20 juillet 2020

Kénose de l’Eglise - dépouillement 23

La sainteté de l’Église est plus que jamais en question.
Comment y rester fidèle après les révélations récentes ?
Pourquoi et comment évoquer encore le mot de sainteté ?
Quelles sont les pistes d’une réforme ?
Peut on parler d’une nécessaire kénose de l’Église au sens d’un dépouillement salutaire...
Comment interpréter l’incendie de nos cathédrales, la désertion des fidèles...
Autant de sujets brûlants qui nécessitent une prise de hauteur.
Le livre suivant, écrit à partir de 2010, dans la foulée de celui du Père Vidal « Cette église que je cherche à comprendre » ne perd pas sa pertinence.
Reprenant les analyses de J. Moltmann, de H de Lubac ou Y. Congar, il trace aussi un chemin très personnel en tension entre contemplation et révolte.
Il est maintenant disponible gratuitement sous ce lien chez Fnac.com et kobo au format ePub :


La liste des 13 ouvrages déjà mis en ligne gratuitement est disponible plus bas ou sous ce lien...


« De même donc que le Seigneur n'a rien fait, ni par lui-même ni par ses Apôtres, sans son Père, avec qui il ne fait qu'un, ainsi vous-mêmes ne faites rien sans l'évêque et les presbytres. N'essayez pas de donner une apparence de raison à vos activités privées, mais faites tout en commun : une seule prière, une seule supplication, un seul esprit, une seule espérance dans la charité, dans la joie irréprochable ; un seul Jésus Christ, qui est au-dessus de tout. Concourez tous à former comme un seul temple de Dieu, autour d'un seul autel, en l'unique Jésus Christ, qui est sorti du Père unique, qui était auprès du Père unique, et qui est retourné à lui ». (1)

(1) saint Ignace d’Antioche, lettre aux Magnésiens, source : office des lectures de la 16 semaine 

19 juillet 2020

Dépouillement 22 - le bon grain, l’ivraie et La Croix


Il y a une lecture pascale et johannique du texte de Matthieu 13 en Jean 13. Elle illustre et complète la parabole du bon grain et de l'ivraie, dans l'agenouillement du Christ devant Pierre et Judas.
C'est « l'où es-tu ? » final de Dieu devant l'homme, lancé depuis Gn 3....Le Christ a vécu dans sa chair, ce dépouillement. Il s'est mis à genoux devant les deux « graines » qu'était Judas et Pierre, il a lavé les pieds des deux apôtres.
Judas a refusé l'amour et s'est pendu dans la géhenne, la vallée maudite qui jouxte Jérusalem
Pierre a renié le Christ jusqu'au bout, par trois fois, mais le Verbe semé en lui a étouffé l'ivraie de la discorde, le germe de violence qui cohabitait en lui. Pierre n'a pas pris pas l'épée, il accepte de se laisser laver tout entier par les larmes... Au lieu de choisir la mort, il a choisi douloureusement le repentir puis la vie.


Dans la mort du Christ Pierre a entamé son dépouillement ultime. Aux triple questions du Christ qui répondent à son triple reniement, s'amorce la naissance de la plante fragile et immense qui sera l'Eglise (Jn 21).
« Pierre m'aimes-tu ? »
De Jean 13 à  Jean 21 s'étend la clé qui ouvre et met à jour l'amour de Dieu pour l'homme.
Je l'ai compris dans la chair le jour où j'ai senti le Christ à genoux devant moi. Cette révélation, à Penboc'h un jour de retraite ignatienne il y a une dizaine d'années est le germe ultime de ma vocation de diacre.
Ne soyons pas source de discorde, laissons l'Église entamer le dépouillement final...poussé par l'Esprit qui travaille sans cesse en l'homme pour faire jaillir les semences du Verbe.

Nos cathédrales peuvent être réduites en cendres... le germe divin ne sera pas atteint. La moisson vient, le grain semé germe au fond de l'homme. l'Église est le creuset, le Corps de l'espérance de Dieu, le fruit ultime de son agenouillement et de son dépouillement 
Le dépouillement et l'agenouillement de Dieu est la clé cachée de la parabole. Écoutons le Christ à genoux nous demander « m'aimes-tu ? ». « Supportez-vous les uns les autres avec amour. Ayez à cœur de garder l'unité dans l'Esprit par le lien de la paix » (Ep 4,2-3). N'y a-t-il rien en toi qu'un autre n'ait à supporter ? (1)

(1) Saint Augustin Commentaire sur le psaume Ps 99, 8-9, PL 37, 1275-1276 (Saint Augustin, maître de vie spirituelle; trad. A. Tissot, S.J.; Éd. X. Mappus 1960, p. 115-116 rev.), source  : l'Évangile au Quotidien 




18 juillet 2020

Le bon grain et l’Ivraie - 16eme dimanche année A

Projet d'homélie - 2 
Le livre de la sagesse et surtout le psaume 85 donne le ton. Il nous fait contempler d'abord cet amour de Dieu tendre et miséricordieux qui prend patience et regarde l'homme en espérant le meilleur de lui-même. Il y a quelque part une forme d'agenouillement et de dépouillement devant l'homme. Une espérance...
Une espérance que tout ce qu'Il a donné, tous les signes, toute la pédagogie de Dieu va donner naissance à une plante, à une graine, à quelque chose qui va porter du fruit.
Laisser pousser l'ivraie, n'est-ce pas croire à la victoire de l'amour sur la mort.
Face à cette espérance de Dieu, face aussi à l'Esprit qui a été donnée à l'homme, quelle est notre attitude ?
Comment faire ?
Deux pistes :
  1. Ne pas tomber dans le jugement sur autrui
  2. Regarder le chemin parcouru et avancer...

L'Esprit vient au secours de nos faiblesses sur ces deux chemins. Il nous aide à espérer en l'homme comme Dieu espère en nous.
Il nous aide à trouver la force d'avancer...
Laissons nous traverser par cette espérance.
Laissons nous surtout porté par Dieu, pour échapper aux pièges du jugement, pour nous concentrer sur la tâche qui nous est impartie, pour nous laisser saisir par le Christ, en oubliant le chemin parcouru...(au sens donné par Ph 3).

L'ivraie du voisin est une fausse piste. Par la prière Dieu nous conduit à voir ce qui en nous est à transformer. Par sa tendresse, son amour et son pardon, Dieu nous conduit à la vie. Laissons nous transformer par l'Esprit qu'il a déposé en nous.

Ce n’est qu’à ce prix que Dieu pourra rendre justice. Abandonner le jugement sur autrui, c’est laisser agir le Dieu de tendresse et de miséricorde qui guide l’homme vers la victoire du bien. Ce n’est pas notre combat.


17 juillet 2020

Nudité ultime - Dépouillement 21

Il y a un verset du chapitre 33 d'Exode que je ne cesse te contempler et méditer. Il suit Ex 32, et l'épisode du veau d'or et prépare Ex 34 et la révélation lumineuse du Dieu de tendresse à Moïse, dernière marche des épiphanies avant la Transfiguration.
Ce verset invite à « enlever ses vêtements de fête » (Ex 33,5) (1).
Qu'est-ce à dire ? Si ce n'est entrer dans ce dépouillement qui permet d'aller jusqu'à la vision de Dieu. Quel est le point ultime de ce mouvement, si ce n'est contempler la nudité du Christ dans son premier dépouillement, celui de l'enfant donné, dans le vêtement retiré du laveur de pieds, jusqu'à son dernier dépouillement, un Christ défiguré de l'amour versé, un Christ transpercé par nos violences et nos abandons, un Christ révélé derrière le rideau déchiré du Temple, un Christ lumineux de la grâce jaillissante d'un cœur brisé ?

Le dépouillement de Dieu est le prélude musical de la kénose de l'Église qui ne fait que commencer.
Il s'inscrit dans la dynamique même de la « séparation » entre ciel et terre de Gn 1 ou du « quitter » de Gn 2 où l'homme quitte père et mère pour ne faire qu'une seule chair avec l'aimé(e), et parvenir à cette nudité sans honte de l'être dépouillé qui danse avec autrui et y découvre une autre danse plus essentielle, celle qui le fait parvenir à l'en Christo(2), l'en Christ où le don danse avec son Donateur et devient co-createur de l'amour, passeur, engendrement de l'autre (3) à qui il insuffle l'amour reçu d'ailleurs et qu'il ne peut conserver sans perdre. La manne ne dure pas. Le pain reçu ne persiste que partagé...
La dynamique sacramentelle part de l'aride liturgie pour nous propulser de dépouillement en dépouillement jusqu'au don de soi, l'ultime diaconie...

La danse nuptiale du Christ et de son Église va de dépouillement en dépouillement(4).



(1) cf. L'amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar développe abondamment ce thème dans la deuxième partie de sa trilogie.
(3) au sens charnel mais surtout au sens spirituel donné par P. Bacq et C. Théobald dans leur Pastorale de l'engendrement...
(4) « Dépouillement » est la web série qui complète la publication récente de « Dieu dépouillé », une exclusivité gratuite de 1200 pages sur fnac.com

Aride liturgie - dépouillement 20

Aride liturgie - dépouillement 20

Combien de fois la liturgie nous rebute, les symboles nous échappent, les gestes passent à côté de nos réalités humaines.

Je suis un des premiers à la décrier et la conspuer, à avoir en horreur ses fastes et ses excès. Et en même temps je dois avouer que parfois l'aridité de ces répétitions, la profondeur de sens de ce qui est prononcé, la face cachée des gestes et des symboles révèlent autre chose que l'apparence et le rideau se déchire (1). Arrière Satan...!

Dans l'aridité d'un chemin du désert (2), dans le dépouillement attendu d'un carême, dans la symbolique d'une misérable hostie offerte, Dieu se fait signe.

Paradoxe et oxymore que cette liturgie que nous détestons souvent sans en chercher le sens caché. Benoît XVI, avant d'être pape avait cette phrase assassine qui interpelle dans l'esprit du christianisme : « le prêtre peut-être un imbécile, le sacrement reste valide » (3) ce qui tempère nos ardeurs jalouses et notre aptitude fréquente à jeter le cœur du symbole avec l'eau du bain.

« Si ce que tu admires est une ombre, une préfiguration, combien grande est la réalité dont l'ombre excite déjà ton admiration. Écoute bien : ce qui s'est réalisé pour nos ancêtres n'était que l'ombre de la réalité à venir. Ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ. Cependant la plupart n'ont fait que déplaire à Dieu, et ils sont tombés au désert. Ces événements se sont réalisés en figure à notre intention. Tu sais maintenant ce qui a le plus de valeur: la lumière l'emporte sur les ténèbres, la vérité sur la figure, le corps du Créateur sur la manne venue du ciel.(4)

Je dois reconnaître qu'il m'a fallu près de 50 ans de pratique brouillonne et revêche avant de découvrir à travers l'enseignement lumineux d'un moine de Lérins à l'ICP (5) le sens caché de cette échange entre les fidèles et le prêtre qui ouvre la consécration et donne à ce dernier le droit temporaire et fragile de monter à l'autel pour célébrer le mystère eucharistique. (6)

Nous passons bien souvent à côté de l'essentiel. Et pourtant, combien de fois, au cœur d'une assemblée brouillonne, malgré mes réticences et mes distractions Dieu soudain m'a fait signe et s'est révélé soudain dans sa fragilité me faisant tomber à genoux devant lui, en dépit de mon orgueil et de ma suffisance.

« Tu étais là et je ne le savais pas » (7) résonne alors en nous les phrases d'Augustin, alors qu'un « Seigneur je ne suis pas digne » traverse notre esprit et nous découvre l'amour et notre faiblesse mêlée.

Le cléricalisme est-il le prix à payer, la pilule amère de ce mystère qui se cache derrière des années de tradition accumulées...?

L’eucharistie est le sommet d’une dynamique qui commence et rejoint l’agir. Elle cristallise en un temps et un lieu un double mouvement de Dieu vers l’homme, agenouillement sans fin et de l’homme vers Dieu, agenouillement rare et fragile, comme celui auquel Etty Hillesum s’est retrouvée conduite à adopter (8) suite au long travail intérieur de Dieu.


L’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse,
car nous ne savons pas prier comme il faut. » (Rom 8, 26)

(1) cf. Le rideau déchiré ou mon livre fleuve « pédagogie divine » in « Dieu dépouillé » gratuit sur Fnac.com
(2) cf. Le chemin du désert ibid.
(3) je cite de mémoire
(4) Ambroise de Milan, traité sur les mystères, source office des lectures du 16/7, 15ème semaine du temps ordinaire
(7) confessions, chap. VIII
(8) cf. Une vie bouleversée

Le titre de cet article m’a été partiellement inspiré par la méditation de François Cassingena-Trévédy sur l’aridité in « La voix contagieuse »

16 juillet 2020

Ordination des femmes - Dépouillement 19 - espoir et conversion

Jusqu’où l’Eglise doit-elle se dépouiller ?
Le premier pas reste un appel toujours personnel adressé à chacun, dans la foulée de ce que je décris dans ma web série...(Dépouillement 1 à 18).

Il y en a un autre, plus difficile et double à mon avis :
1. celui des clercs (dont je fais maintenant partie) qui ne doivent jamais renoncer à s’éloigner de l’éternelle tentation du pouvoir et de l’orgueil qui s’attache à la fonction très symbolique de « ministre » - fonction qui est par essence d’abord une fonction de serviteur à l’image du Christ décrit par Jean (1).
2. et celui du féminisme qui s’attache à une égalité forcenée alors que les femmes ont des qualités qui leur sont propres...(ce qui n’exclut pas, comme on le verra plus loin une nécessaire réforme).

Depuis la candidature d'Anne Soupa au primat des gaules, des arguments valables ont été émis dans les deux sens, mais un chemin ardu est, j'espère, avancé. J´ai moi même souligné l'intérêt que l’on pourrait trouver dans une distanciation de plus en plus nécessaire entre pouvoir, surveillance, autorité, service et responsabilité.

A cette occasion je soulignais combien le rôle de surveillance attribué aux évêques par la plus ancienne des traditions pourrait fort bien échoir à des femmes, dans une urgence nettement appuyée par la crise récente.

Plus généralement c’est la notion même de sacrement qu’il serait nécessaire d´étendre pour ne pas réduire aux rites ce qui devrait être une dynamique sacramentelle (2)

Il y a enfin une dynamique post conciliaire à soutenir en faveur de la collégialité.

Je découvre tardivement un article de Charles Delhez qui a précisé notamment en juin dans La Croix que « Jésus a donné aux femmes une place plus importante que ses contemporains. Saint Paul (...) ajoute-t-il, « a proclamé haut et clair l'égalité de l'homme et de la femme.(...)(3)Réserver la prêtrise aux hommes est pour elle une question de cohérence symbolique [soulignant] deux manières différentes d'être au monde. » le jésuite belge précise néanmoins que  « Si l'on veut maintenir le dialogue avec la culture moderne et si on promeut une conception moins sacrée du prêtre, ordonner des femmes serait un pas en avant dans la ligne du tournant opéré par Jésus. Cela irait dans le sens de l'histoire et lèverait une réserve importante de nos contemporains vis-à-vis de l'institution ecclésiale. Ce ne serait pas un non-sens, me semble-t-il. (...)  La première étape serait dès lors la réinstauration de diaconesses et le choix de femmes cardinales. L'onction des malades pourrait aussi être donnée par le baptisé, femme ou homme, qui a mission d'accompagner spirituellement la personne souffrante. Ne doit-on pas desserrer l'étau sacramentel devenu un quasi-monopole sacerdotal et masculin (exception faite pour le mariage et le baptême) ? (...) La première question n'est cependant pas, selon moi, celle du sacerdoce, féminin ou masculin – ce serait encore du cléricalisme –, mais celle de la vitalité des communautés appelées à être davantage responsables et adultes. On peut d'ailleurs se demander si la figure actuelle du clergé n'est pas dépassée » (4)
Cette question rejoint ce que j'ai noté dans mon livre de 2013 : « Cette église que je cherche à aimer » (5) un plaidoyer que je ne renie pas en dépit de mon changement d'état.
S'il est important pour chacun de comprendre l'étendue de sa différence il n'est pas incompatible de concevoir l'intérêt pour chacun d'une certaine humilité entre fonction reçue et place effective, pouvoir donné et humilité.
Je reste persuadé qu'une conversion intérieure des clercs doit se faire pour réaliser l'impasse où nous sommes, comme il est utile, pour la femme de percevoir que la fonction n'est qu'un leurre et que l'important est d'aimer.

On relira sur ce thème la notion de polyèdre souvent soulignée dans ce blog, à la suite des propos de François.

Le plus urgent reste de percevoir que notre Église reste pécheresse, tout en espérant sa conversion individuelle et collective. L'ampleur des dégâts mis en avant par la commission Sauvé devrait interpeller sur les dérives du pouvoir.

La noirceur de l'Église est-elle chemin de salut ? Rappelons ce que disait saint Ambroise

« Le Seigneur dit par la bouche d'Isaïe : Si vos péchés sont comme la pourpre, je les rendrai blancs comme neige. L'Église, qui porte ces vêtements blancs pour les avoir endossés grâce au bain de la nouvelle naissance, dit dans le Cantique des cantiques : Je suis noire et belle, filles de Jérusalem. Noire par la fragilité de la nature humaine, belle par la grâce ; noire parce que composée de pécheurs, belle par le sacrement de la foi. En voyant ces vêtements, les filles de Jérusalem disent, dans leur stupéfaction : Qui est celle-ci qui monte toute blanche ? Elle qui était noire, comment est-elle devenue blanche tout à coup ?

Quant au Christ, voyant son Église en vêtements blancs — c'est pour elle, dit le prophète Zacharie, qu'il avait pris des vêtements sales —, ou bien voyant l'âme purifiée et lavée par le sacrement de la nouvelle naissance, il lui dit : Que tu es belle, mon amie, que tu es belle : tes yeux sont beaux comme ceux de la colombe, cette colombe dont le Saint-Esprit avait pris l'apparence pour descendre du ciel. (...)
Aussi rappelle-toi que tu as reçu l'empreinte de l'Esprit : Esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de piété, esprit de crainte religieuse, et garde bien ce que tu as reçu. Dieu le Père t'a marqué de son empreinte, le Christ Seigneur t'a confirmé, et il a mis l'Esprit dans ton cœur, comme un premier don, ainsi que tu l'as appris par la lecture de l'Apôtre. » (6)

(1) cf. mon livre « à genoux devant l’homme »
(2) cf. Dynamique sacramentelle 
(3) cf. aussi, dans ce sens, l’exégèse du P. Morin qui distingue deux rédactions différentes au sein des lettres de Paul entre ce qui semble égalitaire  (qu’il attribue à Paul) et misogyne (plus tardif) voir aussi mon « serviteur de l’homme »
(4) Charles Delhez sj, Ordination des femmes, une évolution possible (La Croix, jeudi 4 juin 2020)
(5) en téléchargement libre sur Fnac.com à partir du 18/7
(6) Ambroise de Milan, traité sur les mystères, source office des lectures du 16/7, 15ème semaine du temps ordinaire

15 juillet 2020

Dépouillement 18 - baptême du Christ (Matthieu 3, Mc 1, Luc 3)

 S'il y a un dépouillement à contempler, c'est peut-être celui du baptême du Christ. Le voici en effet qui s'avance, se met à nu pour se plonger dans l'eau du monde, se plonger dans le monde. Dénuement total (Kénose) que celui d'un Dieu qui accepte de plonger dans l'eau du Jourdain jusqu'à nous rejoindre dans ce qu'il y a de plus humain. Dénuement premier et symbolique de Celui qui a accepté de mourir à sa nature divine pour rejoindre notre humanité dans ces eaux usées, dans ces eaux de la mort, pour nous permettre de renaître dans l'Esprit (cf. Jn 3) jusqu'au déchirement des cieux...

Plongée jusqu'à l'homme, agenouillement sublime de celui qui préfigure l'agenouillement final qui le portera à la croix.

Il y a dans le déchirement du ciel, la même symbolique que le déchirement du voile du Temple (cf. Mc 15, 38) et le cri divin qui reconnaît dans le nouveau baptisé la filiation première « Celui ci est mon Fils bien aimé en qui j'ai mis tout mon amour » est celui qui annoncera la résurrection et résonne dans le « c'est pourquoi » de l'hymne au Philippiens (cf. 2, 12 sq).

Le baptême du Christ est le prélude symphonique de la Croix. Et la colombe qui étend ses ailes est la symbolique synoptique du jaillissement de l'eau et du sang qui inonde encore le monde de sa grâce.

Symphonie de l'Évangile que cette révélation multiple qui rime avec ce que nous perpétuons dans le baptême de nos enfants.

Entrer dans le Jourdain à la suite du Christ c'est accepter de venir laver ce qui nous empêche d'aimer, c'est renoncer à tout ce qui fait obstacle à notre vocation originelle, c'est nous laisser modeler dans la forme originale et nue de l'homme créé par Dieu et pour Dieu.

Se laisser baptiser à nouveau dans chacun des lavement des pieds que le Christ nous propose au travers du sacrement de la réconciliation c'est accepter de laisser laver « tout entier »(cf. Jn 13), nous séparer de ce qui nous retient par le péché à ce qu'il y a de plus humain pour rentrer enfin dans la danse symphonique de Dieu avec l'homme, pour rentrer dans la vie en Christ, dans l'Esprit.

Renaître est à ce prix...

PS : méditation à la suite de « la voix contagieuse », chapitre 4, de François Cassingena-Trévédy, op. cit.
Dans la foulée et en 17ème complément de mon livre « Dieu dépouillé »

Dépouillement 17 - saint Bonaventure

Le chemin de l'homme vers Dieu n'est pas un chemin intellectuel, mais de l'ordre du dépouillement nous dit en substance Bonaventure en écho avec Mat 11, 25-27 : « Quittant l'Égypte, il entre au désert pour y goûter la manne cachée et reposer avec le Christ au tombeau, comme mort extérieurement mais expérimentant dans la mesure où le permet l'état de voyageur - ce qui a été dit sur la croix au larron compagnon du Christ : Aujourd'hui avec moi tu seras dans le paradis.
En cette traversée, si l'on veut être parfait, il importe de laisser là toute spéculation intellectuelle. Toute la pointe du désir doit être transportée et transformée en Dieu. Voilà le secret des secrets, que personne ne connaît sauf celui qui le reçoit, que nul ne reçoit sauf celui qui le désire, et que nul ne désire, sinon celui qui au plus profond est enflammé par l'Esprit Saint que le Christ a envoyé sur la terre.
Et c'est pourquoi l'Apôtre dit que cette mystérieuse sagesse est révélée par l'Esprit Saint.
Si tu cherches comment cela se produit, interroge la grâce et non le savoir, ton aspiration profonde et non pas ton intellect, le gémissement de ta prière et non ta passion pour la lecture, interroge l'Époux et non le professeur, Dieu et non l'homme, l'obscurité et non la clarté ; non point ce qui luit mais le feu qui embrase tout l'être et le transporte en Dieu avec une onction sublime et un élan plein d'ardeur. Ce feu est en réalité Dieu lui-même dont la fournaise est à Jérusalem.
C'est le Christ qui l'a allumé dans la ferveur brûlante de sa Passion. Et seul peut le percevoir celui qui dit avec Job : Mon âme a choisi le gibet, et mes os, la mort. Celui qui aime cette mort de la croix peut voir Dieu ; car elle ne laisse aucun doute, cette parole de vérité : l'homme ne peut me voir et vivre.
Mourons donc, entrons dans l'obscurité, imposons silence à nos soucis, à nos convoitises et à notre imagination.
Passons avec le Christ crucifié de ce monde au Père. Et quand le Père se sera manifesté, disons avec Philippe : Cela nous suffit. Écoutons avec Paul : Ma grâce te suffit. Exultons en disant avec David : Ma chair et mon cœur peuvent défaillir : le roc de mon cœur et mon héritage, c'est Dieu pour toujours. Béni soit le Seigneur pour l'éternité, et que tout le peuple réponde : Amen, amen. »


(1) Saint Bonaventure, itinéraire de l'âme vers Dieu, source office des lectures - fête du 15/7
Cf. aussi, sur le même thème mon « chemin du désert »


12 juillet 2020

Le bon grain - Dépouillement trinitaire - Mat 15 - 15ème dimanche ordinaire A

Le bon grain - Dépouillement trinitaire Mat 13 - 15ème dimanche du Temps Ordinaire

Contemplation, Projet 1

Dépouillement de Dieu que ce grain jeté en terre, dans la profusion des dons et l'espoir que quelque chose sortira de ce don immense et gratuit.



Dépouillement que ce grain jeté
Dépouillement qui va jusqu'au don du Fils et de l'Esprit
Retrait de Dieu après le don.
Un Dieu qui s'efface et laisse pousser en nous le fruit de ses dons.
Espérance de Dieu, aussi...
Espérance du Père qui va jusqu'à la désespérance du Fils et jusqu'au silence de la déréliction
Espérance du Fils contre toute espoir dans un Gethsémani renouvelé à chaque eucharistie donnée et dépouillée jusqu'au cœur de l'homme.
Espérance et dépouillement de l'Esprit qui a mis en nous le grain et rêve du grain qui pousse.
Espérance de Dieu qui observe en nous la semence et rêve de la plante.
Espérance et dépouillement trinitaire donc de Dieu qui attend nos premiers pas de danse et se réjouit de nos petits pas vers lui, comme un Père qui regarde son enfant marcher et tituber pour la première fois...
Joie immense quand le fruit germe, l'enfant marche, la brebis trébuche et se retourne vers le berger en pleurant...


PS : voir en contrepoint mon hommage à une amie d'hier, comme la joie des anges devant un fruit mûr et une plante qui porte des fruits...

11 juillet 2020

Pourquoi ? - dernier hommage à une amie

Pourquoi C. nous a t elle quitté ?

Nous sommes en droit de nous poser cette question ?
Nous avons même le devoir de nous interroger sur ce pourquoi.
Nous avons le droit de crier ?
Le silence apparent de Dieu est toujours mis en cause....
Il n'y a pas de réponse directe, évidente à cette question...
Mais il nous reste des traces,
Des graines,
Des semences...
Si le grain ne meurt, nous dit l'évangile il ne peut porter de fruit...
Vous le savez plus que moi, le grain ne meurt pas vraiment
Au contraire, planté en terre, abandonné à la terre, il prépare une plante, il germe et porte du fruit...
Et quel fruit...
C. tu as été confié à la terre et tu n'as cessé de porter du fruit
Tu es vivante encore, c’est notre espérance
Tu resteras vivante,,, en nous...
Comme tu l'as été avec nous....
Je me souviens de toi comme quelqu'un de droit,,,
Non pas rigide, mais droit....
Ta droiture, je dirais même ta verticalité, venait d'une longue histoire, difficile, douloureuse parfois, joyeuse certainement mais toujours nourrie de cette verticalité.
Dieu avait sa place chez toi...
Une place immense
Une quête
Combien de fois, assise en face de moi, ouvrant la Bible, tu as cherché à mieux connaître ce Dieu qui reposait caché au fond de ton cœur ?
Ce Dieu fragile, discret, silencieux, t'a toujours habité
Dans cette église de N. comme celle de ton village, tu étais toujours là...
Au premier rang,,,
Dieu était en toi,,, au fond de toi
Tu l'as semé à ta manière dans tout qui était amour chez toi.
Dans ton amour pour ton mari, tes enfants, petits enfants...les enfants du catéchisme, tes amis...
Ce qui était amour chez toi, ne mourra pas, en nous car il ne pouvait mourir en toi.
Tu étais, par bien des manières, amour...
Tu portais l'amour. Or l'amour ne meure pas...
Il y a une demeure préparée pour toi la haut, nous dit l’Évangile choisi aujourd’hui (Jn 14)
Comme tu demeureras en nous, dans cette verticalité qui t'as caractérisé
Ce Dieu souffrant planté en croix que tu n'as jamais renié t'attends.
Il est amour et il est chemin.
Tu as laissé en nous ta trace, parce que l’amour qui vibre en toi est chemin, il est vérité
L'amour a fini par t'emporter,
Mais il reste en nous comme un manque.
Une semence
Une quête, un cri...
Dieu est amour
Il est semence
Il est vie
Tu es partie mais tu vies en nous, tu vivras par la mémoire de ton sourire et de ta joie.
Parce que l'amour est plus fort que la mort...
Amen

09 juillet 2020

Homélie de mariage - Danse et liturgie - 1 Corinthiens 13 et Matthieu 5

Homélie de mariage - projet 2

Quel chemin...
Quel chemin fragile qu'un mariage.
Dans ce temps nouveau où toutes les certitudes semblent se fissurer, il est presque inouï que vous soyez là tous les deux à croire en l'amour alors que notre monde est ébranlé par une crise dont on ne voit pas la fin...

Sur la petite douzaine de mariage prévu cette année, vous êtes les seuls à avoir résisté sur la date et l'heure et cela déjà est signe, que quelque chose en vous est plus fort. Quelque chose est grand en vous et je ne peux que m'agenouiller devant cela.

L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ; il ne fait rien d'inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L'amour ne passera jamais. (1 Co 13)

Si vous permettez et si je pouvais en faisant cela ne pas endormir l'auditoire, j'aimerais commenter une à une ces phrases de Paul qui constitue probablement les plus belles pages jamais écrites sur l'amour...

Il y a plusieurs lectures possibles de ce texte, de la plus « charnelle » à la plus théologique..

La plus charnelle parce qu'un amour conjugal, un amour intime peut être habité par ces vertus de la patience, de l'attention à l'autre, de la quête, non de son propre intérêt mais de celui de l'autre. En plus de trente trois ans de vie conjugale je vous dirais, sur la pointe des pieds que cela est l'essence même d'une vie à deux.

Il y a là le fondement d'une danse, d'une symphonie des corps toujours à parfaire et purifier....

Vos corps et vos cœurs mêlés sont les lieux les plus intimes et les plus dépouillés de l'existence et patience, respect et souci de l'autre en forme la musique la plus essentielle.

Et en même temps, comme le disait Jean Paul Il cette rencontre la plus intime est appelée à être liturgie...

Que veut dire liturgie...?

Cela touche à la fois au sacré, à la joie, à la liberté et au don...

La liturgie des corps s'inscrit dans les quatre points que nous avons évoqués ensemble lors de notre première rencontre.

Lieu de liberté d'abord... que vos rencontres soient libres, c'est à dire à la fois librement consenties et légères de vos histoires passées
Que vos rencontres soient fécondes, lieu de vie, source de vie...
Que vos rencontres soient fidèles...
Que vos rencontres soient dons, indissolubles et par essence qu'elles ne cherchent plus vos intérêts propres mais ce couple que vous allez construire

Que votre couple enfin s'embrase dans quelque chose de plus immense. Votre amour est grand, il vous dépasse car il rejoint l'amour du créateur et c'est là où vous pouvez comprendre que ce lien indissoluble qui vous réunit est au cœur du projet de Dieu. La dimension liturgique de l'amour, c'est saisir qu'à deux rayonne quelque chose de grand, d'immense le plan de Dieu pour l'homme...

Votre amour deviendra alors « le sel de la terre », c'est à dire que pour vos enfants, vos amis, votre entourage la lumière cachée de votre union la plus intime sera lumière de l'amour reçu et donné, partagé, liturgie d'un Dieu qui donne et s'efface, qui meurt à soi même et se tait, qui prend patience et ne cherche pas son intérêt, qui invite à danser et trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L'amour ne passera jamais.

Votre amour sera chrétien s'il rayonne de cela, s'il exprime cela, s'il est habité par cela. Si au cœur de votre vie, l'amour est moteur, Dieu sera là et la joie qui habitera vos rencontres deviendra liturgie et danse avec, en Dieu et peut-être pour Dieu...

Le chemin n'est pas simple. Il est difficile. Vous en avez fait l'expérience. Vous traverserez encore des doutes et des souffrances mais je l'espère, ces textes et surtout le sens profond de ces textes, vous habiterons.

« Que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »
Matthieu 5, 12

07 juillet 2020

Le cri du cœur...

Concevoir les homélies comme autant de « rencontre[s], de relation[s], d'entretien[s] familier[s]», nous rappelle François Cassingena-Trévédy (1), j'ajouterai d'interactions entre la Parole inaccessible et l'intériorité inatteignable de l'homme, tel est l'enjeu du ministre, à qui revient la charge, combien délicate de commenter le « dit » de Dieu...

Dans Autrement qu'être, Emmanuel Lévinas distingue fort bien le dire et le dit. Au dire inaccessible le dit reste réduction, déformation, oxymore.

Qui sommes-nous pour oser ajouter un iota à la Révélation ?

La Parole agit en nous par bien des manières et il serait prétentieux de la réduire à un commentaire. 

C'est toujours difficile d'écrire alors qu'il faudrait entrer dans le silence ou prononcer à peine quelques phrases pour réveiller chez l'autre quelque chose de plus grand. 

N'approche pas d'ici, « retire ses sandales »...(Ex 3) La Parole te dépasse, la Parole est plus grande que toi. Il faudrait rester à la « lisière du silence (1)», rester silencieux et pourtant on s'essaye, on ose, parce que la Parole manduquée appelle à être partagée. Elle bouillonne en toi et te dépasse. L'exercice partagé sur mon blog (2) en temps réel avec ses versions successives est osé. Il est un éternel appel à réaction, non pas parole assénée mais quête, recherche, dynamique et dépouillement...

Agenouillement aussi.
Agenouillement devant ce texte qui nous parle.
Agenouillement devant l'homme (3), cet auditeur anonyme que l'on ne saurait juger, tant il peut être lui-même traversé au plus intime de lui-même par le courant d'air, le bruit d'un fin silence (1 Rois 19)qui vient révéler en lui une présence secrète et aimante, douce et miséricordieuse, fragile et pourtant interpellante.

Retire tes sandales ô lecteur.
Derrière l'orgueil toujours trop présent du prêcheur se cache, ténu, le frisson intérieur qui l'a conduit à murmurer un chant, à esquisser un pas de danse avec ce Dieu qui vient nous visiter...

Si, depuis des années, je danse discrètement avec d’autres ou seul sur ce vecteur fragile, une valse légère nos contacts quotidien avec la Parole génère en nous des mouvements intérieurs qu'il est impossible de laisser sous le boisseau.

Pardon si l’on dérange, mais le dit ne cesse de frapper à la porte et nous appelle à crier : « Écoute ! Dieu te parle. Arrête de courir, entre au fond de toi (...)  déchire « ton vêtement de fête » (Ex 33). Dieu veut te parler dans le silence bruyant d'un livre inachevé, en dépit du rideau déchiré (4) qui a pourtant révélé sur la Croix le cri d'un où es-tu ? (Gn 3)

Dieu est là en toi, plus présent que tu ne l’espères, présence fugace, insaisissable. Il affleure le discours, se révèle en dépit de l’orateur n’est qu’un indigne passeur d’une Parole qui t’appelles à aimer.

Fais que tressaille son silence
Sous ton Esprit ;
Dieu, fais en nous ce que tu dis,
Et les aveugles de naissance
Verront enfin le jour promis
Depuis la mort de ta semence.(5)

(1) François Cassingena-Trévédy, La voix contagieuse, Editions Tallandier, 2017, p. 9sq.
(2) cf. http://chemin.blogspot.com
(3) voir mon livre éponyme téléchargeable sur Fnac.com
(4) idem.
(5) hymne de l’office des lectures


04 juillet 2020

Homélie de baptême de Célenne du 5/7

Projet de notes pour le baptême de Célenne du 5/7

Vous n'avez pas choisi les textes les plus faciles. La première lecture et le psaume constitue une sorte de cadre. Le psaume rassure : Dieu est avec nous. « Le Seigneur est ma lumière et mon sauveur, je n'ai rien à craindre de personne. Le Seigneur est le protecteur de ma vie, je n'ai rien à redouter.
Je ne demande qu'une chose au Seigneur, mais je la désire vraiment: c'est de rester toute ma vie chez lui, pour jouir de son amitié et guetter sa réponse dans son temple. Alors, quand tout ira mal, il pourra m'abriter sous son toit, il me cachera dans sa maison, il me mettra sur un roc, hors d'atteinte.
Seigneur, montre-moi la voie que tu me traces; à cause de mes adversaires dirige-moi sur un chemin sans obstacle.»
‭‭Psaumes‬ ‭(26):1, 4-5, 11‬ ‭BFC‬‬

Quelle est cette voie.
La première lecture répond même si elle est plus complexe. Elle évoque la mort. Pourquoi mourir, mm ? « pour renaître » dit Jésus à Nicodème (Jn 3)

«Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés pour être unis à Jésus-Christ, nous avons été baptisés en étant associés à sa mort? Par le baptême, donc, nous avons été mis au tombeau avec lui pour être associés à sa mort, afin que, tout comme le Christ a été ramené d'entre les morts par la puissance glorieuse du Père, nous aussi nous vivions d'une vie nouvelle. En effet, si nous avons été unis à lui par une mort semblable à la sienne, nous serons également unis à lui par une résurrection semblable à la sienne. Sachons bien ceci: l'être humain que nous étions auparavant a été mis à mort avec le Christ sur la croix, afin que notre nature pécheresse soit détruite et que nous ne soyons plus les esclaves du péché. Car celui qui est mort est libéré du péché. Si nous sommes morts avec le Christ, nous sommes convaincus que nous vivrons aussi avec lui.» Romains‬ ‭6:3-8‬ ‭BFC‬‬

Le chemin qui fera de Célenne une véritable baptisée passe par une certaine mort. Un renoncement à ce qui la détournera de l'amour...
Un renoncement à l'esclavage, l'addiction sous toute ses formes, tout ce qui nous empêche d'aimer.

Revenons au psaume. Montre moi la vie. Montre moi l'amour chante le psalmiste...

«Alors, Jésus vint de Nazareth, localité de Galilée, et Jean le baptisa dans le Jourdain. Au moment où Jésus sortait de l'eau, il vit le ciel s'ouvrir et l'Esprit Saint descendre sur lui comme une colombe. Et une voix se fit entendre du ciel: «Tu es mon Fils bien-aimé; je mets en toi toute ma joie.» Marc‬ ‭1:9-11‬ ‭BFC‬‬

Le ciel s'ouvre. Dieu déchire le voile. Nous avons là chez Marc une première épiphanie.


Ce Christ que Dieu nous révèle qui est-il ? Marc mettra un évangile entier à le révéler. Ce sera votre tâche à vous parents et parrains que de révéler ce Christ qui ne se dévoile vraiment qu'à la Croix.

L'enjeu pour Célenne sera de trouver l'amour. Si Dieu l'accueille aujourd'hui dans sa maison c'est parce que vous désirez cela. Qu'elle meure à ce qui n'est pas l'amour et qu'elle se mette en chemin...

Ce chemin elle ne pourra le faire sans vous, parrain, marraine, parents et vous tous ici rassemblés. Son baptême n'aura de sens que si vous participez tous à ce chemin qui fera de Célenne une prophète de l'amour de Dieu pour l'homme, d'un amour sans limite...

Ce que nous allons vivre aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique.. Chaque partie du rituel s’inscrit sur ce chemin, mais ce n’est qu’un début...le chemin d’une vie 

03 juillet 2020

Homélie de Baptême du 4/7/20 - Projet



Projet d'Homélie - est-ce que je vais trop loin ? Avis bienvenus

Qu,êtes-vous venus chercher aujourd'hui pour Maēl ?
Une armure, un airbag, un contrat d'assistance comme celui offert par Darty ?

L'église ne procure rien de tout cela. Et le fait que vous portiez un masque aujourd'hui montre que la protection de Dieu est bien fragile.

Tournez vous un instant vers la Croix. Est-ce que Jésus avait l'air protégé par son père ? Non...

Le baptême est autre chose. C'est une invitation à suivre ce même Christ, fragile, transpercé, défiguré qui nous conduit à l'essentiel.

Les textes que vous avez choisi le disent à leur manière. L'important n'est pas la santé, le confort, la richesse. Dieu ne fournit rien de tout cela. L.important c'est l'amour...

«Je verserai sur vous l'eau pure qui vous purifiera; oui, je vous purifierai de toutes vos souillures et de toute votre idolâtrie. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J'enlèverai votre cœur insensible comme une pierre et je le remplacerai par un cœur réceptif. Je mettrai en vous mon Esprit, je vous rendrai ainsi capables d'obéir à mes lois, d'observer et de pratiquer les règles que je vous ai prescrites. Alors vous pourrez habiter dans le pays que j'ai donné à vos ancêtres; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu
‭‭Ézékiel‬ ‭36:25-28‬ ‭BFC‬‬

Cette prophétie d'Ezechiel est au cœur du mouvement qui est en jeu dans le baptême. Changer son cœur, aimer, comme le Christ, aimer jusqu'au bout...

Certes, le « Le Seigneur est mon berger, je ne manquerai de rien. Il me met au repos dans des prés d'herbe fraîche, il me conduit au calme près de l'eau. Il ranime mes forces, il me guide sur la bonne voie, parce qu'il est le berger d'Israël. Même si je passe par la vallée obscure, je ne redoute aucun mal, Seigneur, car tu m'accompagnes. Tu me conduis, tu me défends, voilà ce qui me rassure. Face à ceux qui me veulent du mal, tu prépares un banquet pour moi. Tu m'accueilles en versant sur ma tête un peu d'huile parfumée. Tu remplis ma coupe jusqu'au bord. Oui, tous les jours de ma vie, ta bonté, ta générosité me suivront pas à pas. Seigneur, je reviendrai dans ta maison aussi longtemps que je vivrai
‭‭Psaumes‬ ‭(22):1-6‬ ‭BFC‬‬

Mais ce chemin n'est pas un chemin sans ombre...

«personne ne peut voir le Royaume de Dieu s'il ne naît pas de nouveau.» Nicodème lui demanda: «Comment un homme déjà âgé peut-il naître de nouveau? Il ne peut pourtant pas retourner dans le ventre de sa mère et naître une seconde fois?» Jésus répondit: «Oui, je te le déclare, c'est la vérité: personne ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s'il ne naît pas d'eau et de l'Esprit. Ce qui naît de parents humains est humain; ce qui naît de l'Esprit de Dieu est esprit.»
‭‭Jean‬ ‭3:5-6‬ ‭BFC‬‬
L'enjeu pour Mael est de trouver l'amour. Si Dieu l'accueille aujourd'hui dans sa maison c'est parce que vous désirez cela. Qu'il meure à ce qui n'est pas l'amour et qu'il se mette en chemin...

Ce chemin il ne peut le faire sans vous, parrain, marraine, parents et vous tous ici rassemblés. Son baptême n'aura de sens que si vous participez tous à ce chemin qui fera de Maēl un prophète de l'amour de Dieu pour l'homme, d'un amour sans limite...

Ce que nous allons vivre aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique...

Ez 36 24-28
Ps 22
Jn 3, 1-6

01 juillet 2020

Dépouillement 14 - Homélie du 14ème Semaine du Temps Ordinaire, Année…

Projet 2

Quelles sont les trois grandes tentations ? Elles se résument, nous dit Jean, dans l'Avoir, le valoir et le pouvoir...
Nous avons là les trois tentations principales de l'homme... y compris celles de Jésus au désert...

Les textes d'aujourd'hui nous invitent à méditer leurs contraires, comme autant de facettes de Dieu.

A la tentation de l'avoir s'oppose la pauvreté du Christ
Au valoir s'oppose l'humilité de Dieu
A l'excès de pouvoir et la violence s'oppose la douceur...

Ces trois mots clés résonnent dans les textes d'aujourd'hui. Pauvreté, humilité et douceur...

Ces attributs de Dieu j'aimerais prendre le temps d'y faire écho...

Car notre chemin humain se résume dans l'écart creusé entre ces six tensions...

Choisir le dépouillement contre la tentation de l'avoir
Choisir la douceur contre nos tentations de pouvoir
Choisir l'humilité contre l'orgueil.

Écoutons maintenant à nouveau les textes de ce dimanche avec ces clés :
Pauvreté :
 « Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d'une ânesse. » Za 9, 9-10
Zacharie nous fait contempler cette pauvreté de Dieu face à laquelle nos richesses deviennent bien pâles. Heureux les pauvres de cœur, le dépouillement les rendra libres...
Cherchons cette pauvreté du cœur qui transforme notre regard sur autrui pour devenir contemplation du visage de l'autre. La pauvreté est la première clé...
Ce qu'annonce Zacharie c'est la pauvreté et l'humilité de Dieu, c'est le Christ entrant à Jérusalem assis sur un ânon au lieu d'être debout sur un char de feu....
Il en est de même de cette douceur qu'évoque à nouveau Zacharie....
Le roi qui nous est promis n'est pas un violent il « fera disparaître d'Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l'arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. » Za 9, 10
Ce que Zacharie proclame à sa manière n'est t'il pas ce Christ doux et humble de cœur que nous décrit Matthieu 11.

Il y a une libération qui est ici en jeu... sortir de l'emprise de la chair, comme le suggère Paul (Rom 8) c'est retrouver la liberté de ceux qui se dépouillent de ces tentations qui nous empêchent d'atteindre douceur et humilité.

Choisir la vie, c'est se libérer de ce qui conduit à la mort intérieure : pouvoir avoir valoir.

Il y a finalement un pas à faire dans notre dépouillement, c'est celui de prendre le chemin du Christ, ce qu'il appelle son joug, ce fardeau léger qui est le chemin de la vérité et de la vie.
N'est-ce pas d'entrer dans la danse de Dieu. Suivre Jésus devient léger quand on renonce au pouvoir à l'avoir ou au valoir.

La Pauvreté du cœur, l'humilité et la douceur. Là sont les moyens de rendre le fardeau léger.

Quand vous avancerez devant l'autel, tout à l'heure prenez le temps de ce dépouillement intérieur, de ce renoncement à l'avoir au pouvoir et au valoir. Choisissez l'humilité et la douceur....

PS : il y a une phrase dans l’Évangile qui peut nous faire trébucher, c’est cette condition posée.
« personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils choisit de le révéler »
Au delà de la lecture littérale : deux pistes. La piste historique ou Mathieu se demande pourquoi les juifs n’ont pas suivi Jésus, pourquoi le Fils ne s’est pas révélé ?
La deuxième piste, consiste à  contempler la révélation comme un chemin dans lequel Dieu nous invite. Choisir de découvrir le Christ est un chemin complexe qui prend du temps. Certains refusent d’entrer dans cette voie. Ils ferment eux-mêmes la porte. Mais à ce qui choisissent d’avancer, Mathieu en parlant deux fois de révélation nous montre qu’il y a un chemin de révélation commencé dès le début de l’Évangile et qui se complète dans ce texte de Mathieu. 

27 juin 2020

Dépouillement 13 - prendre sa croix - 13eme dimanche

Projet 3

Les textes de ce treizième dimanche de l’année A nous demande un pas de plus, mais quel pas !
Je regardais cette semaine, faute d'y avoir assisté à l'ordination diaconale d'une dizaine de jésuites à saint Ignace.



Dans le rituel d'ordination des diacres en vue du sacerdoce, on leur demande de s'engager au célibat en avançant d'un pas...
C'est pour eux une vie nouvelle, une belle façon de prendre sa croix, non pas un effort contre nature, mais peut-être une mort à sa nature pour entrer dans une dynamique différente.
A la lumière de cet « impossible à l'homme » de Mathieu 19, que soulignait Pierre Grelot (cf. mon billet précédent) l'enjeu est d'avancer vers cette « vie nouvelle » qu'évoque Paul dans Romains 6... un vrai dépouillement...
Il faut méditer sans cesse ce « non pas ma volonté mais la tienne » de Jésus à Gethsemani pour comprendre qu'à l'impossible humain, nul n'est tenu, mais que nous sommes appelés à nous en remettre à Dieu pour avancer, prendre sa croix et continuer la course au sens donné par Paul en Philippiens 3.
Je suis diacre, non en vue du sacerdoce mais ce qu'on appelle permanent. Je ne suis pas engagé au célibat mais « dans mon état » c'est à dire que si ma tendre épouse me « quittait » je devrais rester alors dans le célibat. J'ai donc fait à ma manière un petit peu ce pas, inouï de m'engager à une vie de dépouillement. Je me sens bien petit...
Ma vie maintenant est d'accueillir - le mot reviens souvent dans l'Evangile d'aujourd'hui...donner un verre d'eau, accueillir le prochain, le migrant, l'étranger. Je trébuche à chaque pas, je recule bien souvent au lieu d'avancer. C'est déjà un chemin impossible à l'homme. Seigneur donne moi la force d'avancer, de prendre, soulever cette croix, à ta suite, de me dépouiller de cette paresse constante, de tout ce qui m'empêche d'aimer.

Revenons à Grelot :  « En  face  de  ce  mystère  du  mal  qui  pèse  sur  notre  liberté  et auquel  nous  participons  à  notre  tour,  deux  attitudes  complémentaires  sont  en  même  temps  nécessaires.  D’une  part,  il  y  a place  pour  la  conversion  (...) d’autre  part,  cette  conversion même  est  affaire  de  grâce.  C’est  pourquoi (...)  l’auteur du  Ps 51  implore  de  Dieu  une purification  intérieure  (51,  3-4.  9), un changement de son cœur,  un don de l’Esprit divin  (51,  12-13), qui  seuls  lui  assureront  la  joie  du  salut  (51,  14-17).  Il  ne  s’agit pas   seulement   d’un   pardon   accordé   au   pécheur   repentant (cf.  Ps  32,  1-5  ;  130),  mais  d’une  recréation  de  son  être  qui  le rendra  capable  de  fidélité  (Ps  51,  12).  La  grâce  ainsi  demandée anticipe  sur  les  dons  rattachés  ailleurs  à  l’économie  eschatologique. » 

Au bout du chemin il y a l’inaccessible... mais sur la route, se trouve les dons de Dieu, la foi, la charité et l’espérance. L’espérance est si petite disait Péguy. On peut le comprendre à la lumière de nos limites humaines. Elle est là pourtant et la première lecture nous laisse, à ce titre, quelque chose à espérer.

(1) P. Grelot, ibid. p.29

26 juin 2020

Pierre Grelot - Pédagogie divine et salut - 28

Dans l'axe de mes propres essais sur la pédagogie divine il faut peut-être rappeler cette admirable analyse de Pierre Grelot que j'ose citer assez largement en invitation à lire plus l'ouvrage. « Dans le chapitre 3 de la Genèse (...), nous avons [un] péché-type, le péché par excellence, dont l'évocation révèle le mieux la nature même du péché : rendus par Dieu capables de libre choix, les protoplastes ([premiers humains]) tentent de se rendre maîtres du Bien et du Mal (c'est le sens de l'arbre symbolique de la Connaissance), afin de « devenir comme des dieux » en usurpant un privilège divin et en violant le précepte fondamental qui leur a été donné.
D'autre part, la place du récit montre que, pour son auteur, le péché a fait son entrée dans l'histoire par suite d'une décision libre de l'homme, et cela dès l'origine. C'est pour cette raison que [selon ce texte] la destinée de toutes les générations humaines porte les marques de la « colère » de Dieu : les conséquences normales du péché — souffrance et mort — pèsent sur la race entière ; nous en faisons nous-mêmes la tragique expérience. L'histoire sainte montrera Dieu aux prises avec cette humanité pécheresse, qu'il devra châtier trop souvent, mais qu'il a l'intention de sauver finalement du péché et de ses conséquences. Sur tous ces points, les religions anciennes n'ont rien d'analogue à nous offrir. (...) Des recueils prophétiques, (...) derrière l'histoire de la période royale, qui aboutit au désastre national de 586 et à l'exil, se découvre en effet l'expérience spirituelle des péchés d'Israël. Péchés individuels, dont la prédication prophétique nous donne une peinture dénuée d'artifice ; péché des rois, qui ont pour conséquence d'entraîner la nation entière dans les voies du mal ; péchés collectifs du peuple de l'alliance, qui viole le serment ancestral en se rebellant contre la Loi de Dieu. D'une littérature considérable aux formes très variées, nous devons faire ressortir ici les traits caractéristiques qui mettent en évidence la conception biblique du péché. En fait, il n'y a pas d'innovation doctrinale essentielle : les auteurs sacrés ne font qu'accentuer les traits spécifiques déjà décelés dans les textes de l'âge précédent, les dégageant mieux encore du vieux fond oriental dont j'ai marqué les survivances. Sur un point cependant leur message apporte un développement considérable, en annonçant le triomphe eschatologique de Dieu sur le péché humain. (...) Un grand nombre de discours prophétiques a pour thème la dénonciation des péchés d'Israël. La référence explicite à la Loi y est rare (cf. Os 8, 12), contrairement aux discours sacerdotaux du Deutéronome qui ont pour objet essentiel d'exhorter le peuple à pratiquer la Torah. Mais l'énumération des fautes d'Israël, accomplies en violation de la volonté de Dieu, suppose connue cette Loi dont les principaux commandements sont tour à tour évoqués. D'un prophète à l'autre, il y a bien des nuances. Ézéchiel, marqué par le milieu sacerdotal auquel il appartient, paraît mettre sur le même plan les fautes contre la morale sociale (comme l'injustice et le meurtre), les manquements aux préceptes religieux fondamentaux (comme l'idolâtrie ou l'inobservation du sabbat), les violations du droit positif (...) La hiérarchie des valeurs apparaît mal dans cette morale qui véhicule encore des éléments archaïques. Mais généralement, l'accent est mis sur les exigences religieuses et morales les plus hautes, soit celles du Décalogue (par ex. Os 4, 2), soit celles qui ont pour but d'instaurer dans la société une justice et une solidarité effectives (Is 1, 16-17 ; Am 5, 7-12 ; Jr 9, 1-8 ; Is 58, 6-7 ז) et de plier les individus aux vertus les plus nécessaires : fidélité, miséricorde, etc... En prolongement des textes juridiques anciens s'affirme ainsi chez les prophètes un affinement de la conscience, une vue plus lucide de ce que Dieu attend des hommes, une compréhension plus exacte de ce qui est « matière grave ».
Sans mettre pour autant dans l'ombre l'urgence des préceptes cultuels, cet approfondissement de la théologie morale s'attaque directement au ritualisme superficiel qui, en milieu cananéen
ou mésopotamien, constituait l'essentiel des exigences divines (par exemple Is 1, 11-17 ; Am 5, 21-24 ; Is 58, 1-8).
Parallèlement à cette réflexion sur la Loi, les prophètes insistent sur la responsabilité des pécheurs. C'est pour cela que, d'une part, ils annoncent le châtiment des hommes coupables
et finalement d'Israël entier, tandis que, d'autre part, ils appellent à la conversion intérieure, au retournement du cœur : « Lavez-vous, purifiez-vous... (c'est-à-dire : ) cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien» (Is 1, 16-17). Il s'agit de conversion morale, parce que les péchés commis sont d'ordre moral. Mais plus profondément encore, il s'agit de conversion religieuse, parce que les fautes morales elles-mêmes sont des infidélités à Dieu et des rébellions contre lui. A l'arrière-plan de cette intelligence du péché se trouve évidemment le thème de l'alliance. Pécher, c'est pour Israël manquer à la foi jurée, quelle que soit la nature du péché commis. A plus forte raison si le péché en cause est l'idolâtrie, cette tentation permanente du peuple de Dieu vivant au contact des païens. Sous ce rapport l'assimilation métaphorique de l'alliance à certaines relations humaines, comme les rapports entre père et enfants, entre époux et épouse, permet de mettre mieux en évidence la nature profonde et la malice du péché : rébellion d'enfants ingrats qui se révoltent contre leur Père (Os 11, 1-6 ; Is 1, 2-4) ; trahison d'une épouse infidèle qui a méprisé l'amour de son époux (Os 2 ; Jr 2, 20-25 ; 3, 20 ; Ez 16, 15-34). En tant qu'infidélité au Dieu unique, le péché — surtout celui d'idolâtrie — est une prostitution : l'image parle d'elle-même. Plus clairement encore que dans les anciens textes, le péché apparaît ainsi comme se situant au plan spirituel : il introduit le drame dans les rapports entre Dieu et les hommes.

Le récit du péché des origines ne joue aucun rôle dans la prédication prophétique, ce qui ne manque pas d'étonner quelque peu. C'est que l'attention des prophètes se porte moins sur l'origine du péché dans l'histoire que sur sa réalité actuelle.
Or de ce point de vue, ils approfondissent l'ancienne doctrine qui voyait déjà dans le péché plus qu'un acte passager des hommes : un mystère de mal présent au fond de leur cœur.
Le monde que les prophètes ont sous les yeux leur présente l'image d'une corruption universelle : « Il n'y a ni sincérité, ni amour, ni connaissance de Dieu dans le pays » (Os 4, 2). « Parcourez les rues de Jérusalem... Si vous découvrez un homme, un seul, qui observe le droit et recherche la vérité, alors je pardonnerai à cette ville » (Jr 5, 1 ; cf. 9, 1 8 ־ ; Is 59, 1-8). La vieille histoire de Sodome, cette cité perverse où il n'y avait pas dix justes (Gn 18, 22-33), se renouvelle donc pour le peuple de Dieu lui-même. Dieu l'avait choisi pour en faire son peuple de choix, un peuple saint (Ex 19, 6 ; Dt 7, 6). Mais la présence active du mystère du mal a été la plus forte. Malgré tous les dons de Dieu (l'alliance, la Loi, la terre promise, etc.), Israël s'est livré volontairement à ce mal. Il n'est que têtes dures et cœurs endurcis (Ez 2, 7). Il ne veut pas écouter Yahveh qui parle par ses prophètes. Cet endurcissement dans le péché est assurément l'élément le plus tragique du drame. Même les appels à la conversion n'y pourront rien : « Un Éthiopien peut-il changer de peau, une panthère de pelage? Et vous, pouvez-vous bien agir, vous qui êtes accoutumés au mal? » (Jr 13, 23). La doctrine prophétique confine ici au paradoxe. D'une part, elle atteste la responsabilité des pécheurs, que Dieu appelle à la conversion volontaire. Mais d'autre part, elle en vient à tenir la conversion
pour impossible, car la dureté des cœurs humains est inguérissable par les seules forces humaines. Comment donc le drame ouvert ici-bas par la présence du péché pourrait-il se dénouer? Humainement parlant, il ne le peut pas. Il y faudra un miracle de la grâce. (...)
C'est ici que l'eschatologie prophétique trouve son sens. On a souvent tendance à n'en retenir que les promesses de bonheur humain faites au peuple de Dieu pour les « derniers temps »,comme si le mythe du Paradis retrouvé en constituait l'essentiel.
En réalité, cet aspect de l'eschatologie ne s'entend bien que dans un cadre plus vaste : le drame du péché humain. De même que les évocations bibliques de l'histoire sainte insistent sur les
aspects tragiques de la condition humaine en y montrant les conséquences du péché, de même les évocations de l'eschaton (dénouement de l'histoire sainte) décrivent une transformation de la condition humaine, en conséquence du triomphe de Dieu sur le péché. Mais ce triomphe est évidemment la condition de tout le reste.
Il ne s'agit pas, notons-le, d'un triomphe moral de l'homme laissé à lui-même sur les penchants mauvais de sa nature. C'est Dieu, disent les prophètes, qui donnera à l'homme comme une
grâce ce que l'homme n'avait pu réaliser par ses seules forces. Cette grâce de rédemption est présentée, suivant les cas, de façons diverses. Quelques textes émergent parmi lesquels il faut
citer Os 2, 16-22 ; Jr 31, 31-34 et Ez 36, 25-28. Dans les trois cas, le contexte est celui d'une alliance nouvelle, instaurant entre Dieu et les hommes un rapport religieux que l'alliance
sinaïtique avait été impuissante à établir de façon stable. Dans cette alliance, en effet, la Loi divine restait extérieure à l'homme inscrite seulement sur des tables de pierre ; c'est pourquoi l'homme l'a violée et rendue caduque, manifestant en clair la corruption profonde de son être (cf. Os 2, 1-10 ; Jr 31, 32 ; Ez 36, 16). Mais dans l'alliance nouvelle, Dieu va donner aux hommes la justice, l'amour, la fidélité qu'il exige d'eux (Os 2, 21-22) ; il va inscrire la Loi dans les cœurs (Jr 31, 33) ; il va purifier les cœurs, y mettre son Esprit, faire qu'on observe ses préceptes (Ez 36, 25-27) : alors « ils seront son peuple et lui sera leur Dieu » (Jr 31, 33 ; Ez 36, 28). Cela suppose un pardon des péchés commis (Jr 31,34) et une conversion effective des pécheurs (Os 2, 9b).
Mais cela implique surtout une transformation profonde de l'être, que Dieu seul peut opérer.
Cette théologie anticipée de la rédemption projette donc sur le mystère du péché humain une lumière qui en révèle les dimensions véritables. En toute vérité, il serait impossible à l'homme d'échapper à l'emprise du mal : son cœur même en est prisonnier. Mais il n'est pas impossible à Dieu de l'en délivrer gratuitement, par pure miséricorde. Et c'est en cela que consistera justement le don eschatologique du salut. Alors, libéré de ses chaînes spirituelles, l'homme pourra bénéficier du bonheur que Dieu lui réserve depuis l'origine. Un texte précise à quelles
conditions ce salut pourra être accordé. Dans les chants du Serviteur de Yahveh, le mystérieux personnage qui est présenté comme l'artisan du salut et le médiateur de la nouvelle alliance
(Is 42, 6-7) doit subir, quoique innocent, les conséquences du péché humain. Participant à la condition humaine jusqu'à la souffrance et la mort, il accomplira par là l'expiation qui purifiera les hommes de leurs fautes (Is 53, 10-11). En lui, le seul Juste,
la condition humaine prendra donc un nouveau sens : marquée jusque-là par les stigmates du péché, elle deviendra le moyen de la rédemption. La théologie du salut et celle du péché sont
ici corrélatives ; c'est pourquoi leur approfondissement va de pair. » (1)

Ce qui est finalement passionnant dans cette approche de Grelot c'est finalement ce paradoxe propre à Matthieu 19. Nous voyons à la fois l'impossibilité que nous avons de sortir de notre tendance au mal et ce rendu possible, par la médiation du Christ. L'Ancien Testament révèle cette pédagogie divine particulière qui déchire le voile et transparaît en Christ.

«Jésus les regarda et leur dit: «C'est impossible aux hommes, mais tout est possible à Dieu
‭‭Matthieu‬ ‭19:26‬ ‭

A méditer.

(1) Pierre Grelot, De la mort à la vie éternelle, chapitre 1, Cerf 1971

24 juin 2020

La course infinie 2 - Grégoire de Nysse


La course infinie 2 - Grégoire de Nysse

L'auteur de la vie de Moïse a toujours une belle façon de contempler les écritures. Je ne résiste pas au bonheur de vous partager cette série de contemplations offertes à la méditation dans l'office des lectures de cette semaine. On y découvre d'abord cette belle méditation du chemin de Paul et de son « imitez moi » de Philippiens.

« Saint Paul, avec plus de précision que personne, a compris qui est le Christ et a montré, à partir de ce que celui-ci a fait, comment doivent être ceux qui portent son nom. Il l'a imité si clairement qu'il a montré en sa personne quelle est la condition de son Seigneur. Par cette imitation très exacte, il a confondu l'image de son âme avec son prototype au point que ce n'était plus Paul qui semblait vivre et parler, mais le Christ lui-même. Comme il le dit, en prenant admirablement conscience de ses propres avantages : Puisque vous désirez avoir la preuve que le Christ parle en moi. ~ Et encore : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi.

Il nous a donc révélé ce que signifie le nom du Christ, lorsqu'il nous dit, que le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu ; en outre, il l'a appelé paix et lumière inaccessible où Dieu habite, sanctification et rédemption, grand prêtre, agneau pascal, pardon pour les âmes, lumière éclatante de la gloire, expression parfaite de la substance, créateur des mondes, nourriture et boisson spirituelle, rocher et eau, fondement de la foi, pierre angulaire, image de Dieu invisible, grand Dieu, tête du corps qui est l'Église, premier-né avant toute créature, premier-né d'entre les morts, premier-né de la multitude de frères, médiateur entre Dieu et les hommes, Fils unique couronné de gloire et d'honneur, Seigneur de gloire, commencement de ce qui existe,  ~ roi de justice et ensuite roi de paix, et roi de tous les hommes, avec une puissance royale sans aucune limite.

Il y a encore beaucoup de noms à ajouter à ceux-là, et leur nombre les rend difficiles à compter. Mais si nous rassemblons tous ces noms et si nous rapprochons leurs diverses significations, ils nous montreront tout ce que signifie le nom de Christ, si bien que nous pourrons comprendre toute la grandeur de ce nom inexprimable. ~

Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que nous sommes honorés du titre même du Christ en étant appelés « chrétiens », il est nécessaire que tous les noms qui traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle reçoive le témoignage de notre vie. Trois choses caractérisent la vie du chrétien : l'action, la parole, la pensée. Parmi elles, la principale est la pensée. Après la pensée, vient la parole, qui révèle par les mots la pensée imprimée dans l'âme. Après l'esprit et le langage, vient l'action, qui met en œuvre ce que l'on a pensé. Lorsque l'une de ces trois choses nous dirige dans le cours de la vie, il est bien que tout : parole, action et pensée, soit divinement réglé selon les connaissances qui permettent de comprendre et de nommer le Christ, afin que notre action, notre parole ou notre pensée ne s'écartent pas de ce que ces noms signifient.
Que doit faire celui qui a obtenu de porter le nom magnifique du Christ ? Rien d'autre que d'examiner en détail ses pensées, ses paroles et ses actions: est-ce que chacune d'elles tend vers le Christ, ou bien s'éloigne de lui ? Cet examen se fait de multiples façons. Les actes, les pensées ou les paroles qui entraînent une passion quelconque, tout cela n'est aucunement en accord avec le Christ, mais porte l'empreinte de l'Adversaire, lui qui plonge les perles de l'âme dans le bourbier des passions, et fait disparaître l'éclat de la pierre précieuse.
Au contraire, ce qui est exempt de toute disposition due à la passion regarde vers le chef de la paix spirituelle, qui est le Christ. C'est en lui, comme à une source pure et incorruptible, que l'on puise les connaissances qui conduisent à ressembler au modèle primordial ; ressemblance pareille à celle qui existe entre l'eau et l'eau, entre l'eau qui jaillît de la source et celle qui de là est venue dans l'amphore.
En effet, c'est par nature la même pureté que l'on voit dans le Christ, et chez celui qui participe au Christ. Mais chez le Christ elle jaillit de la source, et celui qui participe du Christ puise à cette source et fait passer dans la vie la beauté de telles connaissances. C'est ainsi que l'on voit l'homme caché concorder avec l'homme apparent, et qu'un bel équilibre de vie s'établit chez ceux que dirigent les pensées qui poussent à ressembler au Christ.
À mon avis, c'est en cela que consiste la perfection de la vie chrétienne: obtenir en partage tous les noms qui détaillent la signification du nom du Christ, par notre âme, notre parole et les activités de notre vie.(1) »

Sur ce chemin Grégoire va un pas plus loin : « L'impression que l'on éprouve lorsque, du haut d'un promontoire, on jette les yeux sur la mer immense, mon esprit la ressent lorsque, du haut de la parole du Seigneur, comme du sommet d'une montagne, il regarde la profondeur insondable des pensées divines.

Souvent, au bord de la mer, on voit s'élever une montagne qui présente à l'océan une pente abrupte du haut jusqu'en bas, et dont le sommet surplombe l'abîme. Mon âme souffre du même vertige lorsqu'elle est emportée par cette grande parole du Seigneur Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu.

Dieu se fait voir à ceux qui ont purifié leur cœur. Or, Dieu, personne ne l'a jamais vu, dit le grand saint Jean. Et saint Paul, cet esprit sublime, renforce cette affirmation en disant que personne ne l'a jamais vu, et que personne ne peut le voir. Il est ce rocher lisse et abrupt qui n'offre aucune prise à nos pensées, et que Moïse, dans ses enseignements, déclare inaccessible à notre esprit. Il détournait de l'approcher tous ceux qui essayaient de le saisir, en affirmant : Il n'y a personne qui puisse voir le Seigneur sans mourir.

Et pourtant, voir Dieu, c'est la vie éternelle. Mais ces colonnes de la foi, Jean, Paul et Moïse déclarent que c'est impossible ! Tu vois quel vertige s'empare de l'âme attirée par la profondeur de ce que nous découvrons dans les discours du Seigneur ! Si Dieu est la vie, celui qui ne le voit pas ne voit pas la vie. Et les prophètes, comme les Apôtres, qui sont remplis de Dieu, attestent qu'on ne peut voir Dieu. Dans quelles limites l'espérance des hommes est-elle enfermée ?

Mais le Seigneur soutient cette espérance défaillante. C'est ainsi qu'il s'est comporté envers Pierre. Celui-ci était en péril de se noyer, mais Jésus le fit tenir sur l'eau comme sur une matière ferme et consistante. Si donc la main du Verbe s'étend vers nous, alors que nous sommes chancelants à cause de la profondeur de ces considérations, si elle nous établit fermement sur l'une de ces pensées, nous serons rassurés parce que le Verbe nous aura comme saisis par la main. Car il dit : Heureux les cœurs purs : ils verront Dieu. »(2)



(1) Saint Grégoire de Nysse - Traité sur la perfection chrétienne, source office des lectures du 12ème lundi et mardi ordinaire
(2) Homélie sur les béatitudes, ibid, jeudi de la même semaine
Ps : Voir aussi l'ouvrage d' Hans Urs von Balthasar ou mon petit livre sur Grégoire « La course infinie »