11 décembre 2018

Au fil de Matthieu 18, 12-14 - la brebis perdue

«Qu'en pensez-vous? Si un homme a cent moutons et que l'un d'eux s'égare, ne laissera-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans la montagne pour aller chercher celui qui s'est égaré? Et s'il parvient à le retrouver, amen, je vous le dis, il s'en réjouit plus que pour les quatre-vingt-dix-neuf qui ne se sont pas égarés. De même, ce n'est pas la volonté de votre Père qui est dans les cieux qu'il se perde un seul de ces petits.» (1)
‭‭
Une ou 99... ?
La préférence des pauvres que nous enseigne l'Evangile n'est pas numérique, elle est métaphorique.
En ces temps difficiles, il nous faut méditer sur l'exhortation à la charité et la miséricorde. 
Car si le bon pasteur s'occupe de la brebis perdue les 99 autres peuvent se poser le pourquoi de cette situation, leur responsabilité, non au sens moral, non au sens d'une culpabilité, mais en termes d'attention et de bienveillance...

(1) Selon Matthieu‬ ‭18:12-14‬ ‭

10 décembre 2018

Dans la main du potier

Un beau passage qui n'appelle pas de commentaire : « Le contemplatif (et en lui l'Église) doit être une argile dans la main du potier, argile qui se laisse modeler elle-même dans la contemplation, et ne prétend pas connaître d'avance la loi de transformation. Elle ne fait que la ressentir par anticipation grâce au contact des mains du sculpteur se posant sur elle fortement ou légèrement, rudement ou doucement. Les deux formes vont ensemble dans la même Eglise, de même que la doctrine et la vie, la théologie et la spiritualité » (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, op. cit. p. 185

08 décembre 2018

Au fil de Luc 3, Aplanissez les chemins

               
Homélie du 2ème dimanche avent – Année C
Quelle est cette joie dont nous parle les deux lectures et le psaume ? Qu'est-ce qui peut mettre aujourd'hui notre cœur en joie alors que partout semble régner la tristesse, voire la révolte ?

La réponse, nous la connaissons au fond de nous. C'est celle qui va faire chanter les anges le jour de Noël. Mais pour que notre joie soit parfaite, il reste un grand chantier. Et les textes d'aujourd'hui ressemblent aussi un peu à un appel d'offre pour une entreprise de terrassement. On voit déjà les bulldozers, les camions qui se mettent en route pour aplanir la nouvelle autoroute. Sauf que la géographie de Luc n'est pas celle de notre vallée d'Avre. Elle est toute intérieure.
C'est dans ce sens que je vous invite à une méditation puis une contemplation : une méditation intérieure d'abord, pour trouver les moyens d'accueillir vraiment le Fils en nous, extérieure ensuite pour contempler le don qui nous attend.
  1.     Commençons par le chemin intérieur    
L'enjeu est ici de préparer les chemins du Seigneur, tracer en nous un sillon, de rendre possible la conversion du cœur qui se fait en nous.
Prenons donc le temps de visiter notre propre vallée intérieure, de noter ces escarpements funestes qui nous empêchent d'accueillir en nous le Seigneur. Ce serait présomptueux pour moi de dire ce qui empêche la rivière divine de couler du Temple vers vos cœurs assoiffés. Je sais, par contre, d'expérience qu'il faut peu de chose chez moi pour barrer le lit de la rivière. En ce temps de l'avent, notre chemin est là ! A nous d,accueillir l’eau vive, le don de Dieu, de creuser en nous, de désensabler nos sources. A nous de trouver ce qui fait barrage et de prendre notre pelle, de creuser nos ruisseaux intérieurs. C'est aujourd'hui que nous devons chercher la source qui nous vient de Dieu.
Prenons pour cela le temps de contempler les dons de Dieu puis de méditer en contrepoint ce qui nous éloigne de Dieu.  Laissons Dieu fissurer nos coeurs de pierre, abattre les cloisons de l'indifférence et préparer les chemins du Seigneur.
Une piste, si vous le permettez. l'Église nous donne un sacrement que nous oublions souvent. Celui de la réconciliation. N'avons-nous pas trop tendance à le réserver à l'exceptionnel ? Pour qu'une rivière garde son lit, il faut au contraire ne pas cesser de creuser, dégager les vases qui ralentissent le fleuve et lui font perdre sa force.
Allez ! Prenez rendez-vous avec le curé. Il vous attend parce qu'il porte en lui la miséricorde d'un Dieu amour. Il a pour mission de libérer en vous l'eau vive.
Chaque dimanche, au début de la messe, nous récitons aussi le "je confesse à Dieu". Les deux sont liés. Nous ne pouvons avancer vers le Christ, sans l'accueillir en étant conscient de nos faiblesse. Jésus se fait petit filet d’eau vive pour pénétrer par nos barrages étroits, à nous de les entrouvrir suffisamment.


2. La contemplation


Elle consiste à ouvrir nos coeurs au triple don de la Parole, du Corps et du Sang de Jésus. Notre vie intérieure se nourrit de sacrements : aller à la messe c'est participer à un triple repas.
La première table, c'est celle de la Parole. C'est une table, un festin. Cela demande de s'y préparer, d'avoir faim d'une rencontre, puis de la déguster, phrase après phrase.  Prenons le temps de l'écouter, de la ruminer.
La deuxième table, c'est le don du Corps. Nous portons notre travail à l'autel et Dieu vient l'habiter de son don. A nous de contempler ce don, de contempler la croix, le coeur transpercé du Christ qui vient abreuver le monde de son Amour. Le contempler pour mieux le recevoir en nous.
La troisième table, c'est le monde. Recevoir le Corps, c'est accepter de le porter en nous. Si nous avons creusé notre coeur, nous pouvons devenir porte-Christ.


J'insiste sur cette troisième partie. L'expression "porte-Christ, que l'on trouve dans les catéchèses des premiers siècles est une belle image. Il s'agit de porter le fruit reçu, au bout de notre quête vers le monde. Quand la source est dégagée, l'eau vive reçue de Dieu peut jaillir à travers nous et altérer ceux qui ont soif !
N'ayons pas peur…! Car au bout du voyage, la joie nous attend. Et cette joie mérite tous nos efforts.


Amen.

Homélie des 8 et 9/12/18 Vert en Drouais et Nonancourt

05 décembre 2018

Kénose - saint Grégoire de Naziance

« Lui qui enrichit les autres s'appauvrit, car il adopte la pauvreté de ma chair pour que moi je m'enrichisse de sa divinité. Lui qui est plénitude s'anéantit, il se dépouille de sa propre gloire pour un peu de temps, afin que moi, je participe à sa plénitude.
Quel trésor de bonté ! Quel grand mystère en ma faveur ! J'ai reçu l'image, et je ne l'ai pas gardée. Le Verbe a participé à ma chair afin de sauver l'image et de rendre la chair immortelle ! Il s'unit à nous par une deuxième union, beaucoup plus étonnante que la première. ~
Il fallait que l'homme soit sanctifié par un Dieu devenu homme ; après avoir terrassé notre tyran, il nous délivrerait et nous ramènerait vers lui, par la médiation du Fils, pour l'honneur du Père. C'est ainsi que le Fils se montre obéissant en toutes choses envers lui, pour accomplir son plan de salut. ~
Ce bon Pasteur est venu rechercher la brebis égarée, en donnant sa vie pour ses brebis sur les montagnes et les collines où tu offrais des sacrifices. Il a retrouvé celle qui était égarée, il l'a chargée sur ces épaules qui ont porté aussi le bois de la croix et, après l'avoir saisie, il l'a ramenée à la vie d'en haut. ~
Cette lumière éclatante du Verbe est précédée par la lampe qui brûle et qui éclaire ; la Parole, par la voix qui crie dans le désert ; l'Époux, par l'ami de l'Époux, celui qui prépare pour le Seigneur un peuple choisi en le purifiant dans l'eau en vue de l'Esprit. ~
Il nous a fallu un Dieu qui s'incarne et qui meure pour que nous vivions. Nous sommes morts avec lui pour être purifiés ; morts avec lui, nous sommes ressuscités avec lui ; ressuscités avec lui, avec lui nous sommes glorifiés. (1)

"L'Écriture inspirée nous l'a dit : « Ta miséricorde s'étend à tous, parce que tout t'est possible, parce que tu oublies les péchés des hommes dès qu'ils se tournent vers toi. Tu aimes tout ce qui existe ; tu ne prends en aversion rien de ce que tu as fait... Tu épargnes tous les êtres parce qu'ils sont à toi, Maître qui aimes la vie » (Sg 11,23s). Voilà ce qui le fait descendre du ciel et lui donne le nom de Jésus... : « Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1,21). C'est son grand amour pour les hommes, sa compassion pour les pécheurs, voilà ce qui le fait descendre du ciel.

Pourquoi donc consentir à voiler sa gloire dans un corps mortel s'il ne désirait ardemment sauver ceux qui se sont égarés, qui ont perdu tout espoir de salut ? Il le dit lui-même : « Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Plutôt que de nous laisser périr, il a fait tout ce qu'un Dieu tout-puissant peut faire selon tous ses divins attributs : il s'est donné lui-même. Et il nous aime tous de telle sorte qu'il veut donner sa vie pour chacun de nous, aussi absolument, aussi pleinement, que s'il n'y avait qu'un seul homme à sauver. Il est notre meilleur ami..., le seul véritable ami, et il déploie tous les moyens possibles pour obtenir que nous l'aimions en retour. Il ne nous refuse rien, si nous consentons à l'aimer... Ô mon Seigneur et mon Sauveur, dans tes bras je suis en sûreté. Si tu me gardes, je n'ai plus rien à craindre ; mais si tu m'abandonnes, je n'ai plus rien à espérer. Je ne sais rien de ce qui m'arrivera d'ici ma mort, je ne sais rien de l'avenir, mais je me confie à toi... Je m'en repose totalement sur toi, parce que tu sais ce qui est bon pour moi, et moi je ne le sais pas »(2)

(1) Grégoire de Naziance, Homélie, source Bréviaire 
(2) John Henri Newman, Twelve méditations for good, Friday

30 novembre 2018

Le voile de l’Écriture - Hans Urs von Balthasar

Le Verbe est au delà de tout discours, non aliud, tout autre... Et toute tentative de le mettre dans nos cases est vaine.
« C'est comme si le Saint-Esprit, l'auteur de la Sainte Écriture, étendait en elle, sur le mystère de la vie terrestre du Seigneur, un voile qui ne peut être écarté complètement. Il est là, indubitablement attesté par les descriptions, qu'aucun homme (...) n'aurait pus inventer (...) Beaucoup de choses dans le christianisme s'offrent à l'analyse exacte. Mais le fond suprême plonge dans la nuit des mystères silencieux de Dieu. Ce qu'il y a de suprême en Jésus (...) est tourné vers le Père, c'est quelque chose qui est lui-même contemplation et action au sein de la contemplation »(1)

Quel chemin pour nous dans notre prière ? Peut-être une attention particulière, une écoute silencieuse à ces appels discrets et répétés, mais non prévisibles de l'Esprit à agir. En cette fête de saint André, écoutons ces signes discrets qui tout en respectant notre liberté nous poussent toujours plus loin dans la contemplation et l'action.

(1) Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 155

Tressaillement 9 - Hans Urs von Balthasar

Dans la série de mes réflexions sur le tressaillement, une petite résonance avec Hans Urs von Balthasar : « celui qui n'éprouverait pas jusqu'au racines de son être le frisson devant l'être de Dieu (...) ne serait pas préparé à la contemplation de Jésus-Christ (...) Que l'être absolu de Dieu ait résolu de se présenter dans une existence humaine (...) voilà ce qui doit surprendre sans cesse et toujours plus profondément celui qui contemple l'existence de Jésus, comme quelque chose d'impossible, d'absolument stupéfiant. Devant cette existence, il ne peut que perdre contenance, sentir le sol se dérober sous ses pieds, il doit au moins tomber dans cette « extase » d'incompréhension dans laquelle les contemporains de Jésus furent jetés »(1)

Balthasar invite pour cela à une initiation à ce mystère par l'Ancien Testament. On retrouve probablement à sa suite ce que j'ai tenté de contempler dans « retire tes sandales »...

(1) Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 140

28 novembre 2018

Les dangers de l’apocalyptique extrême - Hans Urs von Balthasar

Alors que la liturgie de cette fin d'année nous plonge dans la contemplation de l'apocalypse, il est bon d'entendre les avertissements d'Hans Urs von Balthasar : le danger dit-il en substance est un penchant toujours plus fort vers « la mystique sous la forme des apocalypses » (...) « d'une science secrète (...) appuyée à des formes prophétiques » (...) , d'oublier le présent et de contempler la gloire du Christ dans le temps, comme le reflet du Seigneur céleste sur la terre »(1)
L'enjeu est de se diriger non pas dans une fuite du réel mais plutôt vers une « veille comme prière, comme ouverture du coeur à Dieu qui peut venir et surprendre en tout temps (...) qui ne fait pas disparaître l'eschatologie ds la mystique » (2)

Toute contemplation n’a de sens que lorsqu’elle trace un chemin dans nos vies, met le Christ au centre, lui donne une place aujourd’hui.
Descente de croix, Vert en Drouais, (c) CHD


(1) Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative op. cit. p. 128sq
(2) ibid p. 131

27 novembre 2018

Au fil de Luc 21, 5-11 - Apocalypse - Saint Cyrille d’Alexandrie


« Veillez à ne pas vous laisser égarer. Beaucoup, en effet, viendront en se servant de mon nom, en disant: « C'est moi! », et: « Le temps s'est approché! » N'allez pas à leur suite. » ‭‭(...) « Quand ces évènements commenceront, redressez-vous et relevez la tête » Luc‬ ‭21:8‬, 28

Les images de l'Apocalypse ou celles qui ponctuent le discours du même style chez Luc 21 sont-elles à prendre au premier degré ?
Oui et non, probablement. On sait maintenant combien de drames et de catastrophes ont rempli l'univers. Il y a le mal de peine, ce qui touche à la nature et, comme le souligne saint Thomas, le mal de faute, ce qui vient des hommes. 
Comme l'écrit saint Cyrille, « Ces villes renversées, selon nous, ne sont pas celles que l'on peut percevoir par les sens, ce ne sont pas les hommes qui y vivent. Mais, à notre avis, il s'agit plutôt de chacune des puissances mauvaises et hostiles, et avant tout de Satan, qui est appelé ici une ville, et une « ville forte »...
Lorsque l'Emmanuel est apparu et a brillé sur le monde, la troupe impie des puissances adverses a été ruinée, Satan a été renversé « depuis ses fondements » ; il est tombé, il est affaibli à jamais et ne peut plus espérer se redresser un jour, ni relever la tête. » (1)
Certes nous savons maintenant que le mal renaît de ses cendres. Pour autant, nous devons résister à cette double tentation : celle de nous croire exempt de combats intérieurs et celle de penser que Dieu est vaincu. Croire en la grâce et la miséricorde divine doit nous inviter à persévérer. 
Dieu est plus grand que la mort. Telle est notre espérance. C'est pourquoi nous pouvons, « nous redressez et relevez la tête »  
« C'est pour cela que « le peuple pauvre et la ville des hommes opprimés te bénira » (LXX). (...).. Lorsque le Christ en personne est apparu et que, chassant la tyrannie du diable, il les a conduites à son Dieu et Père, alors elles ont été enrichies par la lumière de la vérité, par la participation à la gloire divine, par la grandeur de la vie de l'Évangile. C'est pourquoi elles ont fait jaillir des hymnes d'action de grâce au Dieu et Père : « Oui, Seigneur, tu as accompli ton dessein ancien et vrai » (v.1) en récapitulant tout dans le Christ. Tu as « illuminé ceux qui étaient assis dans les ténèbres » (Lc 1,79) en renversant les puissances qui dominent le monde (Ep 6,12), comme on renverse des villes fortifiées. « C'est pourquoi le peuple pauvre te bénira, toutes les villes te glorifieront. » (2)

C’est peut-être cela qu’il nous reste à contempler : le Christ, lumière et phare pour nos vies et espérance pour les hommes.

(1) Saint Cyrille d'Alexandrie, Sur Isaïe, III, 1 (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 76), source Evangelizo 
(2! Ibid.







26 novembre 2018

Au fil de Luc 21, 4 - les deux pièces de la veuve

« elle a mis tout ce qu'elle avait pour vivre » Luc 21, 4

Jusqu'où doit-on donner ? Que donner ? Qu'est-ce qu'un don ?
Je commencerais par une petite observation sur notre façon de procéder avant de voir jusqu'où l'évangile nous interpelle.

Une question préalable : est-ce que nos actes sont vraiment gratuits ?

Nous avons souvent un réflexe donnant-donnant. Luc le rappelait déjà il y a quelques jours dans son évangile :  
«Lorsque tu donnes un déjeuner ou un dîner, ne convie pas tes amis, ni tes frères, ni les gens de ta parenté, ni des voisins riches, de peur qu’ils ne te rendent ton invitation et qu’ainsi tu sois payé de retour.» ‭‭Selon Luc‬ ‭14:12‬ ‭NBS‬‬
Plus encore, on peut poser la question aux hommes présents aujourd'hui. Quand vous offrez des fleurs à vos femmes, est-ce un don véritable ? N'y a-t-il pas un but caché ? N'avons nous pas quelque chose à nous faire pardonner ou à quémander ?

Saint Augustin nous donne à ce sujet trois clés de lectures que l'on peut méditer. Est-ce que nous aimons être aimé, est-ce que nous aimons aimer ou est-ce du pur amour ?

L'agape, le pur amour est un don sans retour. C'est celui d'un donateur qui d'efface, nous rappelle Jean-Luc Marion.
Le don est risque

Que nous dit Luc ici ?
Rappelons que c'est à quelques heures de sa mort que Jésus contemplencette femme. Et s'il est touché, c'est parce qu'il se prépare à faire la même chose.

Luc nous prépare au point final. Le vrai et unique sacrifice
Si Jésus est sensible à la vieille femme, c'est qu'il va aussi faire lui aussi le don total.

Il nous reste trois étapes : nous agenouiller devant le vrai donateur
Contempler
Et Agir à sa suite.

Qu'est-ce que le don ? Au delà de nos balbutiements la barre est haute… elle est aussi haute que le bois élevé pour guérir nos humanités blessées.



24 novembre 2018

Passé et futur - une tension théologique

Je souligne une tension intéressante entre mes nombreux propos sur la course infinie du chrétien à la suite de Paul dans Philippiens 3 et l'attitude contemplative décrite par Hans Urs von Balthasar : « le Saint-Esprit qui nous introduit dans la plénitude du Christ et nous l'explique jusqu'à la fin du monde, d'une manière toujours plus riche et plus profonde, puise dans une source qui (...) se situe dans le passé. Et le contemplatif lui aussi ne peut faire autrement que de tourner son regard vers le passé. De ce fait, le chrétien va contrairement à la poussée de l'histoire qui court torrentueusement vers l'avant, et sa tendance contemplative ne peut que constituer un scandale pour l'homme qui reste enfermé dans l'histoire » (1)

Cette tension trouve son dénuement dans cette triple composition entre contemplation, méditation et agir.

(1) ibid p. 127

Christ-Roi - une homélie décalée ?

Qu’est-ce qu’un roi ? Et pourquoi donner ce nom au Christ ? Les lecteurs du premier Testament connaissent les écueils du peuple de Dieu, leur désir d’avoir un roi en dépit des avertissements de Samuel (cf. 1S 8, 6)) et leurs déconvenues.

Chez Marc 12, l’erreur des deux disciples demandant les meilleures places, nous alertent également. Chez Jean,  après le manteau de pourpre et la dérision des soldats, c’est Pilate qui fait fausse route.

La question reste en suspens. Quel est le royaume de Jésus, sur quoi repose son autorité ? Qu’est-ce que l’autorité ?
Le silence de Jésus nous renvoie à une double contemplation.
D’abord une contemplation vers l'arrière, à la recherche des indices et des signes que Jean a semé dans son Evangile, décrivant Jésus comme plein de zèle évangélique au Temple (Jn 2), mais surtout capable d’écoute, d’empathie et d’humilité (Jn 13). Un homme qui prend soin du souffrant, redonne la vue et la vie.
La figure qui se dessine ici, dans cette première contemplation est précisée par Jean dans l’image du bon berger. Le Christ n’a rien d’un roi de ce monde.

Qu’est-ce qu'apporte l’apocalypse dans cette vision ?
Écoutons les phrases clés du texte : « Il nous a délivrés de nos péchés par son sang (...) ils le verront, ceux qui l’ont transpercé  ». Il est le Sauveur, ce fils d’homme annoncé par Daniel dans la première lecture.
Mais s’il est roi, de quel royaume ?Comme Pilate, laissons-nous interroger ? Qu’est-ce finalement que le royaume de Dieu ? Après ce retour arrière, regardons en avant. C’est dans la Passion que la royauté du Christ se dévoile, sur la Croix
Ce que le dialogue avec Pilate prépare est le sommet du message de Jean. Et il devient le point culminant de notre année liturgique.

Le Christ serviteur est l’inversion de tous nos critères et de toutes nos projections. Il est révélation de l’amour inconditionnel du Père. La royauté, il y a renoncé nous dit Paul en philippiens 2, 11. « Prenant la condition de serviteur » (...) « Et c’est pourquoi Dieu lui a donné le nom qui surpasse tout nom ».

Qu’est-ce finalement que ce nom, que cette gloire (Jn 17, 2) qui revient au Christ ? Elle se dévoile sur la Croix. La croix est lumière qui éclaire et révèle le véritable royaume. La résurrection qui consacre cette gloire n’a de sens que liée à cette croix.

Qu’est-ce que cela nous dit aujourd’hui ? Comment pouvons-nous être à sa suite, prêtre, prophète et roi ?
Probablement en Le suivant jusqu’au bout de l’amour. Notre royauté est dans l’abandon de toute prétention à l’avoir, au pouvoir et au valoir, notre royauté est être serviteur du royaume de Dieu et pour nous diacres, plus que les autres, image du Christ serviteur, n.ayant fait que notre devoir (Luc 17, 10)

23 novembre 2018

L’œuvre de Dieu en Christ - saint Jean Etudes - l’amour est en toi 27

« Nous devons continuer et accomplir en nous les états et mystères de Jésus, (...) les mystères de Jésus ne sont pas encore dans leur entière perfection et accomplissement. Bien qu'ils soient parfaits et accomplis dans la personne de Jésus, (...) le Fils de Dieu a dessein de mettre une participation, et de faire comme une extension et continuation de ses mystères en nous et en toute son Église, par les grâces qu'il veut nous communiquer, et par les effets qu'il veut opérer en nous par ces mystères. Et par ce moyen il veut les accomplir en nous. » (1)

Sur quoi se fonde saint Jean Etudes, pour nous conduire sur ce chemin alors que la lettre aux hébreux nous parle d'un unique sacrifice (Heb. 10,14). Il y a là un appel, nourri des premières lettre de Paul, de cette course infinie (2) à laquelle le cappadocien nous invite à son tour.

Pour Jean Eudes, « saint Paul dit que Jésus Christ s'accomplit dans son Église, et que nous concourons tous à sa perfection et à l'âge de sa plénitude, c'est-à-dire à son âge mystique qu'il a dans son corps mystique; et cet âge ne sera accompli qu'au jour du jugement. Et ailleurs, il dit qu'il accomplit en son corps la Passion de Jésus Christ ». (1)

Il s'agit de vivre en Christ, de poursuivre son œuvre, non pas par nos mains de chair, mais en le laissant agir en nous. Cette plénitude ne sera pas atteinte seule. Elle se fonde sur la construction polyédrique et mystérieuse du « corps de l'Église »

« Où pouvons-nous entrer en communion avec lui à travers le Christ ? Où pouvons-nous trouver la lumière du Saint-Esprit qui éclaire notre vie ? La réponse est : dans le peuple de Dieu, parmi nous, qui sommes Église…
Et c'est le Saint-Esprit, avec ses dons, qui dessine la diversité. Cela est important : que fait le Saint-Esprit parmi nous ? Il dessine la diversité qui est la richesse dans l'Église et qui unit tout et tous, de manière à constituer un temple spirituel, dans lequel nous n'offrons pas des sacrifices matériels, mais nous-mêmes, notre vie (1P 2,4-5). L'Église n'est pas un mélange de choses et d'intérêts, mais elle est le Temple du Saint-Esprit, le Temple dans lequel Dieu œuvre, le Temple dont chacun de nous, à travers le don du baptême, est une pierre vivante… Nous sommes tous nécessaires pour construire ce Temple ! Personne n'a un rôle de second plan. Personne n'est le plus important dans l'Église, nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu. L'un d'entre vous pourrait dire : « Écoutez, Monsieur le Pape, vous n'êtes pas égal à nous. » Mais si, je suis comme chacun de vous, nous sommes tous égaux, nous sommes frères !  ». (5)

« le Fils de Dieu a dessein de consommer et accomplir en nous tous ses états et mystères. Il a dessein de consommer en nous le mystère de son Incarnation, de sa naissance, de sa vie cachée, en se formant en nous et en prenant naissance dans nos âmes, par les saints sacrements de Baptême et de la divine Eucharistie, et en nous faisant vivre d'une vie spirituelle et intérieure qui soit cachée avec lui en Dieu. » (1)

Plus encore cette dynamique sacramentelle (3) se « perfectionne en nous » par « le mystère de sa Passion, de sa Mort et de sa Résurrection, en nous faisant souffrir, mourir et ressusciter avec lui et en lui. Il a dessein d'accomplir en nous l'état de vie glorieuse et immortelle qu'il a au ciel, en nous faisant vivre avec lui et en lui, lorsque nous serons au ciel, d'une vie glorieuse et immortelle. Et ainsi il a dessein de consommer et accomplir en nous et en son Église tous ses autres états et mystères, par une communication et participation qu'il veut nous donner, et par une continuation et extension qu'il veut faire en nous de ces mêmes états et mystères.
Ainsi les mystères de Jésus ne seront point accomplis jusqu'à la fin du temps qu'il a déterminé pour la consommation de ses mystères en nous et en son Église, c'est-à-dire jusqu'à la fin du monde. (1)

Ainsi pourrons-nous dire à la suite de Paul :
« Pour lui, j'ai tout perdu,
et je cours vers le seul but :
Lui, le premier, m'a saisi,
de tout mon élan, je veux le saisir. » (4)

(1) saint Jean Etudes, traité sur le royaume de Jésus,source Bréviaire 
(2) cf. Grégoire de  Nysse in La vie de Moïse
(3) cf. mon livre éponyme 
(4) oraison tirée de Ph. 3
(5) pape François, audience du 26/3/2013

22 novembre 2018

Parvenir à toucher Dieu ?

La contemplation ne doit pas rester intellectuelle. La science enfle mais le coeur édifie. L'enjeu nous dit Ignace est de « parvenir au toucher (1 Jn 2, 2), au contact avec Dieu (Exercices n. 20), il faut être saisi par ce que les Divines Personnes font (Ex 108). » (1)

Cette quête est d'abord contemplative et méditative avons nous souligné déjà plus haut à la suite d'Hans Urs von Balthasar.

Le risque constant de tout discours est de se complaire dans les mots et le discours et d'oublier d'agir.

« Assurément la flamme de l'amour jaillira normalement du bois de la connaissance, et souvent elle jaillira d'autant plus fortement que la connaissance sera plus existentielle. Mais il ne faut pas sous ce prétexte, s'attarder si longtemps dans l'intellectualité que l'amour n'ait plus sa place et que même l'attitude foncière d'adoration s'évanouisse, parce qu'on est tombé dans les subtilités et dans les fumées de la science » (2)

Pouvons nous toucher Dieu ? La contemplation d'Exode 33 et 34 nous montre qu'on ne peut le voir que de dos. Pour le toucher, il faudrait que notre agir, poussé par l'Esprit et la grâce se transforme en graines et que, dans le coeur de Dieu, elles germent alors sur les rives du grand fleuve amoureux.

(1) cité par Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 119
(2) Hans Urs von Balthasar, ibid.

Contemplatio et meditatio - Ignace de Loyola

« Contemplatio ignacienne  exercices n. 106sq d'Ignace de Loyola :  d'abord voir la scène d'Évangile et les personnes qui y paraissent, ensuite entendre leurs paroles, enfin considérer leurs actions. Ou bien, en se plaçant plutôt au point de vue du sujet, pour la mediatio : d'abord se représenter par la mémoire l'événement objectif, ensuite en découvrir le contenu par l'entendement, enfin appréhender ce qui a été découvert par la volonté et l'affectivité, se l'approprier et l'introduire dans sa propre vie. (...) [L'enjeu est] l'action, un agir de la part de Dieu ; action qui en exigeant de moi une réponse et en me conférant la grâce, me saisit et me transforme. » (1)

« Ce qui est visé est ma vie, non pas mes spéculations, mes imaginations, mes rêveries religieuses et théologiques, mais réellement ma vie » (2)

Ce qui est visé est la « béance du coeur », cet ouverture à l'Esprit qui peut agir en moi, me saisir (Ph 3), et me conduire toujours plus loin dans cette course infinie(3) vers le but qui m'est assigné...

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 117sq
(2) ibid. p. 154
(3) cf. mon livre éponyme déjà cité 

Au fil de Luc 19,41-44 - Jésus pleure sur Jérusalem

« En ce temps-là, lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle en disant (...) « tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait » Luc 19,41-44 

Nous approchons du terme. Après un passage au cœur du monde, voici Jésus qui contemple la ville et probablement le lieu où il va mourir. Tout ce chemin pour quoi ? 

Le voici, le berger d’Israël, le pasteur des brebis, qui s’avance, agneau fragile conduit à l’abattoir. Tout s’inverse pour notre salut.

« Tu es digne, de prendre le Livre
et d’en ouvrir les sceaux,
car tu fus immolé,
rachetant pour Dieu, par ton sang,
des gens de toute tribu,
langue, peuple et nation.
    Pour notre Dieu, tu en as fait
un royaume et des prêtres :
ils régneront sur la terre. » (Ap. 5, 9-10)

Contempler Jésus qui pleure sur Jérusalem, n’est-ce pas aussi un peu le voir pleurer encore sur ce que nous n’avons pas pu faire, pleurer sur tous les signes qu’il nous a fait, par la médiation de l’Esprit et de nos frères, tout ce que le Père nous a donné et que nous avons ignoré.


Pardon Seigneur pour nos lâchetés.