10 juin 2017

Un discours inductif - 3, nouvelles tendances pour l'Église

La longue présentation du XIXème siècle et de l'évolution du discours papal par O'Malley(1) me laisse rêveur, non que je réfute son fil de lecture, mais parce qu'il introduit pour moi une vision d'ensemble intéressante sur l'impact des Lumières sur le christianisme actuel et futur. L'aufklärung, en dépit de ses travers et de ses exagérations aurait-il été inspiré dans sa déconstruction d'un monde figé et sclérosé où l'Église et l'État avaient mutuellement conforté leurs bases dans une vision totalitaire du pouvoir et du savoir ? Quid du vent de l'Esprit dans ce système ? Et quel impact pour l'Église ?
Le Concile dont la réception est loin d'être terminée, donne-t-il une place plus large à un souffle nouveau qui vient d'ailleurs, ne cherche plus ses bases dans l'obéissance aveugle et ouvre à une foi authentique ? Sujet dangereux, hérétique peut-être. Mais l'inductif, le primat de la conscience, l'auto communication rahnérienne est enfin possible. Face à un monde ancien qui distinguait "les pasteurs [éclairés] et le troupeau"(2), la démocratie chrétienne, la collégialité et la co-responsabilité sonne le glas d'un monopole abusif.
Le danger est de tomber dans l'excès inverse et oublier que la place de Pierre est lieu d'unité et comme nous le rappelle François d'humilité. Notre Église a besoin de cette alchimie subtile entre liberté et autorité, souffle et solidité, recherche et chemins, foi et raison.
Dans son interview à RND du 7/6 le père Alphonse Borras soulignait cela avec justesse :  "L'Église catholique est le lieu où se conjugue bien [il osait dire le mieux] foi et raison" (3) L'art est de conserver cette articulation.
Ce qui est certain, c'est que la désertification apparente de l'Église n'est à concevoir que comme la conséquence d'une intériorisation du message et d'une plus grande vérité intérieure. Il n'y a plus beaucoup de christianisme social en Europe. Ceux qui franchissent nos églises sont portés par une authenticité et une quête qu'il faut entendre, écouter et ensemencer par la Parole. Là est l'avenir(4).

(1) John W. O'Malley, L'Évenement Vatican II, Bruxelles, Lessius, 2011, p. 79
(2) p. 95
(3) je cite de mémoire 
(4) cf. à ce sujet mes développements dans Cette Église que je cherche à aimer, Pastorale du Seuil et Humilité et Miséricorde tome 3.

09 juin 2017

Un discours inductif - 2

Comment illustrer ce que je développais dans mon billet précédent ? En quoi les textes du Concile ouvrent-ils un style nouveau et inductif. Deux citations de O'Malley (1) me semblent conforter ce sens. Ce sont pour moi parmi les lignes les plus belles de GS.

"Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur." GS 1 (2).
Elles entrent dans cette contemplation de l'humanité, de cette terre si chère à Bérulle où Dieu se fait chair.
Elles préparent aux versets du par. 16 :". Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Cette voix, qui ne cesse de le presser d'aimer et d'accomplir le bien et d'éviter le mal, au moment opportun résonne dans l'intimité de son cœur : « Fais ceci, évite cela ». Car c'est une loi inscrite par Dieu au cœur de l'homme ; sa dignité est de lui obéir, et c'est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. C'est d'une manière admirable que se découvre à la conscience cette loi qui s'accomplit dans l'amour de Dieu et du prochain. Par fidélité à la conscience, les chrétiens, unis aux autres hommes, doivent chercher ensemble la vérité et la solution juste de tant de problèmes moraux que soulèvent aussi bien la vie privée que la vie sociale. Plus la conscience droite l'emporte, plus les personnes et les groupes s'éloignent d'une décision aveugle et tendent à se conformer aux normes objectives de la moralité." GS 16.

Nous ne sommes pas là dans une morale culpabilisante ou un jugement a priori sur l'homme, mais bien au coeur d'un travail inductif, c'est-à-dire intérieur qui plonge l'homme dans la danse d'un Dieu agenouillé, d'une inhabitation du Verbe, d'un souffle trinitaire et kénotique. Le Concile croit en l'homme.

(1) John W. O'Malley, p. 76
(2) citations de GS, source Vatican.va

08 juin 2017

Panégyrique, épidictique, inductif ou pastoral

Un des apports de John W. O'Malley est de nous faire percevoir Vatican II à partir du contexte et de l'histoire. Les pages 68ss nous précisent le style comme panégyrique, épidictique et pastoral, à la différence du style plus canonique des conciles précédents. Pourquoi remplacer la loi et la condamnation par un appel à la conversion intérieure, à ce qu'on appelle aussi l'inductif ?
Le grand saut du Concile dans le monde de notre temps est de comprendre que les temps ont changé, que le monde n'est plus capable d'entendre des condamnations venues d'en haut, mais est avide de sens. Là est la dimension pastorale.
"Sa façon d'enseigner (...) passe par la suggestion, l'insinuation et l'exemple. Il a pour instrument la persuasion, non la contrainte". (1)
"Il vise la réconciliation (...) crée et encourage la prise de conscience" (...) travaille de l'intérieur vers l'extérieur (...) partage l'espérance et la joie" (2)

(1) L'événement Vatican II, ibid. p. 71
(2) p. 73

07 juin 2017

La véritable autorité

" Le véritable enseignement fuit d'autant plus vivement ce vice de l'orgueil, même en pensée, qu'il attaque plus ardemment par les flèches de ses paroles celui qui est en personne le maître de l'orgueil. Il veille à ne pas mettre en valeur par ses manières hautaines celui qu'il combat avec de saintes paroles dans le coeur de ses auditeurs. Il s'efforce de recommander par ses paroles et de manifester par sa vie l'humilité qui est la maîtresse et la mère de toutes les vertus, afin de l'inculquer aux disciples de la vérité par la conduite plus encore que par la parole.

C'est pourquoi Paul a dit aux Thessaloniciens, comme s'il oubliait la grandeur de sa propre fonction d'Apôtre : Nous nous sommes faits tout petits au milieu de vous. L'Apôtre Pierre disait d'abord : Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous. Et il ajoutait, pour montrer la manière dont on doit enseigner, tout en faisant connaître la doctrine : Mais faites-le avec douceur et respect, en gardant une conscience droite.

Lorsque saint Paul dit à son disciple Timothée : Voilà ce que tu dois prescrire et enseigner avec autorité, il ne lui recommande pas une domination tyrannique, mais cette autorité qui vient de la façon de vivre. En effet, on enseigne avec autorité ce que l'on pratique avant de le professer. Car on manque de confiance pour enseigner, lorsque la mauvaise conscience fait obstacle à la parole. Aussi est-il écrit, au sujet du Seigneur : Il parlait comme un homme qui a autorité, et non pas comme les scribes et les pharisiens. Car il fut le seul, d'une façon unique et primordiale, à parler en vertu d'une parfaite autorité, parce qu'il n'a jamais commis aucun mal par faiblesse. La puissance de sa divinité lui permettait de nous servir ainsi par l'innocence de son humanité." (1)

A méditer

(1) Saint Léon le grand,  commentaire du livre de Job, source AELF

06 juin 2017

Une tradition dynamique

"Cette Tradition qui vient des apôtres se poursuit dans l'Église sous l'assistance du Saint-Esprit : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît" DV8.

"Selon cette définition, précise John W. O'Malley, la tradition n'est pas inerte, mais dynamique" (1).

Je m'amuse à retrouver chez l'Américain cette expression qui est l'une de mes préférés dans mon essai sur la dynamique sacramentelle. Elle est l'enjeu pour moi d'une remise en question pastorale des conditions d'inculturation de la foi, non pour sombrer dans un relativisme tiède, mais parce qu'un travail à la périphérie nécessite une souplesse qui permet de rejoindre au plus près ceux qui n'ont plus accès à la source, à l'image de Celui qui mangeait avec les prostituées et les pécheurs.

Mais l'enjeu n'est pas pour autant de changer pour changer, mais bien un retour aux sources évangéliques, à ce qui fait le coeur de notre agir chrétien, un mouvement qui est proche de ce ressourcement prôné par Congar et Lubac (2)

(1) John W. O'Malley, Vatican II, p. 61
(2) ibid. p. 66

03 juin 2017

Pierre et Jean, commentaire du commentaire d' Augustin

On se souvient de la fin de Jean 21 et le site Évangile au quotidien nous redonne à méditer le commentaire d'Augustin : "L'Église connaît deux vies louées et recommandées par Dieu. L'une est dans la foi, l'autre dans la vision ; l'une dans le pèlerinage du temps, l'autre dans la demeure de l'éternité ; l'une dans le labeur, l'autre dans le repos ; l'une sur le chemin, l'autre dans la patrie ; l'une dans l'effort de l'action, l'autre dans la récompense de la contemplation... La première est symbolisée par l'apôtre Pierre, la seconde par Jean... Et ce n'est pas eux seuls, mais toute l'Église, l'Épouse du Christ, qui réalise cela, elle qui doit être délivrée des épreuves d'ici-bas et demeurer dans la béatitude éternelle. Pierre et Jean ont symbolisé chacun l'une de ces deux vies. Mais tous deux ont passé ensemble la première, dans le temps, par la foi ; et ensemble ils jouiront de la seconde, dans l'éternité, par la vision. C'est donc pour tous les saints unis inséparablement au corps du Christ, et afin de les piloter au milieu des tempêtes de cette vie, que Pierre, le premier des apôtres, a reçu les clefs du Royaume des cieux avec le pouvoir de retenir et d'absoudre les péchés (Mt 16,19). C'est aussi pour tous les saints, et afin de leur donner accès à la profondeur paisible de sa vie la plus intime, que le Christ a laissé Jean reposer sur sa poitrine (Jn 13,23.25). Car le pouvoir de retenir et d'absoudre les péchés n'appartient pas à Pierre seul, mais à toute l'Église ; et Jean n'est pas seul à boire à la source de la poitrine du Seigneur, le Verbe qui depuis le commencement est Dieu auprès de Dieu (Jn 7,38 ;1,1),... mais le Seigneur lui-même verse son Évangile à tous les hommes du monde entier pour que chacun le boive selon sa capacité.(1)

La tension ouverte entre Pierre et Jean est pratique et théorique. Elle entre en écho avec celle de Marthe et Marie, mais plus largement entre dans le cercle qui fait danser écoute, contemplation et action. Sans entrer dans la polémique entre Paul et Jacques ou celle soulevée par Luther, c'est surtout en nous que la tension doit demeurer pour que notre réflexion ne soit pas stérile, que notre contemplation porte des fruits de charité.
Là est notre chemin. Les grandes paroles ne suffisent pas. Si moi même prend plaisir dans les grands discours, ma tâche est ailleurs.

(1) Saint Augustin, Sermons sur l'évangile de Jean, n° 124 ; CCL 36, 685 (trad. Orval)

02 juin 2017

Dialogue, charisme, partenariat et amitié

Ces nouveaux termes de Dialogue, charisme, partenariat, coopération et amitié(1) portés par le concile introduisent plus que les "ordonnances" souligne O'Malley. Ils portent un nouvel "événement dialogal(2). Dans la suite de notre post précédent, il y a effectivement là un nouvel enjeu qui rejoint les questions soulevées par Borras sur le monopole et la présidence. Nous commençons seulement, grâce aux initiatives synodales (poussées par François) à en percevoir l'enjeu. Les rapports des synodes diocésains donnés par La Croix d'hier montre bien la question en jeu. Maintenant que nos églises sont vides de christianisme social, les baptisés doivent prendre en main leur avenir et la synodalité est le moyen de retrouver le véritable sens de l'unité et d'une présidence assumée.

(1) O'Malley Vatican II p. 24
(2) bien souligné dans Le bien commun, tome 2 déjà cité.

01 juin 2017

Fidélité et changement

Je reprends ici la lecture de John W. O'Malley, mais cette fois dans son analyse de Vatican II(1). La question qu'il soulève p. 22 est celle qui me travaille depuis des années. Peut-on infléchir, voir rejeter la Tradition ? Déjà dans sa thèse sur Trente, je soulignais son utilisation du mot sans T majuscule. Le traducteur s'est-il trompé en le mettant ici ? Pas forcément, mais la question demeure. Celle de l'ordre et des charismes qui est aussi au coeur des débats est du même ordre. Elle questionne les questions d'infaillibilité et de collégialité. On voit que le thème du monopole du prêtre, évoqué plus haut à propos de Borras change de braquets. Ici c'est la place du Pape et de l'Église hiérarchique face au "peuple de Dieu" qui est en jeu.

Et en même temps, l'unité de l'Eglise est aussi à maintenir. Une danse ?

John W. O'Malley, L'Évenement Vatican II, Bruxelles, Lessius, 2011, p. 22 et 24

31 mai 2017

Visitation, tressaillements et inhabitation

La rencontre des deux mères, en dépit et au delà de leurs différences, fait tressaillir en nous les souvenirs intenses et fugaces des jours où nous percevons que Dieu veut habiter chez nous.
À contempler.

Ces femmes qui dérangent nos prêtres

Question complexe et projet de réponse caricaturale et discutable : La lecture sexiste et cléricale du sacerdoce féminin pose question.  Est-ce parce que la psychologie masculine et les tentations qu'elle sous tend fait craindre à nos pasteurs la présence des femmes à l'autel pour deux raisons inavouables ? : la distraction que le corps de la femme implique sur la concentration spirituelle de nos assemblées, mais aussi un risque de perte de pouvoir,  plus souterrain ?
La femme,  dans sa sensibilité propre apporterait pourtant un plus à l'Église.
Elle l'apporte déjà à sa manière. 
Est-ce qu'en cassant la tradition nous changerions les choses ? L'Église,  encore crispée sur des questions de tradition n'est pas prête à faire ce pas. Pourtant il n'empêche pas de s'interroger.
Sur ce point les arguments de Borras semblent insuffisants.
On oublie trop vite la place des femmes dans l'Église primitive. Les premières au tombeau,  les diaconnesses sont occultées à dessein, alors qu'un sitz im leben permettrait d'aller plus loin.
Il y aurait intérêt à pousser plus loin l'argumentaire.
À méditer.

Précarité pastorale

L'analyse d'Alphonse Borras dont je viens d'achever la lecture(1) n'est pas d'un optimisme béat.  Il rejoint malheureusement mes propres observations sur le terrain et notamment dans deux des trois diocèses que je fréquente.  La raréfaction des prêtres comme des fidèles soulève des enjeux que l'on ne peut ignorer.  Les solutions proposées par Borras,  du 517.2 à l'utilisation de prêtres étrangers n'adressent pas le fond du problème, celui de la remise en route de la dynamique sacramentelle propre et commune des baptisés. 
Borras repousse le sacerdoce féminin, n'exclut pas la question du diaconat féminin et prône l'utilisation parcimonieuse et raisonnable des viri probati,
Mon expérience pousserait plus dans les directions de fond proposée par Moingt(2) ou Théobald(3),  celle d'une nouvelle évangélisation des fidèles qui met plus l'insistance sur l'évangile que le rite. Cela demande d'adresser le coeur du problème : mon expérience propre est que l'évangile n'est plus au coeur de la foi. Remettre le Christ au centre, par la lecture pastorale et commune des évangiles en maison d'Evangile comme nous tentons de le faire(5) ne porte plus sur des questions de présidence qui semble obséder Borras, mais sur l'inhabitation de l'homme en Christo qui conditionne tout le reste. Les travaux de la nouvelle école d'évangélisation de Versailles va probablement aussi dans ce sens(4). Elle ne vise pas la conversion des autres mais notre propre rapport au Christ.  Alors la question du pouvoir n'est plus, car nous n'agissons plus. C'est Christ qui agit malgré nous.
A discuter.

(1) Quand les prêtres viennent à manquer,  op. Cit.
(2) cf. L'Évangile sauvera l'Église (voir mes notes sur le tag Joseph Moingt).
(3) cf. ses analyses sur la Pastorale d'engendrement
(4) hommage discret à ma petite soeur....
(5) en lien avec les recherches du diocèse d'Arras. Voir aussi mes travaux sur ce thème.

24 mai 2017

Monopole 3

Quelles sont les conditions d'une vie paroissiale féconde pour la communauté ?
"Soit le curé collabore et la vie paroissiale se développe, soit il ne collabore pas et la vie paroissiale végète" (1) nous dit Borras.
L'adage est vrai aussi pour les laïcs.
Cela demande pour le canoniste due soit identifiable :
1. une cible (une mission définie),
2. une cohésion (faire corps)
3. et un ancrage dans l'Évangile (faire sens).
4. Borras ajouté l'importance d'une loyauté institutionnelle (faire face)(2),
L'ensemble permettant de créer une Église participative qui stimule et encourage chacun.

Bien sûr tout cela demande que "le vent souffle" au sein même de la communauté,  ce qui suppose d'y être à l'écoute pour que les tentations du pouvoir et du valoir soient tempérées à bon escient.

(1) p. 122
(2) p. 124

18 mai 2017

Monopole 2

Une phrase de Borras interpelle et va dans le sens de notre recherche précédente : "le prêtre n'est pas responsable de tout, il est responsable du tout"(1).
Sa fonction implique une "spiritualité communionelle ou pour mieux dire "missionnaire dans la communion" poursuit-il en visant la promotion et la validation de la "pleine stature de sujets libres dans la communion de l'Église". 
Cette dimension christique et pneumatologique du ministre est celle du pasteur si bien confirmée par le droit canon. La présidence de l'eucharistie prend alors une dimension pleine, comprenant à la fois un lien de transcendance, d'unité et d'envoi.

C'est aussi, et le terme n'est pas neutre depuis les travaux de Bacq et Théolbald, un "engendrement pastoral"(2) qui "provoque à la conversion et à l'action".

Le mot "provoquer" est un peu fort. Il traduit l'importance et l'enjeu, il rappelle l'épée tranchant au fond des coeurs de l'Évangile, mais aussi cette fission nucléaire du coeur évoquée par Benoît XVI à Cologne.

C'est peut-être là que nous comprenons l'essence de l'autorité reçue d'en haut par "l'investiture sacramentelle de l'imposition des mains" (3). Elle se gagne aussi par l'exemplarité et l'ancrage dans la Parole. L'autorité n'a de sens que si l'homme s'efface derrière Celui qui l'envoie (cf. Jn 14ss).

(1) p. 92
(2) ibid.
(3) p. 81

17 mai 2017

Corpus permixtum 4 - l'oeuvre commune

Après une longue diatribe sur unité et communion, Borras cite ce beau texte de LG30 qui précise que les pasteurs ont la magnifique tâche de "comprendre leur mission de pasteurs à l'égard des fidèles et à reconnaître les ministères et les grâces propres à ceux-ci, de telle sorte que tout le monde à sa façon et dans l'unité apporte son concours à l'œuvre commune". Il ajoute qu'une Église vraiment synodale ne se réalise que par le concours de tous les fidèles et de leurs pasteurs"(1).
La suite va plus loin et j'y adhère d'autant plus qu'elle rejoint là encore ma quête sur la dynamique sacramentelle. Borras évoque, à la suite des propos du Pape déjà commenté sur le "flair du peuple", l'idée qu'une Église synodale a pour responsabilité commune d'entrer dans une "dynamique" où les baptisés ne sont pas seulement suscités pour leur participation à la mission mais aussi dans sa réforme :"la reformatio de l'Église l'entraîne à se conformer à la forma Christi dans une dynamique de discernement et de purification de ce qui la "déforme"(2) au sens d'une "conversion ecclésiale".
Il y a bien là une extension du sens rituel du sacrement en ce qui devient signe réel et efficace...

(1) p. 73
(2) p. 75, cf. aussi EG 30
NB : Borras rappelle par ailleurs p. 76 les propos du Pape sur les deux obstacles majeurs à une Église vraiment synodale : le cléricalisme et l'ecclésiocentrisme (EG 102).

16 mai 2017

Corpus permixtum 3

Borras continue la citation précédente en évoquant une "asymétrie constitutive". "La communauté ecclésiale tire son unité, nous dira Vatican II à la suite de saint Cyprien, de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit-Saint" (LG 4b). Il en conclut un risque que la "raréfaction des prêtres dans la vie ecclésiale risque d'atténuer voire d'estomper le sens de la sacramentalité de l'Eglise et du ministère chez les fidèles trop marqués par une culture techniciste de l'efficacité et de la performance". (1)

C'est là en effet le danger principal auquel s'ajoute certainement la difficulté de ne pouvoir départager des prises de pouvoir qui s'instaurent entre laïcs, en dépit de leur désir de faire communauté.

On rejoint l'oxymore de l'autorité et du service qui incombe aux ministres.

On est au coeur du sujet.
Pourquoi le prêtre aurait-il plus de pouvoir que les laïcs est en droit de se demander un observateur extérieur ?
On répondra probablement (2), en se basant sur le droit canon, par deux ou trois arguments  : parce qu'il est image du Christ (ce qui doit être probablement modulé et restreint au sacrifice eucharistique), parce qu'il a reçu le sacrement de l'ordre et la grâce associée et qu'il est berger/pasteur de son troupeau...

Cela n'empêche pas, dit en substance, Ratzinger dans les principes de la foi catholique(3) qu'il puisse être  incompétent. Pour autant, on doit lui reconnaître une autorité qui ne vient pas de lui...

L'enjeu est de maintenir cette tension, qui relève in fine de la surveillance de l'épiscope et probablement du pape. Cette dimension verticale n'empêche pas la conscience des laïcs et l'importance d'une horizontalité. Elle apporte néanmoins un contre pouvoir à ces derniers et aide à structurer l'ensemble. On voit bien aussi le danger : l'excès de pouvoir où l'excès de contestation. L'art est d'introduire tout ça dans une dynamique trinitaire qui conduit le pasteur lui-même à considérer sa double fonction : berger et serviteur.

La question de l'autorité est toujours à relire à l'aune de celle du Christ, qui lui-même s'en réfère au Père. "Tu n'aurais pas d'autorité si elle ne t'avait été donnée"... dit-il à Pilate.

El l'enjeu, comme le souligne Borras page 68ss est de garder en tension unité et catholicité.

(1) p.67
(2) J'anticipe probablement sur les développements à venir de Borras. Mais c'est le jeu de ces "chemins de lecture : se laisser interpeller, quitte à trouver ensuite des éléments de réponse et de contradiction.
(3) Je commente et développe ce point dans "Humilité et miséricorde, tome 3".