29 mars 2022

L’eau et la danse 2.43

La liturgie met en lien aujourd’hui deux textes magnifiques autour du thème de l’eau. Ils sont chacun à contempler à la lumière de ce passage de Jean 19 où le cœur du Christ transpercé fait jaillir une source inépuisable qui n’est autre pour Jean que l’Esprit. C’est ainsi qu’il faut lire il me semble ce récit d’Ezéchiel 47 avec cette source immense jaillissante dont on ne peut plus évaluer la profondeur. 

Saint Bonaventure avait cette belle image dont j’ai fait le titre d’un de mes livres «  l’amphore et le fleuve (1)». Si nous contemplons avec bienveillance notre vie, nous pouvons apercevoir l’ampleur des dons de Dieu que notre amphore ne peut parvenir à recueillir tellement elle dépasse notre propre contenant. De la fleur fragile à l’amour reçu d’autrui le grand Donateur ne cesse de combler ses enfants. Encore faut-il ouvrir son cœur à cette source immense. Et c’est l’enjeu du discours de Jean, depuis la nouvelle naissance évoquée à Nicodème (Jn 3), en passant par le « j’ai soif de toi » que nous fait comprendre la question à la samaritaine (Jn 4) jusqu’au j’ai soif final, la question que pose Jésus au paralytique en Jean 5 est un écho de « l’où es tu ? » originel de Gn 3.

Veux-tu être guéri ? Le veux-tu vraiment ? Crois-tu à la bonté de Dieu ? Vais-je mourir en vain ? M’aimes-tu ? Veux-tu danser avec moi ? 

« J’ai joué de la flûte sur la place du marché », viendras tu jusqu’au bout ?


Écoutons saint Augustin sur ce thème… :

« Les miracles du Christ sont des symboles des différentes circonstances de notre salut éternel (...) ; cette piscine est le symbole du don précieux que nous fait le Verbe du Seigneur. En peu de mots, cette eau, c'est le peuple juif ; les cinq portiques, c'est la Loi écrite par Moïse en cinq livres. Cette eau était donc entourée par cinq portiques, comme le peuple par la Loi qui le contenait. L'eau qui s'agitait et se troublait, c'est la Passion du Sauveur au milieu de ce peuple. Celui qui descendait dans cette eau était guéri, mais un seul, pour figurer l'unité. Ceux qui ne peuvent pas supporter qu'on leur parle de la Passion du Christ sont des orgueilleux ; ils ne veulent pas descendre et ne sont pas guéris. « Quoi, dit cet homme hautain, croire qu'un Dieu s'est incarné, qu'un Dieu est né d'une femme, qu'un Dieu a été crucifié, flagellé, qu'il a été couvert de plaies, qu'il est mort et a été enseveli ? Non, jamais je ne croirais à ces humiliations d'un Dieu, elles sont indignes de lui ».

Laissez parler ici votre cœur plutôt que votre tête. Les humiliations d'un Dieu paraissent indignes aux arrogants, c'est pourquoi ils sont bien éloignés de la guérison. Gardez-vous donc de cet orgueil ; si vous désirez votre guérison, acceptez de descendre. Il y aurait de quoi s'alarmer, si on vous disait que le Christ a subi quelque changement en s'incarnant. Mais non (...) votre Dieu reste ce qu'il était, n'ayez aucune crainte ; il ne périt pas et il vous empêche vous-même de périr. Oui, il demeure ce qu'il est ; il naît d'une femme, mais c'est selon la chair. (...) C'est comme homme qu'il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin crucifié et mis à mort. Pourquoi vous effrayer ? Le Verbe du Seigneur demeure éternellement. Celui qui repousse ces humiliations d'un Dieu ne veut pas être guéri de l'enflure mortelle de son orgueil.

Par son incarnation, notre Seigneur Jésus Christ a donc rendu l'espérance à notre chair. Il a pris les fruits trop connus et si communs de cette terre, la naissance et la mort. La naissance et la mort, voilà, en effet, des biens que la terre possédait en abondance ; mais on n'y trouvait ni la résurrection, ni la vie éternelle. Il a trouvé ici les fruits malheureux de cette terre ingrate, et il nous a donné en échange les biens de son royaume céleste » (2)


Ses paroles sont puissantes, dérangeantes, mais comme Naaman, ne faut-il pas se laisser secouer, de temps en temps jusqu’à la jointure de l’âme. L’appel de Dieu est irrésistible à qui veut bien entrouvrir sa porte à l’indicible…


(1) Claude Heriard, l’amphore et le fleuve, gratuit sous ce lien : https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(2) Saint Augustin  Sermon 124

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