’espérance dans ces temps sombre, et mérite d’être poursuivi. 

Il est repris d’une certaine manière dans plusieurs textes des synoptiques en particulier chez Matthieu et Luc, soit dans l’Annonciation, ou le baptême du Christ, mais surtout dans la transfiguration que nous célébrons aujourd’hui en écho justement avec Gn 22. 

Que peut-on dire en élargissant la perspective ?

Peut-être avancer sur la pointe des pieds que de la souffrance toujours subie et jamais voulue par Dieu peut jaillir une flamme fragile, un jet de lumière, un tressaillement d’espérance.

Ne sombrons pas dans le désespoir. Crions à la suite d’Augustin (cf. Confessions ch.VIII) : Il est là, alors qu’on le croit absent, ce Dieu d’amour.


Sa danse passe par l’effacement et la croix, mais déjà le relèvement se distingue au bout du tunnel.

Comme Moïse nimbé d’une lumière insurmontable au retour du Sinaï en Exode 34, répond et répare la chute du veau d’or, le Christ est notre lumière, joie cachée mais rayonnante d’une croix sombre qui devient glorieuse par la résurrection.

La transfiguration est le premier déchirement discret du voile dont nous parle les synoptiques.

Saint Léon le grand a une belle analyse que je découvre cette nuit :  « Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu'il a choisis, et il éclaire d'une telle splendeur cette forme corporelle qu'il a en commun avec les autres hommes que son visage a l'éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.


Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa passion volontaire ne bouleversent leur foi.


Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l'espérance de l'Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l'honneur qui avait resplendi dans leur chef.


Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu'il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l'Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt révéler en nous. (...) 

En effet, Moïse et Élie, c'est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s'entretenir avec le Seigneur. (...) 

Qu'y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l'Ancien Testament et celle du Nouveau s'accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s'accorde avec l'enseignement de l'Évangile.


Les écrits de l'une et l'autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l'a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. En lui s'est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements. ~


Que la foi de tous s'affermisse avec la prédication de l'Évangile, et que personne n'ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.


Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise ; car c'est par le labeur qu'on parvient au repos, par la mort qu'on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l'aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu'il a vaincu et nous recevons ce qu'il a promis. Qu'il s'agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l'adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l'heure doit retentir sans cesse à nos oreilles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis tout mon amour; écoutez-le !(2)

L’office des lectures nous le  rappelle : « Sur le visage du Christ;rayonne la gloire de Dieu.

(...) 

Personne n'a jamais vu Dieu.

Le Fils unique qui est dans le sein du Père

nous l'a fait connaître.

 

Oraison

Tu nous as dit, Seigneur, d'écouter ton Fils bien-aimé ; fais-nous trouver dans ta Parole les vivres dont notre foi a besoin : et nous aurons le regard assez pur pour discerner ta gloire.(3)


Suite à venir, mais sans vous laisser planter la tente, comme Pierre, je voulais déjà vous partager ce rayon de soleil... 


(1) cf. Théophanies, mon livre éponyme, repris et très largement amplifié in « Dieu dépouillé » en téléchargement libre sur Kobo

(2) saint Léon le Grand, sermon pour le 2eme dimanche de Carême, source office des lectures, AELF

(3) office des lectures, ibid.


24 février 2021

Une souffrance qui libère ? 36.2


En préambule au texte de dimanche prochain (Gn 22) et à la suite de mon billet précédent, je poursuis ici mon commentaire (*) et l’expose à vos commentaires.

D’autres sens de la mort de Jésus ont été évoqués par l'Église[1]. (...). Parmi ces multiples visions, le plus difficile à comprendre, c’est peut-être l’expression de Paul : « mort en rançon pour la multitude ». Cette vision pourrait nous conduire à l’idée d’un Dieu qui voudrait un échange pour calmer sa colère. Peut-être faut-il nous attarder un peu sur ce plan, pour déconstruire les fausses pistes qui ont été malheureusement exploitées dans le passé.

Une des premières clés nécessaires à la compréhension de ce mot de rançon se trouve dans le contexte historique. Le mot grec évoque le prix payé pour libérer l’esclave. La rançon payée par le Christ n’est pas un tribut versé à Dieu. Elle peut être conçue au contraire comme un don qui libère l’homme de sa servitude, un tribut versé par Dieu. Qu’est-ce à dire ? La mort du Christ serait une voie qui, en rayonnant l’amour, nous conduit à quitter ce qui nous enferme dans l’adhérence au mal. On rejoint ce que nous évoquions alors plus haut, à propos du serpent d’airain.

Une deuxième difficulté vient de la compréhension de l’expression « colère de Dieu ». Ce n’est pas le « tonnerre et le feu » que nous avons croisés aux côtés d’Élie, dans 1 Rois 19. Ce n’est pas, non plus, le désir de sacrifice du fils premier qu’Abraham a pensé entendre dans sa première interprétation de l’appel du divin (cf. Gn 22). Ce qu’il entendait alors n’était pas le Dieu chrétien, mais probablement la voix trouble de ces peuples de nomades qui pensait apaiser le courroux des dieux en sacrifiant leur premier-né. C’est pourquoi l’ange arrête son bras et met fin à l’incompréhension…

Nous devons le reconnaître, l’Ancien Testament a souvent une version violente de Dieu. Elle reflète surtout l’idée que les hommes se font de Dieu plutôt que le Dieu que le Christ vient révéler, celui qui va jusqu’à mourir par amour. La croix est donc déjà une inversion de ce désir sacrificiel que les hommes ne cessent de reproduire au terme d’un processus souvent mimétique[2]. La folie des hommes est de croire que Dieu veut la mort, y compris de l’innocent, pour calmer sa colère. Il serait perçu comme un Dieu violent. La réponse n’est pas là. Déjà nous l’avons vu à partir du chemin d’Élie, Dieu n’est pas favorable au meurtre des prêtres de Baal (1 R 18), de même il n’est pas dans le tonnerre et le feu, mais ailleurs, dans une symphonie plus douce (1 R 19)…

Faut-il considérer pour autant que Dieu ne rentre pas en colère ? Ce serait réduire Dieu à un Dieu faible. D’ailleurs, le Christ lui-même, dans l’épisode du Temple, nous révèle une facette de ce zèle pour la vérité.

Qu’est-ce alors que la rançon, dans ce contexte ? Ce que nous révèle l’Écriture est ailleurs. Dieu n’a jamais voulu la mort, il ne veut pas d’une rançon pour calmer sa colère. Il n’est pas impossible de concevoir, par contre, que le désordre des hommes réveille chez lui une saine colère, celle d’un Dieu qui se fatigue de nos échecs. Dans ce sens, la rançon versée pourrait être pour Dieu une manière de surajouter l’amour, là où il pourrait manifester de la colère. 

« Là où règne la haine que j’apporte l’amour »(3).

Cette réponse s’articule dans le jeu trinitaire. Il ne s’agit plus d’une vengeance, mais plutôt de l’ordre d’un amour débordant qui en acceptant de donner ce qu’il a de plus cher, vient inverser le sens du monde et apaiser la colère et le cri de celui qui se révolte devant l’injustice.

 J’ai conscience que la différence entre les deux notions est ténue. Il y a cependant une divergence fondamentale entre les deux versions. Pour la rançon, telle que perçue par certains courants d’une théologie que l’on appelle de la satisfaction, qui a pris sa source à partir d’une lecture étroite de saint Anselme au Moyen-âge, la rançon est versée à un Dieu violent et vengeur. Nous savons que le désir de Dieu est au contraire de rayonner de l’amour dont il déborde. Le prix payé à cette manifestation de l’amour de Dieu est alors le prix du fils, une rançon d’un autre ordre, un déchirement pour Dieu qui rend possible une nouvelle espérance. 

Le glissement qui se joue ici est celui de notre conception de Dieu. C’est pourquoi il ne faut pas le distinguer des autres sens de la croix. Si l’on rejoint le mort-pour-souffrir-avec-nous, la rançon devient bien la manifestation d’un jusqu’au-bout-du-don payé par Dieu. C’est dans cette tension et cette polyphonie que la nature même de Dieu s’éclaire. Elle inverse notre tendance à prendre Dieu pour un dieu vengeur. De plus, elle rejoint le sens même de la vie de Jésus. C’est pourquoi il nous a semblé important d’insister sur ce qui dans la vie de Jésus traduit tout particulièrement l’amour que le Père porte à l’homme. 


[1] Pour W. Kasper, les trois sens principaux rejoignent notre typologie : « Le mot hyper a dans ces textes une triple signification : 1. à cause de nous, 2. pour nous, en notre faveur, 3. à notre place. Les trois significations sont présentes et voulues, car il s'agit d'affirmer que la solidarité de Jésus est vraiment le centre de son humanité », in Jésus le Christ, p. 326ss.

[2] Cf. sur ce point la Thèse de R. Girard, in Des choses cachées depuis la fondation du monde.

(3) prière de saint François d’Assise

(*) Suite de mon extrait de « Dieu dépouillé » dont une deuxième édition vient d’être mise en téléchargement sur Kobo.



11 avril 2019

Au fil de Jean 8,51-59 - Le sacrifice - Tressaillement d’Abraham

En ce temps-là, Jésus disait aux Juifs : « Amen, amen, je vous le dis : si quelqu'un garde ma parole, jamais il ne verra la mort. »
Les Juifs lui dirent : « Maintenant nous savons bien que tu as un démon. Abraham est mort, les prophètes aussi, et toi, tu dis : "Si quelqu'un garde ma parole, il ne connaîtra jamais la mort."
Es-tu donc plus grand que notre père Abraham ? Il est mort, et les prophètes aussi sont morts. Pour qui te prends-tu ? »
Jésus répondit : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien ; c'est mon Père qui me glorifie, lui dont vous dites : "Il est notre Dieu",
alors que vous ne le connaissez pas. Moi, je le connais et, si je dis que je ne le connais pas, je serai comme vous, un menteur. Mais je le connais, et sa parole, je la garde. Abraham votre père a exulté, sachant qu'il verrait mon Jour. Il l'a vu, et il s'est réjoui. » Les Juifs lui dirent alors : « Toi qui n'as pas encore cinquante ans, tu as vu Abraham ! » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : avant qu'Abraham fût, moi, JE SUIS. »
Alors ils ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus, en se cachant, sortit du Temple. » (1)

Il existe un lien mystique entre Jésus et Abraham et ce lien réside dans la contemplation de ce récit énigmatique du sacrifice. C'est en méditant la foi du patriarche qui avance, aveugle, vers un Dieu qui semble lui demander l'impossible et l'improbable que se révèle le sens même de la Croix. 
L'erreur serait de croire en un Dieu sadique qui exige le sacrifice des premiers nés (tentation des religions pré-judaïque). Le récit du sacrifice d'Abraham, à la lumière de celui du Christ est une conversion du regard. Dieu ne demande pas l'impossible. Écoutons sur ce point Origène (v. 185-253), prêtre et théologien : « Abraham a tressailli d'allégresse dans l'espoir de voir mon jour. Et il l'a vu »
« Abraham prit le bois de l'holocauste et le chargea sur son fils Isaac ; lui-même prit en mains le feu et le couteau, et ils s'en allèrent tous deux ensemble. Isaac dit à son père : Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? À quoi Abraham répondit : L'agneau pour l'holocauste, Dieu y pourvoira, mon fils » (Gn 22,6-8). Cette réponse d'Abraham, à la fois exacte et prudente, me frappe. Je ne sais pas ce qu'il voyait en esprit, car il ne s'agit pas du présent mais de l'avenir quand il dit : « Dieu y pourvoira ». À son fils qui l'interroge sur le présent, il parle de l'avenir. C'est que le Seigneur lui-même devait pourvoir à l'agneau dans la personne du Christ...
« Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. » Rapprochons de cela les paroles de l'apôtre Paul où il est dit de Dieu qu'il « n'a pas épargné son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous » (Rm 8,32). Voyez avec quelle magnifique générosité Dieu rivalise avec les hommes : Abraham a offert un fils mortel qui en fait ne devait pas mourir, tandis que Dieu a livré à la mort pour les hommes un Fils immortel...
« Et, se retournant, Abraham leva les yeux, et voici qu'un bélier était retenu par les cornes dans un buisson. » Le Christ est le Verbe de Dieu, mais « le Verbe s'est fait chair » (Jn 1,14)... Le Christ souffre, mais c'est dans sa chair ; il subit la mort, mais c'est sa chair qui la subit, dont le bélier est ici le symbole. Comme le disait Jean : « Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde » (Jn 1,29). Le Verbe au contraire est demeuré dans l'incorruptibilité ; c'est lui le Christ selon l'esprit, celui dont Isaac est l'image. Voilà pourquoi il est à la fois victime et grand prêtre. Car, selon l'esprit, il offre la victime à son Père, et selon la chair, lui-même est offert sur l'autel de la croix. (2)

Ne croyons pas ceux qui exige un sacrifice impossible. « «Tu n’as pas pris plaisir au sacrifice ni à l’offrande: tu m’as ouvert les oreilles; tu n’as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j’ai dit: Je viens avec le livre-rouleau écrit pour moi. Je désire faire ta volonté, mon Dieu, et ta loi est au fond de mes entrailles (Psaumes‬ ‭40:7-9‬) », c'est en méditant le psaume 39 (40) que s'éclaire à la fois la folie salvatrice du Fils et l'amour souvent incompris du Père. (3)





(1) Traduction Liturgique de la Bible, AELF, Paris
(2) Origène, Homélies sur la Genèse, VIII, 6, 8, 9 : PG 12, 206-209 (trad. Orval)
(3) cf. sur ce point Paul Beauchamp, d'une Montagne à l'autre et mon commentaire in « J'ai soif » repris dans Dieu n'est pas violent.