23 octobre 2018

L’amour est en toi 21 - la source vide - Hans Urs von Balthasar

"Celui qui connaît au centre de son être la source toujours vide de la vérité et de l'amour de Dieu se sent pressé d'y revenir sans cesse pour y purifier, y renouveler, y reposer tout son être" (1)

Je note avec intérêt cette notion de source vide. Est-ce une erreur de traduction ? Je ne le crois pas. Car à la différence de mes propos sur l'amphore et le fleuve qui témoigne de l'immensité des dons de Dieu (Eph 3), il y a là une constatation: Dieu fait germer en nous un désir inépuisable. Une source vive est celle qui creuse en nous jusqu'au jointures de l'âme le désir éternel d'une rencontre inassouvie. Cela résonne avec le vers de Jean de La Ville de Mirmont in L'Horizon chimérique ... "Car j'ai de grands départs inassouvis en moi."

(1) Hans Urs von Balthasar, la prière contemplative, op. cit. p. 70

Au fil de Luc, 12, 35-38 - servir

« En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
  « Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera à la porte.
    Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller.
Amen, je vous le dis : c'est lui qui, la ceinture autour des reins, les fera prendre place à table et passera pour les servir.
    S'il revient vers minuit ou vers trois heures du matin et qu'il les trouve ainsi,heureux sont-ils ! » (1)
A contempler 
(1) Luc 12, 35-38, source AELF 

22 octobre 2018

L’amour est en toi 20 - Circumincession - Hans Urs von Balthasar

Alors que "partout ailleurs, l'idée prise au sérieux d'une inhabitation du moi fini par le Moi infini conduit inévitablement à une conclusion panthéistique : le dépassement qui va du moi fini (empirique) à l'absolu devient donc, aussi nécessairement, une sorte d'abandon de soi à la fois mortel et bienheureux (cf. Fichte). Dans le christianisme, une telle inhabitation est au contraire concevable de la façon la plus sérieuse et la plus radicale, sans qu'elle entraîne l'éclatement et l'anéantissement du moi fini; celui ci s'achève plutôt de la manière la plus mystérieuse au dessus de lui-même en Dieu. Ici aussi il y a une mort mystique de l'amour mais cette mort est une véritable résurrection, bien mieux une résurrection corporelle en Dieu. Une telle inhabitation par l'Esprit de Dieu, "que Dieu nous donne" (1 Th 4,8) suppose le mystère trinitaire dans l'être absolu lui même, c'est à dire le miracle de l'immanence mutuelle (circumincessio) des Personnes divines, sans danger pour leur originalité personnelle" (1).

Un thème qui rejoint mes recherches sur la danse trinitaire.

Plus loin, Balthasar va plus loin, évoquant non l'extase mystique, mais celle du service, c'est-à-dire la joie des serviteurs qui n'ont fait que leur devoir... A méditer à l’aune du post suivant.


(1) Hans Urs von Balthasar, La prière contemplative, op. cit p.66

Au fil de Luc 12, 7 - Soyez sans crainte

« Soyez sans crainte », Lc 12, 7

Ce sont nos paralysies qui freinent sans cesse la diffusion de la bonne nouvelle. Nul n'échappe à ces enfermements intérieurs, à cette peur du jugement extérieur. 
Seigneur donne nous ton Esprit. À l'image du souffle qui a saisi les apôtres, du feu qui les a fait sortir de leur tanière. 

17 octobre 2018

Panne de YouTube - Le grand silence -#YouTubeDown

Fais que tressaille son silence
Sous ton Esprit ;
Dieu, fais en nous ce que tu dis,
Et les aveugles de naissance
Verront enfin le jour promis
Depuis la mort de ta semence.

Union et déréliction - Saint Jean de la Croix

La nuit de Jean de La Croix interpelle toujours nos vies. « L'Union ne consiste donc point dans les jouissances, dans les consolations, dans les sentiments spirituels, mais dans la mort réelle de la Croix au point de vue sensitif et spirituel, intérieur et extérieur » (1)
Le silence intérieur et l’abandon sont-ils les préludes d’une disponibilité véritable aux souffrants ?
Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Styles 2, De Jean de la Croix à Péguy, Paris, Aubier, 1972 p.60

14 octobre 2018

Parole et silence - 2 - une mise en tension - Grégoire le Grand - Pape François

Parole ou silence, une mise en tension :

« La langue des prédicateurs est paralysée par leurs mauvaises dispositions, nous dit le Psalmiste : Dieu déclare au pécheur : Comment peux-tu redire mes lois ? Et que la parole des prédicateurs soit arrêtée par les vices de leurs peuples, le Seigneur le dit à Ézéchiel : Je ferai adhérer ta langue à ton palais, tu seras muet et tu cesseras de les avertir, car c'est une engeance de rebelles. Comme s'il disait clairement : La prédication te sera enlevée car, puisque ce peuple me défie par sa conduite, il ne mérite pas d'être exhorté à la vérité. Par suite de quel vice la parole est retirée au prédicateur, il n'est pas facile de le savoir. Mais ce que l'on sait avec certitude, c'est que le silence du pasteur est nuisible quelquefois à lui-même, mais toujours à son peuple. » (1)

« Pour reconnaître la voix [des pauvres], nous avons besoin du silence de l'écoute. Plus nous parlons, plus nous aurons du mal à les entendre. J'ai souvent peur que beaucoup d'initiatives, cependant nécessaires et méritoires, servent davantage à nous satisfaire nous-mêmes qu'à entendre réellement le cri du pauvre. Dans cette situation, lorsque les pauvres font entendre leur cri, notre réaction manque de cohérence et est incapable de rejoindre réellement leur condition. Nous sommes à ce point prisonniers d'une culture qui nous fait nous regarder dans la glace et ne s'occuper que de soi, qu'on ne peut imaginer qu'un geste altruiste puisse suffire à satisfaire pleinement, sans se laisser compromettre directement. » (2)

Une parole pour exhorter, le silence pour discerner puis agir. Une belle tension

(1) Saint Grégoire le Grand, homélie sur l'Évangile, source AELF, office des lectures du 13/10/18

(2) Source  : Pape François, Lettre pour la journée mondiale des pauvres du 18 novembre 2018 http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/messages/poveri/documents/papa-francesco_20180613_messaggio-ii-giornatamondiale-poveri-2018.html

Au fil de Marc 10, 46 - Bartimée, pauvre de Dieu - Pape François - journée mondiale des pauvres

Commentaire du Pape François : Je suis ému par le fait de savoir que beaucoup de pauvres se sont identifiés à Bartimée, dont parle l'évangéliste Marc (cf. 10, 46-52). Bartimée « un aveugle qui mendiait, était assis au bord du chemin. (v. 46), et ayant entendu Jésus passer « se mit à crier » et à invoquer le « Fils de David» pour qu'il ait pitié de lui (cf. v. 47). « Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire, mais il criait de plus belle » (v. 48). Le Fils de Dieu entendit son cri : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? ». Et l'aveugle lui répondit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » (v. 51). Ce passage d'évangile donne à voir ce que le Psaume annonçait comme une promesse. Bartimée est un pauvre privé de ses capacités fondamentales : voir et travailler. Combien de situations aujourd'hui encore produisent des états de précarité. Le manque des moyens de base de subsistance, la marginalisation quand on n'a plus la capacité de travailler normalement, les différentes formes d'esclavage social, malgré les avancées accomplies par l'humanité… Comme Bartimée, beaucoup de pauvres sont aujourd'hui au bord de la route et cherchent un sens à leur condition. Combien s'interrogent sur les raisons de leur descente dans un tel abîme, et sur la manière d'en sortir ! Ils attendent que quelqu'un s'approche d'eux et leur dise : « Confiance, lève-toi ; il t'appelle. » (v. 49).(1)

(1) Source  : Pape François, Lettre pour la journée mondiale des pauvres du 18 novembre 2018 http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/messages/poveri/documents/papa-francesco_20180613_messaggio-ii-giornatamondiale-poveri-2018.html

Au fil de Marc 10, 32ss - Annonce de la Passion

 «Ils étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Les disciples étaient effrayés, et ceux qui suivaient avaient peur. Il prit encore les Douze auprès de lui, et se mit à leur dire ce qui allait lui arriver: Nous montons à Jérusalem; le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes. Ils le condamneront à mort, le livreront aux non-Juifs, se moqueront de lui, lui cracheront dessus, le fouetteront et le tueront; et trois jours après il se relèvera.» (Marc‬ ‭10:32-34‬ ‭NBS‬‬)

Il n’est pas anodin, compte tenu de ce que nous avons développé entre le jeune homme riche et Bartimée de trouver, enchâssé entre les deux récits cette évocation de la Passion. Elle montre le génie littéraire de Marc qui développe une invitation à tout homme en mettant, au centre, la révélation de la Croix.

Au fil de Marc, 10 - Du jeune homme riche à Bartimée

"En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? »
Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n'est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : 'Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d'adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère.' »
L'homme répondit : « Maître, tout cela, je l'ai observé depuis ma jeunesse. »
Jésus posa son regard sur lui, et il l'aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. »
Mais lui, à ces mots, devint sombre et s'en alla tout triste, car il avait de grands biens. Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. Marc 10, 17-30 (1)

Commentaire de saint Jean Chrysostome : Pour l'attirer Jésus lui montre une récompense de grande valeur et il remet le tout à son jugement. Ce qui pourrait sembler pénible, il le laisse dans l'ombre. Avant de parler de combats et d'efforts, il lui montre la récompense : « Si tu veux être parfait » dit-il : voilà la gloire, voilà le bonheur ! ... « Tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » : voilà la récompense, la récompense superbe de marcher à la suite du Christ, d'être son compagnon et son ami ! Ce jeune homme estimait les richesses de la terre ; le Christ le conseille de s'en dépouiller, non pas pour s'appauvrir dans le dénuement mais pour l'enrichir davantage (2)

Commentaire 2 : On pourrait s'en tenir là, mais une lecture cursive nous conduit plus loin. En Marc 10, 47-52, nous rencontrerons Bartimée, l'aveugle, délaissé par les hommes, rejeté «  sur le bord du chemin ». Lui va voir, au delà de l'ombre et laisser même son manteau, son seul bien, pour suivre Jésus. « L'aveugle jeta son manteau,bondit et courut vers Jésus. Prenant la parole, Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L'aveugle lui dit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur le chemin. » Le contraste est saisissant. Mais l'histoire va plus loin. En Marc 14, 51, le soir de la Passion, un jeune homme suit Jésus, « vêtu seulement d'un drap. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.». Pour certains commentateurs, il s'agit du même jeune homme riche, et plus encore de Marc l'évangéliste. Quel chemin ? Que faire, que penser de tout cela ? (3)

Ébauche d'une homélie (commentaires bienvenus) :
Il y a toujours un risque, quand on lit un évangile, c’est d’oublier le contexte, l’enchaînement voulu par l’auteur. Et dans ce cas précis, le risque est réel, tant le chapitre 10 tout entier est essentiel dans la compréhension de ce que Marc veut nous dire. La seule lecture de l’histoire de Bartimée n’est finalement qu’un épisode du projet de l’évangéliste. Il n'est pas neutre de voir que Marc place au chapitre 10 les deux récits du jeune homme riche et celui de Bartimée et surtout entre les deux une première allusion à la Passion.
Il y a là une “tension” fondamentale qui se joue ici entre ce qui peut, dans nos richesses nous aveugler et nous éloigner de Dieu, le récit du jeune homme riche, qui refuse de tout quitter et de suivre Jésus et le geste de Bartimée, qui abandonne même son manteau pour courir derrière Jésus. Et entre les deux, une allusion à la Croix.
Heureux les pauvres : ils ont accès au mystère, semble dire ici Marc [Il n'y a pas de béatitudes chez Marc]. Commençons par nous rappeler l’évangile, lu il y a quinze jours. Le jeune homme riche voyait avec les yeux de l’intelligence. Il croyait qu’il suffisait de suivre les commandements pour atteindre Dieu. Bartimèe, celui qui pourtant restait au bord du chemin, qui ne connaissait et ne pratiquait pas tout ça, a vu, au delà de l'ombre de ses yeux de chair, ce que les voyants ne voient pas. Il en laisse son manteau, son seul bien, pour suivre Jésus.



«Prenant la parole, Jésus lui dit alors : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L'aveugle lui dit :  « Rabbouni, que je retrouve la vue ! » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. » Aussitôt l'homme retrouva la vue, et il suivait Jésus sur  le chemin. » Le contraste est saisissant.
D'un côté, le « voyant » qui a vu de ses yeux de chair, mais n’a pas pu aller à l’essentiel.
De l'autre, Bartimée, l’aveugle qui ne voit pas mais qui croit et quitte tout…



A dire vrai, l'histoire de Marc ne s’arrête pas là. En Marc 14, 51, le soir de la Passion, un jeune homme suit Jésus, « vêtu seulement d'un drap. On l'arrête, mais lui, lâchant le drap, s'enfuit tout nu.». Pour certains commentateurs, il s'agit du même jeune homme riche, et plus encore, il s’agirait de Marc l'évangéliste lui-même. Quel chemin ? Que faire, que penser de  tout cela ?

Suivre Marc, c'est découvrir les yeux du coeur. Jésus est notre chemin. Il est la vérité et la vie. Ce que l’aveugle voit, à nous de le découvrir, au-delà de ce qui cache l’essentiel.
Un petit détail au début, dans l'histoire de Bartimée que nous venons de lire, mérite une autre petite explication. Jésus sort de Jéricho. Pour les pères de l'Eglise, l'allusion à Jéricho n'est pas anodine. Elle indique une descente de Jésus dans le monde dans sa réalité la plus banale. Quand Jésus vient à Jéricho, il vient vers nous. il veut habiter chez nous. Prenons alors le temps de nous mettre dans la peau des hommes de Jéricho, d’un Zachée, d’un Bartimée et de ressentir ce que nous ne pouvons voir de nos yeux.

La première chose à faire, c'est peut-être de se retourner vers le passé et contempler les dons de Dieu. Il faut pour cela fermer les yeux. Masquer ses yeux de chair pour voir l’essentiel. Je vous invite à le faire, maintenant. A repenser à un moment de bonheur, même s'il est loin, même s'il a été fugace. Un moment de joie pure, une rencontre, pour certains, leur mariage, la naissance d’un enfant… Et de voir combien tout cela a été don de Dieu.
Quand on fait l'exercice au plus profond de son cœur, revient souvent un moment de grande émotion, un moment de joie peut-être. Qu’est-ce qui se passe, dans ce regard. On regarde avec les yeux du coeur ?

Au sourire intérieur que l'on pourrait lire sur certains de vos visages peut faire place une hésitation, un regret. Saint Augustin le dit dans ses
Confessions: "tu étais là et je ne le savais pas". On peut ajouter, à sa suite, je ne le sentais pas, je ne t'ai pas dit merci., Seigneur, pour le don que tu m’as fait ce jour là...
Ne nous en voulons pas. C'est le propre de Dieu de donner et de s'effacer. D'aimer à en mourir.
Ce que nous n'avons pas vu, ce que nous n'avons pas dit reste encore possible. Donne nous Seigneur les yeux de la foi. Permet que sur le chemin de nos vies nous ne doutions plus de ta Présence. Ouvre nos yeux à ce qui est ta Vérité.
Alors nous pourrons, comme Bartimée courir derrière toi et dire "fait que je vois".

Quand on se tourne vers l'intérieur, quand on goûte à la présence de Dieu, on peut s'écrier, comme dans la 1ère lecture, à la suite du prophète Jérémie: "rassemble des confins de la terre  (...) tous ensemble, l'aveugle et le boiteux, la femme enceinte et la jeune accouchée : c'est une grande assemblée qui revient (...) je les mène, je les conduis vers les cours d'eau par un droit chemin où ils ne trébucheront pas". (Jérémie 31, 8-9)

Pourquoi cette espérance. Par Bartimée, Jésus nous a ouvert le chemin du cœur. Et le chemin du coeur est un chemin de guérison, il ouvre nos yeux à l'essentiel. Nous voyons trop par les yeux du corps ou par les yeux de l’intelligence.
Les yeux du coeur nous ouvre à autre chose. Il nous transforme, y compris dans le regard porté à nos frères.

Je n'ai pas encore évoqué la dernière phrase de la deuxième lecture (Hébreux 5, 6). Elle est comme un sommet, elle nous conduit de Jéricho à Jérusalem. Au bout du chemin que va suivre Bartimée à la suite de Jésus, en quittant le monde des aveugles vers la vie, il y a le Golgotha, le lieu où le grand prêtre éternel (le fameux Melchisédek de la 2eme lecture) va donner le sacrifice unique : sa vie. Saint Marc y fait déjà une allusion, comme je l’ai dit entre le récit du jeune homme riche et celui de Bartimée. Il aura plus loin une image très parlante de cette route prise par Jésus.
Que cherche-t-il à dire ?
Pour Marc, le peuple juif ne voyait pas l'amour de Dieu. Il était derrière un voile. Au Golgotha, nous dit Marc, Dieu va déchirer le voile du haut en bas. Nos aveuglements vont laisser place à la lumière. Et qu’est-ce qui se révèle : Un Christ qui se donne. Ce que nous refusons de voir se dévoile sur la Croix. Dieu est don. Dieu est amour. Alors ouvrons les yeux sur l'essentiel.
Le chemin de Bartimée, c’est regarder avec les yeux du coeur, voir l’essentiel, voire que l’amour est don. C’est le chemin de Marc. Il avait des biens, il se retrouve nu, le jour de la Passion. Il est nu, mais il voit...




(1) source AELF 
(2) Saint Jean Chrysostome, Homélie 63 sur St Matthieu ; PG 58,603 (trad. cf. Marc commenté, DDB 1986, p. 104)
(3) cf. Sur les pas de Marc

13 octobre 2018

Erri de Luca - Au nom de la mère

Surprenante interprétation de l’incarnation du Verbe au sein de la Vierge. Par un roman aux accents poétiques, le romancier italien nous plonge dans la culture juive du premier siècle. Marie y est décrite comme rejetée par les siens, à Nazareth. Fille mère ! Et pourtant fille habitée par une Parole, admiratrice d’un Joseph qui prend sa défense et dérangée par une présence toute intérieure, interactive. « Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements. C’est la trace d’un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le ». (2)
J’ai toujours un peu de mal avec une interprétation des sentiments intérieurs d’une figure aussi iconique que la Vierge. Pourtant cette mise en situation (ce que les exégètes appellent un « sitz in Leben ») nous fait goûter à l’indicible.

(1) Erri de Luca - Au nom de la mère Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n’étant pas à la hauteur du texte italien.
(2) cf. post précédent 
(3) voir aussi mon essai plus fidèle au texte biblique : Silo, le berger, un conte de Palestine

Homélie de Baptême - 1 - Au fil de Marc 9, 39

Regardez ce petit enfant, dans sa fragilité, dans sa quiétude relative.
Qu'est-ce qui vous frappe ?
Pourquoi Jésus le met au centre dans cet Évangile (Mc 9, 30-37) que nous avons lu, une seconde fois ?
Prenons le temps, un instant de nous poser la question.

Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile ?

Je vous propose une réponse, fragile. Car je suis, moi aussi un petit enfant « diacre », tout juste sortie du grand berceau de la cathédrale de Chartres, mystérieusement réceptacle d'un don particulier dont je n'ai pas encore mesuré l'importance.

Ce don est le même, d'une certaine manière, que celui reçu par X. Il est donné par « le grand donateur qui s'efface » . Un grand donateur qui va jusqu'à nous donner son Fils et se taire. Pourquoi ce silence ? Pourquoi se tait-il ?

Le silence de Dieu, qui nous interpelle tous, un jour ou un autre, est sa marque de fabrique. Il donne et se tait.
Qu'a-t-il donné ?

Je vous propose une réponse, en tout cas la plus essentielle : Il nous donne la Foi, l'Espérance et la Charité.

X a confiance en sa maman, et même foi dans sa maman. Quand il la regarde, il sait qu'elle le comblera. Enfant, il n'en doute pas encore.
Et nous, doutons-nous de Dieu ?
Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.

X vit dans l'espérance. Il sait que même si sa maman s'est absentée, elle reviendra.
Nous avons plus de mal à espérer…
Surtout quand la souffrance nous tombe dessus.

Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme lui, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.

X a, en lui, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Il l’a reçu de Dieu, Elle dort en lui et ne demande qu'à’ “servir”.
Il va y travailler ! Il va recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de son baptême. Nous aussi, nous pouvons, comme lui, en faire usage.

C'est pour moi ma première mission de diacre et je me trouve, comme X très démuni.

Pourtant, il y a, autour de moi, des parrains dans la foi, qui m'aideront à me libérer de mes adhérences au mal’.

C’est cette sortie des eaux de la mort que nous allons exprimer tout à l’heure.

Mes parrains dans la foi vont m’aider à traverser encore et toujours les tentations qui m’embournent pour me conduire et m’accompagner au désert (Os 3), celui de l'attente, du silence, de la prière.

Parrain, marraine, et nous tous autour de lui, c'est notre premier rôle. Faire découvrir chez X, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu.
« Si vous n'avez pas la charité », X ne l'aura pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), X devra la trouver tout seul, et traverser le désert bien démuni.

Il aura soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à vous de lui apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.

Si vous ne savez plus où se trouve cette source, penchez vous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix.

Je vais vous confier un secret. A chaque eucharistie, je contemple la Croix. (...)

Pourquoi je lève la tête? Parce que le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface. Et c’est ce que j’ai besoin de contempler.

Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.
C’est celui de cette maman et de ce papa qui nous apportent X.
C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.
C’est celui de ce Christ, reçu il y a quelques instants dans notre coeur.

Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place.
Et pour cela, laisser l’Esprit creuser en nous un espace, un temple (1 Co 3), pour que Dieu laisse fasse en nous jaillir sa source, pour que nous puissions y puiser, et agir.

Au fil de Luc 11, 27-28, les manducateurs du Verbe


« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t'a porté en elle, et dont les seins t'ont nourri ! »
Alors Jésus lui déclara : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Luc 11,27-28

Surprenant passage qui comme dans Jean 2 (Cana) pourrait penser que Jésus méprise sa mère. Saint Augustin corrige cette impression avec délicatesse : « Marie était bienheureuse, parce que, avant même d'enfanter le Maître, elle l'a porté dans son sein.
Voyez si ce que je dis n'est pas vrai. Comme le Seigneur passait, suivi par les foules et accomplissant des miracles divins, une femme se mit à dire : « Heureux, bienheureux, le sein qui t'a porté ! » Et qu'est-ce que le Seigneur a répliqué, pour éviter qu'on ne place le bonheur dans la chair ? « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu et la gardent ! » Donc, Marie est bienheureuse aussi parce qu'elle a entendu la parole de Dieu et l'a gardée : son âme a gardé la vérité plus que son sein n'a gardé la chair. La Vérité, c'est le Christ ; la chair, c'est le Christ. La vérité, c'est le Christ dans l'âme de Marie ; la chair, c'est le Christ [en] Marie. Ce qui est dans l'âme est davantage que ce qui est dans le sein. Sainte Marie, heureuse Marie !.. Mais vous, mes très chers, regardez vous-mêmes : vous êtes les membres du Christ, et vous êtes le corps du Christ (1Co 12,27)... « Celui qui entend, celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère »... Car il n'y a qu'un seul héritage. C'est pourquoi le Christ, alors qu'il était le Fils unique, n'a pas voulu être seul ; dans sa miséricorde, il a voulu que nous soyons héritiers du Père, que nous soyons héritiers avec lui (Rm 8,17).(1)

Il nous reste un chemin, plus profond que celui de la chair (entendez par là le monde et ses attractions temporelles) celui d'une lente manducation de la Parole. Erri de Luca, dans « Au nom de la mère » nous y conduit à sa façon (2). Le Verbe qui dort en nous provoque des tressaillements subtils. C'est la trace d'un Dieu fragile qui se réveille sans bousculer notre liberté. Écoutons le.

(1) Saint Augustin, Sermon sur l'évangile de Matthieu, n° 25, 7-8 ; PL 46, 937 (trad. bréviaire 21/11), source Evangile au quotidien 
(2) Gallimard, édition folio, 2008. La traduction n'étant pas à la hauteur du texte italien.

12 octobre 2018

La tentation cléricale - 2

« Évoquer le saint peuple fidèle de Dieu revient à évoquer l'horizon vers lequel nous sommes invités à regarder et à partir duquel réfléchir. C'est le saint peuple de Dieu que, en tant que pasteurs, nous sommes appelés à regarder, protéger, accompagner, soutenir et servir. Un père ne se conçoit pas lui-même sans ses enfants. Il peut être un excellent travailleur, professionnel, mari, ami, mais ce qui fait de lui le père a un visage : ce sont ses enfants. Il en est de même pour nous, nous sommes pasteurs. Un pasteur ne se conçoit pas sans un troupeau, qu'il est appelé à servir. Le pasteur est pasteur d'un peuple, et c'est de l'intérieur que l'on sert le peuple. Bien souvent, l'on avance en ouvrant la route, d'autres fois, l'on revient sur nos pas afin que personne ne demeure en arrière, et souvent l'on se trouve au milieu pour bien sentir le pouls des gens. 
Regarder le saint peuple fidèle de Dieu et sentir que nous en faisons partie intégrante nous positionne dans la vie, et par conséquent, dans les thèmes qui nous occupent, de manière différente. Cela nous aide à ne pas sombrer dans des réflexions qui peuvent, en soi, être très bonnes, mais qui finissent par homologuer la vie de notre peuple et par théoriser au point que la spéculation finit par tuer l'action. Regarder continuellement le peuple de Dieu nous sauve de certains nominalismes déclarationnistes (slogans) qui sont de jolies phrases, mais qui ne parviennent pas à soutenir la vie de nos communautés. (...)
Regarder le peuple de Dieu signifie rappeler que nous faisons tous notre entrée dans l'Église en tant que laïcs. Le premier sacrement, celui qui scelle pour toujours notre identité et dont nous devrions toujours êtres fiers, est le baptême. À travers lui et avec l'onction de l'Esprit Saint, (les fidèles) « sont consacrés pour être une demeure spirituelle et un sacerdoce saint » (Lumen gentium, n. 10). Notre consécration première et fondamentale prend ses racines dans notre baptême. Personne n'a été baptisé prêtre ni évêque. Ils nous ont baptisés laïcs et c'est le signe indélébile que personne ne pourra jamais effacer. Cela nous fait du bien de nous rappeler que l'Église n'est pas une élite de prêtres, de personnes consacrées, d'évêques, mais que nous formons tous le saint peuple fidèle de Dieu. Oublier cela comporte plusieurs risques et déformations dans notre expérience, à la fois personnelle et communautaire, du ministère que l'Église nous a confié. Nous sommes, comme le souligne bien le Concile Vatican II, le peuple de Dieu, dont l'identité est « la dignité et la liberté des fils de Dieu, dans le cœur desquels demeure l'Esprit Saint, comme dans un temple » (Lumen gentium, n. 9). Le saint peuple fidèle de Dieu est oint par la grâce de l'Esprit Saint, et c'est pour cela qu'au moment de réfléchir, de penser, d'évaluer, de discerner, nous devons être très attentifs à cette onction.(1)
La tentation, poursuit notre pape, est de « sous-évaluer la grâce baptismale que l'Esprit Saint a placée dans le cœur de notre peuple »
(1)  cf. Pape François, lettre au Cardinal Ouellet, Du Vatican, le 19 mars 2016

Source : http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/letters/2016/documents/papa-francesco_20160319_pont-comm-america-latina.html

La tentation cléricale

L'Esprit de Dieu ne nous appartiens pas. Il n'est pas nécessairement transmis par voie hiérarchique, auto-attribué aux clercs par un sacrement. Plus foncièrement, il continue de « souffler où il veut ». (Jn 3). L'ordre n'est pas une distinction mais une imitation et une responsabilité. La tentation qu'exploite bien le Malin est de laisser croire qu'on est des purs. Notre purification n'est qu'illusion. La véritable pureté est dans la kénose. Un long et difficile chemin pour celui qui reçoit le sacrement de l'ordre.
La tentation du cléricalisme n'est-elle pas d'oublier que l'Esprit souffle autant chez les laïcs, que le sensum fidei (1) est une réalité de l'Église.

(1) relire à ce sujet la lettre de notre pape François au cardinal Ouellet (voir post 2 ou lien )

http://m.vatican.va/content/francescomobile/fr/letters/2016/documents/papa-francesco_20160319_pont-comm-america-latina.html