11 mai 2006

Les nouvelles idolâtries

Pour un blogueur attaché à la technique, toujours en perpétuelle "veille technologique", ce n'est pas sans intérêt que je me laisse déranger par Balthasar, qui condamne "ces machines qui servent de nouveaux fétiches et exercent une fascination inconnue jusque là, tout justement parce qu'on peut les maîtriser"
Pour Balthasar nous vivons dans un autre monde. Auparavant, l'homme était (et se sentait) fragile. L'homme moderne se sent maître de l'univers. Et sombre plus qu'avant dans un certain anthropocentrisme. C'est cette toute puissance, cette démesure (hybrys) qui nous masque peut-être que le réel est ailleurs, plus fragile. La crèche est à des années lumières de notre technologie, et pourtant, elle est au coeur du mystère...

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, DD 3, L'action p. 56

10 mai 2006

Dilution de la flamme...

Pour Balthasar, la dramatique n'existe plus dans le christianisme (1). Elle est diluée lyriquement dans la spiritualité ou épiquement dans la théologie. Toute rencontre de l'homme avec Dieu s'inscrit pourtant dans le drame du Christ.
Cela me conforte d'une certaine façon dans la découverte récente qu'au delà d'une esthétique liturgique, nous devrions prendre le temps, à chaque Eucharistie de méditer sur le fait que nous ne faisons pas mémoire d'un repas entre ami, mais bien d'un coeur transpercé par le glaive et ouvert pour l'humanité. Nier le drame, c'est effacer le sens même de la mort du Christ, l'étouffer sous une mièvre vision d'un amour béat.
Le danger à l'inverse est d'en rester à la souffrance du Christ et il me semble que la difficulté, c'est de saisir que le Christ n'est pas venu pour mourir mais pour nous, pour accompagner notre mort, lui donner un sens. C'est en cela qu'il nous faut à la fois prendre conscience de sa mort, ne pas la nier, mais réaliser en même temps que notre vie est ailleurs, sur les pas de l'espérance et que dans notre propre douleur, Dieu est là souffrant mais aussi simplement présent à nos côtés.

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, DD 3, L'action p. 52

09 mai 2006

Le feu de Dieu

Pour Balthasar le feu de Dieu est saint au ciel et destructeur sur terre. Il brûle les martyrs d'un feu dévorant et les pécheurs d'un feu de purification. Pour cela il cite l'Evangile qui parle d'un "coeur brûlant en nous, quand il nous parle" (cf. Lc 24,32 Emmaüs). Pour lui (1), il faut que la parole de feu soit objectivée en se gravant sur la première table de la loi (Dt 5,22) et la deuxième table (Dt 10,15). Et ce sera Elie, le premier qui apprendra que la tempête qui fracasse le rocher, le tremblement de terre et le feu ne sont que les préludes significatifs de la brise légère par laquelle Dieu atteint le plus profond de l'homme (1 R 19, 11ss).
Le feu n'agit plus envers l'homme mais en l'homme dans le Nouveau Testament. "C'est un feu que je suis venu apporter sur la terre et comme je voudrais qu'il soit allumé" (Lc 12,49) Je pense qu'il faudrait relire les mystiques dans ce sens (St Jean de la Croix ?). Certes, comme le disent Matthieu et Luc, nous sommes baptisés dans le feu et l'Esprit (Mt 3,16, Lc 3,16). Peut-être est-ce notre tiédeur qui a étouffé la flamme véritable et nous a conduit à mettre sous le boisseau le feu reçu de Dieu.

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, DD 3, L'action p. 50

08 mai 2006

Colère de Dieu

La colère de Dieu, qui éclate dans l'apocalypse et qui traduit la manifestation du jugement de Dieu, même vu in fine est-il cohérent avec notre vision du Dieu amour, où n'est-ce pas en soi un anthropomorphisme ?
Je conçois qu'il faille à un moment donné que la séparation entre le bon grain et l'ivraie se fasse. Mais n'est-ce pas suffisant que cette séparation se fasse. Faut-il pour autant voir comme nécessaire une vengeance et la colère de Dieu.
A méditer. Sur ce point, Balthasar note que la colère est à la fois le signe de l'engagement de Dieu et en même temps le signe d'une "souffrance" que lui inflige le monde et qui se traduit par le meurtre de l'agneau (1)

A méditer
(1) cf. Hans Urs von Balthasar, DD 3, L'action p. 46

07 mai 2006

Hans Urs von Balthasar : La victoire de l'agneau

Nous reprenons ici notre commentaire de la trilogie de Balthasar en commentant le 11ème volume de cette "saga" qui se consacre au coeur de la Dramatique Divine, après l'analyse des personnes du drame, à l'action dramatique elle même. Balthasar commence ici une longue analyse de l'Apocalypse, soutenue par les visions d'Adrienne von Speyr. Personnellement, je ne suis pas très enclin à m'attarder à ce type de discours ou de dramatisation, mais ma curiosité et la soif de connaître, me font persévérer dans ce chemin de lectures.
Je note particulièrement ce paradoxe et cette tension que souligne Balthasar (1) entre un agneau déjà vainqueur et le fait qu'en dépit de cette victoire nous assistions à plus de violence que jamais. C'est effectivement, à l'heure des holocaustes et des massacres, plus qu'une évidence. Et il ne s'agit pas là d'une analyse de science fiction, mais bien la constatation que le monde n'a pas entendu le Christ et que cette victoire de l'agneau qui est totale est définitive sur le mal, reste ignorée, voire plus que jamais combattue par les hommes de notre temps. Signe que le mal poursuit sa course, même si l'on peut voir dans notre monde, au sein même de cette violence, les fleurs de la grâce. Comment ne pas évoquer le texte d'Elly Hillesum, qui au milieu des rafles de juifs, voyait dans une fleur encore un signe d'espérance. Le mal est bien là, et la fleur, s'était plus elle que la plante éphémère. Paradoxe et tension donc.

(1) cf. Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3, L'action
p. 11ss

06 mai 2006

Dieu réel et concret

Le risque de toute théologie est de rester dans l'abstraction, les concepts. Je soulignais déjà cet abandon du monde des idées par Pascal, qui est parti s'occuper de charité.
Pour Balthasar, "Un Dieu purement transcendant serait un mystère purement abstrait et négatif". Pour lui un Dieu qui dans sa transcendance peut rester immanent est "mystère concret et positif". C'est là pour Balthasar le coeur de la vision de la Trinité qui dépasse toute vision purement immanente de l'Ancienne Alliance ou de l'Islam (cf. p. 419)

05 mai 2006

Image - III

L'homme est appelé à être image non pas de manière élitiste mais dans la mesure où à toute grâce reçue s'attache une mission jusqu'à pouvoir dire comme Paul "Si je vis, ce n'est plus moi mais le Christ qui vit en moi" (Ga 2,20)
"Quiconque" ajoute Urs von Balthasar, "même en dehors du christianisme, veut briser son égoïsme étroit et faire le bien pour l'amour du bien lui-même, reçoit une lumière qui lui indique le chemin qu'il peut et doit prendre et qui apporte en même temps la révélation de la vérité et une vie plus vivante". (1)

N'est-on pas au coeur de décentrement véritable que je ne cesse d'approcher sur ce blog.
(1) ibid, p. 418

04 mai 2006

Images de la Trinité - Suite

Toutes ces images s'ordonnent, à leur manière, s'insèrent dans le plan de Dieu. Pour Balthasar, "l'imago est créée en vue de la similitudo, non pour se développer par un effort de perfectionnement ou par une dialectique propres, mais pour servir de lieu ou l'archétype divin peut s'insérer. Dans le Christ, l'homme créé peut par la grâce devenir une personne (théologique) c'est-à-dire un enfant du Père qui, d'une manière qualitativement unique, a reçu part à la mission du Christ, ce qui se réalise par l'habitation du Saint Esprit en lui comme dans une demeure des Personnes Divines." Et la personne unique n'est rien si finalement elle n'entre pas dans un processus social qui revêt collectivement la grâce.
"Tout ce qui est privé disparaît dans le processus dans lequel l'homme est désapproprié et réquisitionné pour la vie divine." Balthasar parle ainsi d'un "homo ecclesiasticus" qui revêt psychologiquement et ontologiquement des traits ecclésiaux (...) conformé au Christ, grâce et mission.
Pour lui, "Quand un homme devient une personne dans le Christ il acquiert aussi en lui un espace ecclésial pour abriter en lui d'autres hommes ; Origène parle d'une analogie avec l'Eucharistie dans la mesure où un homme appartient au Christ, il peut être distribué avec le Christ comme substance nourrissante du Corps mystique (John comm. 2,8)" (1)
Je retrouve ici la belle image d'Ignace d'Antioche qui veut devenir le froment de Dieu par son martyre.
(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 417

03 mai 2006

Image de la trinité

En quoi l'homme peut-il être à l'image de Dieu. Cette notion est complexe et j'y ai d'ailleurs consacré plusieurs chapitres d'un livre que je cherche en vain à éditer (sans commentaires). Mais si ma réflexion part de l'approche sponsale de Gn ("Homme et femme ils les créa...), je pense que la véritable dimension trinitaire de l'homme est bien plus vaste. C'est ce que nous explique Balthasar, dans un texte complexe mais qu'il vaut la peine de méditer "à petit pas" : "L'esprit créé doit sortir d'une possession de soi la plus intime, irréfléchie (memoria) et s'opposer à lui-même pour se saisir (intellectus) et par là aussi finalement s'affirmer par amour (voluntas). Le triple pas se produit au sein du même être spirituel, et il est par là un image de la vie intérieure de l'unique Esprit divin ; mais il enferme en même temps l'esprit créé en lui-même ; il ne peut donc pas montrer comment se réalisent la véritable objectivation et le véritable amour, qui visent toujours l'autre. C'est pourquoi l'image de Dieu doit se trouver aussi dans le mouvement opposé de l'esprit, qui le force à sortir de lui-même : du Je au Toi, et au fruit de la rencontre, que celle-ci soit la rencontre sexuelle de l'homme et de la Femme (le fruit peut alors être l'enfant, mais aussi, au delà, un fruit intéressant tout l'humain, qui dépasse la sexualité) ou une autre rencontre dans laquelle le Je se donnant au Toi, deviens pour la première fois lui-même, tout deux se réalisant dans un nous, dépassant la recherche du Je. Ce n'est que dans un tel dépassement que se produit la première image, immanente à l'esprit et puisque ces dépassements sont innombrables dans la société humaine, ils brisent toujours ainsi le modèle clos (par exemple d'un mariage) et forment de nombreux mouvements recoupant comme des vagues."
Je trouve cette image très belle, parce qu'elle élargit encore plus la notion d'image et en même temps elle la relativise. Nous sommes à l'image de Dieu quand nous parvenons à vivre une véritable relation ouverte et féconde, mais notre petite épiphanie, constitue avec d'autres une immense tapisserie, que l'on ne peut percevoir, comme le disait saint Augustin, qu'en prenant de la distance. Toutes ces lueurs d'amour sur terre, éclaire le monde de l'intérieur. C'est le fourmillement de Dieu qui s'incarne dans nos mains et nos coeurs.
Nous sommes les fourmis de Dieu. Mais la métaphore a ses limites, car nous restons des êtres libres et ce n'est que scintillement, à l'image des étoiles qui reflètent à leur manière, la beauté d'une création vivante et agissante.

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 416

02 mai 2006

Signe de croix - Verticalité et horizontalité

A l'heure où certains pratiquent encore le signe de croix comme un chasse mouches (et cela m'arrivait aussi....), il me semble important d'en découvrir toujours plus de sens..
Il y a bien sur le symbole de la croix. Premier degré de sens.
J'aime y ajouter aussi, le Fils tourné vers le Père et qui ouvre ses bras au monde. Deuxième degré.
Pour Balthasar, la forme temporelle et verticale qui va de Dieu au Christ en passant par l'Esprit est reprise et élevée dans la forme horizontale. "Ce n'est pas Dieu lui même qui change mais le Dieu immuable entre en rapport avec la créature". (1)
Il me semble que c'est à travers la manifestation temporelle et verticale de la personne du fils que l'Esprit (qui est en Christ et au dessus de lui comme le note plus loin Balthasar) intervient dans cette symbolique et introduit pour moi le troisième degré qui lui donne alors toute sa dimension, du Père, à notre petite personne, incarnée et trace infime du mystère trinitaire.

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 415

01 mai 2006

Miséricorde de Dieu

L'Ancien Testament utilisait le mot hébreux de Rachamin pour qualifier la miséricorde de Dieu. Ce mot peut se traduire les "entrailles maternelles". Les entrailles de Dieu, frémissantes d'un amour compatissant, c'est ce qui devient précisément manifeste au monde, lorsqu'il lui livre tout son amour, lorsqu'il nous envoie son Fils. Alors le voile du temple peut se déchirer de haut en bas (Mc 15,38), car Dieu n'est plus caché aux hommes, il s'est dévoilé jusqu'au plus profond de son amour, il expose sur le bois de la croix, ses "entrailles".

29 avril 2006

Immutabilité et compassion

Depuis longtemps je me heurte à la notion grecque d'un Dieu sans mouvement, d'un Dieu que rien ne peut émouvoir, immuable et éternel. Mais peut-être est-ce parce que pour moi Dieu ne peut être dissocié du Christ, vivant et incarné...
Pour Balthasar, "Dieu se dévoile en lui sans cesser pour autant d'être Dieu au dessus de tout. Il peut devenir immanent au jeu du monde sans abandonner sa transcendance au dessus du jeu." (1)

(1) Urs von Balthasar, ibid DD 2,2 p. 402

27 avril 2006

Claude Géffré : le silence de Dieu

Le silence de Dieu est tout simplement un scandale pour la conscience moderne. Nous connaissons bien, dans la foi, la réponse au silence de Dieu qui nous trouble. Dieu se tait, mais il a parlé, il nous a dévoilé son dessein (...) les vrais adorateurs seront ceux qui adoreront le Dieu caché et silencieux, dans un total abandon à sa volonté mystérieuse. Thérèse de Lisieux a connu la tentation du désespoir face au silence de Dieu, alors qu'elle était au sommet de son union d'amour. Mais elle n'a pas demandé à voir Dieu où à l'entendre. Elle a seulement adoré les yeux baissés dans un pur abandon. Elle savait que le silence incompréhensible de Dieu est celui-là même qu'a connu Jésus-Christ, le Fils bien aimé du Père, tandis qu'il consommait sur la croix son sacrifice d'amour dans un total abandon à sa volonté mystérieuse.
Claude Geffré, op, La providence, mystère de silence, Lumière et vie, 1964, p. 55 à 75

26 avril 2006

Le retrait de Dieu

Dieu ne s'est pas retiré puisqu'il est en Christ et nous sommes en Christ. C'est en nous que Dieu reste présent. Contrairement à la théorie du retrait (Hans Jonas) et dans le sens donné par Etty Hillesum, Dieu a besoin de nos mains. Cela ne réduit pas cependant l'expérience du silence de Dieu qui est la nuit mystique et qui comme toute traversée du désert nous interpelle chacun, à sa manière...

25 avril 2006

Quand on refuse la grâce de Dieu

Mon ouverture peut être naïve me faisait penser qu'à tout homme reste offert la grâce, même quand il ne peut la saisir. Pour Balthasar (1), "dans le cas d'un refus de la grâce unique et indivisible, le maintien d'une offre de grâce de la part de Dieu serait absurde et même indigne de lui".
Je conçois ce point de vue et pourtant, cette décision qui de toute façon n'appartient qu'à Dieu, me semble difficile à imaginer quand je m'attarde sur la vision d'un Christ lavant les pieds de Juda, ou quand résonne en moi la phrase d'Ezéchiel : "Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive". Reste le saut définitif dans l'abandon et le rejet de Dieu. Mais cela n'est pas à nous de le juger et de l'apprécier.
Selon Ratzinger, note Balthasar, ce qui ont rejeté la grâce sont des non personnes, la ruine de l'être personne. (2)
Je conçois également, à la suite de Bernanos, que le malheur des "pierres embrasées qui furent des hommes, c'est qu'elles n'ont plus rien à partager".

(1) ibid p. 394
(2) Dogma & Verkündigung 1973, p. 233