A l'heure où Rome travaille, j'ose vous dévoiler un extrait de mon livre, "
le vieil homme et la perle", l'histoire d'un vieux prêtre qui cherche des chemins de pastorale.
"
En
s’approchant de la chapelle, il aperçut, une trentaine de
personnes, dont plusieurs cadres, travaillant dans le quartier,
quelques paroissiens « locaux » et au dernier rang,
Sophie et Jean-Marie. Alors il n’hésita plus…
Après
le psaume, il s’avança vers l’ambon et lut de sa voix grave :
– Évangile
selon saint Jean, au chapitre 8 :
« Les
Scribes et les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en
adultère, et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus :
"Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit
d'adultère." Or Moïse, dans la Loi, nous a ordonné de lapider
de telles personnes. Vous, donc, que dites-vous ? C'était pour
l'éprouver qu'ils l'interrogeaient ainsi, afin de pouvoir l'accuser.
Mais Jésus, s'étant baissé, écrivait sur la terre avec le doigt.
Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit :"
Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première
pierre." Et s'étant baissé de nouveau, il écrivait sur la
terre. Ayant entendu cette parole, et se sentant repris par leur
conscience, ils se retirèrent les uns après les autres, les plus
âgés d'abord, puis tous les autres, de sorte que Jésus resta seul
avec la femme qui était au milieu. Alors Jésus s'étant relevé, et
ne voyant plus que la femme, lui dit : "Femme, où sont
ceux qui t’accusent ? Est-ce que personne ne t’a condamnée ?
Elle répondit : "Personne, Seigneur" ; Jésus
lui dit "Je ne te condamne pas non plus. Va, et ne pèche
plus." »
Gilbert
laissa un long silence s’établir après la lecture, puis, prenant
l’ambon à pleine main, il leva les yeux vers l’assemblée et
dit :
– "Ils
se retirèrent, les uns après les autres, à commencer par les plus
vieux". Mes frères, il y a deux façons de lire ce texte. On peut
s’arrêter sur le « va, et ne pèche plus » et refaire une
fois encore une apologie de la morale. On peut aussi s’interroger,
intérieurement sur le sens des gestes et des paroles de Jésus. Si
l’on observe bien les mouvements du Christ, il est assis, puis il
s’abaisse, par deux fois, se met à la hauteur de la jeune femme,
et ce faisant, se rend plus proche d’elle que des « docteurs
de la loi », qui eux, restent debout. On sent là comme une
présence qui me rappelle le désir d’intimité de Dieu avec
l’homme et cet agenouillement que nous célébrerons dans quelques
jours, le soir du jeudi saint. Si Jésus s’abaisse peut-on rester,
nous aussi, debout ? Dans quelques temps, nous allons, ensemble,
célébrer l’eucharistie, invoquer l’Esprit pour qu’Il habite
le pain et le vin. Mais je vous le demande, sommes-nous à la hauteur de ce qui va se jouer sur cette table ?
Plus encore, si Jésus s’abaisse devant la femme, peut-on rester
debout ? Je vous propose, aujourd’hui, un geste de solidarité
particulier. Il y a, parmi vous, dans cette assemblée, des personnes
qui, du fait de leur remariage, n’ont pas accès à la sainte
eucharistie. Sommes-nous plus dignes qu’eux ? Je ne peux juger
dans vos cœurs. Pourtant je vais faire quelque chose
que je n’ai jamais encore fait. Peut-être que ce sera un acte
limite, au sens du rite catholique, mais je me propose, je vous
propose, de ne pas communier, de vous contenter de
venir, comme eux, demander la bénédiction de Dieu. Étant l’un
des plus âgés, dans cette église, je me sens le devoir de montrer
le chemin. Si certains d’entre vous désirent s’unir au Christ,
je ne peux le leur refuser. Pourtant, je vous le demande, sommes-nous
dignes de porter le Christ, d’être temple de son corps ?
Il
s’assit… Laissant résonner dans la petite chapelle, le sens de
ce qu’il venait de prononcer… Avait-il tort ? Il n’osait
croiser le regard de certains paroissiens. Peut-être que cela serait
rapporté au curé, amplifié, déformé. Après tout, il avait parlé
avec son cœur.
Quand
vint le moment de la communion, il fut surpris de voir Jean-Marie et
Sophie s’avancer vers l’autel, jusqu’à ce qu’il aperçoive
leurs bras croisés. En signant le front de Sophie, il vit que des
larmes baignaient ses joues. Elle avait, pourtant, quand elle lui fit
face, un large sourire. Jean-Marie était plus discret. Pourtant, en
croisant son regard, il lut une profonde gratitude. Derrière eux,
tous les paroissiens se présentèrent à lui. Malgré l’hostie
qu’il tenait prête, aucun, ce jour-là, n’osa communier. Au fond
de son cœur, il rendit grâce à Dieu…"
Les lecteurs de ce blog y retrouveront la théologie qui sous-tend mes autres ouvrages et notamment cette lecture particulière de Jean, développée dans "A genoux devant l'homme".