Est-ce que nous déformons la Trinité par notre prisme trop humain ?
Difficile de dire cela en des mots simples…
Telle est en tout cas la question posée par Jean Luc Marion alors que j’approche de la fin de son livre (1)
Après une éloge et une critique mêlée des sentiers tracés par Schelling, Barth et de l’adage Rahnérien(2) le philosophe interpelle notre manière de lire historiquement la Trinité dans une succession pour lui trop « chronologique » qui met le Fils puis l’Esprit après la Révélation du Père.
Je m’explique : est-ce que l’Esprit n’existe qu’après la révélation de la relation Père Fils qui n’existe lui-même qu’en temps que Fils ? Où la Trinité est-elle entre 3 Personnes, circumincession * ou cercle parfait, unité virevoltante, spirale infinie préexistante dans leurs processions que j’ose qualifier de danse…
C’est peut-être aborder, d’une certaine manière cette fameuse et difficile notion de « consubstantialité » beaucoup critiquée avec le nouveau missel.
La réalité n’est pas forcément dans ce que montre l’histoire de la révélation nous dit Marion, qui tente de privilégier l’immanence à ce qu’on appelle l’économie…
Comment expliquer cela avec des mots accessibles ? Faut-il du coup, se laisser interpeller, y compris par l’Esprit qui ne peut être réduit à un don, daté, du Fils, mais fait bien partie de cette danse infinie (3) qui fait des trois Personnes une valse, à laquelle nous sommes conviés de toute éternité.
L’amour divin n’est pas successif ou généalogique mais bien danse…
L’Esprit, trop souvent oublié, est là, de toute éternité. Est-ce Celui qui souffle déjà sur les eaux originaires ?. Il vient en tout cas jusqu’au cœur de l’homme dans des germes fragiles (4) ou dans la grâce du baptême. S’il nous embrase, n’oublions pas qu’il souffle où il veut, semble nous habiter, mais s’enfuit bien vite, parfois, loin des ors de nos églises, il vient d’Ailleurs et nul ne peut le saisir tout en ne cessant d’avoir à se laisser « saisir par Lui » (cf. Ph 3).
L’Esprit est sortie de soi, il pousse au désert(5), à quitter(6), il est invitation presque forcée à sortir de soi (anamorphose dit Marion).
Faut-il rapprocher cela d’une image de
Balthasar qui va loin dans une analogie avec le mariage :
« L'image de Dieu doit se trouver aussi dans [un] mouvement opposé (...) , qui le force à sortir de lui-même : du Je au Toi, et au fruit de la rencontre, que celle-ci soit la rencontre sexuelle de l'homme et de la Femme (le fruit peut alors être l'enfant, mais aussi, au delà, un fruit intéressant tout l'humain, qui dépasse la sexualité) ou une autre rencontre dans laquelle le Je se donnant au Toi, deviens pour la première fois lui-même, tout deux se réalisant dans un nous, dépassant la recherche du Je. Ce n'est que dans un tel dépassement que se produit la première image, immanente à l'esprit et puisque ces dépassements sont innombrables dans la société humaine, ils brisent toujours ainsi le modèle clos (par exemple d'un mariage) et forment de nombreux mouvements […] comme des vagues. » (7)
Je trouve cette image très belle, parce qu'elle élargit encore plus la notion d'image et en même temps elle la relativise. Nous sommes à l'image de Dieu quand nous parvenons à vivre une véritable relation ouverte et féconde, homme et femme, vis-à-vis constructif(8), dansant et fécond(9). Pourtant nos petites épiphanies, constituent, avec d'autres, une immense tapisserie, que l'on ne peut percevoir, comme le disait saint Augustin, qu'en prenant de la distance.
Toutes ces lueurs d'amour sur terre, éclaire le monde de l'intérieur. C'est le fourmillement de Dieu qui s'incarne dans nos mains et nos coeurs. Nous sommes les fourmis de Dieu.
Même si la métaphore a ses limites, car nous restons des êtres libres et ce n'est que scintillements, à l'image des étoiles qui reflètent à leur manière, la beauté d'une création vivante et agissante.
La Trinité est perte de pouvoir, déchaussement (cf. Retire tes sandales) qui dévoile la danse du feu divin, en des langues qui dépassent les récipiendaires et signifient l’amour.
Chant en langues ? Démaîtrise, renoncements ou consentements, la danse nous fait perdre pied, dans une spirale du don qui nous échappe car elle vient et ramène à Dieu…
(1) Jean Luc Marion, d’Ailleurs la Révélation, p. 463sq et chapitre 17, op. cit.
(2) cf. notamment la Dogmatique de Barth et Karl Rahner, Dieu Trinité « La Trinité qui se manifeste dans l'économie du Salut est la Trinité immanente, et réciproquement »
Voir aussi : https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2006-3-page-453.htm#re58no58
(*) voir la thèse d’E. Durand sur la Périchorèse
(3) cf. ma danse trinitaire reprise in A genoux devant l’homme
https://www.fnac.com/livre-numerique/a14805155/Claude-J-Heriard-La-danse-trinitaire
(4) les semences de l’Esprit est un beau thème que l’on trouve dans la fin de la trilogie d’Hans Urs von Balthasar
(5) voir « Le chemin du désert »
(6) chemin d’Abraham
(7) Urs von Balthasar, Dramatique Divine 2,2 p. 416
(8) cf. Sylvaine Landrivon, la femme remodelée
(9) je développe ce point dans « Aimer pour la vie »
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