19 février 2007

Amour trinitaire

Pour Balthasar, le Père le demande le premier. Il supplie le Fils de lui faire cette joie d'accorder ce qu'il demande. Avant que le Fils ne lui propose, le Père l'a déjà précédé. "Mais c'est l'Esprit, auquel appartient tout particulièrement la liberté du choix et de la décision puisqu'il est volonté divine absolue qu'incarne, pour ainsi dire, le discernement commun de ce qu'il faut accorder. De cette manière la décision trinitairement une est toujours une décision prise en commun, avec toute fois, à chacune de ces étapes, un "divin toujours plus", un accroissement et une surprenante nouveauté, une exubérance grandissante. L'unité de la décision est unité d'amour vivant (…) un accomplissement".

On est loin là encore de la notion d'obéissance servile. C'est peut-être d'ailleurs à cette communion où nous invite le Fils : "je ne vous appelle pas serviteurs (doulous) mais amis (philous)" (Jean 15,15).

Ainsi pour Balthasar, l'accomplissement actif et l'acquiescement passif sont à eux deux, les fondements de l'unité de Dieu dès l'origine, comme ils les sont de toute action et contemplation. Pour lui, cela est vrai aussi bien au sein de l'essence divine que dans le monde créé : "c'est la distance toujours plus grande et pourtant toujours surmontée, entre les Personne qui fonde la contemplation mais cette distance est à son tour fondée sur elle". (2)

Relire à ce sujet l'excellent livre de Jean-Luc Marion : "L'idôle et la distance" qui m'avait beaucoup éclairé en son temps sur le paradoxe de la distance et de la proximité.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 75-76

(2) ibid p. 77

Le dialogue pastoral

"Le dialogue pastoral (…) ne signifie pas que l'on renonce à la pastorale de proposition suggérée par les évêques en France mais elle situe cette pastorale dans un cadre plus large, où il s'agit autant de recevoir que de donner". Pour Malvaux, ce cheminer ensemble est susceptible de produire des fruits inattendus. Il n'est pas impossible, par exemple, "qu'au terme d'un dialogue, il apparaisse aux deux parties qu'un geste non-sacramentel est possible" (1)

Il me semble que cette piste n'est pas à ignorer, non que l'on pense que la grâce du sacrement n'est pas efficiente, mais dans la mesure où la liberté de la démarche prime sur tout, afin de mettre en condition au travail de la grâce, celui qui nous échappe, parce qu'il vient de Dieu...

(1) Benoît Malvaux, Plaidoyer pour pratiquer l'ouverture sans brader. Pour une approche positive de la diversité, Une nouvelle chance pour l'Evangile, p. 123

18 février 2007

Le pain des Écritures

Ruppert de Deutz nous dit ainsi dans son commentaire de saint Jean : "Jésus pris le livre et l'ouvrit, c'est à dire qu'il reçut de la puissance de Dieu toute la Sainte Écriture pour l'accomplir lui-même (…) le Seigneur Jésus prit donc le pain des Écritures dans ses mains quand, incarné selon les Écritures, il subit la Passion et ressuscita ; il pris alors le pain dans ses mains et rendit grâce quand, accomplissant les Écritures, il s'offrit lui-même au Père en sacrifice de grâce et de vérité."

(1) Ruppert de Deutz : Commentaire de saint Jean, VI cité par Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 48

Kénose trinitaire

Pour Hans Urs von Balthasar, "cet abandon de soi auquel le Fils et le Saint-Esprit participe par leur réponse signifie une sorte de "mort", une kénose radicale". (1) Cela rejoint ce que nous soulevions plus haut sur la triple kénose. L'amour du Père qui s'abandonne éternellement au Fils n'est que l'origine de cette attitude du Fils. Pour Bonaventure déjà, il y a dans le Fils "une puissance passive de génération en tant qu'aptitude à être engendré" (2) et pour moi cette passivité n'est autre que la constatation du don. Sur la croix, nos espérances humaines se sont tues, comme je le signalais précédemment et il ne nous reste peut-être, à l'image du Fils, que ce que Lévinas appelait la "passivité plus que passive".

Dans la distance de la génération passive se trouve déjà la possibilité du retour vers le Père. Je trouve que cette théologie trinitaire a des couleurs d'une esthétique, d'une poétique qui est au-delà de l'apparente utopie de l'amour qui se semble se dessiner aux yeux des hommes. Il y a la les germes d'une interpellation, d'une hyperbole qui nous pousse au-delà de nous-mêmes.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 71 à 73

(2) Bonaventure, Sentences, dist. 7, dubium 7 (I145s)

Le semeur

Pour Odile Ribadeau Dumas, le vrai semeur n'a pas le désir "de maîtriser l'action pastorale, il perd la maîtrise dans un mouvement de non violence totale ; il œuvre dans la foi, sûr que malgré ses échecs, ses semailles porteront à 30, 60 ou 100 pour 1." (1)

Dans une société marquée par la rentabilité, la productivité, cette approche nous interpelle sur notre façon d'agir. Souhaitons nous gagner des âmes à notre cause où laisser le Christ agir, à sa manière, à sa vitesse, dans le respect de chaque personne humaine, avec la tendresse de Dieu...
Encore un décentrement.

(1) d'après Odile Ribadeau Dumas et Philippe Bacq, Une nouvelle chance pour l'Evangile, ibid p. 106

Rappel :
- Pour recevoir par mail les billets de chemins de lecture, cliquez ici
- Reprise de notre lectio divina sur l'Evangile de Jean, le 21 février...

17 février 2007

Manger la Parole

Saint Jérôme, suivant Origène déclare : "Je considère l'Évangile comme le corps de Jésus (…) et quand il dit : celui qui mange ma chair (…) bien que cela puisse aussi s'entendre du sacrement, c'est cependant le corps et le sang du Christ en un sens plus exact, qui est la Parole de l'Écriture (1)

Peut-être que la réalité sacramentelle sera plus vivement perçue quand nous aurons donné le goût à la chair/parole par l'intelligence de la foi et sous la conduite de l'Esprit.

(1) In Ps CXL VII

Le don – V, Florilèges

Saint Grégoire le Grand : "Ne peut être agapé que s'il s'oriente vers l'autre"

Richard de Saint Victor : "En Dieu, l'unité et la distance ne sont pas contraires."

Hans Urs von Balthasar : "Si Dieu est défini comme amour, il est en soit don parfait de lui-même" (1)

Sans commentaires

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 69-70

Lecture

Le but de toute lecture, c'est le décentrement et la conversion. Le texte donne à penser et en sens interpelle le lecteur. Un chemin que ce blogue ne cesse de thématiser. En un sens, "l'écoute de la Parole dans les Ecritures promeut chacun en ce qu'il a d'unique ; elle le situe en vérité devant le Christ, et ce faisant lui permet de se décider en conscience dans l'existence" (1)

(1) d'après Odile Ribadeau Dumas et Philippe Bacq, Une nouvelle chance pour l'Evangile, ibid p. 104

16 février 2007

Tooujours plus - II

Pour Balthasar, Dieu ne peut être considéré comme un sommet mais sous l'angle du "toujours plus" (1)

Pour lui, il n'y a pas lieu d'exclure de la vie de Dieu quelque chose qui serait analogue à ce qu'est dans l'amour humain, l'instant vital de l'éblouissante surprise. En ce sens, le Fils né du Père surpasse pourrait-on dire, par avance, les attentes les plus audacieuses du Père.

Je trouve que cette notion est bien supérieure à la vision de l'obéissance, telle que présentée par Dei Verbum. C'est toute la force du Me Voici où deux amants se rejoignent dans l'innovation d'un toujours plus. C'est l'hyperbole qu'évoquais déjà Ricoeur et Beauchamp, tirée par l'ancre de l'espérance en l'autre. Cela rejoint d'une certaine manière ce texte qui m'accompagne depuis le jour de mon mariage : "Oubliant le chemin parcouru, je me laisse saisir par le Christ" (Phil 3), qui est à l'image de ce toujours plus de Dieu…

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 66

La table de la parole

En mettant en parallèle la table de la parole et la table du pain, Dei Verbum introduisait déjà (DV §21) une notion très novatrice, où l'Ecriture est "livrée pour nous". On retrouve ce que Soloviev appelait la kénose de l'Ecriture, cette Parole qui se donne non pas comme toute puissante, mais se livre à travers la rédaction des hommes, qui s'effacer dans la stéréophonie d'un livre aux accents multiples, toute faiblesse de Dieu que l'on ne découvre qu'en sortant de ses certitudes. Le don de la Parole est comme le don du Corps, il est livré pour nous dans la toute faiblesse d'un texte aux couleurs multiples.

De ce fait, nous sommes appelés à une écoute mutuelle et bienveillante, une recherche commune, tout en conservant la rigueur du texte et attachant une importance particulière à son interprétation dans le respect de la Tradition vivante de l'Eglise.

15 février 2007

Voile - III

Pour Origène "le Verbe de Dieu est couvert du voile de la chair" (1). Pour moi cette citation évoque beaucoup de chose. D'une certaine manière, en effet, c'est dans la nudité de la Croix et le flanc béant du Christ que le verbe transparaît comme un fleuve de vie.

(1) cité par Enzo Bianchi, Ecouter la parole, Les enjeux de la Lectio Divina, Lessuis 2006, p. 42-34

Le Don - IV

Pour Balthasar, l'essence divine n'est pas un bloc inerte d'identité mais "une réalité qui se communique dans le Père, se reçoit dans le Fils, est donnée en commun à l'Esprit par le Père et le Fils, étant elle-même de la part du Fils et de l'Esprit quelque chose de reçu"

Il y a donc un mystérieux échange trinitaire qui fait transpirer pour moi la triple kénose des personnes divines. Le Père s'abandonne au Fils qui s'abandonne par amour du Père et se transmet par l'Esprit. Je retrouve ce que Maurice Zundel décrivait comme un "Dieu à une distance infinie de lui-même", un don parfait.

Cela rejoint Grégoire de Nysse qui affirmait que stabilité et mobilité sont comparables. "Plus quelqu'un demeure fixe et inébranlable dans le bien, plus il avance dans la voie de la vertu. Sa stabilité est pour lui comme une aile".

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, IV, Le Dénouement, Culture & Vérité, Namur 1993 p. 64

(2) Grégoire de Nysse, Vie de Moïse, PG 44, 405 BD, trad. J. Danièlou, Sources chrétiennes, 1, 146-147

Les limites du dogme

Une catéchèse qui repose sur l'enseignement des dogmes pose les balises de la foi mais ouvre peu à une rencontre avec le Dieu vivant qui est la source même de ces dogmes. C'est pourquoi, d'une certaine manière, "l'Eglise est en décalage avec la culture actuelle qui donne une place prépondérante à l'expérience vécue et aux relations" (1). D'une certaine manière, on rejoint là l'argumentation pour une pastorale inductive ou "d'engendrement" (pour reprendre l'appellation donnée par les auteurs) qui vise plus d'abord le dialogue et le partage, le "cheminer avec" que l'enseignement des principes de la foi. Cela nécessite cependant une conversion des façons de faire, de l'ensemble des structures. En disant cela, je ne parle pas de la catéchèse des enfants, qui ont besoin de repères structurants, mais bien de toute approche qui viserait les adultes, recommençants où demandeurs de sacrement.

(1) d'après Odile Ribadeau Dumas et Philippe Bacq, Une nouvelle chance pour l'Evangile, ibid p. 98

14 février 2007

Double kénose - II

"De même qu'il y a une kénose, une descente de la Parole dans la chair, il y a une kénose, un abaissement de la Parole dans les paroles humaines, dans les paroles écrites". Cette analogie qui revient continuellement chez les Pères est reprise par Dei Verbum (DV13) qui parle de condescendance de la Sagesse éternelle : la parole de Dieu explique en langage humain tout comme autrefois le Verbe du Père éternel, ayant pris la chair de la faiblesse humaine DV13

Le don - III

Pour K. Hemmerle "se donner n'est pas se perdre : c'est essentiellement se réaliser soi-même". Pour lui, donner c'est se déposséder mais aussi contenir ce que l'on donne et d'une certaine manière "se prodiguer c'est exister…" (1)

"Le don de soi absolu est au-delà de la puissance et l'impuissance : l'un et l'autre est intrinsèque au surgissement de l'être. S'il y a substance, c'est en vue d'une transsubstantiation et d'une communion. Ainsi, l'on voit qu'à partir de ce point de vue l'immutabilité de Dieu et l'amour de Dieu se laissent parfaitement réconcilier." (2)

Dieu dont l'amour est infini peut donc sans changement vibrer au sein même de sa divinité dans l'éternel échange trinitaire.

(1) K. Hemmerle Thèse sur une ontologie tinitaire, p. 39, 61, 47 cité par Hans Urs von Balthasar, DD IV, p. 62

(2) ibid p. 63