27 juin 2016

Les deux mains du Père

La théologie d'Irenée nous conduit vers la contemplation de l'action du Christ dans l'Ancien Testament comme un chemin "rectiligne" (1)  en dépit des tourments humains. Sans renier l'opposition de Paul entre l'ancienne loi et la grâce, Irénée souligne que le "fruit croît dans la cosse" et que la Loi forme des degrés menant à l'imitation du Christ.

Cette contemplation nous conduit, plus qu'ailleurs, à percevoir que rien n'échappe à la pédagogie divine, jusqu'à croire que le bien sortira de ce mal, que tout est inscrit dans l'économie de Dieu et doit se lire avec la "clé trinitaire" que notre pape François évoque si bien en LS 239 (2).


(1) Hans Urs von Balthasar,  GC2, p. 76
(2) cf. Laudato Si, édition revue et commentée par le Ceras, § 239

26 juin 2016

Caché - Dévoilé, Souffrance et harmonie -Jean Erigène

Contempler à la suite de Jean Erigène‎ le non-apparaissant qui apparaît, l'incompréhensible qui est compris, l'invisible rendu visible(1). Pour lui, nous dit Balthasar , "l'altérité de Dieu se manifeste surtout en ce fait que le monde est un tissu de contraires sinon de contradictions" (..) [Dieu] rassemble et concilie tout cela dans une merveilleuse et ineffable harmonie (2).
Y a-t-il là une réponse au chaos et à la souffrance ? Si elle se lit entre les lignes c'est dans un axe eschatologique, ce qui non sans raison rejoint l'idée d'une unique "prédestination, la prédestination au bien. Rm 8 et Eph 1 sont cités avec raison comme principaux temoins(3). L'opposition intérieure au monde des élus et des réprouvés doit nécessairement se résoudre en une harmonie finale (4).

(1) Jean Érigéne, De divisione Natura (DN), III, 633 AB, cité en GC7 p. 27
(2) DN II, 617 cf. GC7 p. 28
(3) De Predestinatio IV, 369sq et XI, 3,‎398 cf. GC7 p. 29
(4) GC7 ibid.


25 juin 2016

La figure de David -Vocation d'Israël

Une contemplation du premier livre de Samuel, au chapitre 26 nous laisse saisir la vocation d'Israël,  non comme quelque chose d'accessible, mais dans sa dimension eschatologique. On y voit David traverser le camp de son ennemi, saisir la lance et la cruche et ne pas tuer Saül. Acte de non violence par excellence,  c'est aussi un acte de respect pour l'oint de Dieu,  le roi Saül, que David se refuse de frapper.
Pourquoi ? Au nom de quoi ? Parce que David a pris conscience de l'inviolabilité de l'autre. A la différence du meurtre d'Abel (Gn 4),  il se refuse de frapper. Là est la vocation d'Israël.  Elle est inaccessible à l'homme (Mat 19)  possible grâce à Dieu,  qui cette nuit là endort le camp du roi.
Elle est aussi figure, car une lecture spirituelle verra dans la lance et la cruche deux allusions aux mystères de la Croix.  C'est par la lance que l'innocent sera transpercé (Jn 19), c'est avec la cruche que nous recueillons l'eau et le sang versés, source infinie (Ézékiel 47) de grâce pour ceux qui consentent à y voir le salut.

Heureux David, car ce jour là, il a eu le coeur pur. "Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu (...) celui qui a purifié son cœur de toute créature et de tout attachement déréglé voit l'image de la nature divine dans sa propre beauté. (...) « Hommes qui avez quelque désir de contempler le vrai Bien, vous avez entendu dire que la majesté divine est élevée au-dessus des cieux, que sa gloire est incompréhensible, sa beauté inexprimable et sa nature infinie. Mais ne désespérez pas de parvenir à contempler l'objet de votre désir. »~Si tu purifies, par un effort de vie parfaite, les souillures attachées à ton cœur, la beauté divine brillera de nouveau en toi. C'est ce qui arrive avec un morceau de fer, lorsque la meule le débarrasse de sa rouille. Auparavant il était noirci, et maintenant il brille et rayonne au soleil. De même l'homme intérieur, que le Seigneur appelle « le cœur », lorsqu'il aura enlevé les taches de rouille qui altéraient et détérioraient sa beauté, retrouvera la ressemblance de son modèle, et il sera bon. Car ce qui ressemble à la Bonté est nécessairement bon. Donc celui qui se voit lui-même découvre en soi l'objet de son désir. Et ainsi celui qui a le cœur pur devient heureux parce que, en découvrant sa propre pureté, il découvre, a travers cette image, son modèle. Ceux qui voient le soleil dans un miroir, même s'ils ne fixent pas le ciel, voient le soleil dans la lumière du miroir aussi bien que s'ils regardaient directement le disque solaire. De même vous, qui êtes trop faibles pour saisir la lumière, si vous vous retournez vers la grâce de l'image établie en vous dès le commencement, vous possédez en vous-mêmes ce que vous recherchez. La pureté, en effet, la paix de l'âme, l'éloignement de tout mal, voilà la divinité. Si tu possèdes tout cela, tu possèdes certainement Dieu. Si ton cœur est exempt de tout vice, libre de toute passion, pur de toute souillure, tu es heureux, car ton regard est clair. Purifié, tu contemples ce que les yeux non purifiés ne peuvent pas voir. L'obscurité qui vient de la matière a disparu de tes regards et, dans l'atmosphère très pure de ton cœur, tu distingues clairement la bienheureuse vision. Voici en quoi elle consiste : pureté, sainteté, simplicité, tous les rayons lumineux jaillis de la nature divine, qui nous font voir Dieu." (1)

(1) Saint Grégoire de Nysse,  Homélie sur les Béatitudes, source AELF.

24 juin 2016

L'homme vivant, gloire de Dieu

On cite souvent cette phrase d'Irenée de Lyon : "La Gloire de Dieu c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme est la vision de Dieu" (1), mais le contexte qui a fait jaillir cette phrase nous en donne plus qu'il n'y paraît. Au lieu d'être un anthropocentrisme simple, Balthasar souligne que l'évêque de Lyon insiste d'abord, à la suite de Paul, sur le fait que "tous les hommes sont privés de la gloire de Dieu (Rm 3, 23)‎ et que ceux-là sont justifiés, non par eux-mêmes mais par la venue du Seigneur - quand ils ont les yeux tendus vers sa lumière(2)".

Cette introduction peut nous interroger, à la suite de toutes nos considérations sur l'image et la ressemblance : la gloire de Dieu n'est elle pas finalement le Christ seul et notre chemin n'est-il pas de tenter de ‎nous conformer à lui pour tenter de participer à cette vision de Dieu à laquelle il nous appelle et nous conduit et qu'il nous révèle sur la Croix ?

(1) AH (Contre les Hérésies) 2, 219
(2)‎ AH 2, 241, 2, 192, cité par Hans Urs von Balthasar, GC2, op Cit p. 68

23 juin 2016

Les sept échelons de l'humilité descendante - Saint benoît

En cette fête de saint Jean Baptiste,  qui comme le souuligne Augustin est la fête des hommes qui doivent, comme les jours, diminuer, nous sommes appelés à la       contemplation de l'humilité. Il nous reste à découvrir ce que nous dit Balthasar sur Benoît :‎ "Les cinq derniers échelons revêtant ce néant de la figure du Christ [conduisent l'homme a ne plus] offrir plus aucune résistance à la forme que Dieu imprime en lui par le Christ et par la règle de la communauté ; il est parvenu par l'humilité au "parfait amour de Dieu qui rejette toute crainte" et qui est l'amour du Christ" (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, 4 Le domaine de la métaphysique, ** Les constructions, Aubier, 1982, (ci après cité en GC7) p. 21

Pédagogie en vue du Christ

Il nous faut cependant revenir sur le terme de "tortueux" utilisé chez Origène. "L'Ancien Testament est le paidagogos eis Christon (...) dans son enseignement suivi, tout doit arriver au moment qui convient(1)". "Il n'y a rien de désordonné ou d'intempestif, de même qu'il n'y a rien d'incohérent chez le Père(2)", souligne Irénée.

C'est cette pédagogie qu'il nous faut contempler.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC2, p. 73
(2) S. p. 292, ibid.

Tortueuse Harmonie -3

A propos d'Origène et de l'harmonie citée hier, je ne résiste pas à reproduire ce beau texte proposé en commentaire mardi, qui nous fait goûter à la fois l'harmonie et cet envers tortueux d'une tapisserie, tous les noeuds nécessaires, tous les pas de Dieu vers nous, pour nous conduire sur l'unique chemin : " Voyons ce que Dieu a dit à Moïse, quelle route il a eu ordre de choisir... Tu croyais peut-être que le chemin que Dieu montre est uni et facile, qu'il ne comporte absolument rien de difficile ou de pénible ; au contraire, c'est une montée, et une montée tortueuse. Car le chemin par où on tend aux vertus ne va pas en descendant, mais en montant, et c'est une montée resserrée et difficile. Écoute le Seigneur encore dire dans l'Évangile : « Combien étroite et resserrée est la voie qui mène à la vie ! » Vois donc combien l'Évangile est en harmonie avec la Loi... N'est-il pas vrai que même des aveugles peuvent le voir clairement : un seul Esprit a écrit la Loi et l'Évangile.       Le chemin où on s'avance est donc une montée tortueuse...; les actes et la foi comportent bien des difficultés, bien des peines. Car bien des tentations et bien des obstacles s'opposent à ceux qui veulent agir selon Dieu. Ensuite, dans la foi, on trouve bien des choses tortueuses, beaucoup de points de discussion, bien des objections d'hérétiques... Écoute ce que dit Pharaon en voyant la route que Moïse et les Israélites avaient prise : « Ces gens-là s'égarent » (Ex 14,3). Pour Pharaon, ceux qui suivent Dieu s'égarent. C'est que, on l'a dit, le chemin de la sagesse est tortueux, avec maints tournants, maintes difficultés, nombre de détours. Ainsi, confesser qu'il y a un seul Dieu, et affirmer dans la même confession que le Père, le Fils et Saint Esprit sont un seul Dieu, combien tortueux, combien difficile, combien inextricable cela paraît-il aux infidèles ! Ajouter ensuite que « le Seigneur de majesté » a été crucifié (1Co 2,8), et qu'il est le Fils de l'homme « qui descendit du ciel » (Jn 3,13), combien cela paraît tortueux et combien difficile ! Qui l'entend sans la foi dit : « Ces gens-là s'égarent ». Mais toi, sois ferme, ne mets pas en doute une telle foi, sachant que Dieu te montre cette route de la foi." (1)

(1) Homélies sur l'Exode, n°5, 3 ; SC 321 (trad. SC p. 157 rev.), source AELF

22 juin 2016

Harmonie - 2

Nous reprenons maintenant la lecture du tome 2 où nous l'avions arrêtée, c'est à dire p. 65, pour entrer en résonance avec cette harmonie décrite à la fin du tome 1. C'est avec Irénée de Lyon que nous reprenons notre voyage et il est intéressant de constater qu'un thème semblable à celui détaillé sous le titre d'Harmonie à propos d'Origène et d'Augustin est aussi développé par Irénée et repris ici par Balthasar quand il dit que "toutes les Écritures données par Dieu seront trouvées consonantes (symphonos), les paraboles s'accorderont avec ce qui est dit(1)".

Au delà des tensions théologiques décrites plus haut, n'est-ce pas ce qu'il nous faut chercher : une paix intérieure qui, à l'image du discernement ignatien, nous indique que nous sommes sur la bonne voie.

Cela ne doit probablement pas masquer l'intérêt d'une Parole tranchante, d'un glaive qui perce notre coeur et nous conduit au bien, mais trouver une symphonie dans la Parole nous indique que nous sommes sur les pas de Dieu, quand bien même ce chemin est aride. Si nous ne percevons pas la consonance, c'est que nous sommes hors du chemin.

Elle résulte en effet de l'harmonie invisible du Verbe, qui conduit l'Ecriture et rejoint le plan de Dieu sur l'homme. Cherchons là, avant tout, en poursuivons cette lecture...

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Styles, d'Irenée à Dante, 2, Cerf DDB 1967-1993 (que nous citerons plus loin comme GC2),  p. 65

Une dernière valse...

Une dernière valse est une petite nouvelle qui présente, sous une forme poétique, l'amour fou d'une femme pour son mari. Une manière d'aborder de manière imagée le coeur à coeur d'un homme et d'une femme qui traverse une vie de joie et de souffrance et continue à s'aimer jusqu'au bout.

Extrait : "Son cœur battait encore des joies du passé. Sa vie était toujours emportée dans la danse. Elle virevoltait encore comme au premier jour, dans une valse qui n'avait cessé de l'emporter plus loin, dans un pas de deux qui ne s'arrêterait jamais. Elle aurait aimé que le chauffeur s'arrête, une dernière fois en vue du moulin, pour contempler le jet sonore et puissant de la rivière. L'Avre préparait déjà ses crues d'hiver, montait doucement le long des berges, inondait déjà le champ où paissaient les moutons, l'été. Elle traçait déjà dans la plaine les premiers ruisseaux qui s'étendraient, par endroits, dans la vallée en des petits lacs argentés, quand l'hiver atteindrait son apogée.
Encore deux ou trois semaines, au plus, avait dit le médecin en signant son hospitalisation ! Qu'est-ce que quelques jours au crépuscule d'une vie qui comptait plus de quatre-vingt-dix années ? Une poussière sur l'océan de sable, un dernier chapelet de fleurs sauvages quand le temps ne compte plus, quand les souvenirs vous habitent et vous enchantent... Son cœur vibrait encore de la première danse. Elle voulait se laisser bercer par les vagues encore joyeuses de sa mémoire, avant de goûter aux noces éternelles qui l'attendaient là-haut."
Nouvelle qui s'insère et constitue la deuxième partie de l'édition 2016 du roman "au cœur de la vallée", "Une dernière danse" est le dernier voyage de Sophie : un retour sur le passé et une vie amoureuse.
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21 juin 2016

Le regard du Christ


"Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé". (Za 12, 10, Jn 19,37, Ap 1,7‎). Cette affirmation de Zacharie contemplée dans les lectures de dimanche dernier est reprise par Balthasar dans son évocation du jugement dernier, notre ultime rendez vous avec le Christ.

"Ce tête à tête dans lequel se dissout la dure écorce de la vie du pécheur, tandis que l'homme réalise, dans une vue inévitable et inexorable, ce qu'il a fait au Christ, quelle forme sa vie chrétienne aurait du revêtir et a été manquée (...). [Un regard à la suite duquel] il est fondu et assoupli pour "l'unique forme" sous laquelle il faut pénétrer dans le royaume du Père, la forme du Christ (Ga 4,‎ 19)*.

En cette année de la miséricorde, il nous faut voir peut-être ce tête à tête comme un regard aimant, plein de regrets de ce que nous aurions pu devenir et que nous avons négligé, voir aussi ces gestes, si maigres et si petits qui nous ont fait participer à ce qui fait notre espérance : rejoindre le Père qui nous accueille ‎dans la joie des retrouvailles dernières.

* Hans Urs von Balthasar, op Cit., Gc1 p. 577

20 juin 2016

Au nom du Christ

"Se laisser saisir par le Christ",  tel est la vocation à laquelle nous appelle saint Paul en Philippiens 3. Si nous écoutons bien le message de Paul, il s'agit surtout de l'imiter lui qui cherche, sans jamais y parvenir, à imiter le Christ.  Qui peut d'ailleurs imiter celui à qui Dieu "a donné le nom de Jésus" (Ph. 2),
Quel est ce nom ? La contemplation de Paul part de la kénose,  de celui "qui n'a pas retint le rang qui l'égalait à Dieu,  mais qui s'est anéanti,  vidé de lui même et a pris le rang de serviteur jusqu'à mourir".
"Saint Paul, avec plus de précision que personne, a compris qui est le Christ et a montré, à partir de ce que celui-ci a fait, comment doivent être ceux qui portent son nom. Il l'a imité si clairement qu'il a montré en sa personne quelle est la condition de son Seigneur. Par cette imitation très exacte, il a confondu l'image de son âme avec son prototype au point que ce n'était plus Paul qui semblait vivre et parler, mais le Christ lui-même. Comme il le dit, en prenant admirablement conscience de ses propres avantages : Puisque vous désirez avoir la preuve que le Christ parle en moi. (...) Et encore : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est le Christ qui vit en moi.Il nous a donc révélé ce que signifie le nom du Christ, lorsqu'il nous dit, que le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu ; en outre, il l'a appelé paix et lumière inaccessible où Dieu habite, sanctification et rédemption, grand prêtre, agneau pascal, pardon pour les âmes, lumière éclatante de la gloire, expression parfaite de la substance, créateur des mondes, nourriture et boisson spirituelle, rocher et eau, fondement de la foi, pierre angulaire, image de Dieu invisible, grand Dieu, tête du corps qui est l'Église, premier-né avant toute créature, premier-né d'entre les morts, premier-né de la multitude de frères, médiateur entre Dieu et les hommes, Fils unique couronné de gloire et d'honneur, Seigneur de gloire, commencement de ce qui existe,  (...) roi de justice et ensuite roi de paix, et roi de tous les hommes, avec une puissance royale sans aucune limite". Grégoire a qui nous empruntons ce commentaire ajoute :"il y a encore beaucoup de noms à ajouter à ceux-là, et leur nombre les rend difficiles à compter. Mais si nous rassemblons tous ces noms et si nous rapprochons leurs diverses significations, ils nous montreront tout ce que signifie le nom de Christ, si bien que nous pourrons comprendre toute la grandeur de ce nom inexprimable. (...) Puisque nous avons reçu communication du plus grand, du plus divin et du premier de tous les noms, au point que nous sommes honorés du titre même du Christ en étant appelés « chrétiens », il est nécessaire que tous les noms qui traduisent ce mot se fassent voir aussi en nous, afin qu'en nous cette appellation ne soit pas mensongère, mais qu'elle reçoive le témoignage de notre vie" (1)
(1) Grégoire de Nysse, traité sur la perfection chrétienne, source AELF

19 juin 2016

La Croix, source de toute grâce

En ce jour,  contemplons la Croix,  buvons à cette source offerte. Comme nous y invite la première lecture par son "Ils regarderont vers moi. Celui qu’ils ont transpercé" (1), la liturgie nous invite à la fois à percevoir ce qui en nous a rendu possible la mort du Christ et ce qui, de cette mort peut nous sauver. Alors nous pourrons nous lamenter sur ce qui nous éloigne de Dieu : " Ils feront une lamentation sur lui, comme on se lamente sur un fils unique ; ils pleureront sur lui amèrement, comme on pleure sur un premier-né.
Ce jour-là, il y aura grande lamentation dans Jérusalem (...) Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem : elle les lavera de leur péché et de leur souillure" (1).
Cette lettre de Zacharie est la clé de notre soif vers Dieu.  Et le psaume du jour (63) n'est qu'une illustration de cette soif qui devrait nous habiter. Goûtons à cette prière,  faisons la nôtre :
"Dieu, tu es mon Dieu,
je te cherche dès l'aube :
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair,
terre aride, altérée, sans eau.
Je t'ai contemplé au sanctuaire,
j'ai vu ta force et ta gloire.
Ton amour vaut mieux que la vie :
tu seras la louange de mes lèvres !
Toute ma vie je vais te bénir,
lever les mains en invoquant ton nom.
Comme par un festin je serai rassasié ;
la joie sur les lèvres, je dirai ta louange.
Oui, tu es venu à mon secours :
je crie de joie à l'ombre de tes ailes.
Mon âme s'attache à toi,
ta main droite me soutient"(2)
Que nous apporte alors la deuxième lecture ?
"Frères, tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi.
En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ;
il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus.
Et si vous appartenez au Christ, vous êtes de la descendance d’Abraham : vous êtes héritiers selon la promesse".
Si nous buvons à la source du Christ,  ni nous croyons vraiment que le sang et l'eau versé est ce fleuve immense décrit par Ézékiel 47, alors nous pouvons réaliser ce à quoi nous sommes appelés : "appartenir au Christ,  non pas sous forme d'esclave,  mais dans la direction de Jean 15, 15, comme des "amis", c'est à dire en chemin vers un amour qui ne cherche pas "son intérêt" (1 Corinthiens 13).
Cette conversion intérieure nous permet d'affirmer à la suite de Pierre (Lc 9, 20) : tu es l'oint de Dieu, le messie. Non pas seulement comme David a été oint (1 Samuel 16) mais par cette double onction du Père et de l'Esprit qui fait de lui le fils unique et nous invite à entrer dans le cercle trinitaire
(1) Livre de Zacharie 12
(2) Psaume 63(62),2.3-4.5-6.8-9.
(3) Lettre de saint Paul Apôtre aux Galates 3,26-29.
Textez, source AELF

Nudité transfigurée

Pourquoi Jean ne parle t-il pas de la transfiguration ? Pour Balthasar qui commente là la figure sacramentelle du Christ et insiste sur la kénose, la métamorphose de Jésus devant ses disciples se trouve dans sa nudité. Seul Jean est pour lui "capable de contempler l'une dans l'autre ces deux mises à nu : celle du Cantique des Cantiques, où l'époux se découvre corporellement dans l'ardeur de l'éros - et celle de l'amour souffrant, corporel lui aussi, du Dieu trinitaire. Cette amplitude inouïe de l'amour corporel : à la fois dégrisé, vidé jusqu'à la moelle en face de la Croix, devant l'agapè divine qui prend le langage du corps, et, ravi au-dessus de lui-même, élevé jusqu'à l'éternité en face de ce langage enivrant de la chair et du sang répandus, pour devenir, éros de la créature, le tabernacle et la demeure de l'amour de Dieu !" (1)

Cette tension qui rejoint celle décrite dans notre dynamique sacrementelle nous donne à penser. Elle rejoint ce qu'écrivait Christophe Gripon dans son hymne sur Christ-Sophia (2).

(1) Hans Urs von Balthasar, La gloire et la croix, tome 1, Apparition, op. cit. GC1 p. 151
(2) Eros, un chemin vers Christ Sophia, op. Cit. ch. 2 et 3

18 juin 2016

Harmonie intra-testamentaire

Quel est l'enjeu de notre contemplation de l'Écriture ? Pour les pères de l'Église les relations entre Ancien Testament et Nouvelle Alliance, c'est la contemplation d'une symphonie, d'une consonance, d'une harmonie (1) , un concert de beauté - concinere, consonare, concitare (2) (...) une mélodie intérieure au monde"(3) qui n'est pas sans rejoindre ce que j'évoque dans mon concept de danse trinitaire.
Dans le désir exprimé par les pères de l'Église d'y voir la face de Dieu‎, on trouvera à leur suite, la lumière des premiers rayons de la résurrection, qui percent parfois nos brouillards humains pour nous pousser plus loin, jusqu'à la quête du Royaume à venir.
L'enjeu, comme l'exprime plus loin Balthasar est de nous laisser pénétrer ‎corporellement par Dieu, d'abord dans les prémices que constitue la résurrection du Christ, puis dans dans le don total qu'est la résurrection générale" (4).

Il ne s'agit pas d'une inhabitation mystique, mais bien de cette dynamique sacramentelle (5) largement commentée par ailleurs, qui vise la manière dont la Parole et les sacrements interagissent en nous et nous conduisent à une véritable imitation du Christ.

(1) Origène, In Jn, 5, 8 (Pr. 105), cité par Balthasar, GC1 p. 559.
(2) Saint Augustin, De Mor. Eccl. cath. I‎, 1, 27, 28, 34, PL 32, 1322-1326
(3) Gc1 ibid.
(4) p. 560.



17 juin 2016

Humilité de Dieu - suite

Contempler ce Dieu qui "n'est libre que parce qu'il aime, qui souffre le pire tourment lorsque que se perd la figure qu'il avait choisie, et qui ne craint pas de révéler (...) cette figure douloureuse qui est la sienne, la face de l'amant humilié, acceptant son humiliation et s'humiliant lui-même devant Jérusalem, la courtisane impudique. Il la repousse, il lui faut la repousser, c'est son droit parce qu'il est le Dieu Saint. Mais il ne peut pas la repousser, il est obligé de courir après l'indigne et de la ramener par des serments et des promesses humiliantes".

Balthasar nous donne ici une belle interprétation de ce qui pourrait être le livre d'Osée (1) ou le début de Proverbes (2), mais il nous conduit plus loin  : "C'est dans la tension, qui va jusqu'à la contradiction, entre la grandeur du Dieu libre et l'abaissement du Dieu aimant, que s'ouvre le coeur de la divinité elle-même (...) c'est dans l'histoire tragique qui met Dieu aux prises avec son peuple renégat que se préforme la Trinité intra-divine, qui se révèle par l'incarnation du Fils de Dieu (3)".

En un sens c'est ce que nous avons longuement développé dans notre trilogie sur Humilité et miséricorde. Que celle-ci rejoigne Balthasar n'est finalement pas étonnant tant notre première lecture de sa trilogie a influencé notre manière de pensée. Cette deuxième lecture, près de 10 ans plus tard ne fait que confirmer cette confluence.

‎(1) cf. notre recherche récente in Lire l'Ancien Testament, tome 1 - Une lecture pastorale des livres d'Osée et de la Genèse.
(2) cf. Christophe Gripon, op. Cit.
(3) Hans Urs von Balthasar, GC1 op. Cit. p. 556-7