L’humilité de Dieu va jusqu’à pousser son abaissement à la limite de ce que nous pouvons saisir sans mettre à mal, pour autant notre liberté.
On pourrait en effet, comme nous le faisions à propos des miracles s’interroger sur le pourquoi de leurs limites, de leur rareté…
C’est ce que j’apprécie à nouveau chez Jean Luc Marion (1). Après sa lecture cursive de Jean 4 où Jésus commence par demander à boire à la Samaritaine avant de parler d’eau vive (une interprétation est très classique (2), mais qui s’intègre bien dans son développement, Marion a cette phrase qui m’interpelle, peut-être parce qu’elle fait écho à mes travaux sur la pédagogie divine : « Dans le décèlement [du mystère], ce qui se donne à voir reste à niveau avec celui qui le voit » (1)
On a là déjà une piste, mais Marion distingue pourtant plus loin décèlement (ou vérité) et découvrement (apokalupsis) qu’il faudrait comprendre, par contre (2), comme le début d’une interaction, de notre capacité à recevoir ou rejeter… à réagir, voire à mettre en actes.
Le decouvrement de Dieu appelle une réponse, un mouvement, une danse… comme cette semence fragile qui fait germer en nous ce que Dieu nous révèle.
On a bien là une trace des enjeux de cet agenouillement de Dieu que je cherche à thématiser depuis des années (3).
Ce que la théologie appelle kénose est bien cette attitude pastorale de Dieu qui ne nous invite pas à un saut dans l’insissable qu’Il est, mais cherche toujours à rejoindre l’homme jusque dans ses impasses culturelles et les méandres de sa quête, jusqu’à réveiller sans forcer sa conscience.
C’est pour moi ce qui distingue les théophanies de l’Ancien Testament des révélations du NT(4), mais aussi peut justifier que les apparitions de Fatima ou de Lourdes puissent avoir pour nous des colorations culturelles vieillottes alors qu’elles parlaient aux petits bergers de là bas, les rejoignant, comme dit Marion, « à leur niveau » de compréhension. Cela ne dénature ni la profondeur de la rencontre, ni la personne, respectée pour ce qu’elle est.
Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous. Il s’est fait homme.
En contemplant cet abaissement on peut comprendre toute la tendresse de Dieu qui ne mésestime pas l’homme mais au contraire l’aide à grandir, depuis son état, dans cette logique « vectorielle » que j’évoque souvent.
A cela s’ajoute ce que le regretté B. Sesboué disait dans sa « Pédagogie du Christ », la réalisation par le Christ de l’étendue de sa mission est progressive, ce qui pour nous le rend plus humain.
John P. Meier(5) le soulignait aussi. Il n’est pas sûr que le Christ ait perçu, au début du moins, la dimension universelle de sa venue, ce qui explique l’épisode des petits chiens avec la Syro-Phénicienne , ce qui laisse dire, avec raison, à nos amies, que Jésus avait besoin d’un regard féminin, pour ouvrir son cœur aux dimensions du monde. Elles n’ont pas tort. La dimension ecclésiale doit s’ouvrir au fait que la danse du Verbe est Kononia et non interprétation figée d’un savant ou d’un mystique solitaire. C’est ensemble que nous progressons doucement vers la Révélation. C’est notre espérance…
Les temps actuels, nous rappellent que les frasques de l’Ancien Testament sont aussi nos horreurs présentes comme le soulignait G. Hamman : « c’est notre histoire ! » (6) et que nos églises ont encore besoin de travailler ensemble vers une sainteté toujours inaccessible à l’homme hormis quelques étincelles fragiles. Le grand Pierre pouvait affirmer à la fois à Césarée la réalité du Christ et juste après se planter magistralement sur le sens de la Croix.
Humilité donc. Nous sommes tous à la fois proches et loins de la Vérité.
Mais celle ci n’est pas lumière vive et aveuglante mais au contraire buisson ardent d’un amour fragile qui se donne dans la nuit et réveille chez nous un feu de braise, pour qu’ensemble brille ce que Dieu veut nous signifier dans le silence.
« Parce que le phénomène se manifeste à fond et se donne en soi à fond, il ne peut pas précisément s’imposer à moi sans moi ; il ne peut que se pro-poser en face de moi, qui peut ne pas en recevoir la survenue, donc décider de ne pas le voir. » (ibid p. 248)
« J’ai joué de la flûte et vous n’avez pas dansé » laisse transparaître le drame du danseur repoussé, de l’amant trahi, les larmes de Dieu qui entend les pleurs de Rama…
(1) Jean Luc Marion, « D’ailleurs la Révélation », op. cit p. 236
(2) p. 239sq
(3) cf. aussi mon « À genoux devant l’homme », troisième édition.
(4) cf. Dieu dépouillé
(5) John P. Meier, Un certain juif nommé Jésus, tome 1 à 5.
(6) cité par Hans Urs von Balthasar dans le tome 2 ou 3 de sa trilogie
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