20 mars 2019

Au fil de Matthieu 20,17-28 - La Croix et le trône - Basile de Séleucie

« En ce temps-là, Jésus, montant à Jérusalem, prit à part les Douze disciples et, en chemin, il leur dit : « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort et le livreront aux nations païennes pour qu'elles se moquent de lui, le flagellent et le crucifient ; le troisième jour, il ressuscitera. »
Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de Jésus avec ses fils Jacques et Jean, et elle se prosterna pour lui faire une demande.
Jésus lui dit : « Que veux-tu ? » Elle répondit : « Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l'un à ta droite et l'autre à ta gauche, dans ton Royaume. »
Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » Ils lui disent : « Nous le pouvons. »
Il leur dit : « Ma coupe, vous la boirez ; quant à siéger à ma droite et à ma gauche, ce n'est pas à moi de l'accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé par mon Père. »
Les dix autres, qui avaient entendu, s'indignèrent contre les deux frères.
Jésus les appela et dit : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave.
Ainsi, le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Matthieu 20, Traduction Liturgique de la Bible - AELF, Paris)

La conclusion du Christ est assez explicite pour que l’on ne s’y attarde pas. Elle trace un chemin vers la kénose et la diaconie.

Pourtant, avant de juger trop vite la mère des apôtres, prenons le temps d’écouter cette surprenante méditation de Basile de Séleucie : « Veux-tu voir la foi de cette femme ? Eh bien, considère le moment de sa requête... La croix était prête, la Passion imminente, la foule des ennemis déjà en place. Le Maître parle de sa mort, les disciples s'inquiètent : avant même la Passion, ils frémissent à la simple évocation de celle-ci ; ce qu'ils entendent les frappe de stupeur, le trouble les possède. À ce moment-même, cette mère se détache du groupe des apôtres, et voilà qu'elle demande le Royaume et réclame un trône pour ses fils.
Que dis-tu, femme ? Tu entends parler de croix, et tu demandes un trône ? Il s'agit de la Passion, et tu désires le Royaume ? Laisse donc les disciples tout à leur crainte et à leur souci du danger. Mais d'où peut bien te venir de demander cette dignité ? Qu'est-ce qui, dans ce qui vient d'être dit et fait, te porte à penser au Royaume ? ...
Je vois, dit-elle, la Passion, mais je prévois aussi la Résurrection. Je vois la croix plantée, et je contemple le ciel ouvert. Je regarde les clous, mais je vois aussi le trône... J'ai entendu le Seigneur lui-même dire : « Vous siégerez vous aussi sur douze trônes » (Mt 19,28). Je vois l'avenir avec les yeux de la foi.
Cette femme va jusqu'à devancer, me semble-t-il, les paroles du larron. Lui, sur la croix, prononça cette prière : « Souviens-toi de moi dans ton Royaume » (Lc 23,42). Avant la croix, elle a pris le Royaume comme objet de sa supplication... Quel désir perdu dans la vision de l'avenir ! Ce que le temps cachait, la foi le voyait.(1)

(1) Basile de Séleucie, Sermon 24 ; PG 85, 282 s (trad. Orval) , source : l'Évangile au Quotidien 

19 mars 2019

Au fil de Matthieu 1,16.18-21.24a. - saint Joseph

« Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l'on appelle Christ.
Or, voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu'ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l'action de l'Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.
Comme il avait formé ce projet, voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l'enfant qui est engendré en elle vient de l'Esprit Saint ;
elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c'est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit. »
( Mat 1, 16-24), Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris


Écoutons sur ce point saint François de Sales :  « Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit »
Combien ce grand saint [que nous fêtons] a été fidèle en humilité ! Cela ne se peut dire selon sa perfection, car malgré ce qu'il était, en quelle pauvreté et en quelle abjection ne vécut-il pas tout le temps de sa vie ! Pauvreté et abjection sous laquelle il tenait cachées et couvertes ses grandes vertus et dignités… Vraiment, je ne doute nullement que les anges, ravis d'admiration, ne soient venus, troupes à troupes, le considérer et admirer son humilité, lorsqu'il tenait ce cher enfant dans sa pauvre boutique, où il travaillait de son métier pour nourrir le fils et la mère qui lui étaient confiés » (1) 

Derrière l'obéissance du père, se dessine l'obéissance du Fils.
Derrière le métier du père se dessine la vocation du Fils.
Derrière l'humilité du père se dessine la kénose du Fils.
Imaginons l'enfant travaillant le bois avec amour et patience, maintenant cloué sur La Croix et nous verrons jusqu'où va l'amour. 



Poursuivons la méditation de saint François de Sales ; « Il n'y a point de doute que saint Joseph (...)  réduit en l'exercice de la charpenterie, [a été] éclairé de la lumière céleste, tant il tenait cachés tous les dons remarquables dont Dieu l'avait gratifié ? Mais quelle sagesse n'avait-il pas, puisque Dieu lui donnait en charge son Fils très glorieux…, Prince universel du ciel et de la terre ?… Néanmoins, vous voyez combien il était rabaissé et humilié plus qu'il ne peut se dire ou imaginer… : il s'en va en son pays et en sa ville de Bethléem, et nul n'est rejeté de tous les logis que lui… Regardez comment l'ange le tourne à toutes mains. Il lui dit qu'il faut aller en Égypte, il y va ; il commande qu'il revienne, il s'en revient. Dieu veut qu'il soit toujours pauvre…, et il s'y soumet amoureusement, et non pour un temps, car il a été pauvre toute sa vie » (1) 

(1) Saint François de Sales, Entretiens, n° 19 (français modernisé),  source  : l'Évangile au Quotidien 

18 mars 2019

Au fil de Luc 9 - la transfiguration - deuxième dimanche de carême

La lumière du visage du Christ est à lire dans la lignée d'Exode 34 où Moise descend de la montagne rayonnant d'avoir vu Dieu (1).
Mais, c'est surtout une anticipation de la Pâques qui est donnée à voir aux disciples et, par extension à nous aussi.

Elle nous invite à contempler dans la blancheur de l'hostie, tout le mystère que la loi (Moïse) et les prophètes (Élie) ont préparé. Ce mystère, c'est que Dieu se fait chair, à souffert, est mort, et est ressuscité.

Contemplons ce mystère en ce temps de carême. Faisons le notre.

Notre tentation peut-être alors de planter la tente, mais ce n'est pas notre chemin. Il nous faut redescendre dans le monde, vivre, agir, accepter la souffrance et la mort, illuminé par cette certitude : Dieu est avec nous.

Voir aussi sur ce thème le sermon 78 de saint Augustin : http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/dno.htm

(1) cf. sur ce point mon analyse dans l'amphore et le fleuve. 

15 mars 2019

Beauté du monde et séduction divine - Gerard Manley Hopkins

"Dieu s'empare de l'âme en deux opérations. D'abord par le piège de la beauté, il l'enlève par surprise et pure violence, tout à fait malgré elle et sans qu'elle sache où elle va ; puis par un mélange de surprise, de contrainte et de séduction, il lui arrache son consentement en lui faisant goûter un instant la joie divine. Alors elle est prise pour toujours" (1)

Ce texte cité par François Marxer (2) est interpellant à bien des égards. Même s'il l'utilise pour décrire la conversion de Simone Weil, la notion de violence de Dieu peut déranger. Mais qu'est-ce à dire si ce n'est un arrachement de notre paresse et de notre quiétude stérile ? Dieu nous fait violence car notre nature nous fait fuir, à la manière de Jonas, l'appel incessant de l'où es-tu de Dieu (Gn 3). La séduction de Dieu n'est pas celle du serpent. Elle utilise d'autres armes, celle de la Vérité, de la grandeur d'âme et de cet appel intérieur qui fait jaillir en nous l'amour enfoui.

(1) Gerard Manley Hopkins, Cahier VIII, dans OC VI, Paris, Gallimard, 2002, p. 59
(2) Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 172

Au fil de Matthieu 5,20-26. - pardon préalable à l’autel

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je vous le dis : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des Cieux.
Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : 'Tu ne commettras pas de meurtre', et si quelqu'un commet un meurtre, il devra passer en jugement.
Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu'un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu'un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu.
Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi,
laisse ton offrande, là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande.
Mets-toi vite d'accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison.
Amen, je te le dis : tu n'en sortiras pas avant d'avoir payé jusqu'au dernier sou. »

Nous devrions tout contempler à l'aune de la Croix. C'est elle et elle seulement qui donne la mesure de l'amour. Quel est le poids de nos actes en « milligrammes de la Croix ». Nos actes sont fétus de paille et notre miséricorde bien légère sur cette balance. 

Écoutons sur ce point deux pères de l'Église :
« Le Christ a donné sa vie pour toi et tu continues à détester celui qui est un serviteur comme toi ? Comment peux-tu t'avancer vers la table de la paix ? Ton Maître n'a pas hésité à endurer pour toi toutes les souffrances, et tu refuses même de renoncer à ta colère ?... « Un tel m'a gravement offensé, dis-tu, il a été tant de fois injuste envers moi, il m'a même menacé de mort ! » Qu'est-ce que cela ? Il ne t'a pas encore crucifié comme ses ennemis ont crucifié le Seigneur.
Si tu ne pardonnes pas les offenses de ton prochain, ton Père qui est dans les cieux ne te pardonnera pas non plus tes fautes (Mt 6,15). Que dit ta conscience quand tu prononces ces paroles : « Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié » et ce qui suit ? Le Christ n'a pas fait de différence : il l'a versé son sang aussi pour ceux qui ont versé le sien. Pourrais-tu faire quelque chose de semblable ? Lorsque tu refuses de pardonner à ton ennemi, c'est à toi que tu causes du tort, pas à lui... ; ce que tu prépares, c'est un châtiment pour toi-même au jour du jugement...
Écoute ce que dit le Seigneur : « Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande »... Car le Fils de l'homme est venu dans le monde pour réconcilier l'humanité avec son Père. Comme Paul le dit : « Maintenant Dieu a réconcilié avec lui toutes choses » (Col 1,22) ; « par la croix, en sa personne, il a tué la haine » (Ep 2,16) » (1) 



« Rien ne nous encourage tant à l'amour des ennemis, en lequel consiste la perfection de l'amour fraternel, que de considérer avec gratitude l'admirable patience du plus beau des enfants des hommes. Il a tendu son beau visage aux impies pour qu'ils le couvrent de crachats. Il les a laissés mettre un bandeau sur ces yeux qui d'un signe gouvernent l'univers. Il a exposé son dos au fouet. ~ Il a soumis aux pointes des épines sa tête, devant laquelle doivent trembler princes et puissants. Il s'est livré lui-même aux affronts et aux injures. Et enfin il a supporté patiemment la croix, les clous, la lance, le fiel, le vinaigre, demeurant au milieu de tout cela plein de douceur et de sérénité. Il fut mené comme une brebis à l'abattoir, il s'est tu comme un agneau devant celui qui le tondait, et il n'ouvrit pas la bouche. ~ 

En entendant cette admirable parole, pleine de douceur, d'amour et d'imperturbable sérénité : Père pardonne-leur, que pourrait-on ajouter à la douceur et à la charité de cette prière ?

Et pourtant le Seigneur ajouta quelque chose. Il ne se contenta pas de prier, il voulut aussi excuser ; Père, dit-il, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. Ils sont sans doute de grands pécheurs, mais ils en ont à peine conscience ; c'est pourquoi, Père, pardonne-leur. Ils crucifient, mais ils ne savent pas qui ils crucifient, car s'ils l'avaient su, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. C'est pourquoi, Père, pardonne-leur. Ils pensent qu'il s'agit d'un transgresseur de la Loi, d'un usurpateur de la divinité, d'un séducteur du peuple. Je leur ai dissimulé mon visage. Ils n'ont pas reconnu ma majesté. C'est pourquoi, Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font.

Pour apprendre à aimer, que l'homme ne se laisse donc pas entraîner par les impulsions de la chair. Et afin de n'être pas pris par cette convoitise, qu'il porte toute son affection à la douce patience de la chair du Seigneur. Pour trouver un repos plus parfait et plus heureux dans les délices de la charité fraternelle, qu'il étreigne aussi ses ennemis dans les bras du véritable amour.

Mais afin que ce feu divin ne diminue pas à cause des injures, qu'il fixe toujours les yeux de l'esprit sur la sereine patience de son bien-aimé Seigneur et Sauveur. » (2) 

(1) Saint Jean Chrysostome, Homélie sur la trahison de Judas, 2, 6 ; PG 49, 390 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 95) , source  : l'Évangile au Quotidien 
(2) Aelred de Rievaux, le miroir de la charité, source AELF 


La sainteté de tous les jours - Marxer, Bremond, pape François


Qu'est-ce qui touche le coeur de l'homme ? Certainement pas les grands discours ou une morale exhortative. Comme le suggère Daniele Hervieu Léger, ce matin sur RND il y a des émotions qui nous touchent au coeur, réveille notre humanité, signe fragile d'un amour discret.

"La sainteté s'est toujours cachée (...) la sainteté de tous les jours (...) que nous frôlons au passage, celle qui nous a souri et tendu la main, celle dont le prêtre le plus imparfait a reçu, en rougissant, les confidences, celle enfin qui parfois peut-être, à l'heure où toutes les apologétiques semblent vaines, nous a rendu la foi aux réalités invisibles et à la présence de Dieu" (1).
"De cette sainteté discrète, Thérèse [de Lisieux] n'offre-t-elle pas l'épiphanie exemplaire?" (2)

Il faut relire les premiers paragraphes d'Exultate et Gaudete pour sentir que cette sainteté est aussi notre chemin, fragile et unique à chacun. Il n'est pas dans l'imitation mais dans une réponse adaptée à l'appel qui nous est fait, dans l'aujourd'hui de nos vies : "Seigneur demande tout ; et ce qu'il offre est la vraie vie, le bonheur pour lequel nous avons été créés. Il veut que nous soyons saints et il n'attend pas de nous que nous nous contentions d'une existence médiocre, édulcorée, sans consistance. En réalité, dès les premières pages de la Bible, il y a, sous diverses formes, l'appel à la sainteté. Voici comment le Seigneur le proposait à Abraham : « Marche en ma présence et sois parfait » (Gn 17, 1)" (3) (...) 

7. "Dans cette constance à aller de l'avant chaque jour, je vois la sainteté de l'Église militante. C'est cela, souvent, la sainteté ''de la porte d'à côté'', de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, ''la classe moyenne de la sainteté''.

8. Laissons-nous encourager par les signes de sainteté que le Seigneur nous offre à travers les membres les plus humbles de ce peuple qui « participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité ». Pensons, comme nous le suggère sainte Thérèse Bénédicte de la Croix, que par l'intermédiaire de beaucoup d'entre eux se construit la vraie histoire : « Dans la nuit la plus obscure surgissent les plus grandes figures de prophètes et de saints". (4)

"Pour un chrétien, il n'est pas possible de penser à sa propre mission sur terre sans la concevoir comme un chemin de sainteté, car « voici quelle est la volonté de Dieu : c'est votre sanctification » (1 Th 4, 3). Chaque saint est une mission ; il est un projet du Père pour refléter et incarner, à un moment déterminé de l'histoire, un aspect de l'Évangile."(5)

Chaque chemin est unique.

(1) Abbé Bremond, cité par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 155
(2) François Marxer, ibid. p. 156
3) Pape François, Gaudete et Exultate (GE) n.1
(4) GE n. 7 et 8
(5) GE n. 19

14 mars 2019

Religieuses abusées - l’autre scandale - kénose 149

Tristesse sans fond que ce dernier (?) constat sur l'Église pécheresse révélée sur Arte.
On ne peut que descendre une fois encore dans l'humilité du pécheur pardonné et peut-être se taire, car que peut on dire, après de telles révélations ?

Quelques réflexions en vrac.

Si le documentaire force pas mal le trait (1) généralise et en profite pour descendre des institutions déjà largement décriées, peut-on espérer que cela servira à débarrasser l'Église de ces fautes abominables ?

L'Église n'a plus de vin disait une amie...

Que doit pleurer la Trinité défigurée par ceux qui ont sali ce qu'ils étaient appelés à signifier.

Cela me rappelle les larmes du Christ révélées par cette mystique allemande qui voyait au Golgotha un Christ désespéré sur les impasses de sa Passion (1). Même cela serait insuffisant. 

Il est temps que le pouvoir de l'homme sur la femme ou sur l'enfant soit dénoncé comme crime.

Le dernier rempart du cléricalisme et de l'hypocrisie machiste est-il en train de se fissurer ? Peut-on espérer que la place des femmes dans l'Église soit enfin mise à sa juste place ? Certes les jeux de pouvoir sont partout mais une égalité mesurée serait probablement nécessaire, pour éviter la sacralisation déplacée et morbide, la fausse sainteté et le silence délétère et ravageur.

En tant que diacre, suis-je meilleur, plus saint ?
Surement pas.
Je connais mes pulsions, sais combien elles peuvent être lieu de chute et de scandale.
Je sais aussi qu'une sexualité conjugale respectueuse, épanouie et partagée est force de vie et d'unité.
Le danger sur ce point est d'abuser de l'autre, d'en faire un objet. La limite est fragile, ténue, toujours latente.

Les lettres pastorales n'avaient pas tort d'exiger que les ministres soient choisis parmi les hommes mûrs et mariés à une seule femme.
A-t-on oublié cette sagesse de base ?  : «Cette parole est certaine. Si quelqu'un aspire à la charge d'épiscope, il désire une belle œuvre. Il faut donc que l'épiscope soit irrépréhensible, qu'il soit l'homme d'une seule femme, qu'il soit sobre, pondéré, décent, hospitalier, apte à l'enseignement, qu'il ne soit pas adonné au vin, ni violent, mais conciliant, pacifique, désintéressé; qu'il dirige bien sa propre maison et qu'il tienne ses enfants dans la soumission, en toute dignité. En effet, si quelqu'un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l'Eglise de Dieu? Que ce ne soit pas un nouveau converti, de peur qu'il ne soit aveuglé par l'orgueil et ne tombe dans le jugement du diable. Il faut aussi que ceux du dehors lui rendent un beau témoignage, pour qu'il ne tombe pas dans le discrédit et dans les pièges du diable. Les ministres, pareillement, doivent être dignes, exempts de duplicité, d'excès de vin et de gains honteux; ils doivent conserver le mystère de la foi dans une conscience pure. Qu'on les mette d'abord à l'épreuve et qu'ils exercent ensuite le ministère, s'ils sont sans reproche
‭‭Première à Timothée‬ ‭3:1-10‬ ‭

La chasteté est un chemin de Croix et comme les disciples tombés le soir de la Passion, il nous faut contempler qu'à la Croix se tenait qu'un seul des douze, alors que plusieurs femmes étaient là...

(1) cf. Notamment la réponse de l’Arche

La kénose de l'Église va jusqu'à reconnaître cela...

Tous pécheurs....

Si le Christ s'est plongé dans l'eau du Jourdain, s'il s'est mis à genoux devant Judas, c'est peut-être pour nous inviter à faire de même encore et toujours. La seule véritable révélation est la kénose. Un Christ nu...dépouillé... déchiré...

Le pouvoir, le valoir, l'avoir sont les plaies de notre humanité. Jeûne et chasteté ne peuvent être exigées d'autrui. Elles sont chemin intérieur « inaccessible à l'homme et possible en Dieu »... (cf. Mat 19)

Je prie pour l'Arche, cette belle école de la fragilité qui a montré qu'en dépit des fautes révélées d'un de ses pasteurs, il demeure toujours en elle une force d'espérance. oublier que le royaume n'est pas encore là c'est nier l'espérance qui nous habite...

(1) Anne Catherine Emmerich (cf. Tag)

L’office pour l’enfant mort - Marie Noël - kénose 148



Il y a des morts que l'on ne peut excuser, des souffrances impossibles à concilier, des silences que l'on ne peut comprendre.
Marie Noël est de ces femmes qui touchent à l'indicible et l'inconnaissable, à ce Dieu qui semble absent. Cette déréliction est celle du Golgotha, celle d'un Dieu qui ne répond plus. Que la kénose du Fils soit allée jusque là ne donne qu'une réponse partielle au mystère. Ce chemin qui laisse Dieu être au delà de nos souffrances nous avons à le trouver, au fond de nous-mêmes. Personne ne peut nous l'imposer, c'est le jeûne du samedi saint, le silence où tout est cri :

« Office pour l'enfant mort"
L'enfant frêle qui m'était né,
Tantôt nous l'avons promené
L'avons sorti de la maison
Au gai soleil de la saison ;
(...) 
A l'église ont pris soin de lui.
C'est le bedeau qui l'a bordé
Dans son drap blanc d'argent brodé.
Le fossoyeur qui l'a couché
Dans un berceau très creux, très bas,
Pour que le vent n'y souffle pas
(...) 
Allez-vous en ! Allez-vous en !
La sombre heure arrive à présent.
(...) 
Rentrez chez vous et grand merci !...
Mais il faut que je reste ici.
Avec le mien j'attends le soir,
J'attends le froid, j'attends le noir.
Car j'ai peur que ce lit profond
Ne soit pas sûr, ne soit pas bon.
Et j'attends dans l'ombre, j'attends
Pour savoir... s'il pleure dedans.

Poème de Marie-Noël

Que peut-on ajouter sans casser ce processus de deuil, ce cri nécessaire qui seul permet à l'homme de traverser le mal et de trouver son chemin intérieur jusqu'à l'amour plus grand que le mal ?

“Pas de théodicée explicative, pas de justification, mais la brutalité des faits, la facticité brute, l’impréhensible énigme : (...) Marie Noël se tient sur le seuil de l’impénétrable Mystère” (1)

(1) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 129

10 mars 2019

Au fil de Luc 4,1-13. - Tentations du Christ au désert - Homélie du Premier dimanche de Carême - Saint Grégoire le Grand - jeûne 5 - kénose 147

« En ce temps-là, après son baptême, Jésus, rempli d'Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l'Esprit, il fut conduit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
Le diable lui dit alors : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain. »
Alors le diable l'emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m'a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit : « Il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
Puis le diable le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, d'ici jette-toi en bas ;
car il est écrit : Il donnera pour toi, à ses anges, l'ordre de te garder ;
et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui fit cette réponse : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le diable s'éloigna de Jésus jusqu'au moment fixé. » (Luc 4, 1-13)Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
A la triple tentation johannique du pouvoir, de l'avoir et du valoir, correspond deux types de comportement en tension. Celle qui comme Adam vient céder à la fourberie du diviseur, celle du Christ qui répond par la seule voie qui compte, le jeûne et l'humilité (la kénose).
Saint Grégoire le Grand, l'explique fort bien dans ses Homélies sur l'Evangile (1) en reprenant l'axe de Paul : « Tous sont devenus pécheurs parce qu'un seul homme, Adam, a désobéi ; de même tous deviennent justes par un seul homme, Jésus Christ » (Rm 5,19)
Le diable s'est attaqué au premier homme, notre parent, par une triple tentation : il l'a tenté par la gourmandise, par la vanité et par l'avidité. Sa tentative de séduction a réussi, puisque l'homme, en donnant son consentement, a été alors soumis au diable. Il l'a tenté par la gourmandise, en lui montrant sur l'arbre le fruit défendu et en l'amenant à en manger ; il l'a tenté par la vanité, en lui disant : « Vous serez comme des dieux » ; il l'a tenté enfin par l'avidité, en lui disant : « Vous connaîtrez le bien et le mal » (Gn 3,5). Car être avide, c'est désirer non seulement l'argent, mais aussi toute situation avantageuse, désirer, au-delà de la mesure, une situation élevée...
Le diable a été vaincu par le Christ qu'il a tenté d'une manière tout à fait semblable à celle par laquelle il avait vaincu le premier homme. Comme la première fois, il le tente par la gourmandise : « Ordonne que ces pierres se changent en pains » ; par la vanité : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » ; par le désir violent d'une belle situation, quand il lui montre tous les royaumes du monde et lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si tu tombes à mes pieds et m'adores »...
Il est une chose qu'il faut remarquer dans la tentation du Seigneur : tenté par le diable, le Seigneur a riposté par des textes de la Sainte Écriture. Il aurait pu jeter son tentateur dans l'abîme par le Verbe qu'il était lui-même. Et pourtant il n'a pas eu recours à son pouvoir puissant ; il a seulement mis en avant les préceptes de la Sainte Écriture. Il nous montre ainsi comment supporter l'épreuve, de sorte que, lorsque des méchants nous font souffrir, nous soyons poussés à recourir à la bonne doctrine plutôt qu'à la vengeance. Comparez la patience de Dieu à notre impatience. Nous, quand nous avons essuyé des injures ou subi une offense, dans notre fureur nous nous vengeons nous-mêmes autant que nous le pouvons, ou bien nous menaçons de le faire. Le Seigneur, lui, endure l'adversité du diable sans y répondre autrement que par des mots paisibles ». (1)
Alors que Dieu au jardin cherche l'homme, dans un « où es-tu ? » (2) qui résonne encore dans le jardin, Jésus, par le jeûne et la prière nous conduit vers un « me voici » qui fait écho au psaume 50, et aboutit sur une croix. La seule réponse valide au diviseur qui cherche à mettre en avant nos désirs de pouvoir, de valoir ou d'avoir est l'abaissement, la faiblesse, l'humilité, la kénose.

Méditons sous ce prisme les trois réponses du Christ :
  1. « L'homme ne vit pas seulement de pain. »
  2. « Il est écrit : C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte. »
  3. « Il est dit : Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Elles nous conduisent au delà du désert vers l'essentiel : l'écoute de la Parole vraies nourriture, l'humilité devant le très haut, et la faiblesse.

(1) Saint Grégoire le Grand, Homélies sur l'Evangile, n° 16 (trad. Véricel, L'Evangile commenté, p.68), source  : l'Évangile au Quotidien 
(2) cf. notamment sur ce point mon billet précédent et mes publications dont « où es-tu ? » et « Dieu n'est pas violent » in Lectures pastorales de l'ancien testament tome 1




09 mars 2019

Dégringoler avec le Christ - Martin Steffens - kénose n. 146

J'abuse ici un peu de mon droit de citation, mais ce billet de Martin Steffens résume bien à mon avis toute ma théologie, largement développée dans ce blog (déjà 145 billets) et dans une dizaine de mes ouvrages(1). « Aux prises avec les catastrophes du XXe siècle, les théologiens ont redécouvert ce que, à partir de la Lettre de saint Paul aux Philippiens, on appelle « la kénose » : le libre dessaisissement, par Dieu, de sa propre divinité. Le Christ, dit Paul, n'a pas été jaloux de son rang, il s'est abaissé [vidé - ekenosen en grec] jusqu'à devenir homme, et homme crucifié (Philippiens 2,7). (...) 
La kénose découvre un Dieu dont la faiblesse est de s'arrêter au seuil de notre liberté, (...) , quand enfin nous comprenons que Dieu a besoin de nous pour ne pas mourir de nos vaines puissances. Le mouvement kénotique commence dans la mangeoire, (...) se poursuit-elle dans la promesse déçue au Golgotha, dans le crucifiement du Christ. Elle s'achève (...) dans l'eucharistie, dans l'humble présence, (...) .
Est-ce tout ? À cause de ses petitesses et de ses divisions internes, il m'est arrivé de voir dans l'Église l'ultime moment du mouvement kénotique. En elle, plus qu'ailleurs, Dieu se fait discret, silencieux, attendant patiemment que son nom soit sanctifié. L'Église est un laboratoire de charité où vivre, avec nos contemporains, ce que le Christ endure pour chacun : le pardon des péchés, d'autant plus douloureux et d'autant plus offert que ceux-ci scandalisent le cœur. Être fidèle à l'Église, en ces temps obscurs, c'est avoir part au mouvement de l'amour qui est, de toujours, un mouvement descendant. Une kénose (2).

A l'heure où nos clercs les plus emblématiques sont condamnés par la justice ou dénoncés par la presse, résonne à nouveau la phrase de Marie à Cana : « ils n'ont plus de vin ». (Jn2) Faut-il cesser de croire ? Le silence d'un Dieu crucifié est la seule réponse valide à ce déferlement du mal qui ronge notre barque commune. 

La compassion et l'humilité sauvera l'église. 

(1) voir lien
(2) Martin Steffens Dégringoler avec le Christ, La Croix du 9/3/19


Au fil de Luc 5,27-32.- Appel de Lévi - Jeûne 4

« En ce temps-là, Jésus sortit et remarqua un publicain (c'est-à-dire un collecteur d'impôts) du nom de Lévi assis au bureau des impôts. Il lui dit : « Suis-moi. »
Abandonnant tout, l'homme se leva ; et il le suivait.», Luc 5,27-28

Nos adhérences au monde nous privent de la vraie liberté. Laissons nous embraser par le feu qui nous purifie. 



« L'homme qui médite un peu verra comme le monde se trompe, au milieu de ce qu'il appelle liberté... Où se trouve donc la liberté ? Elle se trouve dans le cœur de l'homme qui n'aime que Dieu. Elle est dans l'homme dont l'âme n'est attachée ni à l'esprit ni à la matière, mais seulement à Dieu. Elle est dans cette âme qui n'est pas soumise au moi égoïste ; dans l'âme qui s'envole au-dessus de ses propres pensées, de ses propres sentiments, de son propre souffrir et jouir. La liberté est dans cette âme-là dont la seule raison d'exister est Dieu ; dont la vie est Dieu et rien de plus que Dieu.
L'esprit humain est petit, il est réduit, il est sujet à mille variations, des hauts et des bas, des dépressions, des déceptions, (...) La liberté est (...)  en Dieu. L'âme qui passant vraiment par-dessus tout fonde sa vie en lui, on peut dire qu'elle jouit de la liberté, dans la mesure du possible pour celui qui est encore dans ce monde.(1)

Plus encore la vraie liberté vient de cet abandon qui loin des tentations du monde, nous conduit à l’obéissance véritable : « Ainsi en va-t-il du service de Dieu : à Dieu, il n'apporte rien, car Dieu n'a pas besoin du service humain. Mais à ceux qui le suivent et le servent, Dieu procure la vie incorruptible et la gloire éternelle. Il accorde ce bienfait à ceux qui le servent, parce qu'ils le servent, et à ceux qui le suivent, parce qu'ils le suivent mais ne reçoit d'eux nul bienfait : car il est riche, parfait, et sans besoin.   (2)


(1) Saint Raphaël Arnáiz Barón, Écrits spirituels, 15/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 268, rev.)
(2) Saint Irénèe, Contre les Hérésies, source AELF 

08 mars 2019

Jeûne 3 - La joie d’être avec l’époux...

« Quand vous jeûnez, ne prenez pas cette mine défaite » (Mat 6).

« Le jeûne qui me plaît, n'est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
N'est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement,
ne pas te dérober à ton semblable ?
Alors ta lumière jaillira comme l'aurore,
et tes forces reviendront vite.
Devant toi marchera ta justice,
et la gloire du Seigneur fermera la marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » (Isaïe 58)



Notre joie, c'est de porter en nous le Christ, lumière des nations. Alors oublions ces souffrances passagères et faisons résonner notre joie. Il est venu nous habiter. En lui repose l'espérance et la joie.

Le jeûne - 2 - lumière de l’âme

Ne craignez pas
De vous défaire, il recréera
Ce que vous cédez de vous-mêmes ;
Fermez les yeux ! Baissez vos fronts !
Venez mendier sa création
Au fond des ténèbres humaines. 

Quel est l'enjeu du jeûne si ce n'est de trouver au fond de soi la véritable prière qui est lumière de l'âme ? Écoutons sur ce point une vieille homélie du Vème siècle : 

« Le bien suprême, c'est la prière, l'entretien familier avec Dieu. Elle est communication avec Dieu et union avec lui. De même que les yeux du corps sont éclairés quand ils voient la lumière, ainsi l'âme tendue vers Dieu est illuminée par son inexprimable lumière. La prière n'est donc pas l'effet d'une attitude extérieure, mais elle vient du cœur. Elle ne se limite pas à des heures ou à des moments déterminés, mais elle déploie son activité sans relâche, nuit et jour.

En effet, il ne convient pas seulement que la pensée se porte rapidement vers Dieu lorsqu'elle s'applique à la prière ; il faut aussi, même lorsqu'elle est absorbée par d'autres occupations — comme le soin des pauvres ou d'autres soucis de bienfaisance —, y mêler le désir et le souvenir de Dieu, afin que tout demeure comme une nourriture très savoureuse, assaisonnée par l'amour de Dieu, à offrir au Seigneur de l'univers. Et nous pouvons en retirer un grand avantage, tout au long de notre vie, si nous y consacrons une bonne part de notre temps.

La prière est la lumière de l'âme, la vraie connaissance de Dieu, la médiatrice entre Dieu et les hommes.

Par elle, l'âme s'élève vers le ciel, et embrasse Dieu dans une étreinte inexprimable ; assoiffée du lait divin, comme un nourrisson, elle crie avec larmes vers sa mère. Elle exprime ses volontés profondes et elle reçoit des présents qui dépassent toute la nature visible.

Car la prière se présente comme une puissante ambassadrice, elle réjouit, elle apaise l'âme.

Lorsque je parle de prière, ne t'imagine pas qu'il s'agisse de paroles. Elle est un élan vers Dieu, un amour indicible qui ne vient pas des hommes et dont l'Apôtre parle ainsi : Nous ne savons pas prier comme il faut, mais l'Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables.

Une telle prière, si Dieu en fait la grâce à quelqu'un, est pour lui une richesse inaliénable, un aliment céleste qui rassasie l'âme. Celui qui l'a goûté est saisi pour le Seigneur d'un désir éternel, comme d'un feu dévorant qui embrase son cœur.

Lorsque tu la pratiques dans sa pureté originelle, orne ta maison de douceur et d'humilité, illumine-la par la justice ; orne-la de bonnes actions comme d'un revêtement précieux ; décore ta maison, au lieu de pierres de taille et de mosaïques, par la foi et la patience. Au-dessus de tout cela, place la prière au sommet de l'édifice pour porter ta maison à son achèvement. Ainsi tu te prépareras pour le Seigneur comme une demeure parfaite. Tu pourras l'y accueillir comme dans un palais royal et resplendissant, toi qui, par la grâce, le possèdes déjà dans le temple de ton âme.(1)

Long cri vers Dieu dans la détresse,
mains levées, cœur ouvert,
remise totale au Père,
force de la faiblesse,
Jésus, notre prière,
ouvre-nous le chemin vers le Père.

Que ta bienveillance nous accompagne, Seigneur, durant ces jours de privation, pour que la discipline imposée à nos corps soit vraiment pratiquée avec amour.

(1) Homélie du Vème siècle, source AELF, office des lectures du 3eme jour de carême 

Au fil de Matthieu 9,14-15- le jeûne - Saint Jean Paul II


En ce temps-là, les disciples de Jean le Baptiste s'approchent de Jésus en disant : « Pourquoi, alors que nous et les pharisiens, nous jeûnons, tes disciples ne jeûnent-ils pas ? » Jésus leur répondit : « Les invités de la noce pourraient-ils donc être en deuil pendant le temps où l'Époux est avec eux ? Mais des jours viendront où l'Époux leur sera enlevé ; alors ils jeûneront. (Mat 9, 14-15)

Le jeûne est source de joie, car il se fonde sur la vraie joie, celle qui nous conduit à l'Époux. Écoutons sur ce point ce que nous dit Jean Paul II : « Parmi les pratiques pénitentielles que nous propose l'Église, surtout en ce temps de Carême, il y a le jeûne. Il comporte une sobriété spéciale dans la prise de nourriture, étant saufs les besoins de notre organisme. Il s'agit d'une forme traditionnelle de pénitence qui n'a rien perdu de sa signification, et que l'on doit même peut-être redécouvrir, surtout en cette partie du monde et dans ces milieux où non seulement la nourriture abonde mais où l'on rencontre parfois des maladies dues à la suralimentation.
À l'évidence, le jeûne pénitentiel est très différent des régimes alimentaires thérapeutiques. Mais, à sa manière, on peut y voir comme une thérapie de l'âme. En effet, pratiqué en signe de conversion, il facilite l'effort intérieur pour se mettre à l'écoute de Dieu. Jeûner, c'est réaffirmer à soi-même ce que Jésus répliqua à Satan qui le tentait au terme de quarante jours de jeûne au désert : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4,4). Aujourd'hui, spécialement dans les sociétés de bien-être, on comprend difficilement le sens de cette parole évangélique. La société de consommation, au lieu d'apaiser nos besoins, en crée toujours de nouveaux, engendrant même un activisme démesuré... Entre autres significations, le jeûne pénitentiel a précisément pour but de nous aider à retrouver l'intériorité.
L'effort de modération dans la nourriture s'étend aussi à d'autres choses qui ne sont pas nécessaires et apporte un grand soutien à la vie de l'esprit. Sobriété, recueillement et prière vont de pair. On peut faire une application opportune de ce principe en ce qui concerne l'usage des moyens de communication de masse. Ils ont une utilité indiscutable mais ils ne doivent pas devenir les « maîtres » de notre vie. Dans combien de familles le téléviseur semble remplacer, plutôt que faciliter, le dialogue entre les personnes ! Un certain « jeûne », dans ce domaine aussi, peut être salutaire, soit pour consacrer davantage de temps à la réflexion et à la prière, soit pour cultiver les rapports humains.(1)

Quel est l'enjeu sinon de nous libérer de toutes ces addictions, de toutes ces adhérences qui nous retiennent vers le « monde » et nous privent de la double dimension qui nous conduit à Dieu et aux autres ?

Au nom d'un certain confort et d'une quête addictive aux distractions qui s'enchaînent et nous enchaînent nous oublions que tout vient de Dieu et qu'il appelle à répondre au cri de nos frères.

(1) Saint Jean-Paul II (1920-2005), Angélus du 10 mars 1996 (trad. DC 2135, 7/4/96, p. 313), source  : l'Évangile au Quotidien 

05 mars 2019

L’amour est en toi - 29 - Marie Noël

Une nouvelle stèle dans ma série sur l'amour en toi que cette petite méditation de la poétesse Marie Noël qui se souvient de sa première communion : « J'avais reçu le pain, j'étais revenu à ma place, j'étais sous mon voile avec Dieu. C'était… C'était ce qui devait être depuis le commencement qui n'avait jamais été… Quelqu'un… Quelqu'un à moi, de plus à moi que tous ceux de ma famille… Quelqu'un qui m'aimait… Quelqu'un que j'aimais. J'avais presque oublié que c'était Dieu. Mais bientôt je m'en souvins et je lui fis ma prière. Il pouvait tout. Il était là. Je lui demandai de mourir ».(1)

La demande, surprenante est liée à cette nuit obscure qui l'habitera. Pourtant à la lumière de Jn 3 elle peut aussi être un appel à une nouvelle naissance.


(1) Marie Noël, citée par François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017, p. 109