13 septembre 2019

Les richesses sont-elles dangereuses pour le salut ? - Saint Jean Chrysostome

     


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HOMÉLIE 34 (13,8) OU LES PROPHÉTIES SERONT RENDUES INUTILES, OU LES LANGUES CESSERONT, OU LA SCIENCE SERA ABOLIE.

Chrysostome sur 1Co 3400

3400
(
1Co 13,8)

ANALYSE.

1. La charité supprime tous les maux.
2. La connaissance que nous avons de Dieu en cette vie ne peut être qu'une connaissance imparfaite.
3. Eloge de la charité.
4-7. Avec quelle ardeur il faut embrasser la charité. — Combien Dieu a fait de choses pour unir les hommes entre eux. — Des mariages. — Pourquoi Dieu les a défendus entre parents. — Comparaison de deux villes, l'une toute de riches, l'autre toute de pauvres. — Du respect pour l'Ecriture. — N'y rien ajouter, n'en rien retrancher. — D'où viennent les richesses et la pauvreté. — Dieu attend les mauvais riches à pénitence.

3401 1. Après avoir montré l'excellence- de la charité, en ce que les grâces et les succès du monde ont besoin d'elle, après avoir énuméré toutes ses vertus, et montré qu'elle est le fondement de la philosophie parfaite, il montre dans un nouveau et troisième point quelle est sa valeur. Et il le fait pour persuader à ceux qui sont humbles qu'ils ont le principal des biens, et que s'ils ont la charité, ils ne possèdent pas moins et possèdent même plus que ceux qui sont combles de faveurs; et aussi pour rabaisser ceux qui, combles de ces faveurs, en seraient enorgueillis, et pour leur montrer qu'ils n'ont rien s'ils n'ont la charité. Les hommes s'aimeront entre eux quand l'envie et l'orgueil seront supprimés parmi eux, et d'un autre côté, s'ils s'aiment les uns les autres, ils écarteront loin d'eux ces vices. Car « la charité n'est sujette ni à l'envie ni à l'orgueil ». Ainsi il a entouré les hommes comme d'un mur solide, et de cette concorde générale qui supprime tous les maux, et n'en devient que plus ferme, il leur a présenté toutes les raisons qui peuvent relever leur courage. C'est un même esprit qui donne, dit-il, et il donne en vue de l'utilité ; il distribue ses dons comme il lui plaît, et il les distribue à titre de faveurs et non de dettes. Quelqu'un eût-il reçu de moindres dons, il compte cependant parmi les élus, et jouira de grands honneurs; celui qui en a reçu de plus grands, a besoin de celui qui en a moins, et c'est la charité qui est le premier des dons et la voie la meilleure.

C'est ainsi que parlait l'apôtre, unissant les hommes entre eux par un double lien ; par la croyance qu'ils ne sont pas moins bien partagés, quand ils ont la charité, et que, s'ils s'empressent vers elle et la possèdent, ils ne souffriront plus aucun des maux de l'humanité, soit parce qu'ils ont la source de tous les biens, soit parce que tout en n'ayant rien, ils ne sont plus sujets à aucune lutte : car celui qui a été captivé par la charité, est tout aussitôt exempt de luttes. Aussi montrant tous les biens que l'on recueille de la charité, il a décrit ses fruits, dont le seul éloge est capable de guérir les maux des hommes. En effet, chacune de ces paroles est un remède suffisant pour guérir leurs blessures. C'est pourquoi il disait : «Elle est patiente », contre ceux qui s'emportent aux disputés; «elle est exempte d'envie », contre les hommes qui portent envie à ceux qui sont au-dessus d'eux; « elle n'est pas arrogante », contre ceux qui ne veulent condescendre à rien ; « elle ne cherche point son intérêt », contre ceux qui méprisent l'intérêt des autres; « elle ne s'excite point, elle ne médite point le mal », contre ceux qui se portent aux outrages ; « elle ne se plaît point (528) à l'injustice, et elle se plaît à la vérité », encore contre les envieux; « elle défend tous les hommes », contre ceux qui dressent des embûches; « elle espère tout », contre ceux qui se désespèrent; « elle supporte tout et ne perd jamais patience », contre ceux qui se livrent facilement à la discorde.

Après avoir ainsi montré la grandeur de la charité et sa supériorité, il en fait voir l'excellence sous un autre point de vue; il compare la charité à d'autres objets pour exalter sa valeur, et il dit: « Ou les prophéties seront rendues inutiles,ou les langues cesseront».En effet, si elles n'ont été accordées aux hommes qu'à cause de la foi, dès que celle-ci sera répandue par toute la terre, elles seront inutiles. Mais cette affection mutuelle ne cessera point, elle s'accroîtra au contraire, et sera plus forte encore dans l'avenir que dans le présent. Car aujourd'hui. il y a bien des causes qui affaiblissent et diminuent la charité, les richesses, les affaires, les maladies du corps et les souffrances de l'âme. Mais que les prophéties et les langues cessent, cela n'est pas étonnant; que la science elle-même soit abolie, voilà qui soulève des questions, car il ajouté : « Ou la science sera abolie ». Quoi donc? Nous vivrons alors dans l'ignorance ? A Dieu ne plaise ! Car la science alors devra être augmentée, et c'est pourquoi l'apôtre disait : « Alors je connaîtrai comme je suis connu ». (
1Co 13,12) C'est pourquoi, afin de ne pas laisser croire que la science cessera, de même que les prophéties et les langues, après avoir dit: « Ou la science sera abolie », il ne s'en contente point, mais il ajoute la manière dont elle sera détruite, disant.: « Nos connaissances sont partielles, et nos prophéties sont partielles. Mais quand sera venu ce qui est parfait, alors sera inutile ce qui est partiel ». La science donc ne sera point abolie, mais seulement la science partielle : non-seulement nous aurons autant et d'aussi grandes connaissances, nous en aurons de plus grandes encore. C'est ce qu'un exemple montrera bien, nous savons aujourd'hui que Dieu est partout, mais comment? Nous l'ignorons : Nous savons qu'il a tout tiré du néant, mais la manière, nous l'ignorons ; qu'il est né d'une Vierge, mais comment, nous l'ignorons également. Il montre ensuite combien grande est la différence entre ces deux sciences, et que ce qui nous manque n'est pas peu, disant : « Quand j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; quand je suis devenu homme, j'ai rejeté ce qui était de l'enfant ». Il nous le montre encore par un autre exemple, disant : « Nous voyons maintenant à travers un miroir (12) ».

3402 2. Après avoir montré ce miroir, il ajoute « Dans une énigme », prouvant plus clairement encore que notre science présente ne consiste qu'en de faibles parties. « Mais alors face à face », non pas que Dieu ait une face; c'est pour exprimer sa pensée d'une manière plus claire et plus intelligible. Voyez-vous comme notre connaissance s'accroît par degrés? « Maintenant je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu». Voyez-vous comme il rabaisse doublement leur orgueil, et en ce due leur science n'est que partielle, et en ce qu'ils ne l'ont point tirée d'eux-mêmes? Ce n'est pas moi en effet, dit saint Paul, qui connais Dieu, c'est Dieu qui s'est fait connaître à moi. De même donc qu'aujourd'hui il me connaît d'abord, et vient vers moi, ainsi alors j'irai vers lui avec un empressement bien plus vif qu'aujourd'hui. En effet, celui qui demeure dans les ténèbres ne peut pas, avant d'avoir vu le soleil, s'empresser vers la beauté de ses rayons, c'est le soleil qui de lui-même et par son éclat se, montre à lui, mais quand il a perçu cette splendeur, il poursuit la lumière. Voilà ce que veut dire cette expression : « Comme je suis connu » ; non pas que nous connaîtrons Dieu comme il nous connaît, mais de même qu'aujourd'hui il vient vers nous, ainsi alors nous irons vers lui, et nous connaîtrons bien des mystères aujourd'hui cachés, et nous jouirons de cette science et de ce commerce bienheureux. Si, en effet, Paul qui savait tant de choses n'était qu'un enfant, réfléchissez à ce que sera cette science nouvelle, si l'ancienne n'était qu'un miroir et une énigme, pensez à ce que sera Dieu vu face à face. Pour vous faire sentir cette différence, et faire entrer dans votre âme un rayon obscur de cette connaissance, rappelez-vous les prescriptions de l'ancienne loi, maintenant que la grâce a brillé. Avant la grâce, elles paraissaient grandes et merveilleuses ; écoutez pourtant ce que Paul en dit après la grâce : « Ce qui a brillé en cette partie n'a pas été glorifié à cause d'une gloire supérieure ». (2Co 3,10)

529

Pour rendre ma pensée plus claire, appliquons notre discours à une de ces prescriptions qu'on accomplissait alors sous la forme mystique, et vous verrez quelle est la différence. Prenons la Pâque, si vous- voulez, et l'ancienne et la nouvelle, et vous reconnaîtrez l'excellence de celle-ci. Les Juifs célébraient l'ancienne, mais ils la célébraient comme. s'ils la voyaient à travers un miroir et une énigme. Ces mystères cachés ne se présentaient pas même à leur pensée, et ils ne savaient point quelles étaient ces choses qu'ils annonçaient, mais ils ne voyaient qu'un agneau immolé, et le sang d'une bête, et les portes qui en étaient arrosées. Mais que le Fils de Dieu incarné dût être immolé et délivrer la terre, et donner son sang à goûter aux Grecs et aux barbares, ouvrir le ciel à tous, et offrir au genre humain les biens d'en haut, qu'il dût porter cette chair sanglante au-delà des cieux et des armées des anges, des archanges et des autres puissances, et la placer sur un trône divin à la droite du Père, brillant d'une gloire ineffable: voilà ce que ne savaient point les Juifs, ni aucun autre parmi les hommes, et ce qu’ils ne pouvaient point soupçonner. Mais que disent les impies, qui osent tout? que cette parole : « Maintenant je connais en partie », s'applique à la Providence, car saint Paul avait la cou naissance parfaite de Dieu. Et comment se fait-il qu'il se donne le nom d'enfant? Comment voit-il à travers un miroir, comment à travers le voile d'une énigme, s'il possède la science parfaite? Pourquoi est-ce qu'il attribue cette science au Saint-Esprit, à l'exclusion de toute autre puissance créée, disant : « Qui est-ce qui connaît les pensées de l'homme, sinon l'esprit qui est en lui ? Ainsi personne ne connaît ce qui se rapporte à Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu ». (1Co 2,11). Et d'un autre côté, le Christ déclare que cette science est à lui tout seul, car il parle ainsi « Personne n'a vu le Père », si ce n'est celui qui « vient du Père ; celui-là a vu le Père » (Jn 6,46) : nous apprenant que cette vue seule est la connaissance claire et parfaite. Comment celui qui connaît la substance d'un être peut-il en ignorer l'économie? La connaissance de la substance est plus difficile que l'autre. —Ainsi, suivant l'apôtre, nous ignorons Dieu? — Loin de là ; nous savons qu'il est, mais quelle est sa substance, nous l'ignorons. Et ce qui prouve que cette parole : « Maintenant je connais en partie », ne s'applique point à la Providence, c'est la suite, car saint Paul ajoute : « Alors je connaîtrai comme je suis connu ». Or ce n'est point la Providence, c'est Dieu qui connaît. Cette opinion n'est donc pas simplement inique, elle l'est deux, et trois et mille fois. C'est par conséquent une vanité absurde, non-seulement de se glorifier de savoir ce que savent seuls le Saint-Esprit et le Fils unique de Dieu, mais encore de prétendre arriver par le raisonnement à cette connaissance parfaite, quand saint Paul n'a pu en saisir qu'une partie, et encore par une révélation d'en haut; car je défie que l'on me montre un seul passage de l'Ecriture qui raisonne de ces choses. Mais laissons de côté la folie des impies, et voyons ce que l'apôtre dit encore de la charité. Il ne s'en est pas tenu là, il ajoute : « Maintenant restent la foi, l'espérance, la charité, mais, la charité l'emporte sur les deux autres vertus ».

3403 3. Car la foi et l'espérance cessent, quand sont arrivés les biens dans lesquels on a cru et qu'on a espérés. C'est ce que veut dire saint Paul par ces paroles: « L'espérance qu'on voit n'est point l'espérance ; pourquoi en effet espérer ce que déjà l'on voit». (Rm 8,24) Et en un autre endroit : « La foi est la substance des choses que l'on espère et la preuve des choses qui n'apparaissent point ». (He 11,1) C'est pourquoi la foi et l'espérance cesseront, quand ces biens nous seront apparus; mais la charité s'en accroîtras et deviendra plus forte. Autre éloge de la charité : elle ne se contente point des biens qu'elle a ; elle s'efforce toujours d'en trouver de nouveaux.

Faites-y attention : il a dit que la charité est le plus grand des dons, et la voie la meilleure pour les obtenir; il a dit que sans elle, ces dons ne nous servent pas beaucoup; il l'a décrite par des traits nombreux, il veut de nouveau l'exalter d'autre façon et montrer qu'elle est grande en ce qu'elle est stable. C'est pourquoi il a dit : « Ce qui nous resté, c'est la foi, l'espérance, la charité, ces trois vertus, mais la charité l'emporte sur les autres ». Comment donc l'emporte-t-elle?, en ce que les autres passent. Si donc telle est la force de la charité, il ajoute à bon droit : « Poursuivez la charité ». En effet il faut la poursuivre et s'empresser vivement vers elle, car elle est prompte à s'envoler, et grands sont les (530) obstacles qui nous arrêtent dans notre course vers elle. Il faut donc déployer une grande énergie pour la saisir; c'est ce que le bienheureux Paul voulait montrer, car il n'a pas dit: Suivez la charité, mais « poursuivez la charité », nous excitant ainsi et nous enflammant du désir de l'atteindre. Dieu, dès le commencement du monde, a employé des moyens innombrables pour la faire pénétrer dans nos âmes : car il a donné à tous les hommes un seul père, Adam. Pourquoi ne naissons-nous pas tous de la terre? Pourquoi ne naissons-nous pas déjà formés et développés, comme Adam? C'est afin que donnant le jour à nos enfants et les élevant, et que nés nous-mêmes d'autres, nous nous aimions les uns les autres. C'est pourquoi il n'a pas formé la femme de la terre. Comme il ne suffisait pas pour nous inculquer le respect qui mène à la concorde, d'être de la même substance, et qu'il- fallait encore avoir un auteur unique de notre race, il a voulu qu'il en fût ainsi. Séparés aujourd'hui par l'espace seul, nous nous considérons comme étrangers les uns aux autres; cela serait arrivé bien plus encore, si notre naissance avait eu deux principes. C'est pourquoi il n'a fait en quelque sorte du genre humain qu'un seul corps, qui n'a qu'une tête. Et, comme au commencement il paraissait y en avoir deux, voyez, comme il les a rassemblées et unies en une seule par le mariage. « A cause de cela » dit-il, « l'homme abandonnera son père et sa mère, et il s'attachera a sa femme et ils seront deux en une même chair ». (Gn 2,24)

Il n'a point dit: la femme, mais« l'homme», parce que c'est en lui que la concupiscence est la plus grande. Et Dieu l'a voulu ainsi afin de fléchir la supériorité de l'homme. par la tyrannie de cet amour, et de le soumettre à la faiblesse de la femme. Comme il fallait établir le mariage, il a donné à l'homme une femme sortie de lui ; car Dieu a tout fait en vue de la charité. Si en effet, les choses étant ainsi, le démon a pu les égarer et semer entre eux l'envie et la discorde, que n'aurait-il pu, s'ils n'avaient pas été sortis d'une même souche? Il a voulu ensuite que la soumission fût d'un côté, et le commandement de l'autre, car l'égalité des honneurs a coutume d'engendrer les disputes; il n'a donc pas établi un gouvernement populaire, mais la royauté, et dans chaque maison vous pouvez observer le même ordre que dans une armée. Le mari a le rang d'un roi, et la femme d'un gouverneur ou d'un général d'armée; les fils ont le troisième rang, le quatrième est aux domestiques; ils commandent à ceux qui sont au-dessous d'eux, et un seul est souvent mis à la tête de tous les autres, et envers eux a le rang d'un maître, mais, en tout le reste; il est domestique. Après cela il y a encore des différences dans le commandement, suivant qu'il s'exerce sur les femmes ou sur les enfants, et envers les enfants, d'autres différences suivant l'âge et le sexe ; car la femme n'a point le même empire sur tous ses enfants. Et partout Dieu a créé de nombreux commandements, afin que la concorde et le bon ordre subsistassent toujours. C'est pourquoi, avant que le genre humain se fut multiplié, quand ils n'étaient encore que deux, il a donné à l'un le commandement, et imposé à l'autre l'obéissance. Pour que l'homme ne méprisât point la femme plus faible que fui, et que celle-ci ne s'éloignât pas de lui, voyez comment il l'a Honorée et unie à lui, même avant sa création; car il dit « Faisons-lui une compagne » (Gn 2,18), montrant ainsi qu'elle a été créée pour être utile à l'homme, et lui conciliant l'affection de l'homme, par cette raison qu'elle lui est utile; car nous aimons d'une affection plus vive ce qui a été fait à cause de nous. D'un autre côté, pour que la femme ne s'enorgueillît d'être pour lui une compagne nécessaire, et ne brisât ce lien, il l'a tirée d'une côte de l'homme, montrant qu'elle n'est qu'une partie de tout le corps. Pour que l'homme aussi ne S'enorgueillît point, Dieu n'a point permis qu'elle fût à lui tout seul, comme elle fut d'abord; il a fait le contraire, en lui faisant procréer des enfants; ainsi s'il a donné la supériorité à l'homme, il ne lui a point donné tous les avantages.

3404 4. Avez-vous vu que de liens d'amour Dieu a faits pour nous? Mais tous ces gages de concorde reposent sur la nature, et sur ce que nous sommes de la même substance; (en effet, tout être animé aime ce qui est semblable à lui;) et sur ce que la femme est née de l'homme, et les enfants de tous les deux. De là naissent mille affections diverses: il y a l'affection pour un père, pour un aïeul, pour une mère, pour une nourrice; il y a l'affection pour un fils, un petit-fils, un arrière petit-fils, pour une fille et pour une nièce; nous aimons celui-ci comme notre frère, celui-là comme (531) notre oncle ; celle-ci comme une soeur, celle-là comme une cousine. Et qu'est-il besoin d'énumérer tous les degrés de parenté? Dieu a encore imaginé une autre source d'affection: en défendant les mariages entre proches, il nous conduit vers les étrangers, et attire ceux-ci vers nous. Comme ils ne peuvent nous être unis par les liens de la nature, il les unit à nous par le mariage, alliant des maisons entières par une seule fiancée, et mêlant les familles aux familles : « N'épouse point », dit-il, « ta soeur, ni la soeur de ton père, ni une autre jeune fille qui ait avec toi une pareille parenté » (Lv 18,8-10) ; et il énumère tous les degrés de parenté qui empêchent le mariage. Il suffit, pour être attiré vers quelqu'un, d'être né du même sang, et d'être uni par les différents liens de parenté. Pourquoi resserrer en des bornes étroites les vastes désirs de la charité ? Pourquoi trouver dans la parenté seule une cause d'amitié, quand on peut faire naître une occasion nouvelle d'amitié en épousant une femme étrangère, et en gagnant par elle une série de parents, une mère, un père, des frères et leurs parents ? Voyez-vous de combien de manières Dieu nous a unis les uns aux autres ? Cependant il ne s'en est pas tenu là ; il a voulu encore que nous eussions besoin les uns des autres, pour nous unir de cette façon, car la nécessité crée des affections. Aussi n'a-t-il pas voulu qu'il y eût en tous les pays toutes les productions, pour nous forcer ainsi à nous mêler les uns aux autres.

Après avoir voulu que nous eussions besoin les uns des autres, il a rendu les communications faciles; en effet, s'il n'en était pas ainsi, de, nouvelles difficultés et de nouveaux obstacles naîtraient de là. Si, quand on 'a besoin d'un médecin, d'un forgeron ou d'un autre artisan, il fallait le chercher au loin, on périrait à coup sûr. C'est pourquoi Dieu a fait les villes, et les a unies les unes aux autres. Pour nous permettre de visiter facilement ceux. qui sont loin de nous, il a étendu la mer entre les peuples, et leur a donné la vitesse des vents, et a rendu ainsi les voyages faciles. Au commencement même, il a réuni tous les hommes en un seul lieu, et ne les a dispersés que quand ceux qui furent combles (le cette faveur s'entendirent pour le mal; mais de tous côtés il nous a unis, et par la nature, et par la parenté, et par la langue, et par la communauté de séjour. Et de même qu'il ne voulait point nous chasser du paradis, (car, s'il l'avait voulu, il n'y aurait point du tout placé l'homme après sa création, mais ce fut l'homme qui, par sa désobéissance, fut cause de cet exil) ; de même ne voulait-il pas qu'il y eût diversité de langues; il n'y en avait point au commencement, et aujourd'hui, par toute la terre, toutes les lèvres prononceraient les mêmes paroles. C'est pourquoi aussi, quand il fallut détruire la terre, il ne nous fit point d'une matière nouvelle, et il ne rejeta point le juste, et il envoya au milieu des flots le bienheureux Noé, pour être comme l'étincelle qui devait ranimer le genre humain. Au commencement, il n'avait établi qu'une seule domination, celle du mari sur la femme; mais quand le genre humain fut tombé en toute espèce de désordres, il établit encore d'autres dominations, celle des rois et des magistrats, et cela par charité.

Comme la malice dissout et détruit notre race; il a établi, comme des médecins au milieu des villes, polar prononcer des jugements et pour bannir cette malice qui est le fléau de la charité, et pour ne former de la cité entière qu'un seul corps. Pour établir cette concorde, non-seulement dans les villes, mais dans chaque maison, après avoir revêtu le mari du commandement et lui avoir donné le premier rang, après avoir armé la femme de la concupiscence, et placé entre eux la procréation des enfants comme un don, il imagine encore d'autres moyens de consolider entre eux l'affection. Il ne donna point tout à l'homme, ni tout à la femme ; il partagea les dons entre eux, assignant à la femme la maison, et à l'homme la place publique; il imposa à l'homme la charge de nourrir la maison, car c'est lui qui cultive la terre, et à la femme la charge de la vêtir, car tisser et tenir la quenouille appartient à la femme. C'est Dieu même qui a donné à la femme le talent de filer. Malheur à la cupidité qui veut supprimer cette distinction ! Car la mollesse de beaucoup d'hommes les a conduits à filer, et leur a mis clans les mains la navette, la chaîne et la trame. Mais là même apparaît la sagesse avec laquelle Dieu a dispensé ses dons ; car nous avons besoin de la femme pour des ouvrages tout à fait nécessaires, et nous avons besoin de plus petits que nous pour les choses mêmes d'où dépend la vie; et l'on aurait beau posséder toutes les (532) richesses, on ne pourrait se soustraire à cette nécessité qui nous fait dépendre de ceux qui sont au-dessous de nous. En effet, ce ne sont pas seulement les pauvres qui ont besoin des riches, ce sont encore les riches qui ont besoin des pauvres, et plus même que ceux-ci n'ont besoin d'eux.

3405 5. Pour rendre cette vérité plus claire, imaginons, si vous voulez, deux villes, l'une de riches, et l'autre de pauvres, et dans la ville des riches il n'y aurait point de pauvres, et dans la ville des pauvres il n'y aurait point de riches, car nous y faisons un triage parfait; voyons maintenant quelle est celle qui pourra se suffire. Si nous trouvons que c'est la ville des pauvres, il sera prouvé que les riches ont plutôt besoin d'eux. Dans la ville des riches, il n'y aura point d'artisans, ni architecte, ni forgeron, ni cordonnier, ni boulanger, ni laboureur, ni chaudronnier, ni cordier, ni quelqu'artisan que ce soit. Qui donc des riches voudra travailler à ces métiers, puisque les artisans mêmes, devenus riches, ne veulent plus supporter ces durs travaux? Comment donc cette ville pourra-t-elle subsister? On me dira que les riches achèteront tout des pauvres à prix d'argent. Ainsi déjà ils ne pourront se suffire à eux-mêmes, s'ils ont besoin des pauvres. Et qui donc construira les maisons ? Les achètera-t-on aussi ? Mais cela ne se peut. Il faudra donc appeler des artisans, et enfreindre la loi que nous avons établie au commencement, alors que nous avons fourni la ville d'habitants : vous vous souvenez, en effet, que nous avons dit qu'elle ne renfermerait point de pauvres. Et voici que la nécessité même, contre notre gré, y appellera et y introduira les pauvres. D'où il appert qu'une ville sans pauvres ne peut subsister; et que si une cité demeure en effet sans en recevoir, ce ne sera bientôt plus une cité, car elle périra. Ainsi aucune ville ne pourra se suffire, si elle n'a appelé dans son sein des pauvres pour la conserver.

Voyons d'un autre côté la ville des pauvres, et si pareillement elle se consumera dans le besoin par l'absence des- riches. Et d'abord établissons et définissons clairement les richesses. Quelles sont les richesses? l'or, l'argent, les pierres précieuses, les vêtements de soie, de pourpre et d'or. Maintenant que nous savons quelles sont les richesses, bannissons-les de la ville des pauvres, si nous voulons établir une vraie cité des pauvres; que l'or ni les vêtements que j'ai nommés n'apparaissent aux habitants, même en songe; ajoutez, si vous voulez, l'argent et les ustensiles d'argent. Eh bien ! dites-moi si à cause de cela la ville sera dans le besoin. Nullement: s'il faut bâtir, on n'a besoin ni d'or, ni d'argent, ni de perles, mais du travail des mains, et non pas de mains quelconques, mais de mains calleuses et de doigts endurcis, de bras forts, de poutres, de pierres ; s'il faut tisser des vêtements, on n'a point besoin d'or ni d'argent, mais de mains, de l'industrie et du travail des femmes. S'il faut cultiver et piocher la terre, a-t-on besoin de riches ou de pauvres? Evidemment de pauvres. Et s'il faut travailler le fer ou quelqu'autre métal, c'est alors surtout que nous aurons besoin du peuple. Quand donc aurons-nous besoin des riches, sinon quand il faudra détruire cette ville? Car, lorsque les riches une fois entrés, le désir de l'or et des perles se sera emparé de ces sages (car j'appelle sages ceux qui ne cherchent point le superflu), quand ils se seront adonnés à l'oisiveté et à la volupté, tout sera perdu. Mais si les richesses, direz-vous, ne sont pas utiles, pourquoi Dieu nous les a-t-il données? Et où prenez-vous que c'est Dieu qui nous a donné les richesses? L'Ecriture dit : « L'argent est à moi, et l'or est à moi » (
Ag 2,8), et je les donnerai à qui je voudrai.

Si je voulais me rendre coupable d'inconvenance, je rirais ici à gorge déployée, pour me moquer de ceux qui parlent ainsi, car ils sont semblables à de petits enfants qui, admis à la table d'un roi, avaleraient, en même temps que les mets royaux, tout ce qui leur tomberait sous la main. C'est ainsi qu'ils mêlent leur pensée à celles des saintes Ecritures. Ces paroles : «L'argent est à moi et l'or est à moi », ont été dites, je le sais, par le prophète, mais celles-ci : Je le donnerai à qui je voudrai, ne se trouvent point chez lui, elles y ont été introduites par ces gens misérables. Voici pourquoi le prophète Aggée parle ainsi. Comme il avait promis souvent aux Juifs, après le retour de Babylone, de leur montrer un temple aussi beau que l'ancien, quelques-uns n'ajoutaient pas foi à ses paroles, et ils pensaient que c'était une chose presque impossible que le temple, après avoir été réduit en cendres et en poudre, apparût dans son ancienne splendeur, et lui, pour dissiper leur incrédulité, parle au (533) nom de Dieu, et c'est comme s'il disait : Que craignez-vous? Pourquoi n'avez-vous pas foi? « L'argent est à moi et l'or est à moi », et je n'ai point besoin, pour construire mon temple, de l'argent emprunté avec usure. Et il ajoute : « La gloire de cette maison sera au-dessus de la gloire de la première ». (Ag 2,10) N'allez donc pas mêler des toiles d'araignées à un vêtement royal. Car si l'on surprenait quelqu'un occupé à mêler à la pourpre un tissu grossier, on le punirait du dernier châtiment ; et, à plus forte raison, quand il s'agit du spirituel, car ce n'est point là une faute légère. Et que dire des additions et des soustractions? Le changement d'un point et une leçon différente, donnent souvent lieu à des sens absurdes.

3406 6. D'où viennent donc les riches? Direz-vous. C'est qu'il est dit en effet: « Les richesses et la pauvreté viennent du Seigneur ». (Qo 2,14) Nous demanderons à ceux qui nous adressent cette objection : est-ce que, toute richesse et toute pauvreté viennent du Seigneur? Qui pourrait le prétendre? Nous voyons que c'est par les rapines, les tombeaux ouverts, et les duperies et les autres méfaits de ce genre qu'on se procure souvent les richesses, et que ceux qui les possèdent ne méritent pas même de vivre. Répondez-moi; direz-vous que ces richesses viennent de Dieu ? Loin de là; mais d'où viennent-elles? Du péché. Car la courtisane qui livre au déshonneur sa personne, s'enrichit; et le bel adolescent qui vend sa beauté, possède de l'or au prix de la honte ; et celui qui ouvre les tombeaux et les pille, amasse des richesses iniques, et de même le voleur qui perce les murs. Est-ce donc du Seigneur que viennent toutes les richesses? Mais, direz-vous, que répondrons-nous à cette parole de l'Ecriture?Apprenez d'abord que la pauvreté même ne vient pas de Dieu, et ensuite nous y viendrons. En effet, quand le jeune homme prodigue dépense sa fortune avec les courtisanes, les magiciens, ou se ruine par d'autres passions, et qu'il devient pauvre, n'est-il pas clair que ce n'est pas Dieu qui l'a rendu ainsi, mais sa propre prodigalité ? D'un autre côté, si l'on tombe dans la pauvreté par paresse ou par folie, ou parce qu'on s'est laissé aller à des entreprises dangereuses et iniques, n'est-il pas manifeste que, dans aucun de ces cas, ce n'est point Dieu qui vous a jeté dans la pauvreté. L'Ecriture ment donc? Loin de là, mais c'est folie de ne pas examiner ses paroles avec tout le soin qu'elles méritent. Car si nous confessons que l'Ecriture ne peut mentir, et si nous avons prouvé que toutes les richesses ne viennent pas de Dieu, la difficulté vient de la faiblesse d'esprit de ceux qui lisent sans réflexion. Et il faudrait les renvoyer, après avoir ainsi justifié l'Ecriture de leurs accusations, et les punir de la négligence avec laquelle ils lisent les Ecritures. Mais je leur pardonne, et pour ne pas les laisser plus longtemps dans le trouble, je veux leur indiquer la solution, en rappelant d'abord quel est l'auteur de ces paroles, en quel temps et à qui il les a dites.

Dieu, en effet, ne parle pas semblablement à tous; de même que nous ne parlons point de la même façon aux enfants et aux hommes. Quand donc ces paroles ont été prononcées, et par qui, et à qui? Par Salomon, dans l'Ancien Testament, et elles furent adressées aux Juifs qui ne connaissaient que les choses sensibles, et qui estimaient par là la puissance de Dieu. Ce sont ceux qui disaient : « Pourra-t-il nous donner du pain ? » (Ps 78,20) et : « Quel prodige nous montres-tu? (Mt 12,38) Nos « pères ont mangé la manne dans te désert. « (Jn 6,31) Ceux dont le ventre est le Dieu». (Ph 13,19) Comme c'est ainsi qu'ils concevaient Dieu, il leur dit : Dieu peut aussi faire des riches et des pauvres; non pas qu'il le fasse toujours, mais il le peut, quand il lui plaît; ainsi a-t-il dit « Celui qui menace la mer, et la dessèche, et change en déserts tous les fleuves » (Na 1,4), quoiqu'il ne l'ait jamais fait. Comment donc le prophète entend-il cette parole? Il ne veut pas dire que Dieu le fasse toujours, mais qu'il peut le faire. Quelles sont donc la pauvreté et les richesses qu'il donne? Souvenez-vous du patriarche, et vous saunez les richesses que Dieu donne. C'est Dieu lui-même qui a donné ses richesses à Abraham, et plus tard à Job, qui dit : « Si nous avons reçu les biens du Seigneur, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu'il nous envoie? » (Jb 2,10) C'est là aussi la source des richesses de Jacob. La pauvreté qui vient de Dieu est aussi louable; c'est celle qu'il enseigne aux riches, disant : Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes, donne tout aux pauvres, et viens, (534) suis-moi (Mt 19,21), et la recommandant en un autre endroit à ses disciples, et disant « Refusez-vous à posséder de l'or, de l'argent ou deux tuniques ». (Lc 9,3) Ne dites donc pas que c'est Dieu qui donne toutes les richesses, car nous avons montré que c'est par le meurtre, les rapines et mille autres méfaits qu'on les amasse.

Mais ramenons le discours à notre première question : si les richesses ne sont utiles à rien, pourquoi sont-elles créées? Que répondrons-nous? Que les richesses ainsi amassées ne sont pas utiles, et que celles qui viennent de Dieu sont très-utiles. C'est ce que vous pouvez apprendre par les actions mêmes des riches. Car Abraham. possédait ses richesses pour les étrangers et tous les nécessiteux. Quand arrivèrent chez lui trois hommes, ainsi qu'il croyait, il tua un veau et pétrit trois mesures de farine; toujours assis à sa porte à l'heure de midi; voyez sa libéralité toujours empressée à dépenser ses biens pour tous; voyez-le payant de sa personne, ainsi que de ses richesses, et encore dans une vieillesse avancée. Il était le port des étrangers et de ceux qui étaient dans la nécessité, ne possédant rien qui lui fût propre, pas même son fils, car il le sacrifiait sur l'ordre de Dieu, et avec son fils il se donnait lui-même, et toute sa maison, quand il fut si prompt à délivrer son neveu. Et il ne le faisait point par amour du gain, mais par humanité. Quand ceux qu'il avait délivrés le mirent en possession des dépouilles, il refusa tout, jusqu'au fil d'une robe, et jusqu'au cordon d'une sandale.

3407 7. Tel était aussi le bienheureux Job, car il disait : « Ma porte était ouverte à tout venant. J'étais l'oeil des aveugles et le pied des boiteux ; j'étais le père des infirmes, aucun étranger ne demeurait à ma porte » (Jb 31,33Jb 29,15 Jb 29,16) ; les infirmes, quand ils s'adressaient à moi dans le besoin, n'étaient point trompés dans leur espoir, et je n'ai point permis qu'un pauvre sortit de ma maison l'estomac vide. Je ne puis tout énumérer, mais il faisait plus encore, distribuant son argent à tous les nécessiteux. Voulez-vous voir maintenant les riches que Dieu n'a point faits, et savoir comment ils ont usé de leurs richesses? Voyez celui de Lazare, qui ne lui donnait pas même les miettes de sa table; voyez Achab qui a enlevé au pauvre sa vigne ; voyez Giézi et tous ceux qui furent comme lui. Ceux qui possèdent les richesses à juste titre, parce qu'ils les ont reçues de, Dieu, les dépensent conformément à ses préceptes; ceux qui ont offensé Dieu en les acquérant, l'offensent encore en les dépensant; en les prodiguant à des courtisanes et à des parasites, en les cachant et en les enfouissant, et en n'en donnant rien aux pauvres. Et pourquoi, direz-vous, Dieu permet-il que de tels hommes soient riches? Parce qu'il est patient, parce qu'il veut nous amener à la pénitence, parce qu'il a préparé la géhenne, et fixé le jour où il jugera lé monde. S'il frappait tout de suite les riches, Zachée n'aurait pas eu le temps de se repentir, de rendre. le quadruple de ce qu'il avait ravi, d'ajouter même la moitié de ses biens. Matthieu n'aurait pas eu le temps de se convertir et de devenir apôtre,, s'il avait été enlevé avant l'heure favorable, et ainsi de beaucoup d'autres. C'est pourquoi Dieu attend, les appelant tous à la pénitence, s'ils s'y refusent, s'ils persistent dans leurs péchés, ils entendront Paul leur dire : « Qu'à cause de leur dureté et de leur coeur impénitent, ils amassent contré eux de la colère, au jour de là colère, de la révélation et du jugement équitable de Dieu ». (Rm 2,5). Evitons cette, colère, enrichissons-nous des richesses célestes, et poursuivons la pauvreté louable. C'est ainsi que nous atteindrons les biens célestes; puissions-nous les obtenir tous, par la faveur et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l'honneur, aujourd'hui et toujours, et jusqu'à la fin des siècles. Ainsi soit-il.


En cette fête de saint Jean Chrysostome une lecture stimulante par le P. de Forges

Écoutez 2019 - 05 - 09 DeForges Les richesses sont-elles dangereuses pour le salut ? de Podcast du College des Bernardins dans Podcasts. https://podcasts.apple.com/fr/podcast/podcast-du-college-des-bernardins/id1077794976?i=1000448706009

11 septembre 2019

Amour en toi - 43 - Saint Bernard de Clairvaux

Parmi les chemins spirituels, la voie la plus sûre est celle de la contemplation qui nous détache d'un enfermement sur nous mêmes et nous décentré vers le Christ. Alors nous passons au cœur, au Temple où seule la volonté de Dieu devient première.

Écoutons sur ce point saint Bernard de Clairvaux : « Fixons-nous solidement au rempart ; appuyons-nous de toutes nos forces sur le roc inébranlable qu'est le Christ, selon cette parole de l'Écriture : Il m'a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas. Ainsi établis et réconfortés, mettons-nous à contempler : nous verrons ce qu'il nous dit et ce que nous répondrons à qui nous fait reproche.

Le premier degré de la contemplation en effet, mes bien-aimés, c'est que sans cesse nous considérions ce que veut le Seigneur, ce qui lui plaît, ce qui lui est agréable. En beaucoup de choses nous l'offensons tous, notre manque de simplicité heurte la droiture de sa volonté, et cela nous empêche de nous unir, de nous attacher à lui. Humilions-nous donc sous la main puissante du Dieu très-haut et hâtons-nous d'exposer toute notre misère devant les yeux de sa miséricorde en disant : Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri, sauve-moi et je serai sauvé, et encore : Prends pitié de moi, Seigneur, guéris mon âme, car j'ai péché contre toi.

Lorsque l'œil du cœur est purifié par ce genre de pensées, nous ne vivons plus le cœur plein d'amertume mais dans les délices qui se trouvent en l'Esprit de Dieu. Déjà nous ne considérons plus quelle est la volonté de Dieu sur nous, mais quelle est cette volonté en elle-même. Car c'est dans sa volonté qu'est la vie, et absolument rien n'est plus utile et plus avantageux que de s'accorder à sa volonté. Et c'est pourquoi l'empressement que nous mettons à vouloir conserver notre vie, mettons-le aussi, dans la mesure du possible, à ne point dévier du chemin qui y mène.

Ensuite, lorsque nous aurons progressé quelque peu dans l'ascèse spirituelle en suivant comme guide l'Esprit Saint qui scrute les profondeurs mêmes de Dieu, représentons-nous combien le Seigneur est tendresse, combien il est bon en lui-même. Demandons avec le prophète de voir la volonté du Seigneur, demandons-lui de nous faire visiter non plus notre cœur mais son temple. Et avec lui nous dirons encore : Mon âme en moi s'est troublée, c'est pourquoi je me souviendrai de toi.

Ces deux choses résument le contenu de toute la vie spirituelle : au spectacle de nous-mêmes, nous sommes troublés et contrits pour notre salut, tandis que, dans la contemplation de Dieu, nous respirons et la joie du Saint-Esprit nous procure la consolation. D'une part, crainte et humilité ; d'autre part, espérance et charité. »

(1) Saint Bernard de Clairvaux, Sermon, source office des lectures du 11/9

Au fil de Luc 6, 12 - Silence et prière - Mère Térésa

« Jésus s'en alla dans la montagne pour prier, et il passa la nuit à prier Dieu » Lc 6, 12

« Les contemplatifs et les ascètes de tous les temps, de toutes les religions, ont toujours recherché Dieu dans le silence, la solitude des déserts, des forêts, des montagnes. Jésus lui-même a vécu quarante jours en parfaite solitude, passant de longues heures, cœur à cœur avec le Père, dans le silence de la nuit.
Nous-mêmes sommes appelés à nous retirer par intermittences dans un plus profond silence, dans l'isolement avec Dieu. Être seul avec lui, non pas avec nos livres, nos pensées, nos souvenirs, mais dans un parfait dénuement ; demeurer en sa présence ; silencieux, vide, immobile, dans l'attente.
Nous ne pouvons pas trouver Dieu dans le bruit, l'agitation. Vois la nature : les arbres, les fleurs, l'herbe des champs croissent en silence ; les étoiles, la lune, le soleil se meuvent en silence. L'essentiel n'est pas ce que nous pouvons dire, mais ce que Dieu nous dit, et ce qu'il dit à d'autres à travers nous. Dans le silence, il nous écoute ; dans le silence, il parle à nos âmes. Dans le silence, il nous est donné le privilège d'entendre sa voix :
Silence de nos yeux.
Silence de nos oreilles.
Silence de notre bouche.
Silence de notre esprit.
Dans le silence du cœur,
Dieu parlera »



Sainte Teresa de Calcutta (1910-1997)
fondatrice des Sœurs Missionnaires de la Charité
No Greater Love (Il n'y a pas de plus grand amour, trad. J.F. Colosimo ; Lattès 1997, p. 24) , source : l'Évangile au Quotidien

09 septembre 2019

Au fil de Luc 14 - où est ton trésor ? - Jean Cassien

Un corrigé à mon homélie d'hier ?

Offrir à Dieu notre vrai trésor
Plusieurs, qui pour suivre le Christ avaient méprisé des fortunes considérables, sommes énormes d'or et d'argent et domaines magnifiques, par la suite se sont laissés émouvoir pour un grattoir, pour un poinçon, pour une aiguille, pour un roseau à écrire. (...) Après avoir distribué toutes leurs richesses pour l'amour du Christ, ils retiennent leur ancienne passion et la mettent à des futilités, prompts à la colère pour les défendre. N'ayant pas la charité dont parle saint Paul, leur vie est frappée de stérilité. Le bienheureux apôtre prévoyait ce malheur : « Quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres et livrerais mon corps aux flammes, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien », disait-il (1Co 13,3). Preuve évidente que l'on ne touche pas tout d'un coup à la perfection par le seul renoncement à toute richesse et le mépris des honneurs, si l'on n'y joint pas cette charité dont l'apôtre décrit les divers aspects.
Or elle n'est que dans la pureté du cœur. Car rejeter l'envie, l'enflure, la colère et la frivolité, ne pas chercher son propre intérêt, ne pas prendre plaisir à l'injustice, ne pas tenir compte du mal, et le reste (1Co 13,4-5) : qu'est-ce d'autre que d'offrir continuellement à Dieu un cœur parfait et très pur, et le garder indemne de tout mouvement de passion ? La pureté de cœur sera donc le terme unique de nos actions et de nos désirs.

Saint Jean Cassien (v. 360-435) fondateur de monastère à Marseille, Conférences, I, 6-7, (trad. SC 42, p. 83-85), source : l'Évangile au Quotidien

07 septembre 2019

Au fil de Luc 14, 25-33, Homélie du 23ème dimanche du Temps Ordinaire

Notes pour une homélie donnée à Notre Dame des Puits
Où est notre priorité ?
Les textes d’aujourd’hui nous conduisent très loin, sur une haute montagne qui semble impossible à gravir.
Sagesse 9 insiste sur notre corps de chair qui nous retient vers les choses matérielles. Dans l’Epître Paul demande à Philémon de passer au dessus des liens d’esclavage qui le relie à Onésime.
Dans l’Evangile Jésus nous demande de renoncer aux liens familiaux...

Ces textes demandent beaucoup. Ils nous introduisent à une double contemplation et un double déplacement. ils s’inscrivent dans la ligne de l’Evangile de dimanche dernier qui nous parlait d’abaissement. (Luc 14, 7sq).

Mais Luc va plus loin. Car entre le texte d’aujourd’hui et celui de dimanche dernier, il y a une forme d’exigence. Luc nous parle entre les deux d’un banquet où les invités habituels ne viennent pas, insistant aussi sur ceux qui n’ont pas l’apparence mais le cœur. 

« Jésus lui dit : « Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde. À l'heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : "Venez, tout est prêt." Mais ils se mirent tous, unanimement, à s'excuser. (...) pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur : "Dépêche-toi d'aller sur les places et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici." (...) Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner." » (Lc 14, 16_24)
Je vous invite ce soir à relire l'ensemble du chapitre pour entrer dans sa dynamique propre.
Quel est finalement l'enjeu ?
La clé finale est donnée aujourd'hui.
L'enjeu est triple.
  1. Renoncer à ce corps périssable qui nous retient 
  2. Nous laisser pénétrer par la Sagesse et l’Esprit Saint
  3. et fort de cela mettre l'amour en premier...
Quand je parle d'amour il s'agit pas uniquement de cet amour d'échange que nous avons tendance à privilégier : « je te donne parce que tu me donnes ». Il s'agit d'un autre amour, de l’amour qui ne cherche pas son intérêt (cf. 1Cor 13). Du véritable amour qui n'est pas celui que l'on porte à ceux qui nous rendent leur affection mais d'un amour qui s'efface. Un amour qui est don....

Sommes-nous prêts à cela ?
La barre est haute... Elle est très haute pour tous. Car aimer Dieu plus que son père et sa mère, sa femme ou ses enfants c'est entrer dans le don total, dont le Christ est le seul exemple parfait.
La tension est importante.
L'important est de se mettre en marche... de ne pas rester statique.
On peut courir même, comme le suggère Paul (Ph 3)

Cela peut conduire néanmoins à un conflit intérieur.
Cela peut engendrer de la culpabilité...
Deux remarques à ce stade.
  1. La culpabilité est souvent le jeu du malin qui veut nous empêcher d'agir...
  2. Luc nous invite à discerner... Ni se précipiter, ni fuir...
Discerner... c'est le deuxième message de l'Evangile...
Ne pas en faire trop.. avancer à la mesure de nos forces....
Entrer dans la danse de l'amour
Faire le premier pas qui nous conduit au deuxième. Quand on aime vraiment, on ne compte plus ses pas... L'important est d'avancer.

Luc ne s'arrête pas là. Tout en plaçant bien haut l'appel, il se prépare à nous parler de miséricorde...
Alors pour ne pas perdre sa perpective. Au lieu de lire seulement le chapitre 14, lisez aussi le  chapitre 15... Non pas dans une lecture superficielle mais dans cette attention que nous demande Jésus : « commence par t’assoir ». S’il le répète deux fois, c’est que notre discernement est en jeu...

06 septembre 2019

Au fil du cantique des Cantiques 3 - Création 6, amour et quête - Saint…

La première contemplation à laquelle nous sommes invités à la suite de cette belle prière du P. Ollier (cf. Infra) est peut-être celle de cette précèdance de Dieu dans l'amour. Il se soucie de nous avant que nous pensions à lui. Écoutons saint Bernard sur ce thème : « Que l'âme s'en souvienne : c'est l'Époux qui, le premier, l'a cherchée et, le premier, l'a aimée ; telle est la source de sa propre recherche et de son propre amour. « J'ai cherché, dit l'Épouse [du Cantique des Cantiques], celui que mon cœur aime » (3,1). Oui, c'est bien à cette recherche que t'invite la tendresse prévenante de celui qui, le premier, t'a cherchée et aimée. Tu ne le chercherais pas, s'il ne t'avait d'abord cherchée ; tu ne l'aimerais pas, s'il ne t'avait d'abord aimée.
Ce n'est pas une seule bénédiction de l'Époux qui t'a prévenue, mais deux : il t'a aimée, il t'a cherchée. L'amour est la cause de sa recherche ; sa recherche est le fruit de son amour, c'en est aussi le gage assuré. Tu es aimée de lui, en sorte que tu ne peux pas le soupçonner de te chercher pour te punir. Tu es cherchée par lui, en sorte que tu ne peux pas te plaindre de ne pas être aimée réellement. Cette double expérience de sa tendresse t'a remplie d'audace : elle a chassé toute honte, elle t'a persuadée de revenir à lui, elle a soulevé ton élan. De là cette ferveur, de là cette ardeur à « chercher celui que ton cœur aime », car évidemment tu n'aurais pas pu le chercher, s'il ne t'avait d'abord cherchée ; et maintenant qu'il te cherche, tu ne peux pas ne plus le chercher. » (1)

(1) Saint Bernard, Sermons sur le Cantique des Cantiques, n°84 (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, Médiaspaul 1988, t. 6, p.158)

05 septembre 2019

Création et prière - 5 - Jean-Jacques Olier de Verneuil


« Je Vous adore, ô mon Dieu, en toutes Vos beautés et perfections. J'adore Votre splendeur et Votre majesté, plus belles mille fois que le soleil. J'adore Votre fécondité, mille fois plus admirable que celle qui paraît dans les astres. J'adore Votre vie, infiniment plus agréable que celle qui paraît dans les fleurs. J'adore Votre activité, infiniment plus agissante que celle qui paraît dans le feu. J'adore Votre stabilité, infiniment plus arrêtée et plus solide que celle de la terre. J'adore Votre subtilité, infiniment plus délicate que celle qui paraît dans l'air. J'adore Votre douceur et Votre calme, mille fois plus paisibles que ceux de nos fleuves. J'adore Votre étendue, mille fois plus vaste et immense que celle de l'océan. J'adore Votre hauteur, un million de fois plus sublime que les montagnes que je vois. Mon Dieu, dans Vos ouvrages, rien n'est comparable à Vous !... Amen. »

(1) Jean-Jacques Olier de Verneuil, Prière

Au fil de Jean 2, 13-25 - Le Corps et le Temple - Origène

« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai ». (Jn 2).

Écoutons Origène sur ce thème : « Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et moi trois jours je le relèverai.
(...) Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».

Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.

Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.

De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »

Cette interprétation est plein d'espérance. Il faut probablement la mettre en résonance avec ce que nous dit Paul : « «Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit, cet Esprit qui est en vous et que Dieu vous a donné? Vous ne vous appartenez pas » 1 Corinthiens‬ ‭6:19‬

A méditer

(1) Origène, Commentaires sur l'Evangile de Jean, source office des lectures du 4/9, AELF



01 septembre 2019

Homélie de mariage n.9 - Cantique 2 et Genèse…

Notes pour un mariage célébré le 31/8

A - Texte d'accueil
Bonjour,
Nous sommes ici réunis dans un écrin particulier, cette belle église de S., que je découvre avec beaucoup d'entre vous.
Nous sommes venus pour contempler un mystère, qui éclaire le monde depuis qu'il est notre monde.
Nous sommes venus pour célébrer l'amour d'un homme et d'une femme, prêt à s'unir pour l'éternité... Il y a d'autres amours, d'autres façon d'aimer, à commencer par l'amour d'une mère pour son enfant... Mais aujourd'hui, c'est de mariage que nous allons parler. Et ce mariage a quelque chose à dire sur l'amour en général.
Par vos textes choisis aujourd'hui, V et J. vous allez nous transporter plus de 2500 ans en arrière, dans ce qu'on appelle les textes « sapientaux » (les textes de sagesse) où le peuple hébreu, à son retour d'exil, nous donne une lecture non pas historique de la création et du monde, mais une lecture spirituelle, c'est-à-dire une forme de mythe idéal. Un mythe ?
Plus qu'un mythe... Une direction... Une prophétie... disait Irénée, un Père de l'Église au 2ème siècle. Les deux lectures (le cantique des cantiques et le deuxième chapitre de la Genèse évoqués dans l'évangile de Marc (9) sont écrits environ 500 ans avant JC. Ils nous conduisent à méditer ce que nous cherchons tous...
Aimer... Aimer jusqu'au bout... Aimer plus que tout...
Alors entrons dans cette célébration dans le silence.
Au début du chapitre 2 de la Genèse, évoqué dans l'évangile, l'homme découvre la femme et pousse un cri. En Hébreu, le mot est waouh..
Aujourd'hui, V. tu es en droit de dire Whaoouu... Et moi, jeune diacre, marié depuis 33 ans bientôt, je m'agenouille devant ton cri intérieur, comme beaucoup d'entre nous, parce que ce cri du cœur est une interpellation à aimer jusqu'au bout. C'est aussi une invitation à louer Celui qui est à l'origine de tout cela... Celui qui ne figure pas dans votre liste d'invités, mais qui est là à vos côtés. Entrons dans le silence...

B- Homélie
Comme je l'évoquais dans mon mot d'accueil je m'agenouille devant le mystère de votre rencontre, devant ce qui s'annonce, quelque chose de grand, d'immense.,.
votre couple s'est forgé dans un métal précieux. Tu le disais toi-même Valentin, vous avez construit un trésor d'une grande qualité, comme un diamant qui se prépare à l'éternité.

Que dire face à cela ?
Trois mots peut-être : courir quitter et chair
Et Deux lettres J V... comme les premières lettres de vos prénoms...
trois mots et deux lettres qu'on trouve dans les deux lectures pas forcément dans le bon ordre.

I - courir

Je vous souhaite de tout mon cœur de continuer dans cette lancée, d'entrer dans cette course infinie où l'un et l'autre allez pouvoir être le meilleur de vous-même et le meilleur à deux, pour porter au monde ce qui vous habite, pour entrer dans une fécondité toute particulière.

Ii- 3 verbes

Votre mariage est le début ou plutôt la poursuite d'une grande saga. Comme je l'évoquais, plusieurs séries de verbes évoquent pour moi ces directions que vous aller prendre.

III - Quitter

Quitter ses parents, me semble déjà bien entamé pour vous. Mais ce concept est central dans la Bible. On le retrouve au delà du deuxième chapitre de la Genèse, notamment dans l'orde donné à Abraham par Dieu. « va quitte ton pays, [tes certitudes] »... Pour illustrer cela je vous donne un petit exemple. Quand j'ai épousé Daniele elle buvait du chocolat et.moi du thé. Quelques années plus tard, c'était l'inverse...L'exemple est très matériel par rapport à l'enjeu.
Quitter c'est s'ouvrir à l'autre...
Quitter un éventuel repli sur soi, une tour solitaire, descendre de votre tour, vous disais-je déjà il y a six mois, écouter, attendre. C'est le chemin d'une vie... je reviendrai là dessus....


IV - Faire silence

Le deuxième point fortement lié au premier est de faire silence, entendre la musique de l'autre, des autres, de Dieu...?

V - Une seule chair

Le troisième stade serait de danser, faire une seule chair...
Le mot hébreu est plus vaste que ce que l'on ne l'entend dans la langue française : il signifie pour moi symphonie. Chacun de vos talents doit s'harmoniser pour entrer dans la danse. Et je ne parle pas seulement de vos corps mais de votre être.

La rencontre, la danse des corps est importante car elle est source de joie.

Le pape Jean Paul II en parlant de la rencontre des corps évoquait le mot de liturgie, c'est à dire que dans vos rencontres les plus intimes se joue un deuxième niveau, immense, une joie contagieuse et qui vous dépasse...

Pourquoi ?

Parce que Dieu est là, au milieu de votre danse la plus intime, en vous donnant l'un à l'autre, il est le grand donateur qui s'efface dans votre joie. Ce don est immense et en même temps respectueux de votre liberté. il est au cœur de votre amour, non pour l'enfermer mais pour le dilater, le rendre fécond.

Faire une seule chair est plus grand encore.

Vous m'avez dit que vous n'excluiez pas d'avoir des enfants. La chair de votre chair... Je m'en réjouis et je serai là si vous voulez les baptiser ;-)

Mais l'enjeu de faire une seule chair est plus vaste.

Faire une seule chair, c'est donner naissance à la joie, à la vie, être semence de vie, d'éternité, rayonner de votre amour, devenir signe, joie contagieuse pour vos enfants présents et à venir. Joie aussi pour le monde. Communion généreuse qui se nourrit de vos rencontres les plus intimes et les transcendent...

VI - Courir 2.O

J'en reviens au verbe courir. Le bien aimé courre vers l'objet de son désir (Cantique 2) mais l'enjeu est plus large : monter... grimper, courir, c'est à dire s'inscrire dans une course vers l'amour, entrer dans une dynamique qui dépasse largement l'aujourd'hui de votre mariage car c'est l'enjeu de votre vie. Se laisser saisir par l'amour (cf. Philippiens 3), embraser votre entourage de votre joie... Que votre union devienne feu, buisson ardent, lumière pour le monde, c'est à dire signe...

Julie, tu l'exprimais à ta manière, votre fécondité sera quelque chose de plus large que la seule fécondité charnelle, que les enfants que vous attendez, parce que l'amour qui vous habite vaut la peine d'être vécue, parce que l'amour est plus fort que la mort parce que l'amour qui vous vient de Dieu et qui vous portera peut-être à Dieu est le coeur, l'essence même de votre union.

Valentin, tout cela s'inscrit entre liberté et don... Il y'a une articulation à découvrir entre la joie de recevoir et la prise de conscience que ce don vient d'un donateur qui s'efface....

Dans votre course vous serez signe efficace, c'est-à-dire « sacrement » d'un amour plus grand...

VI - le « V » et le « J »

Ce mouvement s'inscrit dans un V...
Descendre de sa tour, quitter ses certitudes pour remonter à deux, en communion...

Ce mouvement en théologie s'appelle la kénose. Il s'est dessiné en « J », Jésus, le Christ...
« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement
le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'est anéanti, (en grec ekenosen) prenant la condition de serviteur. Devenu semblable aux hommes, reconnu homme à son aspect, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix.
C'est pourquoi Dieu l'a exalté : il l'a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (lettre de saint Paul aux Philippiens 2, 7-10)

Le Christ Jésus est votre chemin. Il sera là à vos côtés. Il vous donnera la force (les chrétiens appellent cela la grâce) d'avancer, si vous l'invitez à demeurer chez vous. Car le mariage est aussi parfois une épreuve, « impossible à l'homme, mais possible avec Dieu » (cf. Mat 19), source de tout amour et chemin d'un amour qui va jusqu'au bout...

(1) cf. Cantique des cantiques, mais aussi un thème repris par Grégoire de Nysse dans la vie de Moise et mon livre éponyme
(2) sur ce point voir mes travaux sur la dynamique sacramentelle


31 août 2019

Mariage et création - 4 - Acceuil d'un mariage


Texte d'accueil pour un mariage - Projet

Bonjour,
Nous sommes ici réunis dans un écrin particulier, cette belle église de XXX, que je découvre avec beaucoup d'entre vous.
Nous sommes venus pour contempler un mystère, qui éclaire le monde depuis qu'il est notre monde.
Nous sommes venus pour célébrer le monde dans ce qu'il a de plus iconique, l'amour d'un homme et d'une femme, prêt à s'unir pour l'éternité... Il y a d'autres amours, d'autres façon d'aimer, à commencer par l'amour d'une mère pour son enfant... Mais aujourd'hui, c'est de mariage que nous allons parler. Et ce mariage a quelque chose à dire sur l'amour en général.
Par vos textes choisis aujourd'hui, X et Y vous allez nous transporter plus de 2500 ans en arrière, dans ce qu'on appelle les textes « sapientaux » (les textes de sagesse) où le peuple hébreu, à son retour d'exil, nous donne une lecture non pas historique de la création et du monde, mais une lecture spirituelle, c'est-à-dire une forme de mythe idéal. Un mythe ?
Plus qu'un mythe... Une direction... Une prophétie disait Irénée, un Père de l’Église au 2ème siècle. Les deux lectures (le cantique des cantiques et le deuxième chapitre de la Genèse évoqués dans l'évangile sont écrits environ 500 ans avant JC. Ils nous conduisent à méditer ce que nous cherchons tous...
Aimer... Aimer jusqu'au bout... Aimer plus que tout...
Alors entrons dans cette célébration dans le silence.
Au début du chapitre 2 de la Gn, évoqué dans l'évangile l'homme découvre la femme et pousse un cri. En Hébreu, le mot est waouh..
X, aujourd'hui, X, tu es en droit de dire Whaoouu... Et moi, jeune diacre, marié depuis 33 ans bientôt, je m'agenouille devant ton cri intérieur, comme beaucoup d'entre nous, parce que ce cri du cœur est une interpellation à aimer jusqu'au bout. C'est aussi une invitation à louer Celui qui est à l'origine de tout cela... Celui qui ne  figure  pasdans votre liste d'invités, mais qui est là à vos côtés. Entrons dans le silence...

30 août 2019

Création et retrait - 3 - Bernard Sesboué

J'aime bien cette image, comme en écho aux billets précédents : «  Pour créer, Dieu s'est en quelque sorte retiré lui-même d'une certaine portion de l'être, comme la mer se retire pour laisser apparaître la plage. Telle est la donnée de l'Exode 3,14 "je suis celui qui suit" (1) et sa dynamique particulière.

Ce retrait est à la fois le gage de notre liberté et de notre responsabilité.

Il nous interpelle par son don et s'efface comme le disait à sa manière Jean Luc Marion à propos de ce qu'il appelle le grand donateur...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 52

28 août 2019

Dynamique et création - 2 - Irénée de Lyon

« La Genèse nous donne un récit du passé et une prophétie de l'avenir (1) » nous dit saint Irénée. Il ne faut pas considérer Dieu comme « néronien » précise Bernard Sesboué, c'est à dire comme indifférent au mal subi(2).
Sa place serait-elle dans cet accompagnement parfois kénotique et toujours dynamique de la création qui nous laisse toute liberté tout en interpellant nos actes dans l'Où es-tu ? de Gn 3 (3).
La bonne lecture de Gn 2 et 3 c'est celle qui nous fait grandir vers Lui...


(1) Irénée de Lyon, CH v, 28, 3, cité par Bernard Sesboué in L'homme, merveille de Dieu, Salvator, 2015 p. 50
(2) ibid p. 49
(3) cf. mon livre éponyme 

26 août 2019

La création comme danse

Je reprends une idée reprise par mon ami et voisin Jean Duchesne sur RND (rediffusion aujourd'hui) de la contemplation de la création non comme achevée mais comme dynamique (il parle de « forming art ») pour rebondir sur deux concepts souvent partagé sur ce blog :
- la danse Trinitaire
- la dynamique sacramentelle (1)
Il me semble qu'en conjugant tout cela on peut percevoir cette dynamique créatrice et perpétuelle de Dieu qui ne cesse de ciseler le monde vers un bien à venir, dans une danse. C'est probablement un axe que Teilhard de Chardin visait dans sa messe sur le toit du monde.



(1) cf. mes deux livres éponymes

24 août 2019

Au fil de 1 Corinthiens 4, force est en toi 42 - La Croix et la faiblesse de Dieu comme chemin…

Au terme de notre voyage intérieur, il nous faut percevoir que rien n'arrête ceux qui ont tout laissé pour le suivre. Il y a dans la kénose, l'effacement et l'abandon de tout calcul humain une renaissance possible au sens soulevé par Jésus à Nicodème. Cette puissance c'est celle de la faiblesse d'un Dieu qui n'est qu'amour. De notre renoncement jaillit la force de l'Esprit.
«En fait, il me semble que Dieu nous a mis, nous les apôtres, à la dernière place: nous sommes comme des condamnés à mort jetés dans l'arène: nous sommes donnés en spectacle au monde entier, aux anges aussi bien qu'aux êtres humains. Nous sommes fous à cause du Christ, mais vous êtes sages dans l'union avec le Christ; nous sommes faibles, mais vous êtes forts; nous sommes méprisés, mais vous êtes honorés! A cette heure encore, nous souffrons de la faim et de la soif, nous manquons de vêtements, nous sommes battus, nous passons d'un endroit à l'autre; nous travaillons durement pour gagner notre pain. Quand on nous insulte, nous bénissons; quand on nous persécute, nous supportons; quand on dit du mal de nous, nous répondons avec bienveillance. On nous considère maintenant encore comme les balayures du monde, comme le déchet de l'humanité.»
‭‭1 Corinthiens‬ ‭4:9-13‬ ‭

Écoutons à ce sujet saint Jean Chrysostome : « La croix a gagné les esprits au moyen de prédicateurs ignorants, et cela dans le monde entier. Il ne s'agissait pas de questions banales, mais de Dieu et de la vraie foi, de la vie selon l'Évangile, du jugement futur. Elle a donc transformé en philosophes des rustres et des illettrés. Voilà comment la folie de Dieu est plus sage que l'homme, et sa faiblesse, plus forte.

Comment est-elle plus forte ? Parce qu'elle s'est répandue dans le monde entier, qu'elle a soumis tous les hommes à son pouvoir et qu'elle a résisté aux innombrables adversaires qui voulaient faire disparaître le nom du Crucifié. Au contraire, ce nom s'est épanoui et propagé ; ses ennemis ont péri, ont disparu ; les vivants qui combattaient un mort ont été réduits à l'impuissance. Aussi, quand un Grec dit que je suis fou, il manifeste que lui-même l'est au maximum, puisque moi qu'il juge fou, je me montre plus sage que les sages ; s'il me traite de faible, il se montre lui-même plus faible encore. En effet, ce que des publicains et des pécheurs ont pu réussir par la grâce de Dieu, les philosophes, les rhéteurs, les tyrans, bref la terre entière, dans toute son étendue, n'a même pas été capable de l'imaginer. ~

C'est en pensant à cela que Paul disait : La faiblesse de Dieu est plus forte que tous les hommes. Que la prédication soit l'œuvre de Dieu, c'est évident ici. Comment douze hommes, des ignorants, ont-ils pu avoir l'idée d'une pareille entreprise, eux qui vivaient auprès des lacs et des fleuves, et dans le désert ? Eux qui n'avaient jamais fréquenté les villes et leurs assemblées, comment ont-ils pu songer à se mobiliser contre la terre entière ? Ils étaient craintifs et sans courage : celui qui a écrit sur eux le montre bien, lui qui n'a voulu ni excuser ni cacher leurs défauts. C'est là une preuve très forte de vérité. Que dit-il donc à leur sujet ? Quand le Christ fut arrêté, après avoir fait d'innombrables miracles, la plupart s'enfuirent, et celui qui était leur chef de file ne resta que pour le renier.

Ces hommes étaient incapables de soutenir l'assaut des Juifs quand le Christ était vivant. Et lorsqu'il fut mort et enseveli, alors qu'il n'était pas ressuscité, qu'il ne leur avait donc pas adressé la parole pour leur rendre courage, d'où croyez-vous qu'ils se seraient mobilisés contre la terre entière ? Est-ce qu'ils n'auraient pas dû se dire : « Qu'est-ce que cela ? Il n'a pas été capable de se sauver lui-même, et il nous protégerait ? Quand il était vivant, il n'a pas pu se défendre, et maintenant qu'il est mort il nous tendrait la main ? Quand il était vivant, il n'a pu se soumettre aucune nation, et nous allons convaincre la terre entière en proclamant son nom ? Comment ne serait-il pas déraisonnable, non pas même de le faire, mais seulement d'y penser ? »

La chose est donc évidente : s'ils ne l'avaient pas vu ressuscité et s'ils n'avaient pas eu la preuve de sa toute-puissance, ils n'auraient pas pris un risque pareil. (1)

(1) Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la première lettre aux Corinthiens, source office des lectures du 23/8/19, AELF


23 août 2019

Croix, mythe et raison

Face face au risque de l'irrationnel ou "les assauts d'une logique du monde, d'un logos lumineseument éclairant et raisonnable, [qui] du coup fait vaciller voire  même annul[er] le récit de ce qui se déploie dans l'histoire (...) Paul met sur le devant de la scène les mè-onta, les gens de rien, les absents du triomphe de la force de la puissance. Logos et mythos : chacune de ces instances a la prétention de s'imposer à l'autre, de lui imposer sa gouvernance, et voici que, sous la figure de la nuit, la croix (stauros) dépasse et annule l'une et l'autre de ces revendications [d'autonomie] et d'hégémonie. Paul parlera même d'un Logos tout staurou , d'un logos de la Croix qui disqualifie les logoï de la sagesse humaine (..)(1) "Dieu n'est pas plus du côté de l'infini de grandeur que de l'infini de petitesse" (2)

La citation de Merleau Ponty me laisse néanmoins rêveur. La Croix n'est elle pas chemin de kenose ? L'infini de petitesse est pour moi le langage de la Croix, le logos tou staurou évoqué. Et c'est pourquoi il relève dans ce mouvement si bien décrit de Ph 2, 12.



(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 594
(2) citation inédite de M. Merleau Ponty, ibid.

Amour en toi 41 - la prière intérieure

Laissons nous habiter par la prière de l'Église

« Combien j'ai pleuré, en chantant tes hymnes et tes cantiques, tant j'étais remué par les douces mélodies que chantait ton Église ! Ces chants pénétraient dans mes oreilles, la vérité s'infiltrait dans mon cœur que la ferveur transportait, mes larmes coulaient, et cela me faisait du bien. » (1)

(1) saint Augustin, Confessions cité par Pie X in Divino Afflatu, 1911

19 août 2019

Au fil de Matthieu 19,21 22 - Humilité et effacement - Amour en toi…


« Jésus lui répondit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. » À ces mots, le jeune homme s'en alla tout triste, car il avait de grands biens » (Mat 19, 21-22)

Écoutons sur ce chemin les propos de sainte Thérèse d'Avila : « Ô Jésus ! s'en trouvera-t-il une seule parmi nous pour dire qu'elle ne veut pas aller jusqu'au bout ? (...) Nulle ne le dira, certainement. Toutes nous assurons le vouloir. Mais il faut quelque chose de plus pour que Dieu soit maître absolu d'une âme, et le dire ne suffit pas. Le jeune homme à qui Notre Seigneur demanda s'il voulait être parfait en est la preuve. (...)
Entrez, entrez à l'intérieur de vous, mes filles, dépassez vos petits actes de vertu. Comme chrétiennes, vous êtes tenues à tout cela, et à bien davantage. Contentez-vous d'être les servantes de Dieu, et ne portez pas vos prétentions si haut, que vous risquiez de tout perdre. Considérez les saints qui sont entrés dans la chambre de ce Roi (Ct 1,4), et vous verrez quelle distance nous sépare d'eux. Ne demandez pas ce que vous n'avez pas mérité. Après avoir offensé Dieu comme nous l'avons fait, il ne devrait même pas nous venir à l'esprit que nous pourrons jamais, quels que soient nos services, mériter la faveur accordée aux saints. Ô humilité ! humilité ! (...) Je suis un peu tentée de croire que si certaines personnes s'affligent tant de leurs sécheresses, c'est qu'elles manquent un peu de cette vertu. (...) Éprouvons-nous nous-mêmes, mes sœurs, ou laissons Dieu nous éprouver : il sait bien le faire, quoique souvent nous nous refusions à le comprendre. (...)
Si, au moment où il nous dit ce que nous avons à faire pour être parfaits, nous lui tournons le dos et nous en allons tout tristes, comme le jeune homme de l'Évangile, que voulez-vous qu'il fasse, lui qui doit mesurer la récompense sur l'amour que nous lui portons ? Cet amour, mes filles, ne doit pas être un vain fruit de l'imagination, mais se prouver par les œuvres. Ne vous figurez pas cependant que Dieu ait besoin de nos œuvres ; ce qu'il lui faut, c'est la détermination de notre volonté. (...) C'est même indubitable : si l'on persévère dans ce dépouillement et cet abandon de tout, on obtiendra ce qu'on désire. À une condition cependant, comprenez-le bien, c'est qu'on se considérera comme un serviteur inutile (Lc 12,48) (1)



(1) Sainte Thérèse d'Avila, Le Château intérieur, 3es demeures, ch. 1 (trad. Mère Marie du Saint-Sacrement, OC ; Éds du Cerf 1995, p. 1000-1001 ; rev.)



18 août 2019

Au fil de Matthieu 5, 13, Le sel de la terre, Saint Jean Chrysostome

Souvent choisi comme évangile pour des mariages, le texte de Matthieu est pour moi un moyen d'exhortation très apostolique. Mais en lisant la version de Saint Jean Chrysostome que nous donne aujourd'hui l'office des lectures, je vois que je suis loin de ce que nous livre celui qu'on appelle saint Jean bouche d'or : « Vous êtes le sel de la terre, dit le Seigneur. ~ Ce n'est pas pour votre propre vie, veut-il dire, mais c'est pour le monde entier que la Parole vous est confiée. Car ce n'est pas à deux villes, à dix, à vingt, ou à un seul peuple que je vous envoie, comme jadis les prophètes, mais à la terre, à la mer, au monde entier, qui est plongé dans le mal. En disant : Vous êtes le sel de la terre, il leur montrait que toute la nature humaine était affadie et corrompue par le péché. C'est pourquoi il exige de ses disciples les vertus qui sont les plus nécessaires et les plus efficaces chez ceux qui ont la charge de la multitude. En effet, celui qui est doux, abordable compatissant et juste ne renferme pas en lui-même ses bonnes actions, mais il cherche à en faire comme des sources qui coulent pour l'utilité d'autrui. De même, celui qui a le cœur pur, qui est un artisan de paix, qui est persécuté pour la vérité, consacre sa vie au bien commun.

Ne croyez pas, leur dit-il, que vous serez appelés à des combats ordinaires et que vous n'aurez à rendre compte que d'affaires sans importance : Vous êtes le sel de la terre. Qu'est-ce que cela veut dire ? Ont-ils remis en bon état ce qui était pourri ? Pas du tout. Il n'est pas possible d'améliorer ce qui est déjà corrompu, en y mettant du sel. Ils n'ont pas fait cela. Mais on avait préalablement rénové ce qu'on leur avait confié, après l'avoir délivré de son infection. C'est alors que les disciples salaient cette pâte afin de la garder dans la nouveauté donnée par leur Maître. Car délivrer de la pourriture du péché, ce fut l'action bienfaisante du Christ ; mais ne plus y laisser revenir, c'était la tâche à laquelle les disciples devaient donner leurs soins et leurs efforts.

Voyez-vous comment Jésus Christ montre discrètement qu'ils sont supérieurs aux prophètes ? Il ne dit pas qu'ils sont chargés d'instruire la Palestine, mais la terre entière. ~ Ne vous étonnez donc pas, leur dit-il, si, en négligeant les autres, c'est à vous que je m'adresse et si je vous envoie vers de si grands dangers. Considérez en effet à combien de villes, de territoires, de nations je vais vous envoyer pour y présider. Aussi je ne veux pas seulement que vous soyez pleins de sagesse, mais que vous rendiez les autres pareils à vous. Car si vous ne le faites pas, c'est que vous n'avez même pas assez de sagesse pour vous. ~

Si les autres s'affadissent, ils peuvent revenir par votre intermédiaire ; mais si ce malheur vous arrivait, vous entraîneriez les autres à leur perte en même temps que vous. C'est pourquoi, plus importantes sont les affaires qui vous sont confiées, plus vous devez déployer d'ardeur. D'où cette parole : Si le sel n'a plus de saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n'est plus bon à rien : on le jette dehors, et les gens le piétinent. ~

Jésus venait de leur dire : ~ Si l'on vous insulte, si l'on vous persécute et si l'on dit faussement toute sorte de mal contre vous. Il ne veut pas que ces paroles leur fassent craindre de se montrer, et c'est pourquoi il leur dit : « Si vous n'êtes pas prêts à tout cela, c'est en vain que vous avez été choisis. ~ Si la calomnie est inévitable, elle ne vous fera aucun mal, mais elle témoignera de votre fermeté. Au contraire, si vous avez peur et si vous abandonnez la vigueur qui vous convient, vous tomberez dans des malheurs bien pires : tout le monde dira du mal de vous et vous méprisera. C'est cela, être piétiné par les gens ».

Ensuite, il passe à une autre comparaison, plus noble : Vous êtes la lumière du monde. Il répète : du monde, non pas d'un seul peuple ou de vingt villes, mais de toute la terre. Et il s'agit d'une lumière intelligible, supérieure à celle du soleil, de même qu'il s'agissait tout à l'heure d'un sel spirituel. D'abord le sel, ensuite la lumière, pour t'enseigner quelle est l'importance du gain procuré par une parole pénétrante, l'avantage apporté par une doctrine vraiment sainte : c'est de lier l'auditeur, de ne pas lui permettre le relâchement, de l'amener à considérer la vertu. Une ville située sur la montagne ne peut être cachée. Et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau. Par ces paroles encore, il les pousse à une vie rigoureuse, il leur enseigne à être des soldats vigilants parce qu'ils sont exposés à tous les yeux et qu'ils auront à combattre en plein théâtre du monde. »

Écoutons l'hymne qui suit...

Mets ta lampe sur le boisseau,
Et tant mieux qu'elle s'éteigne !
Car tu auras une vraie joie,
Ta prière sera la torche
Que le Seigneur entretiendra.

Tout est une histoire de perspective et notre chemin est une course : « Quant à nous, nous sommes entourés de cette grande foule de témoins. Débarrassons-nous donc de tout ce qui alourdit notre marche, en particulier du péché qui s'accroche si facilement à nous, et courons résolument la course qui nous est proposée. Gardons les yeux fixés sur Jésus, dont notre foi dépend du commencement à la fin. Il a accepté de mourir sur la croix, sans tenir compte de la honte attachée à une telle mort, parce qu'il avait en vue la joie qui lui était réservée; et maintenant il siège à la droite du trône de Dieu. Pensez à lui, à la façon dont il a supporté une telle opposition de la part des pécheurs. Et ainsi, vous ne vous laisserez pas abattre, vous ne vous découragerez pas. Car, dans votre combat contre le péché, vous n'avez pas encore dû lutter jusqu'à la mort. Avez-vous oublié l'exhortation que Dieu vous adresse comme à ses fils? «Mon fils, ne crains pas d'être corrigé par le Seigneur, et ne te décourage pas quand il t'adresse des reproches. Car le Seigneur corrige celui qu'il aime, il frappe celui qu'il reconnaît comme son fils.» Hébreux‬ ‭12:1-6‬ ‭BFC‬‬


16 août 2019

Homélie sur le baptême - Saint Pacien de Barcelone - Amour en toi 40

Je découvre cette homélie donnée dans l'office des lectures d'aujourd'hui et notamment ce beau premier passage sur la semence qui fait écho à plusieurs thèmes évoqués ici : 
- l'inhabitation de Dieu 
- la danse Trinitaire (1)
« Le peuple chrétien est né de ces noces, sur lesquelles est descendu l'Esprit du Seigneur. Par l'infusion et le mélange d'une semence venue du ciel, aussitôt, avec les substances de nos âmes nous nous développons dans les entrailles de notre mère et, en grandissant dans son sein, nous vivons dans le Christ. C'est ce qui a fait dire à l'Apôtre : Le premier Adam avait reçu la vie ; le dernier Adam est un être spirituel qui donne la vie. C'est ainsi que le Christ engendre des enfants dans l'Église par ses prêtres, selon l'Apôtre : Dans le Christ, je vous ai engendrés. Et c'est ainsi que la semence du Christ, c'est-à-dire l'Esprit de Dieu, fait naître l'homme nouveau qui remue dans le sein de sa mère, qui est mis au monde dans la fontaine baptismale, par les mains du prêtre, avec la foi pour témoin. (...) 
On doit donc admettre que le Christ engendre, puisque l'Apôtre Jean le dit : Tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu. Cela ne peut s'accomplir que par le sacrement du baptême, par la chrismation, et par l'évêque. Le baptême en effet lave les péchés ; la chrismation répand en outre le Saint-Esprit, et nous obtenons l'un et l'autre par la main et la bouche de l'évêque. C'est ainsi que l'homme tout entier naît de nouveau, et est renouvelé dans le Christ : De même que le Christ est ressuscité des morts, ainsi mènerons-nous une vie nouvelle, nous aussi, c'est-à-dire : pour qu'après avoir abandonné les erreurs de la vie ancienne ~, par l'Esprit, nous ayons une conduite nouvelle dans le Christ. » (2)
(1) cf. mon livre éponyme repris dans A genoux devant l'homme 
(2) Saint Pacien de Barcelone, Homélie sur le baptême, source Office des Lectures du 16/8/19, AELF 

15 août 2019

Constitution apostolique sur l’Assomption de 1950

En guise de corrigé sur mes essais d'homélie sur l'assomption, le texte de la Constitution apostolique sur l'Assomption de 1950 montre comment cette méditation sur la place de la Vierge a évolué dans l'Église : « Les Pères de l'Église et les grands docteurs, dans les homélies et les discours qu'ils ont adressés au peuple pour la fête de l'Assomption, en ont parlé comme d'une vérité déjà connue et admise par les fidèles. Ils l'ont expliquée plus clairement, ils en ont approfondi la signification et la portée. Surtout, ils ont mieux mis en lumière ce que les textes liturgiques n'avaient que brièvement indiqué : cette fête ne rappelle pas seulement que le corps inanimé de la Vierge Marie n'a subi aucune corruption, mais aussi qu'elle a triomphé de la mort et qu'elle a été glorifiée dans le ciel, à l'exemple de son Fils unique Jésus Christ.

Ainsi saint Jean Damascène, qui est le plus remarquable prédicateur de cette vérité traditionnelle, compare l'Assomption corporelle de la Mère de Dieu à ses autres dons et privilèges ; il déclare éloquemment : « Elle qui avait gardé sa virginité intacte dans l'enfantement, il fallait qu'elle garde son corps, même après la mort, exempt de toute corruption. Elle qui avait porté le Créateur dans son sein comme son enfant, il fallait qu'elle aille faire son séjour dans la lumière divine. Cette épouse que le Père s'était unie, il fallait qu'elle habite la chambre nuptiale.

Elle qui avait contemplé son Fils cloué à la croix et qui avait reçu dans son cœur le glaive de douleur qui lui avait été épargné dans l'enfantement, il fallait qu'elle le contemple trônant avec le Père. Il fallait que la Mère de Dieu possède ce qui appartenait à son Fils, et qu'elle soit honorée par toutes les créatures comme la Mère de Dieu et sa servante. » (...)

Pour saint Germain de Constantinople, si le corps de la Vierge Mère de Dieu avait été préservé de la corruption et transféré au ciel, cela ne s'accordait pas seulement à sa maternité divine, mais encore à la sainteté particulière de son corps virginal. « Selon l'Écriture, dit-il, tu apparais dans la beauté ; ton corps virginal est tout entier chaste et saint ; il est tout entier la demeure de Dieu. Aussi doit-il, par la suite, être totalement affranchi du retour à la poussière. Mais, parce qu'il est humain, il doit être transformé pour accéder à la vie sublime de l'incorruptibilité. Toutefois, c'est le même corps qui est vivant, souverainement glorieux, intact et doté d'une vie parfaite. »

Un autre écrivain très ancien avait affirmé : « Puisqu'elle est la Mère très glorieuse du Christ, notre divin Sauveur, lui qui donne la vie et l'immortalité, elle est vivifiée par lui, elle partage pour l'éternité l'incorruptibilité de son corps. Il l'a fait sortir du tombeau et l'a élevée auprès de lui, d'une manière connue de lui seul. » (...)

Tous ces raisonnements et ces considérations des Pères s'appuient sur la Sainte Écriture comme sur leur ultime fondement. Celle-ci met en quelque sorte devant nos yeux la Mère de Dieu comme intimement unie à son Fils divin partageant toujours sa destinée. (...)

Il faut surtout se rappeler que, dès le deuxième siècle, les Pères nous présentent la Vierge Marie comme la nouvelle Ève, soumise au nouvel Adam, mais très étroitement unie à lui dans le combat contre l'ennemi infernal. Ce combat, tel qu'il est prédit dans le Protévangile (Gn 3, 15), devait aboutir à la victoire totale sur le péché et sur la mort, qui sont toujours rattachés l'un à l'autre dans les écrits de saint Paul. Par conséquent, puisque la résurrection glorieuse du Christ fut l'acte essentiel et le trophée ultime de cette victoire, le combat livré par la Vierge Marie et son Fils devait trouver sa conclusion dans la glorification de son corps virginal. Comme dit encore l'Apôtre : Lorsque ce qui est mortel en nous revêtira l'immortalité, alors se réalisera la parole de l'Écriture : La mort a été engloutie dans la victoire.

Ainsi la Mère de Dieu, unie à Jésus Christ d'une manière mystérieuse, « dans un seul et même décret » de prédestination, immaculée dans sa conception, parfaitement vierge dans sa maternité divine, généreuse collaboratrice du Rédempteur, a remporté un triomphe total sur le péché et ses conséquences. Pour finir, elle a obtenu, comme couronnement suprême de ses privilèges, d'être préservée de la corruption du tombeau. À la suite de son Fils, après avoir vaincu la mort, elle a obtenu d'être élevée, corps et âme, à la gloire suprême du ciel, pour y resplendir, en qualité de Reine, à la droite de son Fils, le Roi immortel des siècles.(1)

(1) Pie XII, Constitution apostolique sur l'Assomption de 1950, source AELF.


14 août 2019

Homélie de l'Assomption - 15 août - version 8

Homélie du 15 août 2019 - notes finales d’une homélie prononcée à Droisy 

Frères 
Êtes-vous dans la joie ? 
Cette joie profonde de la Résurrection et de l’Assomption, fondée sur l’Espérance que porte la fête d’aujourd’hui ?  

Il y a dans les textes d'aujourd'hui une triple dimension :
  • Une dimension historique par la manière dont les textes retracent les dons de Dieu depuis l'origine comme le fait superbement le magnificat, complétée par la tradition de l’Église jusqu’au texte de Pie 12 sur l’Assomption en 1950 (1)
  • Une espérance que l'on appelle eschatologique (propre à la fin des temps) avec l'annonce de la victoire de Marie et surtout de son Fils sur le monde
  • Enfin une dimension spirituelle, d'une certaine manière mystique et eucharistique en ce qu'elle touche l'aujourd'hui de nos vies et c'est là dessus que je voudrais insister, car c'est à la fois l'essentiel et souvent ce qui est oublié dans cette fête de l'Assomption
Il y a en effet, trois sous-points à cette troisième dimension si vous le voulez bien :
  • Marie est chemin pour nous. Elle est l'image même du chrétien "accompli" en ce qu'elle se dessaisit et se détache de toute logique humaine pour accueillir en son sein le Sauveur.. Par son fiat, elle est le chemin qu'il nous reste sans cesse à imiter. « Qu’il me soit fait selon ta parole » (Luc 1)
  • Marie est celle qui, en union et à l'image de son Fils, porte le plus nos souffrances humaines. Dans sa présence jusqu'à la croix (stabat mater) se dévoile le cœur de ce qui est pour nous la voix royale. Elle est la première en chemin… C’est probablement pour cela que nous l’appelons souvent notre dame des douleurs... 
  • C'est entre ces deux tensions ; le détachement de soi et sa capacité à traverser la souffrance que que se révèle quelque chose de fragile en nous. Et c'est peut-être la clé ou la porte qu'il nous faut chercher dans cesse.
Prenons le temps de refaire doucement ce chemin. Il est en effet enchâssé dans les deux autres : au point focal entre dessaisissement et souffrance avec ou pour le monde. Nous ne pouvons accéder à Dieu que si nous quittons ce qui nous retient sur nous-mêmes. Et cela demande un grand pas en avant...

Marie est restée dans la nuit. Luc le dit avec ses mots à lui. Elle n’aura droit qu’au silence et parfois au mépris - rappelons nous ce « qui est ma mère » (Marc 3, 33 / Mat 12, 48 / Lc 8, 21) qui sonne comme un rejet de Jésus. Pourtant elle a cru au-delà de tout désespoir. Elle est, en cela, lumière dans notre nuit.  Et quand tout le monde a fui, elle est là debout...




Quel enseignement pour nous ?
La venue de Dieu en nous est comme un accouchement. Et c'est là où le monde féminin nous précède, c'est là où Marie est la première en chemin, la nouvelle Ève.
Qu'est-ce qu'un accouchement ? Je me sens petit pour parler de cela… Juste après la naissance de mon troisième petit-enfant. Petit et humble devant cette merveille de l'accouchement. 

Que dire sinon entrer dans le silence ?
Je vous invite à méditer cela d'ici dimanche. Il  y a là une clé que Marie nous révèle à sa manière par sa vie  ; En acceptant d'être visitée par Dieu, en Le portant en elle, en courant au service de sa cousine, en acceptant que son Fils soit détaché, oserait-je dire arraché de ses entrailles, qu'il quitte son giron familial, en se tenant debout et traversant la souffrance, elle nous enseigne la clé de toute vie chrétienne véritable. Plus loin qu’une fidélité de façade elle se fait instrument de Dieu. 
Prenons le temps d’accueillir cela en nous. Dieu vient nous visiter à sa manière, dans le silence particulier qui est propre à sa communication aimante. Il viendra tout à l'heure dans l'Eucharistie. Faisons à notre tour une juste place à sa venue. Devenons, comme elle, des porte-Christ.
Il est venu, il est mort et Dieu l'a ressuscité... 
Il revient en nous si nous le laissons vraiment tressaillir en nous, c'est-à-dire si nous lui laissons vraiment la juste place...
Il reviendra nous visiter.. 

L'Assomption de Marie, que nous fêtons aujourd'hui, s'inscrit dans cette espérance.
Alors accueillons le, par notre fiat... au-delà de nos peurs... au delà de nos souffrances
Qu'il me soit fait selon ta Parole !

(1) cf. la constitution apostolique sur l’Assomption de 1950
(*) Si j'ose partager avec vous ces balbutiements c'est dans l'espoir, parfois vérifié, que vos remarques m'aident à améliorer ce texte... alors n'hésitez pas à m'écrire.

Au fil de Matthieu 18,15-20 - Église et unité

Au fil de Matthieu 18,15-20 - Église et unité

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.
S'il ne t'écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l'affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins.
S'il refuse de les écouter, dis-le à l'assemblée de l'Église ; s'il refuse encore d'écouter l'Église, considère-le comme un païen et un publicain.
Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.
Et pareillement, amen, je vous le dis, si deux d'entre vous sur la terre se mettent d'accord pour demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Père qui est aux cieux.
En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d'eux. » (Mat 18, 15-50) (1)

Difficile unité alors que nos Églises se déchirent et se vident, l'un entraînant l'autre...
Écoutons Cyprien sur ce thème : « Le Seigneur a dit : « Si deux d'entre vous sur la terre unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père qui est aux cieux. Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux ». Il montre ainsi que ce n'est pas le grand nombre de ceux qui prient, mais leur unanimité, qui obtient le plus de grâces. « Si deux d'entre vous sur la terre unissent leurs voix » : le Christ met en premier l'unité des âmes, il met en avant la concorde et la paix. Qu'il y ait plein accord entre nous, voilà ce qu'il a constamment et fermement enseigné. Or, comment peut-il s'accorder avec un autre, celui qui n'est pas en accord avec le corps de l'Église et avec l'ensemble des frères ? (...) Le Seigneur parle de son Église, il parle à ceux qui sont dans l'Église : s'ils sont d'accord entre eux, s'ils font leur prière conformément à ses recommandations et à ses conseils, c'est-à-dire même si à deux ou trois seulement ils prient d'une seule âme, alors même à deux ou trois seulement, ils peuvent obtenir ce qu'ils demandent à la majesté de Dieu.
« Partout où deux ou trois sont réunis en mon nom je suis avec eux » : c'est-à-dire il est avec les pacifiques et les simples, avec ceux qui craignent Dieu et observent ses commandements. Il dit qu'il est avec deux ou trois seulement comme il était avec les trois jeunes gens dans la fournaise ; parce qu'ils demeuraient simples envers Dieu et unis entre eux, il les a réconfortés d'un souffle de rosée au milieu des flammes (Dn 3,50). Il en a été de même pour les deux apôtres enfermés en prison ; parce qu'ils étaient simples, parce qu'ils étaient unis de cœur, il les a assistés, il a brisé les portes de leur cachot (Ac 5,19)... Quand donc le Christ inscrit parmi ces préceptes cette parole : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d'eux », il ne sépare pas des gens de l'Église qu'il a lui-même instituée. Mais il reproche aux égarés leur discorde et recommande la paix à ses fidèles » (1)

Notre manque d'unité ne vient-elle pas de nos quêtes de puissance. Au lieu de nous déchirer adoptons une vision plus polyédrique de l'Église qui voit en chaque baptisé sa force intérieure, cette inhabitation de l'Esprit qui agit quand nous consentons à la faiblesse.

(1) saint Cyprien, De l'unité de l'Eglise, 12 (trad. DDB 1979, p.36 rev.), source : l'Évangile au Quotidien

12 août 2019

Nuit, colère et silence - 4

Tension théologique plus que solution...
Nous aimerions tout expliquer comme cette colère qui nous dérange ou cette nuit qui nous effraie.

Vouloir comprendre et expliquer alors que dans la nuit et le doute seule notre foi vacillante et fragile laisse une place à la venue d’un Dieu discret.

Il faut peut-être contempler le passage d’Exode 32 à 34 pour saisir où la colère de Dieu se transforme en nuée puis en lumière avant de méditer Gethsémani...
La grande nuit où nous précède l’unique médiateur...

“La tentation est grande pour la théologie d'atténuer voir de dissoudre cette contradiction, d’en désosser les composantes, pour revenir aux saines vertu d'une dialectique acceptable, histoire de congédié la brûlure du désir ou de réduire l'insolence inapprivoisable  de la volonté (celle de Dieu comme la nôtre tout aussi bien). (...) la nuit est révélation de Dieu (...) nous sommes livrés à la nuit, à la contingence et à l’obscurité et c’est là qu’est fait appel à notre liberté (1).

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 583sq

Au fil de Matthieu 17, 22-27 - La rançon ? - sainte colère 2 - Ambroise…

En écho à ma note précédente :« Puisque le Christ a réconcilié le monde avec Dieu, lui-même n'a certes pas eu besoin de réconciliation. Pour quel péché aurait-il expié, en effet, lui qui n'a commis aucun péché ? Lorsque les juifs réclamaient les deux drachmes qu'on versait à cause du péché, selon la Loi, il avait dit à Pierre : « Simon, les rois de la terre, de qui reçoivent-ils taxes et impôts : de leurs enfants ou des étrangers ? » Pierre répondit : « Des étrangers ». Le Seigneur lui dit alors : « Donc, les enfants n'y sont pas soumis. Mais pour ne pas les heurter, jette l'hameçon, saisis le premier poisson, et en lui ouvrant la bouche, tu trouveras une pièce d'argent : prends-la et donne-la pour moi et pour toi. »
Il montre ainsi qu'il ne doit pas expier les péchés pour lui-même, parce qu'il n'était pas esclave du péché ; comme Fils de Dieu, il était libre de toute erreur. En effet, le fils libère, tandis que l'esclave est assujetti au péché. Donc celui qui est entièrement libre n'a pas à payer de rançon pour sa vie, et son sang pouvait être une rançon surabondante pour racheter tous les péchés du monde entier. Il est normal qu'il libère les autres, celui qui ne doit rien pour lui-même.
J'irai plus loin. Non seulement le Christ ne doit pas verser la rançon de sa propre rédemption ni expier pour son propre péché, mais encore, si tu considères n'importe quel homme, il est compréhensible que chacun d'eux ne doit pas expier pour lui-même. Car le Christ est l'expiation de tous, la rédemption de tous. (1) »

(1) Saint Ambroise, Commentaire du Ps 48, 14-15 ; CSEL 64, 368-370 (trad. bréviaire 20e sam. rev.)


Sainte colère - Origène

Plusieurs questions se posent entre :

  • La colère de Dieu que nous voulons souvent récupérer pour excuser nos propres désirs de puissance ?
  • Un dieu « jaloux » et en colère que nous tentons d'excuser parfois pour adoucir le message
Comment concilier amour, miséricorde et colère ?
Devons-nous emprunter la pente glissante développée à tort par quelques disciples d'Anselme jusqu'à défendre une théorie d’un soi-disant « prix à payer » à un Dieu vengeur ?
Peut-on effacer des pages de l'AT et ignorer la colère du Christ au temple ?
Faut-il au contraire y développer une lecture qui montre une progression dans la révélation (cf. mon Dieu n’est pas violent)
On y note qu’au Temple, Jésus renverse les pièces mais ne brise pas les cages...
Qu'est-ce à dire ?

Qu'est-ce que la colère divine ?

Hans Urs von Balthasar en développe plusieurs chapitres dans sa dramatique divine.

Je note, pour en creuser plus la profondeur la thèse du "grand Origène [qui] nous aura appris à distinguer la colère de bonté (celle du pédagogue qui veut élever l'enfant et le parfaire) de la colère noire de fureur (qui pour être froide, n'en veut pas mon détruire) (1).

Il y dans cette tension une clé théologique que Marxer nous invite à découvrir en complément de son analyse de la nuit chez les mystiques du XXeme siècle. Il serait prétentieux de conclure. Il faut plutôt se plonger dans ce livre d’une grande richesse spirituelle. A la veille de l’Assomption et en correspondance avec mon projet d’homélie j’y vois un chemin personnel de conversion. Où es-tu mon Dieu ?

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 573


09 août 2019

Au fil de 2 Corinthiens 12, La Croix - Edith Stein - Amour en toi…

Il y a dans les propos de sainte Thérèse-Bénédicte de La Croix, qui part des propos de Paul (cf. notamment 2 Co 12, 9) et les fait résonner, à la fois une exhortation et une exigence intérieure : « Celui qui a opté pour le Christ est mort au monde, et le monde est mort pour lui. Il porte dans son corps les marques de souffrances du Seigneur, il est faible et méprisé devant les hommes, mais précisément en cela, il est fort, car la puissance de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse(1). Sachant cela, le disciple de Jésus n'accepte pas seulement la croix qui lui est imposée, mais il se crucifie lui-même : Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Ils ont soutenu un dur combat contre leur nature, afin que meure en eux la vie du péché, et qu'advienne un espace pour la vie de l'Esprit. Seule importe cette dernière. »(2)

Qu'advienne un espace pour la vie de l'Esprit... N'est-ce pas tout l'enjeu de cette quête que j'ai nommé « l'amour en toi »...

Mais écoutons encore ses propos : « La croix n'est pas un but en soi. Elle élève et elle dirige le regard vers le haut. (...), elle n'est pas seulement un signe, elle est (...) , le bâton du berger, avec lequel (...) le Christ frappe fortement à la porte du ciel et la pousse. Alors se répandent les flots de la lumière divine qui enveloppent tous ceux qui marchent à la suite du Crucifié ». (2)

Portons notre regard vers celui que Dieu a élevé sur le bois de la Croix, pour qu'à la suite des Hébreux sauvés par le serpent de bronze nous soyons guéris de ce qui nous détourne de Dieu puis illuminés par « les flots de la lumière divine qui enveloppent tous ceux qui marchent à la suite du Crucifié »

(1) Ma grâce te suffit car la puissance de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse (2 Co 12, 9)
(2) sainte Thérèse-Bénédicte de La Croix (Edith Stein), la science de la Croix, office des lectures du 9/8, source AELF


02 août 2019

Passivité, effacement et Agapè - 10

Passivité plus que passive.
« Arrachement de soi à soi-même, détachement par lequel on se détache, y compris dudétachement (...) effacement (...) Agapè qui ne résiste ni ne contourne ni n'échappe à la violence de la nuit, mais vaillamment, y prend place et s'y loge (...) solicitude éthique (...) compassion (...) générosité que ne précède aucune réquisition (...) incessante, taraudante inquiétude (...) voilà ce qui n'est guère conforme à nos catéchismes tranquilles » (1)

Dans sa conclusion aux élans lévinassisiens F. Marxer résume bien l'enseignement de son livre dont je vous ai partagé déjà trop d'extraits dans le seul but de vous inviter au voyage...

Un chemin qui dérange nos conforts établis à la lumière de ces femmes qui sont Église plus que nos communautés parfois stériles.

A lire sans modération


(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 564sq

Effacement et contraste - 9 - Beau ou Bon ? - Balayure - Marie de la Trinité

"Un soir d'hiver j'accomplissais comme d'habitude mon petit office, il faisait froid, il faisait nuit… Tout à coup j'entendis dans le lointain le son harmonieux d'un instrument de musique, alors je me représentai un salon bien éclairé, tout brillant de dorures, des jeunes filles élégamment vêtues se faisant mutuellement des compliments et des politesses mondaines ; puis mon regard se porta sur la pauvre malade que je soutenais ; au milieu d'une mélodie j'entendais de temps en temps ses gémissements plaintifs, au lieu de dorures, je voyais les briques de notre cloître austère, à peine éclairé par une faible lueur" (1)

Terrible contraste entre le Beau et le Bon. Tension s'il en est pour ceux qui cherchent dans l'esthétique une porte d'entrée mystique. Ici, pas de fuite possible. Le visage de l'autre m'interpelle toujours. Entre l'exigence de Lévinas et la culpabilité de Sibony, il n'y a pas photo. L'autre est la porte vers l'Autre, même si ce dernier est silencieux... Le chemin parcouru est celui d'une vie. 

Face au silence, y-a-t-il que l'Ecriture ? Avec ou sans grand "E" ?

Entre une auto-justification narcissique et le silence, Pascal a fait le choix, in fine, du silence nous dit Hans Urs von Balthasar dans Gloire et Croix, Styles, tome 3.

A méditer.

C'est en tout cas mon choix, depuis que j'ai compris, à la lumière de Philippiens 3 et de Grégoire de Nysse que je ne suis que balayure (2) sur une course infinie(3).

(1) Marie de la Trinité citée par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 562
(2) ibid. p. 524 et 528 sq et Ph 3
(3) cf. mon livre éponyme 

01 août 2019

Effacement 6

Mourir à son rêve. Une mort qui nous délivre "en nous interdisant toute fusion imaginaire, tout rêve de perfection (...) devenir humain pour être pleinement dans le vrai de son être (1).

Il y a là un sacré enjeu loin de toute tentation mystique ou même pharisienne. Derrière l'apparence se joue, sans fin, la nécessité de coordonner notre quête et le réel de notre vie, dans l'aujourd'hui de notre agir.

Non pas une posture, mais se laisser saisir au vif par le réel, “dévaste notre foi, encercle ce qui peut rester d’amour...” (2)

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 511
(2) p. 523

Amour en toi - 38 - Marie de la Trinité

" Laisse toi murer (...) ne cherche pas à te montrer, ni à rien à répandre, car le cours de ta vie est vers Moi et pour Moi, ton Père et ton Dieu… Ne t'occupe pas du dehors, mais du dedans - car Je ne suis pas au dehors, mais au dedans". (1)

A méditer

(1) Marie de la Trinité, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 509