09 mars 2016

Mort et mission

On connaît probablement l'interprétation de Bernard Sesboué sur la conscience progressive du Christ. J'apprécie ce que dit Balthasar sur le même thème, car il rejoint mes travaux en cours sur l'humilité de Dieu : "L'homme Jésus se comprend lui-même (...) comme ce qu'il est : La Parole du Père adressée au monde, dont la mission comporte le destin du grain de froment : mourir pour le monde et par là porter du fruit. Par là même il fait l'expérience de Dieu, non dans une vision objective, séparée de sa propre réalité, mais dans une humilité qui ne réfléchit pas sur elle-même (...) mais laisse en soi toute la place à Dieu et éprouve en sa propre réalité fonctionnelle la réalité du Dieu qui l'envoie, dispose de lui et l'engendre  éternellement. (...) la transparence de son humilité est expression de son assomption" (1)

On retrouve là l'accent de Ph. 2, 7, mais aussi cette idée de décentrement propre à Jean 15 et 16, où le Fils se love dans le projet du Père. 

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition,  tome 1, Cerf,  Ddb, 1965-1990, p. 275 (GC1)


08 mars 2016

Refus de la chair - 2


Dans la lignée du post précédent,  on peut contempler ce que nous dit Augustin d'Hippone, à propos du texte d'hier sur Jn 5, 1-15 :"Les miracles du Christ sont des symboles des différentes circonstances de notre salut éternel... ; cette piscine est le symbole du don précieux que nous fait le Verbe du Seigneur. En peu de mots, cette eau, c'est le peuple juif ; les cinq portiques, c'est la Loi écrite par Moïse en cinq livres. Cette eau était donc entourée par cinq portiques, comme le peuple par la Loi qui le contenait. L'eau qui s'agitait et se troublait, c'est la Passion du Sauveur au milieu de ce peuple. Celui qui descendait dans cette eau était guéri, mais un seul, pour figurer l'unité. Ceux qui ne peuvent pas supporter qu'on leur parle de la Passion du Christ sont des orgueilleux ; ils ne veulent pas descendre et ne sont pas guéris. « Quoi, dit cet homme hautain, croire qu'un Dieu s'est incarné, qu'un Dieu est né d'une femme, qu'un Dieu a été crucifié, flagellé, qu'il a été couvert de plaies, qu'il est mort et a été enseveli ? Non, jamais je ne croirais à ces humiliations d'un Dieu, elles sont indignes de lui ». Laissez parler ici votre cœur plutôt que votre tête. Les humiliations d'un Dieu paraissent indignes aux arrogants, c'est pourquoi ils sont bien éloignés de la guérison. Gardez-vous donc de cet orgueil ; si vous désirez votre guérison, acceptez de descendre. Il y aurait de quoi s'alarmer, si on vous disait que le Christ a subi quelque changement en s'incarnant. Mais non... votre Dieu reste ce qu'il était, n'ayez aucune crainte ; il ne périt pas et il vous empêche vous-même de périr. Oui, il demeure ce qu'il est ; il naît d'une femme, mais c'est selon la chair... C'est comme homme qu'il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin crucifié et mis à mort. Pourquoi vous effrayer ? Le Verbe du Seigneur demeure éternellement. Celui qui repousse ces humiliations d'un Dieu ne veut pas être guéri de l'enflure mortelle de son orgueil. Par son incarnation, notre Seigneur Jésus Christ a donc rendu l'espérance à notre chair. Il a pris les fruits trop connus et si communs de cette terre, la naissance et la mort. La naissance et la mort, voilà, en effet, des biens que la terre possédait en abondance ; mais on n'y trouvait ni la résurrection, ni la vie éternelle. Il a trouvé ici les fruits malheureux de cette terre ingrate, et il nous a donné en échange les biens de son royaume céleste."

( 1) Saint Augustin,  Sermon 124, source AELF

Refus de la chair

"De Valentin à Bultmann on a cherché à spiritualiser et à démythiser la chair et le sang (...) jusqu'à un Dieu qui est et reste‎ invisible" (1) nous rappelle Balthasar. Mais cette quête ne conduit-elle pas à s'éloigner du réel, rendre Dieu étranger à l'homme en contradiction même avec le projet de l'incarnation
 N'est ce pas déjà ce qui a conduit au temps de Jésus à la grande séparation entre ceux qui suivaient une idée de Jésus et les apôtres attachés à sa personne. C'est dans la crise de Jean 6, 66 que nous comprenons l'enjeu. "Qui mange ma chair et boit mon sang..." intolérable affirmation pour certains, coeur de notre foi pourtant. Mais l'enjeu n'est il pas dans notre proximité au monde, à ses souffrances et à son réel. "Mets ta main dans mon côté" dit-il à Thomas. Je ne suis pas un pur esprit. J'ai souffert et je souffre pour le monde.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition, 1 (GC1) p. 265

06 mars 2016

Danse trinitaire - de Macaire à Loyola

Il faudrait lire tout le chapitre de Balthasar pour saisir correctement ce qu'il cherche à nous demontrer dans ces pages. Ce que je retiens à partir de ce que je citais de Diadoque de Photicé, Macaire et ce qu'il note chez Augustin, Guillaume d'Auvergne et chez Thomas d'Aquin, c'est qu'en complément du don de la grâce, l'homme doit mettre en oeuvre sa raison et sa volonté pour entrer dans la danse trinitaire. Ce ne sont pas les termes mêmes de Balthasar, mais bien une traduction moderne de l'enseignement de la grande scolastique. Quel est l'enjeu ? Il se situe probablement aux confins des positions catholiques et protestantes sur la justification.
A la connaissance expérimentale de l'Esprit et de la bonté divine, se développe une "théorie de l'expérience chrétienne" (1) qui se poursuivra jusqu'à ce qu'Ignace de Loyola présente des règles structurées de discernement qui n'efface pas le goût de Dieu et développe une "sensibilité chrétienne" (2) et le don des larmes, si caractéristiques de cette danse en Dieu.

L'enjeu n'est-il pas d'atteindre "une certaine ressemblance entre l'union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l'amour. Cette ressemblance (...) [conduira alors] l'homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, [à se trouver dans] le don désintéressé de lui-même" (3). 

(1) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 249
(2) p. 251
(3) Gaudium et Spes,  24

04 mars 2016

Dynamique sacramentelle - 2

Poursuivons la lecture de Diadoque de Photicé, chez Hans Urs von Balthasar. A la différence de Macaire, Balthasar nous montre que l'accès à la grâce n'est pas faite depuis la "dissimilitude" à Jérusalem, mais bien par cette inhabitation que l'on pourrait qualifier de rahnérienne, où où grâce s'est installée par le baptême en l'homme et y fait naitre le désir. Pour reprendre mon image précédente, l'homme serait comme dans un bain de grâce qui l'envelopperait de l'intérieur jusqu'à ce qu'il en sente le goût.‎ Mais "bain" n'est pas le bon terme puisqu'il s'agit plutôt d'une source où d'une flamme intérieure : "Des profondeurs‎ mêmes de notre coeur, nous sentons comme sourdre le désir de l'amour divin"
Comment faire jaillir cette source ? Celui qui garde pure dans la prière la profondeur du coeur peut aussi "consumer, dans un sentiment intense", tout ce qui recouvre cette grâce.

(1) Diadoque de Photicé, chap.79, cité par Hans Urs von Balthasar, op. Cit, GC1 p.‎ 234

03 mars 2016

Dynamique sacramentelle chez Diadoque de Photicé

Dans la foulée macarienne‎, on trouve chez un autre père au Vème siècle, Diadoque de Photicé, une belle illustration de ce que j'ai appelé la dynamique sacramentelle : pour lui, au moment du baptême, "la grâce se cache au fin fond de l'intellect en dissimulant sa présence même au sens intérieur" jusqu'à ce que l'âme progressant, "le don divin manifeste ainsi sa bonté à l'esprit" (1).

On pourrait la mettre en résonance avec cette image que j'apprécie chez Bonaventure(2) : cette grâce vue comme un fleuve où l'homme se tient avec une pauvre amphore.

En conjuguant les deux on ne réduit ni la grâce, ni la chance qu'à l'homme de s'en abreuver. Tout dépend finalement de sa position par rapport au courant.

(1) Diadoque de Photicé, chap.77, cité par Hans Urs von Balthasar, op. Cit, GC1 p. 233

(2) cf GC2

02 mars 2016

Macaire et Grégoire de Nysse

Balthasar voit également une continuité entre Grégoire de Nysse et Macaire dans cette course infinie que nous avons déjà longuement commentée chez le cappadocien. Pour Macaire, "l'effort absolu de l'homme pour correspondre à la grâce" nous donne accès, "par la pleine liberté de Dieu, et sans qu'une proportion visible existe ‎[à ] la réponse qui élève l'homme" et donne "un goût anticipé de Dieu" qui ne protège pas pour autant de l'Adversaire. L'alternance "de consolation et de désolation" étant part intégrante de "la pédagogie de Dieu" (1)

(1) Hans Urs von Balthasar , GC1 p. 231

27 février 2016

La source, c'est Dieu - Saint Ambroise

Ce petit commentaire du psaume 42 donne à penser : "Courons comme les cerfs vers la source des eaux ; la soif ressentie par David, que notre âme la ressente aussi. Quelle est cette source ? Écoute David qui le dit : En toi est la source de la joie. Que mon âme dise à cette source : Quand pourrai-je venir et paraître devant ta face ? Car la source, c'est Dieu."

Saint Ambroise,  Sermon là est ton trésor,  source AELF

Le second fils - Luc 15 - Saint Romanos le Mélode

"Comment pouvais-je ne pas prendre en pitié, ne pas sauver mon fils qui gémissait, qui sanglotait ? ... Juge-moi, toi qui me blâmes... Ma joie en tout temps, c'est d'aimer les hommes... C'est ma créature : comment ne pas en avoir pitié ? Comment ne pas avoir compassion de son repentir ? Mes entrailles ont engendré cet enfant que j'ai pris en pitié, moi, le Seigneur et maître des siècles. « Tout ce que j'ai est à toi, mon fils... La fortune que tu as n'en est pas diminuée, car ce n'est pas en prenant dessus que je fais des cadeaux à ton frère... Je suis de vous deux le créateur unique, l'unique père, bon, aimant et miséricordieux. Je t'honore, mon fils, car tu m'as toujours aimé et servi ; et lui, j'en ai compassion, car il se livre tout entier à son repentir. Tu devais donc partager la joie de tous ceux que j'ai invités, moi, le Seigneur et maître des siècles. « Ainsi donc, mon fils, réjouis-toi avec tous les invités du banquet, et mêle tes chants à ceux de tous les anges, car ton frère était perdu et le voilà retrouvé, il était mort et, contre toute attente, il est ressuscité. » À ces mots, le fils aîné s'est laissé persuader et a chanté : « Criez tous de joie ! ' Heureux ceux à qui tout péché a été remis et dont les fautes sont effacées ' (Ps 131,1). Je te loue, ô ami des hommes, toi qui as sauvé aussi mon frère, toi le Seigneur et maître des siècles. »

( 1) Saint Romanos le Mélode, Hymne 28, L'Enfant prodigue, str 17-21 (trad. SC 114, p. 257s) 

26 février 2016

Kénose chez Macaire

Je redecouvre chez Macaire une belle contemplation kénotique‎ :
"De même qu'[ils] ne comprennent la grandeur de Dieu et son essence inconcevable, de même [ils] ne peuvent saisir la petitesse de Dieu et son anéantissement" (1) nous dit Macaire qui parlait plus tôt des pleurs de Dieu devant la chute et la mort d'Adam.
Ces pleurs ne sont-ils qu'une vision anthropomorphique ? On ne peut l'affirmer quand on contemple Osée 11.
Pour Balthasar, et cela rejoint nos propres recherches, sa mystique est "nuptiale". L'épouse est blessée (5, 5-6), mais en raison des blessures de l'Époux. (2)

(1) Homélies de Macaire, source PG 34, 449-831, 32,7 cité par Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 229
(2) ibid p. 230‎

25 février 2016

Faustine Kolwaska - Les deux rayons

"Je vis Jésus vêtu d'une tunique blanche, une main levée pour bénir (...) de la tunique entrouverte sortaient deux grands rayons, l'un rouge, l'autre pâle" (1). Ces deux faisceaux de lumière qui illuminent le monde sont offerts à notre contemplation. Comme lui expliqua Jésus lui-même, "‎il s'agit du sang et de l'eau" (2). 
Je suis personnellement sensible à cette contemplation du coeur ouvert, tant elle resume les dons de Dieu. Par sa souffrance il nous ouvre à la grâce infinie de son amour.

Quel est l'enjeu de cette contemplation ? Au delà de l'expérience lumineuse, elle consiste à entrer en communion avec cette double dotation, pour qu'à notre tour nous devenions, au travers de nos souffrances et de notre charité, le signe, par nos mains de l'inhabitation de Dieu en nous." La gloire de l'homme c'est Dieu"‎ (3)

(1) Faustine Kolwaska, Petit journal‎,  cf. Le livre de la miséricorde, Cerf 2015, p. 187
(2) Cité par Jean Paul II,‎ ibid.
(3) Irénée de Lyon, AH III, 20, 2





24 février 2016

Les épousailles de la chair - 2

Irénée va semble-t-il plus loin en parlant de cette ‎glaise modelée par les mains de Dieu et à laquelle est infusée le souffle. "Ce souffle, l'âme humaine, n'est pas l'homme, pas plus que le Saint-Esprit de la grâce n'est l'homme (...) le véritable homme est l'âme dans le corps et la grâce dans les deux (...) comme dans un temple (...) comme l'éponge à l'eau, la torche au feu, la vie à l'Esprit-Saint".

C'est peut-être là que mon concept de danse peut prendre corps.

(1) Irénée AH, 2, 335 et 2, 327 cité par Hans Urs von Balthasar, GC2 p. 57

23 février 2016

Saint Irénée - les épousailles de la chair

En réponse à une idée gnostique, Irénée précise, grâce à une métaphore sponsale typique de son époque qui affirme que l'épouse ne prend pas l'époux en mariage mais se laisse épouser, que la chair ne peut "d'elle-même hériter le royaume de Dieu, mais [qu']elle peut être adoptée par l'Esprit en héritage dans le royaume de Dieu. Toute activité de la créature repose sur une passivité plus profonde : pour grandir, elle doit se couler dans les mains formatrices de Dieu et se livrer à elles" (1)

On peut contempler cette citation comme l'on contemple la venue du Christ en nous dans le sacrement de l'Eucharistie. Car cette passivité profonde, que l'on peut appeler aussi décentrement ou accueil profond est la condition nécessaire de la venue de Dieu en nous.

"Demeurez en moi, et moi je demeurerai en vous. Comme le sarment ne saurait de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, vous n'en pouvez porter aussi, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, et vous en êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit; car hors de moi, vous ne pouvez rien faire."‎ Jn 15, 4-5.


(1) Hans Urs von Balthasar, GC2, p. 56 citant Saint Irénée, Contre les hérésies, 2, 299.

22 février 2016

Les deux pieds de Dieu

Étonnante métaphore de Bernard de Clairvaux sur les deux pieds de Dieu , celui de la miséricorde qu'on aime contempler comme la face aimante du Père et celle plus obscure à nos yeux du Jugement que saint Bernard fonde sur St Jean 5, 27 : " le Père lui a donné la puissance de juger". 
Ce qui m'a touché est plus loin dans ce passage où il insiste sur ce nécessaire balancier entre les deux pieds, c'est qu'en tenant "embrassé plus qu'il ne fallait le pied de la miséricorde" il tombe dans  une "si grande négligence et une telle incurie, qu'aussitôt il en devient plus tiède dans l'oraison, plus paresseux" (1) ce qui le conduit à louer les deux pieds. Une interpellation que l'on peut entendre...

(1) Bernard de Clairvaux, Sermon 6 sur le Cantique, in Oeuvres complètes. trad. Charpentier, 1866


21 février 2016

Lave moi de ma faute

"Lave moi de ma faute, purifie moi de mon péché" nous dit le Psaume 50 (51),4. Comme on aimerait que le souvenir de notre faute disparaisse, qu'elle ne soit plus le lieu d'une culpabilité maladive.
"Purifie-moi de mon péché avec l'hysope, et je serai net; lave-moi et je serai plus blanc que la neige". 50 (51),9 Pourtant ce serait remettre notre orgueil en avant que de croire que tout est "neige" immaculée. Si la miséricorde de Dieu est infinie, elle laisse en nous la trace de nos fautes pour que l'humiliation positive qui en découle soit le terreau de notre humilité et conversion future. "Tu ne refuses pas Seigneur un coeur brisé et broyé" 50 (51), 19