Il y a aujourd’hui ce que l’on appelle des « clins Dieu » 😉.
Je baptise encore deux enfants demain, au cœur même de la fête de l’assomption, avec un texte choisi par les parents dans ce qui est l’évangile d’aujourd’hui (Mat 19, 13-15) et n’avait pas réalisé que ce texte suit de près cette citation particulière de Mathieu 19, 5 (texte d’hier). « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. »
Cela n’est pas anodin dans une pastorale qui relie mariage et baptême, où le « une seule chair » au sens hébreu est bien large. Je le traduis souvent par symphonie, car l’amour d’un homme et d’une femme est plus qu’un rapport fusionnel, il est vis à vis(1), échange, danse, création, fragilité et exposition, nudité et don, jusqu’à donner naissance à une chair nouvelle, et en cela participation à la danse divine, qui donne et s’efface dans le don…
Pourquoi j’ose parler de danse ?
Il y a dans le concept même de chair, au sens hébreu de basar une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité visée est proche de cette danse particulière des Personnes divines, telle que la décrit Jean dans son prologue (2) : chacune toute tournée vers l'autre. En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain mais d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité.
« Le langage des corps devient la langue de la liturgie » (...) [et élève le langage du corps] aux dimensions du mystère » (3) disait Jean Paul Il.
Le mot liturgie évoque une célébration qui dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur mais aussi manière d’être signe de cet amour.
Dynamique sacramentelle (4) de large portée.
Dynamique liée à une fécondité particulière jaillissante de ce don qui ne cherche plus son intérêt (5).
Danse qui nous fait rejoindre le Corps des donateurs à l’image du grand Donateur, dans sa triple dimension et dans sa propre valse trinitaire et kénotique (ce que les Pères appellent la circumincession)…
On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix (6) lorsqu'il souligne lui aussi le sens multiple, la polysémie du mot chair, qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, cette multiplicité du sens appelle en fait ce qu'il qualifie de "totalité unifiée". Qu’est ce à dire ?
Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage(7), de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur qui dépasse la fusion rêvée pour être source. Source de vie…
Idéal du conjugal ? Probablement, mais là est bien le chemin..
Il y a dans la naissance le même dévoilement que celui de la rencontre. "Voici la chair de (notre) chair", le fruit merveilleux de notre amour et plus encore, un être, un potentiel autonome qui nous dépasse.
L'enfant n'est pas la chose de l'un et de l'autre, il est graine et cette graine sera à arroser, faire grandir, rendre autonome et laisser partir... Pour qu'à son tour il sème d'autres graines d'amour...
Cette séparation sera déchirement mais n’est-ce pas l’enjeu de la nouvelle naissance au sens de Jean 3 ?
Je n’ai évoqué pour l’instant que le contexte.
Venons-en au texte lui-même.
Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile (8) ?
Je vous propose une réponse, fragile.
Ce que Jésus contemple chez l’enfant est triple : La Foi, l'Espérance et la Charité.
Les deux enfants que je baptise demain ont confiance en leur maman, et même foi dans leur maman. Quand ils la regardent, ils savent qu'elle les comblera. Enfants, ils n'en doutent pas encore.
Et nous, doutons-nous de Dieu ?
Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.
Les deux enfants vivent dans l'espérance. Il savent que même si leur maman s'est absentée, elle reviendra.
Nous avons plus de mal à espérer…
Surtout quand la souffrance nous tombe dessus. Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme eux, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.
Ces deux enfants ont, en eux, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Ils l’ont reçu de Dieu à travers leurs parents, Elle dort en eux et ne demande qu'à “servir”.
Ils vont y travailler ! Ils vont recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de leurs baptêmes. Nous aussi, nous pouvons, comme eux, en faire usage.
C’est cette sortie des eaux de la mort que le baptême exprime.
Parents, parrains et marraines, devrons faire découvrir chez ces enfants, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu.
Ils auront pour modèle cette danse conjugale qu’évoque le début de Mat 19…
Une seule chair…
Si nous n'avons pas la charité, ces deux enfants ne l'auront pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), ils devront la trouver tous seuls, et traverser le désert bien démuni.
Ils auront soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à nous de leur apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.
Si vous ne savons plus où se trouve cette source, penchons nous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le signe unique du don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix.
A chaque eucharistie, nous devrions contempler la Croix. (...) le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface.
Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.
C’est celui, je l’espère, de cette maman et de ce papa qui nous apportent ces deux enfants demain.
C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.
C’est celui de ce Christ, que nous recevons chaque dimanche dans notre coeur.
Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place. Car faire une seule chair c’est entrer dans la danse du don, dans cette dynamique même de la foi, l’espérance et la charité reçu de nos parents et rendues fécondes par la dynamique baptismale.
Que conclure ?
Si Jésus met en avant l’enfant, c’est que nos théories, nos théologies et nos calculs trop humains doivent laisser place à ce qui vient d’Ailleurs, à l’insaisissable équilibre ou l’équilibre de l’insaisissable qu’illustre une des dernières photos de François Cassingena-Trévedy.
(1) cf. le beau développement qu’en fait Sylvaine Landrivon, in La femme remodelée.
(2) cf. « La danse trinitaire » in « À genoux devant l’homme » et mes développements dans « Aimer pour la vie, essai de spiritualité conjugal »
(3) Jean Paul 2, “L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30
(4) cf. mon livre éponyme
(5) cf. 1 Co 13
(6) X. Lacroix, Le corps de chair, p. 103sq
(7) cf. Lévinas…
(8) Texte de référence - Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 19, 13-15)
En ce temps-là,
on présenta des enfants à Jésus
pour qu’il leur impose les mains en priant.
Mais les disciples les écartèrent vivement.
Jésus leur dit :
« Laissez les enfants,
ne les empêchez pas de venir à moi,
car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. »
Il leur imposa les mains,
puis il partit de là.
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