09 octobre 2015

Éloge de la bonté - Madeleine Delbrel

Il faut relire ce passage sur la bonté (1) écrit par Madeleine Delbrel en 1959 pour la lente progression qui s'opère dans son discours sur le lien entre charité chrétienne et bonté. Elle commence son apologie par une exhortation pour finir par un exemple. Elle raconte comment un soir sous la pluie à l'étranger, n'ayant plus assez pour acheter autre chose que des crudités avant son train, en pleurs, elle se réfugie dans un café. Mangeant son plat lentement elle est soudain entourée par une main charitable qui lui dit "vous café, moi donner". A elle, l'étrangère, ce geste est ce Jean-Luc Marion appellerait probablement le don véritable, l'acte gratuit, qui "ne cherche pas son intérêt" (1 Cor 13).
Elle nous traduit ainsi mieux que tout discours ce qui relève de la bonté véritable. A nous de faire résonner ce qui dans nos vie a été reçu et ce que nous pouvons donner.

‎(1) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, p. 151-158

Tradition vivante et synode

Discussion intéressante avec des amis sur la Tradition.  On peut la dire figée ou immuable, au nom d'une fidélité à l'Écriture.  Je préfère la voir vivante et perfectible,  capable d'auto-correction et d'humilité,  consciente qu'elle reste la face visible et fragile de la volonté inaccessible de Dieu.  

Ce texte de saint Vincent de Lérins me semble conforter ce point de vue : "Ne peut-il y avoir, dans l'Église du Christ, aucun progrès de la religion ? Si, assurément, et un très grand. Car qui serait assez jaloux des hommes et ennemi de Dieu pour essayer d'empêcher ce progrès ? À condition du moins qu il s'agisse d'un véritable progrès dans la foi, et non d'un changement. Car il y a progrès, si une réalité s'amplifie en demeurant elle-même ; mais il y a changement si elle se transforme en une autre réalité. Il faut donc qu'en chacun et en tous, en chaque homme aussi bien qu'en l'Église entière au cours des âges et des générations, l'intelligence, la science et la sagesse croissent et progressent fortement, mais selon leur genre propre, c'est-à-dire dans le même sens, selon les mêmes dogmes et la même pensée. 
(...) : la règle de tout progrès légitime et la norme précise de toute croissance harmonieuse, c'est que le nombre des années révèle chez les plus grands la forme des membres que la sagesse du Créateur avait ébauchée lorsqu'ils étaient enfants. Et s'il arrivait qu'un être humain prît quelque apparence étrangère à son espèce, soit que le nombre de ses membres augmente, soit qu'il s'amenuise, tout le corps périrait nécessairement, et serait en tout cas gravement débilité. Il en va de même pour les dogmes de la religion chrétienne : la loi de leur progrès veut qu'ils se consolident au cours des ans, se développent avec le temps et grandissent au long des âges.

Nos ancêtres ont jadis ensemencé le champ de l'Église avec le blé de la foi. Il serait injuste et inconvenant pour nous, leurs descendants, de récolter l'ivraie de l'erreur au lieu du froment de la vérité. Au contraire, il est normal et il convient que la fin ne renie pas l'origine, et qu'au moment où le blé de la doctrine a levé, nous moissonnions l'épi du dogme. Ainsi, lorsque le grain des semailles a poussé avec le temps et se réjouit maintenant de mûrir rien cependant ne change des caractères propres du germe."(1)
L'enjeu,  en cette période difficile du synode est de trouver un chemin de progrès.  Prions en cela pour le travail de l'Esprit. 

(1) Saint Vincent de Lérins,  Commonitorium, source AELF

08 octobre 2015

Colossiens 3 et Éphésiens 5

J'ai une amie qui est si outrée par le machisme de ces deux textes, qu'elle refuse d'assister à la messe les jours où ils sont lus.
Une lecture littérale peut conduire à cela
 Mais Colossiens 3, 18 s'eclaire par Éphesiens 5 qui lui même s'éclaire par la contemplation des noces éternelles et par l'invitation de Paul à entrer dans la kénose qui répond à la kénose. La soumission de la femme a son mari (à lire dans le contexte de l'époque) n'a de sens qu'en réponse à l'amour du mari pour sa femme, qui s'eclaire par l'amour du Christ pour son Église
 Si l'on coupe ce lien, on coupe le sens et la réciprocité...

Bien sûr la lettre à Timothée enfonce le clou. Mais la lecture spirituelle reste utile.

07 octobre 2015

Revue de Presse - Projet n°348 - Les bidonvilles - Sortir du déni

Le numéro 348 de Projet qui vient de sortir sur les bidonvilles interpellent.
Ce qui m'a le plus frappé, c'est cette remarque récurrente : les expulsions sont au détriment de la socialisation des personnes, qui faute de positionnement stables ne peuvent pas arriver à se socialiser.
cf. un des articles sous le lien suivant :
http://www.revue-projet.com/articles/2015-08_domergue-huygue_le-bidonville-symptome-du-mal-logement/

Christ, image de Dieu - Col 1, 15

Je reprends ma lente manducation des lettres du Nouveau Testament après la publication de mes commentaires des lettres de Paul, dans "Serviteur de l'homme". J'aborde maintenant celles dont l'origine est plus controversée avec la série commençant par Colossiens et Éphesiens. Deux lettres qui méritent un détour.
La contemplation de Col 1, 15 retombe dans celles suscitées par la lecture de GC1 (cf plus haut) chez Balthasar. Relisons le texte : "C'est lui qui est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toutes les créatures" (1) Un commentaire d'Urs von Balthasar pourrait être fait à partir de ce qu'il écrit dans GC2 : En Jésus-Christ, vers qui tendent les révélations
de la création et de l'histoire, est manifestée la "dissemblance toujours plus grande" de Dieu par rapport à tout ce qui n'est pas Dieu ; non pas manifestée seulement comme à travers des signes ni simplement connue (...) mais littéralement aperçue dans la figure de la révélation. (...) Quand Dieu apparaît par lui-même (si profondément voilé qu'il reste malgré tout) une telle apparition inclut finalement un cadeau, amour et par là don de soi (2)


Le terme "image de Dieu" mériterait par ailleurs un excursus particulièrement développé à l'aune des travaux du même Balthasar dans ce même tome GC2 sur les considérations entre image et ressemblance chez Bonaventure. Nous y reviendrons.

En attendant, il nous reste à contempler "l'éclat jaillissant de cet amour qui se donne sans réserve en entrant dans la figure terrestre d'impuissance" (3)

On sent jaillir dans la plume de Balthasar cet embryon de ce que j'appelle chez lui la triple kénose, cette contemplation amorcée de la "danse trinitaire" que j'ai repris dans "L'amphore et le fleuve".

(1) Col 1, 15 traduction OST‎
(2) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix , Styles, d'Irénée à Dante, 2 (GC2), Paris, Cerf : DDB p. 9




06 octobre 2015

Beauté de l'Église

Cette beauté que nous peinons souvent à trouver est d'abord de notre responsabilité. Il ne sert à rien de critiquer l'Église si nous n'avons pris à bras le corps ses enjeux, si nous ne retroussons pas nos manches.
Écoutons encore une fois Madeleine : "L'Église, il faut s'acharner à la rendre aimante. Son amour est en grande partie à notre merci." citant saint Ambroise, Madeleine ajoute "c'est dans les âmes que l'Église est belle". Dans nos vies, ajoute-t-elle, "l'Église doit être bonne; dans nos vies, le Christ-Église doit aimer à l'aise, dans le sens même de son amour, dans les règles de son amour, dans les exigences de son amour". (1)

(1) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, op Cit, p. 137

04 octobre 2015

Obéissance ecclésiale

La question de l'obéissance est souvent le point d'achoppement de notre relation ecclésiale. Car, souvent, nous la conditionnons instinctivement à un désir de liberté intérieure, mêlée à un besoin de reconnaissance. Madeleine la conçoit quant à elle comme "une obéissance à la fois passive et active parce qu'elle est obéissance à un ordre vital, à une propagation vitale. De cette obéissance on ne se tire pas avec une oraison dite à la messe, avec un dévouement à un prêtre ou à un mouvement. On ne s'en tire même pas avec une vie sacramentelle fidèle, ni avec une vie de prière fervente, mais en assumant notre vie sacramentelle et notre vie de prière jusque-là où elles doivent aller jusqu'à ce pour quoi elles ont été faites". (1)

On sent chez Madeleine une contemplation de l'obéissance du Christ à son Père, de cette course infinie (Ph 3) de l'apôtre véritable qui se laisse conduire par l'Esprit.

Pour elle, l'Église est "le signe le plus prodigieux du mystère de Dieu, car en elle sont les fameuses dimensions de la charité" (...) que nous ne pourrons incarner qu'en "acceptant d'abord l'incarnation de cette charité dans l'Église‎, dans le Corps mystique de Jésus-Christ".

Il est évident que beaucoup rejette cette image
Elle est pourtant de notre responsabilité commune, tant l'Église n'est faite que de ce que nous en faisons.‎ Nous sommes ses "cellules intelligentes et aimantes". Si ces cellules étaient capables de comprendre et d'aimer elles exploseraient de "reconnaissance pour chaque prêtre qui donne le sang du Christ, ‎ seraient en anxiété priante pour chaque évêque qui a des décisions à prendre..." (2)
Ce discours n'est pas idyllique mais programmation et réaliste :
Pour elle, l'Église est "la Passion du Fils de Dieu fait homme perpétuée au milieu de nous" (3)

‎(1) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, op. Cit. p. 134
‎(2) p. 135
(3) p. 136 

03 octobre 2015

Aimer l'Église - 2

"Même quand nous vivons d'une vie très unie à Jésus, il faut je crois, nous demander (...) si nous ne le voyons pas comme il a été et non comme il est dans l'Église ‎" (1)
 Une piste de contemplation à creuser, car c'est la qu'est aussi l'Esprit.

Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, p. 134

02 octobre 2015

Le risque de la soumission

Sous ce titre se cache le lent travail intérieur de Madeleine Delbrel à la suite de l'interdiction des prêtres ouvriers. Il faudrait citer toutes ces pages (1) ce que le respect des droits d'auteur  m'interdit. Une révolte intérieure s'y lit face à l'incompréhension compréhensible de cette décision qui met un arrêt brutal à 10 ans d'élan ‎missionnaire de ce que notre pape actuel appellerait peut-être (ironie du temps) un essai brillant d'Église en sortie, qui n'hésite pas à "marcher dans la boue" (cf. Evangelii Gaudium).
En 1954, les choses sont moins simples et Madeleine s'interroge intérieurement sur les causes de cet échec. Si l'on sent son attachement à l'Église, souvent cité dans ces pages, elle note qu'il y a aussi une question plus structurelle qui demeure, celle de cet "énorme péché collectif" (2) qui a conduit à ce gouffre entre l'Église et le monde. L'athéisme contemporain n'est pas né par hasard, à nous de percevoir ce qui dans nos indifférences à pu le conforter. Car cette question de la pastorale du seuil, sur laquelle je ne cesse d'écrire reste l'enjeu de notre temps. Je suis sensible à cet égard à ce que dit une étude américaine récente qui interpelle la réalité même de notre vie en Christ. Tant que celle ci reste façade, tant que le Christ ne rayonnera pas dans le jusque au bout de nos choix, nous ne serons que des cymbales qui résonnent. Hier soir je contemplait le chemin de deux amis étudiants en théologie avec moi. L'une est partie en Colombie dans une oeuvre pastorale de première qualité, l'autre est médecin des réfugiés porte de Saint Ouen. Si la théologie conduit à cela, elle est force de l'Esprit. A leurs côtés je me sens petit....

‎(1) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, op Cit p. 133 à 144
(2) ibid p. 144

01 octobre 2015

Faire aimer l'Église

De son voyage à Rome en 1952, Madeleine Delbrel nous ramène quelques pépites : 
1. Être auteurs de l'oeuvre de Dieu
2. Contempler le ministère de Pierre à l'aune du "M'aimes-tu ?" de Jean 21
3. Prendre conscience de l'importance de l'évêque 
4. Comprendre "ce qu'il fallait faire passer d'amour dans tous les signes de l'Église".

A contempler pour ce qu'elles sont, dans la lignée de "Cette Église que je cherche à aimer".‎ L'art est délicat, la critique facile. Prions pour que l'Église soit image de ce qu'elle représente.

Source: Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, p. 127ss

30 septembre 2015

Misère de l'esprit - 2

"Il nous faut prendre conscience des ruptures de pont entre l'homme et le mystère de tout ce qui est. Le pont homme terre est rompu. L'homme de la terre (...) et de la mer, même s'il n'est pas chrétien [voit son esprit conduit] à quelque chose qui le dépasse. C'est une orientation du même ordre qui serait à rétablir entre chaque homme et le mystère du réel avec lequel il est en contact. Ce n'est certes pas donner la foi. Mais où est la capacité de recevoir la foi chez celui pour qui Dieu est absurde ? "

On retrouve dans cette citation ce que Danielou signalait sur ces failles qui conduisent à Dieu (amour, naissance, mort). Autant de lieu que l'on doit travailler car ils sont au coeur du lien ténu entre humanité et transcendance. Une piste pastorale à creuser.

Cf. mes développements sur ce point #pastorale

Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, op. Cit p. 125

29 septembre 2015

Misère de l'esprit

Auteur de Pastorale du seuil, je ne peut être insensible aux propos de Madeleine Delbrel sur la misère de l'esprit‎, sur cette "intelligence qui n'a plus ce pour quoi elle est faite", (...) "une misère spirituelle" à l'image de ce qu'on lit quelque part dans les Actes des Apôtres : "Nous ne savons pas qu'il y eut un Esprit-Saint". (...) La mort elle-même perd de son mystère prochain. La causalité humaine tend à s'emparer même de la mort. (...) Parce qu'on peut la retarder, on oublie qu'elle vient toujours".
Misère de l'esprit donc pour ceux qui ont un accès "limité à un réel extrêmement restreint" (1)

L'allusion à la mort est intéressante à plusieurs point de vue. Dans mes travaux récents je montre que cette faille de la mort peut être une clé d'entrée à un au delà de l'intelligence commune. "La mort est fin et en tant que fin elle est mystère", (...) elle introduit une relation étrange avec le prochain" (2) nous dit ‎Adrienne von Speyr. De fait, elle ouvre au mystère et à Dieu alors que la vie dans sa routine n'est qu'une course au bonheur que l'on achète : "bonheurs chiffrables en prix d'achat" (3).
Un point qu'il me semble sensible.

(1) Madeleine Delbrel, Nous autres, gens des rues, Paris, Seuil, 1966, p. 120ss
(2) Adrienne von Speyr, Le mystère de la mort, culture de vérité, Namur, Letheilleux, 1989, p. 11
(3) Madeleine Delbrel, ibid. p. 122

28 septembre 2015

Chemins de désert - 2



A la suite de mes recherches sur ce thème, je note les commentaires toujours pertinents de Madeleine Delbrel : " Pour quitter l'Égypte il faut s'en dégager. A toutes les époques de son histoire l'Église a porté en elle des gens, qui perpétuels nomades, partent sans cesse du monde où ils sont mais dont ils ne sont pas, vers cette Terre où, par le Christ, ils sont déjà." (1)‎ 

Etern‎elle tension, ajouterai-je, à maintenir entre l'être au monde, qui ne peut être échappée par une fuite mystique, et l'être "en Christ", qui nourrit notre route.

Soumission aussi au bon vouloir de Dieu.  En effet,  "c’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir". ( 2)

(1) Madeleine Delbrel,  Nous autres gens des rues,  p. 118
(2) Philippiens 2,  13

25 septembre 2015

Danser - 2

"La foi, dans le sens chrétien parfait, ne pourra être autre chose que l'attitude dans laquelle‎ l'homme se fait tout à fait réceptacle pour recevoir le contenu divin; dans laquelle il est tout entier accordé à cette musique, prêt à réagir à ce toucher divin, violon tout prêt pour ce coup d'archet, matériau pour cette maison à édifier, rime préparée pour ce vers à composer", piles d'un pont dont le tablier est posé par Dieu, corps prêt à danser à la musique de Dieu....

‎(1) Hans Urs von Balthasar, GC1 p. 186

Le mystère de l'Église

Loin de cette Église triomphante que dénonçait le cardinal de Smedt dans l'aula du Concile Vatican II, Madeleine nous conduit à un réalisme qu'il ne faut pas perdre de vue.

"Parce-que nous rêvons d'un Christ-Église triomphant aux yeux des hommes, nous ne savons pas toujours nous souvenir que le mystère du Christ est le mystère de l'Église et que fin des temps il sera le sauveur humilié, camouflé sous des hommes, des hommes limités et pécheurs, et que c'est en eux qu'il faudra le reconnaître.‎ (...) Le laïc le plus majeur est moindre dans un certain ordre de grâce que le prêtre le plus mineur parce que dans ce prêtre il y a une communication du Christ à laquelle le laïc ne participe pas." (1)

Cela me rappelle des propos du même genre chez Benoît XVI à propos des prêtres minables qui en célébrant sont pourtant signe d'autre chose(2).

Madeleine ajoute " cela ne veut pas dire que le laïc doit être un passif. Il a à devenir ce qu'il est".



(1) Madeleine Delbrel, Nous autres gens des rues, op. Cit p.110
(2) Joseph Ratzinger Les principes de la théologie catholique, op. Cit.