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30 août 2024

Nuit et lumière - Lumière noire ?

L’épisode des vierges folles et des vierges sages que nous présente l’Evangile d’aujourd’hui (Matthieu 25, 1-8) interpelle toujours le lecteur, par ce refus des sages. Pourquoi ne peuvent elles pas partager leur huile ? 

Il faut entrer dans ce que Paul Ricoeur appelait dans son livre éponyme « la métaphore vive » (1) du récit. 

L’huile n’est pas partageable comme un bien marchand. Il s’agit plutôt du travail intérieur de celles qui traversent la nuit pour garder en eux la lumière du Christ.

Que faisons-nous de cette Parole, de ce Verbe qui vient nous visiter dans la nuit de notre foi. « Lumière noire » disait Madeleine Delbrel qui souffrait autant du refus des hommes que de celui d’une Église encore trop figée dans le passé, mais aussi probablement de la nuit du monde.

Quel est l’enjeu ? La fausse clarté bien humaine s’obscurcit dans la nuit.

« La route n’est pas la lumière, elle est l’espoir de la clarté. Elle n’est pas la flamme première, les promesses de vérité. Elle est le terme de l’attente et l’éternité de  l’effort. Le but de la route montante est le passage de la mort. » (2)

Et quelle mort si ce n’est de toute prétention humaine ?

L’essence de notre traversée est d’aller au delà du silence et de la mort, dans l’humilité ultime, le dépouillement où nous ne sommes plus rien qu’un instrument de la lumière fragile, du chant discret des âmes, qui appellent et découvrent au bout de leurs routes. la Croix unique où Dieu apparaît et dévoile le fleuve ténu qui s’échappe, par son effacement sublime, un un ruisseau fragile d’eau et de sang (Jn 19,34), avant de s’étendre en un fleuve immense (cf. Ez 47).






Lumière noire, mais aube d’une résurrection lumineuse (3) qui jaillira en Galilée…

Ce que cherchent les mystiques dépasse toute sagesse humaine. 

Dans le silence du samedi saint où la douleur du monde éclate et emplit nos nuits, il nous faut encore et encore contempler le chemin de l’époux, traverser les tombeaux du monde à la recherche du Ressuscité.


C’est ce que glisse Paul dans la première lecture (1 Co 1) dans cette phrase étonnante : « le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile,
et cela sans avoir recours au langage de la sagesse humaine, ce qui rendrait vaine la croix du Christ. Car le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous ».

Cette pique contre un baptême imposé interpelle. L’enjeu est ailleurs ? 

A méditer 


(1) Paul Ricoeur, La métaphore vive, Seuil, 1975

(2) Madeleine Delbrel, La route, extrait du poème. 

Voir sur le même thème, François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, et notamment « la nuit ténébreuse » d’Adrienne von Speyr p. 320 ou « le soleil de l’obscurité » de mère Teresa, op. cit. p. 442 

(3) voir pour rappel la version beta de mon dernier essai  

 Quatrième tome de ma série, danse avec ton Dieu et 24eme lecture pastorale il reprend et commente la traduction de l’Evangile selon saint Jean d’Eric Régent, au plus près du grec et analyse ce texte métaphorique sous un angle nouveau.

Après ma sixième édition de « À genoux devant l’homme » qui étudiait Jean sous l’angle de l’humilité, je reprends à zéro mon travail pour étudier ce que Jean nous dit de la résurrection. A suivre. 

Une version bêta de ce livre déjà disponible ici :

- en version numérique gratuite sur Kobo/ Fnac.com

- au prix coûtant  de 6 euros TTC sur Amazon








28 août 2024

56 ans de lecture et d'écriture ? 126 livres ?



Vous trouverez ici petit récapitulatif mis à jour de mes publications sous ma signature*
(Le numéro correspondant plus ou moins à l'ordre approximatif de publication, chez Lulu.com / Createspaces / Kindle / Amazon ou Kobo, voire Googleplay et Itunes).
Sachant que je bascule progressivement toutes mes « lectures pastorales » et la plupart de mes romans en téléchargement gratuit sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com.

A - Conjugalités

2. Bonheur dans le couple, tome 1, 2004
3. Bonheur dans le couple, tome 2, 2005
30. Couple en crise, des pistes pour rebondir (2ème édition, avec le 29 en bonus)
52. A deux vers le mariage, un résumé du 2 et du 3
53. Marions-nous, Editions de l'Atelier
54. Sposiamoci! Editions Paoline (traduction italienne du n°53)
55. Nos Casamos... Editions CCS (traduction espagnole du n°53)
61. Chemins vers le mariage (collectif, Bayard, dir. S. Kerrien)
90. Aimer pour la vie, Essai de spiritualité conjugale, réédition de Bonheur dans le couple, tome 2, 2015


B - Recherches théologique et pastorale
1. Le troisième arbre, 1996
4. Pastorale du seuil, 2006
5. Retire tes sandales, une lecture de la trilogie de Balthasar, 2007
7. La voix d'un fin silence, études sur les théophanies, 2009
9. Chemins d'humanité, chemins vers Dieu (Recueil des n°2, 3, 4)
10. J'ai soif, tome 1, 2009
11. J'ai soif, tome 2
12. Chemins de prière
14. Les mains vides
15. Chemins de liberté
18. Dieu de faiblesse
19. L'amphore et le fleuve (Recueil contient les n° 5, 10 à 15, 18)
21. La danse trinitaire
22. Symphonie trinitaire, complément du 21
23. Le dernier pont, une première lecture de l'évangile de Jean
24. Cette église que je cherche à aimer
25. A genoux devant l'homme, reprise des 21 à 23
62. Chemins de miséricorde, une lecture de Luc - epub gratuit...
63. Chemins d'Église..., une lecture pastorale des Actes, septembre 2014 - epub gratuit...
64. Way of humanity, ways toward God (traduction du n°4)
48. Mort pour nous
49. La course infinie, sur Grégoire de Nysse
50. Quelle espérance pour l'homme souffrant ?, mon mémoire de licence...
51. Réflexions sur l'engagement, reprise d'une conférence à Nice
87. Évangile de Marc, version Crampon commentée, 2000-2014
88. Serviteur de l'homme, une lecture commentée des lettres de Paul - epub gratuit, 2014
91. Chemins croisés, une lecture commentée de Matthieu (lecture synoptique et transversale), 2015
92. Chemins d'Évangile, une lecture commentée des quatre évangiles (ce livre rassemble les n° 25, 62, 87 et 91), 2015
93. Où es-tu mon Dieu, Souffrance et création, un complément des travaux publiés au n° 8 et 50
96. Le chemin du désert, un itinéraire spirituel (version Kindle à prix très réduit)
97. Sur les pas de marc, une lecture commentée de l'évangile de Marc (version Kindle, petit prix)
98. La dynamique sacramentelle, une réflexion intra-synodale sur le mariage. (Version Kindle)
99. Sur les pas de Jean, une nouvelle lecture commentée de l'évangile de Jean (cf. n° 25)
108. Nouveau testament commenté, tome 3 (Les lettres attribuées à Paul
109. Humilité et miséricorde - Tome 1 : L'humilité de Dieu (qui reprend "Sur les pas de Jean")
110. Humilité et Miséricorde - Tome 2 : Décentrement et communion
111. Humilité et Miséricorde - Tome 3 : Miséricorde, un chemin en Eglise
112. Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse (Os, Gn)
113. La dynamique sacramentelle - nouvelle édition (98 - largement revue et corrigée)
114. Nouvelle édition de "Le chemin du désert"
115. Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des travaux publiés en 10,11 et 19)
119.  Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (Osée, Genèse, Exode, Théophanies, Év. Marc)
120. Le Rideau déchiré 
121. Dieu dépouillé 
122. Danse avec ton Dieu (cf. plus bas)
124 et 125. Danse avec ton Dieu, tome 2 et 3
126 Lumière du Christ - La résurrection selon saint Jean
C - Romans et nouvelles
6. Le cheval d'écume, première nouvelle, 2008
8. Les enfants de l'Avre, roman historique, 2009
13. Les amants de l'Avre, nouvelle
16. La perle, nouvelle
17. Simon le Vieux, complément précédant le n°8
20. Le collier de Blanche (Recueil contient les n°2, 3, 4, 60)
26. Le vieil homme et la perle, tome 1, une pastorale des divorcés remariés
27. Le vieil homme et la perle, tome 2
28. Le désir brisé, le vieil homme et la perle, tome 4
29. Au coeur du silence, nouvelle.
31. La barque de Solwenn, tome 1 - Variation romanesque du n°50
32. Maria la Rousse, tome 2
33. La souffrance d'Elena, tome 3
34. La Marie-Jeanne, tome 4
35. Magda la douce, tome 5
36. Renaissance, tome 5
37. Le chant du large (Recueil des n°31 à 36)
45. La Mulotière
56. Les deux fils
57. Au coeur de la vallée (Recueil : n°13 et 56)
60. Les enfants de Lanville
65. Papillons de feu, recueil des n°20, 45 et 57...
89. La dernière valse, nouvelle, epub gratuit sous Kobo/Fnac
94. Le pont des planches, nouvelle
95. Les tisseuses de l'Avre, nouvelle
101. La caresse de l'ange, roman
103. La danse des anges, roman et bonus (101 + 93)
104. D'une perle à l'autre, roman fleuve en 2 tomes (dont 94, 6, 26, 16) puis  (28, 101, 103)
107. Histoires en vallée d'Avre (recueil dont 8, 17, 20, 95)
117. Le mendiant et la brise - Dialogue avec Yasmina, essai de dialogue interreligieux (Variation sur la perle - n.16)
Intégré dans le n. 104

D - Contes pour enfants
38. Léo l'écureuil, premier conte pour enfant
39. Jeannot du Bec, 2ème conte "pastoral"
40. Samuel, le lièvre dans la vallée, septembre 2014
116. Silo le berger, un conte de Palestine, décembre 2017

E - Thrillers à contenu progressivement théologique
41. La danse de l'espionne
42. La danse tragique (suite du 41)
43. Le choix de Léa (suite du 42)
44. La danse fragile (41 et 42)
58. Fragilités, suite du n°43
59. Léa (Recueil : n° 43 et 58) - Variation romanesque du n°53
Sous un autre nom de plume : 66 à 86, 100, 102, 105, 106, 118..*

* Il est de notoriété publique que j'ai une bonne vingtaine "d'enfants" illégitimes, parus sous nom d'emprunt car trop différents de la série présentée ici :-)


Si vous n'avez pas toute la collection, n'hésitez pas à demander des e-pubs...

Précisions sur la mise à jour de mai 2017 :
La trilogie des "Lectures pastorales" est devenu une longue saga qui compte maintenant :
1- A genoux devant l'homme, (Jean) 2012 - troisième édition en 2020.
2- Chemins de miséricorde, (Luc) 2013
3 - Chemins d'Eglise (actes des apôtres)

4 - Serviteur de l'homme, kénose et diaconie (lettres de Paul) 2014
5 - Sur les pas de Marc, 2015
6 - Sur les pas de Jean, 2015
7 - Chemins croisés (Matthieu), 2015
8 - Chemins d’Évangile (Les 4), 2015
9 - Le chemin du désert (de Gn et Ex à Mat 4 et Jn 21)
10 - Nouveau testament commenté, tome 3 (autres lettres)
Elle intègre dans la même collection la trilogie "Humilité et miséricorde", 2016
11. L'humilité de Dieu, tome 1
12. Décentrement et communion, tome 2
13. Miséricorde, un chemin en Église, tome 3
14 - Lire l'Ancien Testament, tome 1 - une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse, 2016
15 - Dieu n'est pas violent,  lire l'Ancien Testament, tome 2 (à partir des travaux publiés en 10,11 et 19)
16 - Chemins de prière, nouvelle édition - lire l'Ancien Testament, tome 3 (les psaumes)
17 - Pédagogie divine - Chemin de lecture  pastorale (une version synthétique des tomes 14, 15 et une relecture du n°5).
18. Le rideau déchiré - nouvelle édition revue de Sur les pas de Marc (extrait du tome 17)
19. Dieu dépouillé sur kobo (cf.lien) qui reprend en un volume gratuit, les numéros 14, 15, 17, 18, 2 et 5
20. Danse avec ton Dieu qui reprend la plupart des billets publiés ici de mai 2020 à juin 2022
21. En route vers la Galilée - un résumé des deux premiers tomes de ma grande trilogie (cf. 19)
22. J’ai joué de la flûte, Danse avec ton Dieu, tome 2
23. Voulez vous danser, tome 3
24. Lumière du Christ, tome 4, La résurrection selon saint Jean.




En lisant les tomes 17, 8, 3, 4, 10, 11, 12, 13, 9, 15, 16 vous avez aussi plus ou moins l’intégrale.
Mais l’orde est volontairement non imposé...
Vous pouvez aussi commencer par le 5, le 9, le 14 ou le 18 et voir ensuite...
Chacun de ces tomes est disponible gratuitement sur kobo (cf.lien) et  sur Fnac.com  ou à petit prix sur Kindle. Les versions brochées sont vendues à prix coutant ou presque (actuellement surtout disponibles pour une raison qui échappe à l’auteur sur le site anglais et non français d’Amazon).









03 septembre 2022

Discernement, folie ou don de Dieu ?


Il y a quelques fausses pistes à discerner dans les textes de ce dimanche. La première est de croire que nous pouvons tout résoudre seul. Que nous savons tout, que nous sommes mème capables de parler de Dieu, alors qu’il est à la fois l’inaccessible et le tout proche.

Et en même temps, quand nous reprenons le chemin d’humilité auquel nous conduisaient déjà les textes de dimanche dernier quelque chose se révèle.

Reprenons les textes un à un pour trouver ce que le Seigneur veut nous dire dans le silence.

Où courons nous sans cesse, nous dit le psaume ?

Nos journées passent….

Mais peut-être sont elles futiles… 

un jour qui s’en va, une heure dans la nuit.

Ce n’est qu’un songe ;

dès le matin, c’est une herbe changeante :

elle fleurit le matin, elle change ;

le soir, elle est fanée, desséchée.

Apprends-nous la vraie mesure de nos jours :

que nos cœurs pénètrent la sagesse.


La première lecture insiste dans la même direction. 

Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ?

Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ?

Les réflexions des mortels sont incertaines,

et nos pensées, instables ;


Dans cette même direction les deux paraboles de l’Evangile rappellent la folie de nos actes. Nous entreprenons des combats, construisons des tours, mais sans discerner l’essentiel.

Prendre le temps d’évaluer, de peser, de compter nos forces…

Nous reprenons, avec la rentrée, le chemin de l’école, du travail, de belles intentions. Prenons le temps du silence, de l’écoute, du discernement ?

Cherchons cette liberté de cet Onésime de la deuxième lecture, qui a trouvé chez Paul la véritable liberté.


C’est peut-être là que le basculement doit se faire.

Notre force, notre sagesse n’est rien si nous ne n’acceptons pas des renoncements pour discerner, renoncer et peut être de quitter pour mettre en premier ce à quoi Dieu nous appelle.

Quitter, mourir à cette course futile, à ces attaches qui nous entravent, pour prendre notre « croix » celle de l’amour du frère, de la véritable charité, de l’humilité ou autrui et premier et où l’Esprit vient alors bouleverser nos petits calculs humains dans une autre direction, celle où Dieu seul nous conduit…


Notre raison s’ouvre alors à cette folie dont parle Paul…

Si nos raisonnements sont toujours l’antichambre du pessimisme, la folie du christianisme c’est de soulever sa croix, sortir du raisonnable bien installé pour faire le saut de la foi.

Là il ne s’agit pas d’un petit pas, mais d’un changement radical. Presque impossible.

Impossible à l’homme mais folie en Dieu…si l’Esprit nous embrase véritablement dans cet amour auquel Dieu nous appelle.

Philémon, tes raisonnements humains, ta vision sur Onesime est faussée, dit Paul. Il n’est pas l’esclave que tu croyais, il est ton frère ! Là est la folie de Dieu.


Renonçons vraiment à nos petits raisonnements humains.

Arrêtons de nous juger nous mêmes et surtout autrui sur l’apparence 

La folie de Dieu c’est de quitter nos attachements stériles, renoncer au confort de notre propre vie pour vivre en véritable disciple du Christ.

Cela ne nous conduit pas à mépriser nos frères, nos sœurs, nos pères, mais à changer de perspectives. Être disciple du Christ c’est changer de calculs, oser la folie d’un amour large, la folie de l’espérance, la folie de la charité et la folie de la foi qui nous vient de Dieu.

Si nous calculons nos forces à la manière des hommes nous n’irons pas loin.

Si nous mettons notre force en Dieu, l’Esprit nous conduira là où Dieu nous attend.

19 août 2022

En route vers la Galilée - 10 - la danse du puits…

 

Jean 4, 1-45 sur La Samaritaine n’est pas en apparence une manifestation extraordinaire de Dieu, mais une scène particulière de la vie de Jésus. Cependant, nos premiers pas à la suite de Jean montrent que rien n’est écrit au hasard chez Jean. Ici, Jean entre notamment en écho à des textes présentés plus haut, dans le cadre de notre analyse de l’Ancien Testament.

Le lieu de la rencontre mérite déjà un commentaire : 

« Près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. 6. Or, là était le puits de Jacob » 


Ce n’est pas une terre anodine, ni un puits ordinaire, mais celui de cet homme présenté plus haut comme celui qui a lutté contre Dieu (Gn 32, 25), un homme en recherche, un homme simple, y compris dans ses bassesses et à qui, pourtant, revient la descendance des douze tribus d’Israël. L’Évangéliste nous prépare, par cette seule mention, à contempler le récit d’une quête. Notons également que parmi les douze fils, la mention de Joseph, le fils de Rachel, n’est pas neutre, non plus, tant cette figure précède celle du Christ. S’il en est encore besoin, on perçoit par ce détail que Jean n’a pas pour vocation de refaire l’histoire des synoptiques, mais bien de nous conduire, par son récit sur un plan supérieur. 

 

« Jésus, fatigué de la route, s'assit tout simplement au bord du puits » 


Que de fois n’avons-nous pas été fatigués par la vie, harassés par la chaleur de la route et par la sécheresse apparente ? Jésus, lui aussi nous rejoint dans ce temps apparent du désert où l’on ne trouve plus la force de repartir, le vide et le silence. Il ne se fait pas d’abord Dieu, inaccessible, mais homme parmi les hommes. Avant qu’on ne contemple la profondeur de sa Passion, cette phrase nous révèle déjà l’humanité de Jésus. Elle nous permet de contempler son aptitude à rejoindre l’homme. 

La vulnérabilité de Jésus prépare à la précarité de l’issue finale.  On conjugue ici le don de Dieu avec l’idée d’un don qui s’efface, se fait petit, semble inutile. L’humble don d’un homme qui se met « à genoux ».    

Notre lecture diffère ici, quelque peu, de celle des affirmations du concile de Chalcédoine qui voyait, dans le contexte de la philosophie grecque, Dieu comme omnipotent et immuable. Ici, nous contemplons un homme que la résurrection nous a confirmé ensuite comme fils de Dieu et qui pourtant, dans ce récit, ressent la soif et la fatigue. N’y a-t-il pas souci d’humilité ? En parcourant le texte, nous en comprendrons peut-être le sens. Dans l’humilité du Fils, résonne comme une note symphonique qui répond à un phrasé plus ancien, ce petit être, déposé dans une mangeoire, que contemplera Luc en remontant au temps de la naissance et sous-entendant par là, à demi-mot, le pain offert au monde. Ici, de la même manière, le Fils d’homme se fait pauvre parmi les pauvres… 

 

« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (4, 5-6) 

Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, nous l’avons dit, n’est pas un lieu anodin. Il s’insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d’Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine. Et dans cette évocation, l’évangéliste nous introduit au sein même de la quête entre Dieu et l’homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l’histoire de la faiblesse de l’homme. 

Dans la tradition biblique, le puits - ou la source selon la traduction littérale du grec - fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d’une certaine manière, sa reprise par l’évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d’autres passages porteurs de sens. 

Puiser l’eau du puits est l’acte emblématique qui établit une alliance dans l’Ancien Testament. On peut relire la rencontre du serviteur d’Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l’alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d’épouser à nouveau l’humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l’importance, pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires, de cette rencontre et des déplacements auxquels l’évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l’évêque d’Hippone, jusqu’à une méditation des fiançailles du Christ avec l’Église païenne symbolisée par la Samaritaine.

 Derrière cette évocation résonne également avec notre première évocation de l’un des textes les plus anciens de l’Ancien Testament, celui d’Osée, où Dieu invite le prophète à reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d’accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au coeur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai c?ur à c?ur » (Osée 2, 16). 

Comme nous l’avons souligné, le texte grec ne parle pas d’ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d’une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.

D’autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d’Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l’homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l’autre. C’est en bas de la tour d’orgueil, dans la soif d’une rencontre que se trouve la source vive.

En deux phrases nous voici plongés au coeur même de la pastorale de l’Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s’agenouille devant l’homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l’homme et qui s’assoit pour tenter une ultime rencontre. 

s vivant parmi nous est notre seule raison d'être et notre unique objectif. Pouvons-nous en dire autant de nous-mêmes, à savoir que cela est notre seule raison de vivre ? » 

« Il était environ midi. » Jean 4, 6b. Quels sont les « midis » de Dieu ? Une pierre angulaire dans la longue histoire de l’humanité. L’instant aussi où la chaleur est la plus haute, la plus intense. Pour Jésus comme pour la Samaritaine, le choix de l’heure n’est pas anodin. Pour le Christ, c’est comme un sommet de la révélation, pour la Samaritaine, l’heure où, à cause de la chaleur, personne n’osera venir, elle ne se sentira pas jugée. C’est l’heure où règne le soleil et où l’homme se cache… 

 

« Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l'eau. » Jn 4, 7. 

On pourrait s’attendre encore, comme le raconte le chapitre précédent, à une autre rencontre au sommet avec un pharisien savant. Ici, ce n’est pas Nicodème et sa science, mais bien l’humanité dans sa pauvreté. Samaritaine, elle est paria aux yeux des juifs, descendante de cette race exilée de Babylone qui a adopté la religion juive, à moitié par contrainte. La Samarie s’est séparée définitivement du monde juif depuis quelques années déjà, même si l’ancien royaume du Nord a été à l’origine d’une étonnante fécondité théologique, la chute de Samarie (722), l’exil, le repeuplement et l’histoire ont conduit à d’importantes divergences de point de vue entre les deux peuples. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le récit. Cette femme peut être comparée à la nouvelle Gomer, comme l’aboutissement de la quête d’Osée. Faire un lien entre la femme d’Osée et la Samaritaine n’est pas anodin. Il nous plonge au cœur même du sens de l’alliance, d’un Dieu qui fera tout pour le « séduire » - au double sens d’allaitement et de séduction développé ai chapitre 1 - pour ramener son peuple à la source. Il rejoint ce à quoi notre pape nous invite : une pastorale de la périphérie.

La Samaritaine n’est pas meilleure que nous. Au contraire, on la considère comme une moins que rien et le contraste avec Nicodème devient source d’espérance. « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu… », dira Paul (1 Co 3, 19)… En quittant le sommet de Jérusalem, en montrant que Nicodème n’a pas réussi à trouver la voie, Jean nous conduit plus loin, jusqu’au puits de Jacob, sur le terrain de l’humanité telle qu’elle était à l’origine. Et sur ce lieu où l’homme reste accessible par son humanité, se tient une rencontre entre le nouvel Adam et l'Ève qui continue de chercher Dieu. N’est-on pas, là encore, dans le domaine de l’« où es-tu ? » (Gn 3, 9) qui résonne, à nouveau, dans le jardin du monde ? Dieu est à la recherche de l’humanité sans fard, de la brebis perdue… Les orthodoxes traduiront cela dans une icône remarquable où Jésus est représenté, relevant Adam et Ève de l’enfer pour le sauver. Ce qui se passe est l’incroyable toujours renouvelé d’un Dieu qui se révèle à l’homme, quelle que soit sa situation, son état. Comme le précise le théologien K. Rahner, l’homme en toute condition peut faire une rencontre surnaturelle. Il lui reste un accès possible à Dieu. 


Jésus lui dit : » Donne-moi à boire. » Jean 4, 7b . 

Le voici donc ce cri. Là encore, il nous surprend parce qu’il ne vient pas de l’homme, mais du Fils de Dieu. Ici se révèle la faiblesse de l’homme fatigué qui crie sa soif. Plus qu’ailleurs de nombreuses résonances sont possibles dans cette simple affirmation. Elles nous ouvrent encore à la musique de Dieu. On peut entendre, au fond de l’histoire d’Israël, tous les psaumes du désert où l’homme crie sa soif de Dieu. On perçoit également, tous les assoiffés du monde qui lancent leur cri. En prononçant ce premier « j’ai soif », Jésus danse à nos côtés la danse des hommes perdus, desséchés, abandonnés et ce faisant, il se révèle plus encore homme parmi les hommes. N'y a-t-il pas, encore plus qu'ailleurs, un dévoilement de l'humilité du Fils... 

Le cri n’est pas, pour autant, lancé dans le vide. Comme l’ « où es-tu ? » de Genèse 3, il est aussi celui du Serviteur qui, en s’adressant à l’humanité, demande à boire. Il ne résonne pas comme le « retire tes sandales » d’Exode 3, mais à l’opposé même, comme en négatif, sur la « note » plus humble de celui qui se mettra « à genoux » pour laver les pieds de ses disciples. Il chante ainsi, comme nous le verrons, le même cri que sur la Croix. C’est donc la symphonie des cris de son amour pour l’homme qui se mêle dans une seule phrase. Elle se charge de tous ces cris passés et futurs. Dieu assis devant l’Ève debout et qui demande de l’eau. À la lumière de la croix et de la résurrection, nous percevons plus encore l’ampleur de cette « danse » de Jésus au pied de la femme… 


La Samaritaine lui dit : » Comment ! Toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » (En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.) Jean 4, 9 


Le cri surprend. Il nous surprend, car venant de Dieu. Pour expliquer l’incongru, l’évangéliste nous précise l’absence des disciples. Cela n’enlève pas pour le lecteur de l’époque l’effet de surprise. Il surprend d’ailleurs la femme, car tous les codes qui régissent les contacts entre juifs et païens sont ici bouleversés. Jésus se rend impur dans ce contact, au nom de la loi juive. Au coeur des rejets réciproques, des haines ancestrales accumulées, un dialogue ténu s’est installé, entre une femme de rien et celui dont Jean nous a déjà dévoilé l’importance, mais qu’il nous montre ici, faible et fragile. Langage paradoxal où le plus grand rejoint le plus petit pour nous interpeller au cœur même de nos petitesses. Le dialogue n’est pas dans un rapport de force, mais dans la magie des mots de l’homme, dans l’expression d’un désir, d’un besoin, d’un manque… Derrière la soif de Jésus, peut-on aussi sentir celle de la femme, qui tout en venant à midi reste en quête de rencontres, demeure avide de relations ? 


Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4, 10 


Ici l’évangéliste insiste sur l’écart entre la demande et la réalité du personnage. Pour un lecteur non averti, on pourrait croire qu’il s’agit du rétablissement d’une erreur. Mais n’oublions pas que ce texte est écrit et lu à la lumière de la croix et de la résurrection. Il introduit à cette vision de l’eau vive qui jaillit entre les lignes dans de nombreux chapitres de cet Évangile. Il nous amène à un aller-retour que l’on ne peut éviter entre la soif et la source évoquée dans ce texte (Jean 4) et la soif et la source du Christ en Croix (Jean 18, 28 & 34). Contempler l’échange de Jean 4, en ayant en tête le « j’ai soif » du Christ en Croix et l’eau qui jaillit du cœur transpercé, nous permet de voir qu’ici, Jésus ouvre une brèche que Nicodème ne voulait percevoir. Face au pharisien il était resté énigmatique – ou, pour le moins, l’évangéliste nous l’a présenté comme tel – ici, il donne à voir le mystère. Dans la tension ouverte entre la soif de Dieu et l’eau jaillissante, la Samaritaine est introduite au paradoxe central de la révélation. Derrière la faiblesse apparente de Dieu se cache une force vive. Derrière l’homme fatigué et assoiffé, Dieu est là, prêt à combler le chercheur de Dieu. Derrière le dieu « mort » pour les hommes, se révèlera le « Ressuscité ». 

Dans cet épisode de la Samaritaine, une nouvelle source se prépare. Et elle n’est pas réservée au peuple juif, mais offerte à toute l’humanité. Le passage évoque pour moi l’attente de Dieu. Sa soif est éternelle. Elle suit et précède son don toujours plus intense.

Plus loin, au chapitre 7, Jean affirmera : « Des fleuves d’eau vive jailliront de son coeur ». (Jn 7,38). Pour Benoît XVI deux types d’analyses sont possibles. La traduction alexandrine inaugurée par Origène (254), saint Jérôme et Augustin pense « que l’homme qui croit devient lui-même source, une oasis dont jaillit l’eau ». Une autre traduction moins répandue, mais plus proche de Jean, Irénée, Hippolyte, Cyprien et Éphrem modifie la ponctuation. « Celui qui a soif qu’il vienne à moi ; celui qui croit en moi qu’il boive ». Chez Thomas, 10, 6 (apocryphe) on lit « celui qui boit de ma bouche deviendra comme moi ». Le croyant s’unit au Christ. Il a part à sa fécondité. « L’homme qui croit et qui aime avec le Christ devient un puits qui dispense la vie ». On peut aussi y rattacher l’interprétation donnée par la parabole de la vigne et des sarments. Si l’on est soi-même source, c’est que l’on est rattaché à la vigne. Mais si l’on perd ce rattachement, ce qui coule « à travers nous » se tarit ou coule malgré nous, ajouterais-je presque.

La source de Jacob, qui divisait le monde juif de Samarie n’a finalement plus d’importance. Maintenant se dessine une nouvelle « eau vive » et si le Christ l’évoque ici, ce n’est pas aux sages et aux puissants, mais bien à celle qui se croyait abandonnée, jugée, méprisée et qui ne voulait plus s’afficher aux heures de foules. Le geste de Jésus qui vient puiser son eau est aussi fort que celui où il s’abaisse pour rejoindre la femme adultère, il se fait petit auprès des petits, avant d’être souffrant auprès des souffrants.

Elle lui dit « Seigneur, tu n'as rien pour puiser, et le puits est profond ; avec quoi prendrais-tu l'eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob (...).  Jn 4, 11-12 

Comme sur les chemins d’Emmaüs, la révélation n’est pas pour autant éblouissante dès le premier instant. Elle demande un accompagnement. Le chemin intérieur parcouru par la Samaritaine est essentiel. Elle a été interpellée par l’affirmation. Elle entre, au-delà de la surprise, dans un dialogue plus profond. De co-assoiffée, elle devient co-chercheuse de Dieu. 


Jésus lui répondit : » Tout homme qui boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissante pour la vie éternelle. » Jean 4, 13-14 


Alors Jésus poursuit son chemin. Il dévoile une ouverture nouvelle. Comme et au-delà de Nicodème, il s’agit d’une nouvelle naissance, d’un au-delà du contingent, de la soif humaine, une ouverture vers l’infini de Dieu, la vie éternelle. À la chaîne inéluctable, dans laquelle semble enfermé l’homme, une espérance surgit dans les mots de Jésus. La soif peut être surmontée, l’impossible humain peut laisser place à une autre vie. La mort peut donner naissance à une nouvelle vie. S’il a quitté le chemin de l’humilité, en affirmant son « je », ce n’est qu’au terme d’un parcours. Est-ce de la manipulation, une séduction malsaine, ou simplement un chemin de vérité ? L’humilité de départ n’était pas feinte. Elle n’avait qu’un but, rejoindre et aimer. Et le cœur aimant de Jésus, en introduisant la prédiction d’une eau vive, ne dévoile pas le prix qu’il payera pour que cette source jaillisse du désert de nos vies. 

Car la source jaillissante évoque déjà le sang et l’eau versés. Isolé, ce texte ne dévoile pas grand-chose. Rattaché à l’agonie et à la croix, il nous introduit dans le mystère même de la révélation. Du Jésus fatigué nous passons à celui qui est source pour le monde. Que de chemin parcouru !


La femme lui dit : » Seigneur, donne-la-moi, cette eau : que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. » Jean 4, 15 


La « danse » de Jésus a réveillé le désir. On perçoit ici le chemin pastoral qui s’est ouvert par cette attitude et ces échanges. À petits pas, en utilisant la surprise voire l’ironie, le récit nous montre comment Jésus a ouvert le coeur de la femme à un autrement… 

 

« Va, appelle ton mari et reviens ici » Jean 4, 16 


Ici, la pastorale prend une autre tournure. Non seulement elle réveille notre soif, mais elle met le doigt sur nos propres « adhérences* », sur ce qui nous retient loin de la source. Où sont « nos » cinq maris ? Sont-ils dans la course folle du monde, dans l’inutile ou l’éphémère, l’argent, le pouvoir, l’avoir ou le valoir ? En repartant sur la soif essentielle à l’homme, Jésus interroge la femme, l’interpelle sur l’essence même de sa quête. 

La suite du dialogue va poursuivre cette interpellation. Quels sont nos modes d’adoration ? Adorons-nous en esprit et en vérité ? Le chemin qui surgit à nous est celui d’une descente équivalente ou pour le moins, dans la direction de celui qui nous conduit. 

Alors, au bout de l’échange, vient la révélation ultime. 


« Moi je le suis (ego eimi) qui te parle…» (Jn 4, 26). 


Comme on le verra au jardin de Gethsémani, le « moi je suis » est l’éternelle réponse de Dieu à l’homme en quête. Viens et suis-moi… En reprenant les mots même de Dieu au Sinaï (cf. Ex 3 : « je suis celui qui suis »), on peut arguer que le Christ dépasse l’attitude de l’humble marcheur. Car ce qui se dit « ego eimi » en grec est réservé à Dieu et nombreux sont les textes où son emploi est reproché au Christ. Il nous faut donc mettre plusieurs bémols. 

Jésus n’est pas apparu, ici, en « Christ de gloire », pour les aider à croire à l’impossible de Dieu, comme il le fera aux trois apôtres – cf. la manière dont les synoptiques le présentent dans le récit de la Transfiguration. Ici, il ne fait que reprendre la phrase intraduisible (« je suis » d’Exode 3), que certains se proposent, comme nous l’avons vu plus haut, de traduire en un « je serais ce que je serais », l’affirmation humble d’un avenir qui révélera seulement qui il est… Nous sommes bien, comme suggéré plus haut, dans l’axe de la Croix.

Mais nous anticipons. Avant d'en arriver là, il y a encore des descentes et des montées et d’autres « Je suis » égrené dans le texte. Pour l'instant, c'est l'appel à la foi de l'homme qui est en jeu. Descendra-t-il lui aussi jusqu'à dire « j'ai soif » ?

Il faut accepter de continuer la lecture. C’est en effet, l’officier du Roi qui nous y préparera (Jn 4, 46). Il s'apprête à descendre. Et pourtant, avant même que son mouvement soit accompli, par la foi seule, son fils est guéri.

Il a été plus vite que Zachée, pour lequel Jésus avait dû descendre jusqu'à Jéricho... Descendre à Jéricho, nous disent les pères de l’Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde. Ici, l’officier royal n'a même pas eu besoin de faire le voyage. Une leçon d'humilité ? Cette rencontre où l’un comme l’autre font acte de confiance : Jésus qui croit en l’homme malgré sa fonction et l’homme qui croit à Jésus nous fait entrer dans un double agenouillement : Jésus, à genoux devant la foi de l’homme de pouvoir, à genoux devant Jésus…

Commentaire du pape François :

Dans une belle méditation sur la Samaritaine, la première chez Jean à se laisser transformer pour annoncer la bonne nouvelle, le pape François a souligné combien la soif du Christ devient une « soif de rencontre » communicative, une source de dialogue et de joie,  le pape nous invite à vivre dans cette une unité qui « se fait sur le chemin (...) en marchant ».

« L’engagement commun à annoncer l’Évangile permet de dépasser toute forme de prosélytisme et la tentation de compétition », a-t-il souligné à ce sujet.  « Nous sommes tous au service de l’unique et même Évangile ! », a-t-il conclu, faisant de nouveau ressortir le fait que ceux qui persécutent aujourd’hui les chrétiens dans le monde ne distinguent pas l’Église à laquelle ils appartiennent. C’est ce que le pape François appelle « l’oecuménisme du sang », un chemin de sainteté qui n’est pas individuel, mais collectif.


À suivre


Extrait des références : 


- W. H. Vanstone, Love’s Endeavor, Love’s Expense, Londres, Darton, Longman & Todd, 1977, p. 57, d’après D. Brown, op. cit. p. 171.

- saint Augustin (Traité 15)

- R. Simon, Éthique de la responsabilité », Cerf, 1993,  p. 260

- pape François  Homélie à Saint-Paul-hors-les-murs du 25 janvier 2015.

- Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, p. 124

16 août 2022

En route vers la Galilée - 9 - Marie à Cana


Sur le chemin fragile que nous avons entamé depuis quelques semaines, la contemplation de Jean 2, 1-12 – Les noces de Cana interpelle alors que le crépuscule du 15 août s’efface dans la nuit tragique qui s’annonce.


« 1. Et le troisième jour, il se fit des noces à Cana en Galilée; et la mère de Jésus y était. 2. Jésus fut aussi convié aux noces avec ses disciples. 3. Le vin étant venu à manquer, la mère de Jésus lui dit : « Ils n'ont plus de vin. » 4. Jésus lui répondit : « Femme, qu'est-ce que cela pour moi et pour vous ? Mon heure n'est pas encore venue. » 5. Sa mère dit aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira. » 6. Or, il y avait là six urnes de pierre destinées aux ablutions des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7. Jésus leur dit : « Remplissez d'eau ces urnes. » Et ils les remplirent jusqu'au haut. 8. Et il leur dit : « Puisez maintenant, et portez-en au maître du festin; et ils en portèrent.

9. Dès que le maître du festin eut goûté l'eau changée en vin (il ne savait pas d'où venait ce vin, mais les serviteurs qui avaient puisé l'eau le savaient), il interpella l'époux et lui dit: 10. "Tout homme sert d'abord le bon vin, et après qu'on a bu abondamment, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon jusqu'à ce moment. » 11. Tel fut, à Cana de Galilée, le premier des miracles que fit Jésus, et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. 12. Après cela, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours. »


À Cana, le signe et la gloire qui en découle ne sont pas voulus par le Christ : « Femme, que me veux-tu ? ». Son heure n'est pas venue... Et pourtant, sur l'insistance de sa mère, sans révéler au maître du repas l'origine du vin, il change nos hésitations en boisson de joie... La lecture du récit nous donne un nouvel aperçu du couple « mort et résurrection », que l’allusion au « fruit de la vigne » vient souligner. 

À Nathanaël, il avait promis « le ciel ouvert » (1, 31), dès le chapitre 2, il « manifeste sa gloire » (2, 11). Comment cette gloire a-t-elle affleuré ? Il n’y a pas eu de trompettes. Ce que l’on a senti, entre les lignes, si l’on prend le temps d’entrer dans le récit, c’est un geste discret, humble que seuls quelques serviteurs peuvent décrypter alors que le maître du repas et les convives s'interrogent encore. Et c’est là où la gloire affleure. Non pas dans la trompette et les cors, mais dans cette invitation à porter nos eaux dans les jarres, un autre « où es-tu ? », un « que fais-tu des dons reçus ? » qui par l’action discrète de Dieu se transforme en vin capiteux.

Quel est l'enjeu ? N'y a-t-il pas ici toute la tendresse de Dieu qui se manifeste dans cette révélation, dans ce jeu entre le visible et l'invisible, en laissant croire ceux qui veulent croire et sans forcer ceux qui refusent de le faire... 

« Ils n’ont plus de vin » : Entre les lignes, cette tendresse maternelle de celle qui a porté notre Sauveur et qui déjà lui échappe devient par cette phrase, le porte-voix d’un Dieu qui entend la souffrance d’un peuple, qui écoute le cri des souffrants. On peut ici entrer en résonnance avec des textes plus anciens, jusqu’à ce verset d’Exode 3,7 croisé plus haut : « J’ai entendu le cri de mon peuple (...) je connais ses douleurs », qui feront dire à certains commentateurs que l’agonie du Christ commence à Cana…

Prenons un peu de recul sur ces deux récits. Certes, le prologue a clamé au lecteur que Dieu était là, que le Verbe se rendait présent. Pourtant, les gestes de Jésus sont plus humbles. Il ne surajoute pas à l’affirmation du rédacteur, mais trace, au-delà des mots, les conditions d’une rencontre. Nous ne pouvons rester seulement sur les affirmations et les exhortations d’un évangéliste qui affirme le tout de Dieu. Voyons aussi, entre les lignes, les attitudes, les gestes, l’humilité, car cette tension est plus féconde que la seule affirmation « d’en haut » d’un « Verbe de Dieu ». Au cœur de cette tension, se traduit un double discours qui affirme conjointement humilité et gloire. Ce discours chez Jean est plus visible que chez d’autres évangélistes. Marc par exemple n’affirme la divinité du Christ qu’au tout dernier chapitre. Jean ne porte donc pas uniquement une théologie « de haut en bas ». La symphonie de l’Écriture joue aussi, dans cet Évangile, un jeu à facettes multiples. Les couleurs correspondent, tracent une mosaïque plus complexe et plus intense. Sachons en distinguer tous les tons…


Méditation :

Plus qu’ailleurs la contemplation ignacienne de ce texte nous révèle notre propre chemin : remplir les jarres de « purification », les offrir à Dieu pour qu’il vienne faire de notre humanité un vin capiteux, « diviniser ce que nous essayons d’humaniser » dira F. Varillon. La scène de Cana est la convocation de nos efforts d’homme à rejoindre le plan de Dieu. En suivant les serviteurs qui peinent à remplir et présenter les jarres, nous progressons dans la dynamique sacramentelle propre qui s’est éveillée à Cana.


Revenons aussi sur le rôle de Marie. Elle n’est plus ici le seul réceptacle fragile du Verbe, mais l’on sent déjà que son humilité a laissé place à une danse à la fois tragique et humble entre l’humanité blessée et le Dieu de tendresse. Marie, par cette phrase discrète (« ils n’ont plus de vin ») entre déjà dans le déchirement fécond de cette kénose que nous évoquions plus haut. Elle danse déjà sur les pas de Dieu, avant le déchirement final qui fera d’elle vraiment une « figure » et un chemin pour nous.


Car cette remarque de Cana n’est pas anecdotique. Elle se fait écho d’une clameur plus profonde, celle du peuple au désert, de la soif de l’humanité altérée en quête d’un Dieu qui s’est retiré dans le silence. A sa suite nous contemplons ici déjà ce que Jean signale comme un troisième jour, la transformation de l’eau en vin, dans ce torrent promis par Ezechiel qui jaillira du cœur transpercé du Fils. Moïse a frappé le rocher et un fin filet d’eau abreuve le peuple. Par la voix d’une femme discrète s’ouvre déjà les prémices d’une eau vive et jaillissante ?


Photo 1 : Cana, vitrail de saint Lubin des Joncherets (28)

Photo 2 : fresque dans l’église prieurale de Lanville (16) XIIeme siècle

13 août 2022

En route vers la Galilée - 8 - Marie

 

En cette fête de l’Assomption, fête des superlatifs, peut-on revenir à l’essentiel ? 

Il y a, chez Luc, comme l’accomplissement d’une attente. Alors que dans les annonciations précédentes, le mystère restait opaque et la crainte régnait chez l’homme, l’évangéliste nous présente ici un cœur pur et déjà ouvert à recevoir la venue de Dieu. Sommes-nous parvenus avec Marie au terme de cette quête ? Est-elle la nouvelle Ève qui a entendu l’appel du jardin. 

La lecture de Luc, tardive, plus qu’historique est surtout spirituelle. Elle poursuit ce fil rouge que nous suivons depuis Osée.

Ici, l’ange reste médiateur du mystère. Il commence par un « Réjouis-toi ! » qui fait résonner les annonces de l’Ancien Testament (cf. So 3, 14-18, Is 60, 1-5 ou Za 9, 9-10) puis procède à une annonce progressive de cette maternité particulière. À la différence des mères stériles de l’Ancien Testament, elle sera mère du Messie, par l’action de l’Esprit Saint. Luc fait ici résonner dans un sens messianique les prophéties d’Isaïe :

 « Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils, et on lui donne le nom d'Emmanuel. » Is 7,14 


 «Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; l'empire a été posé sur ses épaules, et on lui donne pour nom : Conseiller admirable, Dieu fort, Père éternel, Prince de la paix : Pour étendre l'empire et pour donner une paix sans fin au trône de David et à sa royauté, pour l'établir et l'affermir dans le droit et dans la justice, dès maintenant et à toujours » Is 9, 5-6 


Son accueil est ici plus serein, plus total. La Vierge se fait réceptrice de Dieu et de sa parole.

Cette réceptivité à la parole sera un thème récurrent chez Luc, comme le note L. Legrand (1). 


On pourrait déjà mettre cette insistance de Luc en parallèle avec la phrase de Marie en Jean 2, 5 à Cana « Faites ce qu’il vous dira »…


Pour saint Augustin, elle doit cela seulement à son humilité : « Toute mon ambition, c'est mon humilité ; voilà pourquoi «mon âme grandit le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur (Lc 1,47) » ; car il a regardé, non pas ma tunique garnie de nœuds d'or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l'éclat de l'or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé ; mais « il a regardé l'humilité de sa servante ».


Rappelons, dans la même lignée, le mot du Cardinal de Bérulle sur la naissance de la Vierge : « Elle naît à petit bruit sans que le monde en parle… Mais si la terre n’y pense pas, le ciel la regarde et Dieu l’aime… Il la regarde, la chérit, la conduit, comme celle à qui il veut se donner comme fils. »


Il fallait à l’apogée de la révélation un écrin particulier, vierge de toutes contradictions et d’influences. C’est dans le cœur simple d’une femme qu’il a choisi de déposer son message, de même qu’il cherchera à inscrire son Esprit, au-delà de nos raisonnements et de nos mouvements sensibles, au plus profond de nos cœurs écoutants et disponibles. 

 « Et je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai au-dedans de vous un esprit nouveau ; j'ôterai de votre chair le cœur de pierre ; et je vous donnerai un cœur de chair » Ez, 36, 26. 


Luc 1, 28-29 – Je te salue, comblée de grâce

28 L’ange entra chez elle, et dit : Je te salue, toi à qui une grâce a été faite ; le Seigneur est avec toi. 29 Troublée par cette parole, Marie se demandait ce que pouvait signifier une telle salutation.


La tradition a fait de cette salutation le début de notre prière à Marie. Il y a en effet chez l'ange comme une vénération. Il sait que Dieu l'a choisi pour demeure, pour temple de Dieu. Cela fait résonner les paroles de l'apôtre. Vous êtes le temple de Dieu. Marie est la première sur ce chemin.


Contemplons maintenant la Vierge, son trouble face à cette annonce. Dans une petite cellule du musée San Marco à Florence, le peintre Fra Angelico a bien rendu le visage de la Vierge après la parole de l'ange. Elle est dépassée par ce qu'elle perçoit. 


On sent sur son visage l'ampleur de ce qui l'attend. Elle semble bien frêle et fragile cette vierge sur laquelle repose l'avenir de l'humanité. Quel contraste avec Zacharie, le prêtre vêtu de tous ses ornements et entouré de l'encens qu'il projette sur l'autel ! Ici, la tradition imagine une visite nocturne, dans le silence d'une petite ville de Galilée... Le pèlerin revoit cette bourgade perdue sur le flanc d'une colline. Que vient faire l'ange ici. Écoutons-le !


Luc 1, 30-33 – Ne crains point

30 L’ange lui dit : Ne crains point, Marie ; car tu as trouvé grâce devant Dieu. 31 Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. 32    Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. 33 Il régnera sur la maison de Jacob éternellement, et son règne n’aura point de fin.


Jésus, ce qui veut dire « Dieu sauve ». Ici, l'action humaine, le culte sont réduits à néant. Il s'agit d'une réception pure : le don de Dieu. Dans la liturgie nuptiale, on peut entendre la réponse sacramentelle qui est signe de l'alliance même de Dieu et de l'homme : « Je te reçois et je me donne à toi ». 


Ici aussi la réception dépasse de loin le don, même si celui-ci sera total. Car ce qui est donné de manière unique à la Vierge est ce don de Dieu fait homme. Prenons distance sur ce petit village de Nazareth, ce bout du monde, loin du Temple où l'on n'attendait rien. Certes, il y avait quelques prophéties passées que les phrases attribuées à l'ange semblent rappeler (cf. Za 9, 9 : « Exulte de joie, fille de Sion ») ou Is. 7, 14 : « une jeune femme est enceinte », mais on est bien dans un lieu qui semble abandonné de Dieu, dans un pays sous la coupe de l'envahisseur, dans un monde où la foi semble avoir quitté le peuple. 


Et c'est là que Dieu a choisi d'habiter, mettant ainsi l'espoir là où on ne l'attendait plus.

Il y a là pour tous, même aujourd'hui, un signe d'espérance...

Le lecteur d’aujourd’hui est en droit cependant d’affirmer son scepticisme. Comment est-ce possible qu’une vierge puisse enfanter ? Les réponses de la Tradition sont multiples. Elles interpellent la foi et le mystère. Le rationalisme moderne peut rejeter tout cela. 

Il y a néanmoins, quelque chose qu’il ne peut rejeter : la lecture spirituelle. Déjà, dès les premiers siècles, certains pères de l'Église pratiquaient cette prise de distance par rapport aux faits. Ainsi Grégoire de Nysse parlait des plaies d’Égypte comme les tentations intérieures de l’homme et non comme les punitions d’un Dieu vengeur. Et son interprétation permettait de dépasser la non-historicité d’un récit ancien.

Alors, si nous n’avions qu’une lecture croyante, que voudrait dire la virginité de Marie ? Peut-être la seule contemplation qu’au-delà des contingences matérielles, le don de Dieu, quel qu’en soit les formes est immenses et dépasse notre raison. La naissance virginale est-elle une légende ? Peut-être, même si ce n’est pas ce qu’affirme l'Église. Ce qui compte demeure : comment accueillons-nous dans nos vies l’infini de Dieu ?


Luc 1, 34-37 – Rien n’est impossible à Dieu

34 Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ? 35     L’ange lui répondit : Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi le saint enfant qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. 36 Voici, Élisabeth, ta parente, a conçu, elle aussi, un fils en sa vieillesse, et celle qui était appelée stérile est dans son sixième mois. 37, Car rien n’est impossible à Dieu.


« Couvrir de son ombre » Il faut contempler cette nuée du Seigneur qui accompagne la pérégrination du peuple de Dieu dans le désert. C'est dans cette nuée où réside Dieu quand il se manifeste à l'homme (cf. notamment Ex. 33, 9 et 34, 5) que le mystère de l'impossible prend naissance. Luc ici nous appelle à un acte de foi du même type que la résurrection. De même que Dieu ressuscitera Jésus, de même la Vierge enfantera un fils. Va-t-on faire ce saut de la foi sans quoi rien n'a de sens ? Marie n'a pas demandé de preuve comme a pu le faire Zacharie, pourtant l'ange lui donne un espoir : même la femme stérile peut donner naissance. Ici la puissance du Dieu caché se révèle dans la nuée. Rien n'est impossible à Dieu. (cf. aussi Gn 18, 14)


Luc 1, 38 – Je suis la servante du Seigneur

38 Marie dit : Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole ! Et l’ange la quitta.


Fiat marial. 

Que dire ? 

On ne peut que contempler cette réception mariale, ce qui n'est que renoncement à toute prétention humaine, ce que l'on pourrait appeler la kénose de Marie qui entre en vibration avec la kénose trinitaire. Ce terme savant, qui n'est que la reprise du terme grec de ekenosen : se vider est surtout dit du Fils qui se vide de lui-même (cf. Phil 2, 7 : il s'est anéanti, prenant la condition de serviteur). Mais n'est-ce pas là aussi ce que fait Marie, qui entre ainsi, de plan pied dans cette danse trinitaire. Si Dieu a tout donné en son Fils, s'il s'est dépossédé de sa puissance pour prendre la condition d'un enfant d'homme, d'un embryon « à-venir », que dire alors de celle qui devient le réceptacle de ce don. La danse nuptiale est dans ce « je te reçois et je me donne à toi ». Certes, la Vierge ne sait pas encore jusqu'où ira ce don, mais l'on peut le pressentir, en concevoir, à l'aune de notre propre connaissance de sa vie, combien ce renoncement est de fait une kénose.

On pourrait s’arrêter sur la Vierge. Ce serait passer à côté de quelque chose de plus grand. On contemple souvent en effet Marie sous l'angle de l'humanité, mais comme le souligne Adrienne von Speyr, on devrait aussi contempler le Père, qui en confiant son Fils au sein d'une Vierge, amorce le mouvement même d’une kénose à laquelle le Fils pourra répondre.

Le renoncement de Dieu, sa paternité, c’est faire confiance à cette graine de moutarde, déposée au creux de l’humanité, dans le plus beau des Temples. Un abandon de toute volonté de puissance, de règne et de royaume. Là est aussi la kénose. 

Quel pari fou sur l'homme ! N'est-on pas déjà dans le mouvement même de l'abandon et de l'agenouillement de la Trinité qui, par amour, se fait faiblesse pour que l’homme entre dans sa danse ?


Le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui, mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (2) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.


Marie est l’écrin fragile de notre salut.


Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de d’aujourd’hui n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (3) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(5)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(6), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(6), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(7)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) Lucien Legrand, in L’annonce à Marie, p. 99ss, Lectio Divina n° 106, Cerf, 1981

(2) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(3) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(6) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(7) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(6) cf. note 5

(7) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

Marthe et Marie

 Combien de pages ont été écrites sur ce texte. 

Les partisans d’une écoute mystique et silencieuse surenchérissent pour vanter les mérites de Marie, celle qui s’arrête, non sans raison, pour se faire attentive à l’essentiel. 


D’autres « disent que Marthe en faisait trop, qu’elle s’agitait pour fuir le réel. 


Marthe est pourtant celle qui, selon Jean, fera, le jour de la mort de Lazare, une bien belle confession de foi. Il y a peut-être une tension à trouver entre l’excès de Marthe et l’essentiel que cherche Marie. 


Ce n’est pas une invitation à l’oisiveté. 

C’est une question qui interpelle notre attitude intérieure, celle qui faisant de nous des écoutants, nous permet de mieux agir, par la suite.


Si Marie a choisi la meilleure part, c’est peut-être qu’elle vivait les « jours de l’époux » (cf. Mc 2, 19)…Au-delà de la réhabilitation de Marthe par maître Eckhart, on peut trouver en effet, sous le prisme de l’analyse d’Heidegger[1], une certaine forme de dynamique qui justifie une contemplation permettant de penser le monde avant de se replonger dans l’agir et l’être-au-monde. 


La contemplation est nécessaire pour échapper au seul faire qui ne nous permet plus, ni de penser, ni d’écouter. Seuls le silence et l’abandon, la descente de son agir et de son avoir, les mains vides, peuvent replacer l’être dans son agir. Il y a donc là une voie ténue et une tension[…] »


Extrait d’À genoux devant l’homme 

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11 août 2022

En route vers la Galilée - 6

 

Voici, en écho du chapitre 1, un extrait du chapitre 7 alors qu’un premier jet de l’ensemble prend forme.

Après Élie et une retraversée rapide de Gn 2 à Exode 32, nous parvenons à la quête de Moïse en Exode 33…

——

Extrait :´Chapitre 7 – Voir Dieu ?

Entre les chapitres 3 et 32 du livre de l’Exode se succèdent une description de la misère du peuple, sa sortie douloureuse d’Egypte et sa traversée du désert. Nous ne nous attardons pas sur la surenchère entre violences égyptiennes et les plaies d’Egypte. Il faut entendre que cette projection tardive des scribes du VIeme siècle avant JC laisse place, avec une certaine délectation, à un Dieu vengeur très imaginaire et loin de toute réalité historique, puisque les archives égyptiennes n’en font aucune mémoire. Suit alors la lente libération du peuple qui traverse pendant 40 ans le désert, souffre de la soif et de la faim, murmure et s’éloigne du Dieu libérateur jusqu’à parvenir à l’épisode du veau d’or, au chapitre 32. 

Pourquoi le peuple nourri par les dons de Dieu fait-il fi de cet amour débordant de Dieu ? 

Comment les scribes auteurs de ces récits mythiques ont-ils organisé l’histoire pour aboutir au sommet partiel d’une révélation ? 

Il faudrait se plonger, voire même se noyer dans l’Exode tout entier avec l’imaginaire bien influencé par les péplums cinématographiques des années 50, pour voir les signes progressifs de l’attention de Dieu, au-delà d’un Dieu imaginaire probablement inventé par des semi-historiens et la réalité plus prosaïque d’un petit peuple qui cherche à justifier son origine. 

Nous avons choisi de faire plutôt un raccourci rapide en explorant le terme du voyage : les chapitres 33 et 34 considérés comme le sommet de la Révélation du Pentateuque. Commençons par en faire une première lecture extensive.

Nous sommes juste après l’épisode du veau où les auteurs ont choisi à nouveau de déployer ici, avec force la colère de Dieu qui punit les coupables. Au cœur de ce récit aux accents mythiques quelque chose de Dieu transparaît et c’est ici qu’il nous semble important de s’arrêter. 


Exode 33, 1-6 – Colère de Dieu

1 Yahweh dit à Moïse : « Va, pars d'ici, toi et le peuple que tu as fait monter du pays d'Égypte; monte au pays que j'ai promis avec serment à Abraham, à Isaac et à Jacob, en disant : Je le donnerai ta postérité. 2 J'enverrai devant toi un ange, et je chasserai le Chananéen, l'Amorrhéen, le Héthéen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen. 3 Monte vers un pays où coulent le lait et le miel ; mais je ne monterai point au milieu de toi, car tu es un peuple au cou raide, pour ne pas t'anéantir en chemin. » 4 En entendant ces dures paroles, le peuple prit le deuil, et personne ne mit ses ornements. 5 Alors Yahweh dit à Moïse : « Dis aux enfants d'Israël : Vous êtes un peuple au cou raide; si je montais un seul instant au milieu de toi, je t'anéantirais. Et maintenant, enlève tes ornements de dessus toi, et je saurai ce que j'ai à te faire. » 6 Les enfants d'Israël se dépouillèrent de leurs ornements, dès le mont Horeb. 


Le tonnerre de Dieu aperçu dans le cycle d’Elie n’est pas encore converti ici par le bruit d’un fin silence. Au chapitre 32, sa colère a éclaté dans toute sa fureur. Et pourtant le récit est prélude d’une révélation. A condition que l’homme change son cœur de pierre (ici son « cou raide »), sorte de ses certitudes (les ornements sont à proscrire, la répétition du « cou raide » insiste sur ce point avant de se traduire par un geste plein de sens : « Les enfants d'Israël se dépouillèrent de leurs ornements, dès le mont Horeb ».

Ce dépouillement rejoint le fil rouge de notre contemplation. Depuis la conduite au désert, il y a un pas à faire et quel pas ! Mais ici se prépare la mise à nu de l’homme sur le bois de la Croix !


Exode 33, 7-11 – La tente de la rencontre

7 Moïse prit la tente et se la dressa hors du camp, à quelque distance; il l'appela tente de réunion ; et quiconque cherchait Yahweh, se rendait à la tente de réunion, qui était hors du camp. 8 Et lorsque Moïse se rendait à la tente, tout le peuple se levait, chacun se tenant à l'entrée de la tente, et on suivait des yeux Moïse, jusqu'à ce qu'il entrât dans la tente. 9 Dès que Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait et se tenait à l'entrée de la tente, et Yahweh parlait avec Moïse. 10 Tout le peuple voyait la colonne de nuée qui se tenait à l'entrée de la tente; et tout le peuple se levait, et chacun se prosternait à l'entrée de sa tente. 11 Et Yahweh parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. Moïse retournait ensuite au camp; mais son serviteur Josué, fils de Nun, jeune homme, ne s'éloignait pas du milieu de la tente. 


Avant d’entrer dans le dialogue, observons les déplacements. Sortir du camp, aller vers la tente de la rencontre, vers cette nuée qui, déjà, guidait le peuple à travers la mer rouge et le désert.


Exode 33, 12-23 – Dialogue

12 Moïse dit à Yahweh : « Vous me dites : Fais monter ce peuple; et vous ne me faites pas connaître celui que vous enverrez avec moi. Cependant vous avez dit : Je te connais par ton nom, et tu as trouvé grâce à mes yeux. 13 Et maintenant, si j'ai bien trouvé grâce à vos yeux, faîtes-moi donc connaître vos voies, et que je vous connaisse, afin que je trouve grâce à vos yeux. Considérez que cette nation est votre peuple. » 14 Yahweh répondit : « Ma face ira avec toi, et je te donnerai un repos. » 15 Moïse dit : « Si votre face ne vient pas, ne nous faîtes pas partir d'ici. 16 À quoi connaîtra-t-on que j'ai trouvé grâce à vos yeux, moi et votre peuple, sinon à ce que vous marcherez avec nous? ? C'est ce qui nous distinguera, moi et votre peuple, de tous les peuples qui sont sur la face de la terre. » 17 Yahweh dit à Moïse : « Je ferai encore ce que tu demandes, car tu as trouvé grâce à mes yeux et je te connais par ton nom. » 18 Moïse dit : « Faites-moi voir votre gloire. » 19 Yahweh répondit : « Je ferai passer devant toi toute ma bonté, et je prononcerai devant toi le nom de Yahweh : car je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde. » 20 Yahweh dit : « Tu ne pourras voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. » 21 Yahweh dit : « Voici une place près de moi; tu te tiendras sur le rocher. 22 Quand ma gloire passera, je te mettrai dans le creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que j'aie passé. 23 Alors je retirerai ma main et tu me verras par-derrière; mais ma face ne saurait être vue. »


Comme esquissé plus haut, le texte reprend d’abord le thème de la nudité que nous avons souligné plusieurs fois dans les textes précédents. Elle est évoquée entre les lignes dans les premières lignes des versets 4 et 6 : « Fais descendre ta parure [TOB : Et les fils d'Israël se défirent de leurs habits de fête, à partir de la montagne de l’Horeb.] ». (Ex 33, 4-6)

L’expérience de la nudité fait partie de la catéchèse de Dieu et de prélude à la rencontre. Nous l’avons vu plus haut en Gn 2, comme en Ez. 16. À la différence des parures de Dieu comme des parures de l’homme propres aux chapitres précédents, il y aurait ici, dans ce texte qui suit le « couple » révélation-chute, une nouvelle approche, plus contrastée et j’oserais dire plus mûre de la relation.

« Dépouille-toi de toute superbe » : l’ordre est plus fort que celui donné aux anciens, qui devaient laver leurs vêtements. Comme dans Genèse 3, Dieu invite le peuple à prendre conscience que son comportement et sa superbe ne conviennent pas. Il doit se mettre à nu devant Dieu et c’est dans une attitude d’humilité qu’il peut retrouver son chemin vers Dieu.

Nous retrouvons à ce stade, la thématique du décentrement largement commenté dans « Retire tes sandales ! ». La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est l’allusion à tente de la rencontre qui préfigure la direction à prendre. Avant de la voir chargée à nouveau de ses ornements imaginaires des chapitres suivants, il nous faut peut-être contempler un lieu ouvert à l’Esprit. La tente, rappelons-le, n’est pas dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir et des certitudes humaines, mais hors du camp.

Relisons à nouveau le texte dans ses détails :

7 Moïse prit la tente et se la dressa hors du camp, à quelque distance; il l'appela tente de réunion ; et quiconque cherchait Yahweh, se rendait à la tente de réunion, qui était hors du camp. 8 Et lorsque Moïse se rendait à la tente, tout le peuple se levait, chacun se tenant à l'entrée de la tente, et on suivait des yeux Moïse, jusqu'à ce qu'il entrât dans la tente. 9 Dès que Moïse était entré dans la tente, la colonne de nuée descendait et se tenait à l'entrée de la tente, et Yahweh parlait avec Moïse. 10 Tout le peuple voyait la colonne de nuée qui se tenait à l'entrée de la tente; et tout le peuple se levait, et chacun se prosternait à l'entrée de sa tente.

11 Et Yahweh parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à son ami. Moïse retournait ensuite au camp; mais son serviteur Josué, fils de Nun, jeune homme, ne s'éloignait pas du milieu de la tente. (Ex 33, 7-11)


À la différence du récit du jardin (Gn 3), le peuple dispose ici d’un médiateur dans la personne de Moïse. Cette médiation va être thématisée dans le chapitre 33. Elle a déjà été préparée par les récits précédents. Depuis qu’il a répondu à l’appel dans l’épisode du « buisson ardent », Moïse a un rôle privilégié que lui reconnaît le peuple, mais ce dernier n’en a pas encore compris l’étendue, comme le montrent ses doutes dans le chapitre 22. Cette troisième rencontre vient donc amplifier les révélations précédentes et, par ce biais, à la fois la médiation de Moïse et des lieux de la rencontre (le Sinaï, mais aussi la tente).

Il y a très probablement là une construction littéraire qui vient construire l’image du prêtre et du temple, dans ce que nous qualifirerions maintenant d’approche trop cléricale, clairement souligné dans l’axe des rédacteurs. Et pourtant des étincelles s’échappent du discours et c’est ce qu’il vaut la peine de manduquer. 

Le mouvement est souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.

Cette distance est mise en contraste avec le privilège de « voir Dieu » donné à Moïse et appuyé par ce commentaire narratif qui termine la description.

Début d’un cléricalisme ou chemin pour l’homme ? Il serait inconvenant de trancher trop vite. L’enjeu ici est plutôt de creuser cette « figure » de Moïse et d’en sentir l’essentiel.

Comme le note Irwin(1), il pourrait y avoir d’ailleurs, dans le deuxième dialogue (v 12-23), une structure décalée et contrastée entre les demandes de Moïse et les réponses de Dieu. Un dialogue qui laisse place à une certaine ironie, chacun ne citant que ce qu’il veut entendre de l’autre, mais aussi un jeu de langage, chacun différant sa réponse. En essayant de transposer sa thèse de manière imagée, dans la version très littérale de la traduction on aurait la structure suivante, qui montre d’importantes oppositions, comme un dialogue de sourds :

Dieu refuse de monter : v3 :      « ne pas je monterai au milieu de toi, car un peuple raide de nuque toi de peur que je t’achève en chemin »

Moïse affirme qu’il monte : 13. Vois toi disant à moi : Fais monter ** ce peuple (…)

et ne cite pas le messager,    Tu as dit : Je te connais par un nom et même tu as trouvé ni la menace de Dieu : grâce à mes yeux. Et maintenant si oui j’ai trouvé grâce à tes yeux fais-moi connaître S’il te plaît ** ton chemin et je te connaîtrai afin que je trouve grâce et vois que ton peuple la nation celle-ci. 

Yhwh affirme :    Ma face ira et je te donnerai du repos à toi.

Moïse ignore la réponse :      Si ne pas ta face allant que ne pas monter tu nous feras d’ici. 

Moïse demande si Dieu fait grâce :  Et en quoi ? Il sera reconnu ici que j’ai trouvé grâce à tes yeux moi et ton peuple est-ce ne pas ? (…) 

Yhwh répond :     Aussi la parole celle-ci que tu as prononcée je ferai, car tu as trouvé grâce à mes yeux et je te connais par un nom. 

Moïse demande de voir la grâce : Fais-moi voir s’il te plait ** ta gloire.

Yhwh montre la bonté :     Moi je ferai passer toute ma bonté en face de toi et j’appellerai par le nom de YHWH devant toi et je ferai grâce ** à qui je ferai grâce et j’aurai compassion ** de qui j’aurai compassion.  

Il refuse de montrer sa face : Ne pas tu pourras voir ** ma face, car ne pas me verra l’être humain et il vivra. 21. Et dit YHWH : Voici un lieu avec moi et tu te tiendras près de le rocher.  22 Et il sera quand passera ma gloire et je te placerai dans le creux du rocher et je couvrirai de ma paume sur toi jusqu’à ce que je sois passé. 23 Et je détournerai ** ma paume et tu verras ** mon dos et ma face ne sera pas vue.

Cet apparent dialogue de sourds renforce l’impression d’inquiétude, d’interrogation sur le sort que Dieu réserve au peuple.

Cette impression est renforcée quand on isole du texte complet les deux monologues pour percevoir la tension. Moïse est fondamentalement inquiet, y compris dans son désir de voir Dieu. Voici, isolées, les phrases de Moïse :

12 Moïse dit à Yahweh : « Vous me dites: Fais monter ce peuple; et vous ne me faites pas connaître celui que vous enverrez avec moi. Cependant vous avez dit : Je te connais par ton nom, et tu as trouvé grâce à mes yeux. 13 Et maintenant, si j'ai bien trouvé grâce à vos yeux, faîtes-moi donc connaître vos voies, et que je vous connaisse, afin que je trouve grâce à vos yeux. Considérez que cette nation est votre peuple. »

15 Moïse dit : « Si votre face ne vient pas, ne nous faîtes pas partir d'ici.

16 À quoi connaîtra-t-on que j'ai trouvé grâce à vos yeux, moi et votre peuple, sinon à ce que vous marcherez avec nous? C'est ce qui nous distinguera, moi et votre peuple, de tous les peuples qui sont sur la face de la terre. »

18 Moïse dit : « Faites-moi voir votre gloire."


Les réponses du Seigneur sont plus positives :

14 Yahweh répondit : « Ma face ira avec toi, et je te donnerai un repos. » 

17 Yahweh dit à Moïse : « Je ferai encore ce que tu demandes, car tu as trouvé grâce à mes yeux et je te connais par ton nom. »

19 Yahweh répondit : « Je ferai passer devant toi toute ma bonté, et je prononcerai devant toi le nom de Yahweh : car je fais grâce à qui je fais grâce, et miséricorde à qui je fais miséricorde. »

20 Yahweh dit : « Tu ne pourras voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. »

21 Yahweh dit : « Voici une place près de moi; tu te tiendras sur le rocher.

22 Quand ma gloire passera, je te mettrai dans le creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que j'aie passé.

23 Alors je retirerai ma main et tu me verras par-derrière; mais ma face ne saurait être vue. » (Ex 33, 12-23, traduction Crampon)


(1) Irwin « Willian

Henri Irwin, The Course of Dialogue between Moses and YHWH in

Exodus 33 : 12-17, The Catholic biblical quaterly, Washington,

1997, 59,4. p. 629