23 février 2016

Saint Irénée - les épousailles de la chair

En réponse à une idée gnostique, Irénée précise, grâce à une métaphore sponsale typique de son époque qui affirme que l'épouse ne prend pas l'époux en mariage mais se laisse épouser, que la chair ne peut "d'elle-même hériter le royaume de Dieu, mais [qu']elle peut être adoptée par l'Esprit en héritage dans le royaume de Dieu. Toute activité de la créature repose sur une passivité plus profonde : pour grandir, elle doit se couler dans les mains formatrices de Dieu et se livrer à elles" (1)

On peut contempler cette citation comme l'on contemple la venue du Christ en nous dans le sacrement de l'Eucharistie. Car cette passivité profonde, que l'on peut appeler aussi décentrement ou accueil profond est la condition nécessaire de la venue de Dieu en nous.

"Demeurez en moi, et moi je demeurerai en vous. Comme le sarment ne saurait de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure attaché au cep, vous n'en pouvez porter aussi, si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, et vous en êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit; car hors de moi, vous ne pouvez rien faire."‎ Jn 15, 4-5.


(1) Hans Urs von Balthasar, GC2, p. 56 citant Saint Irénée, Contre les hérésies, 2, 299.

22 février 2016

Les deux pieds de Dieu

Étonnante métaphore de Bernard de Clairvaux sur les deux pieds de Dieu , celui de la miséricorde qu'on aime contempler comme la face aimante du Père et celle plus obscure à nos yeux du Jugement que saint Bernard fonde sur St Jean 5, 27 : " le Père lui a donné la puissance de juger". 
Ce qui m'a touché est plus loin dans ce passage où il insiste sur ce nécessaire balancier entre les deux pieds, c'est qu'en tenant "embrassé plus qu'il ne fallait le pied de la miséricorde" il tombe dans  une "si grande négligence et une telle incurie, qu'aussitôt il en devient plus tiède dans l'oraison, plus paresseux" (1) ce qui le conduit à louer les deux pieds. Une interpellation que l'on peut entendre...

(1) Bernard de Clairvaux, Sermon 6 sur le Cantique, in Oeuvres complètes. trad. Charpentier, 1866


21 février 2016

Lave moi de ma faute

"Lave moi de ma faute, purifie moi de mon péché" nous dit le Psaume 50 (51),4. Comme on aimerait que le souvenir de notre faute disparaisse, qu'elle ne soit plus le lieu d'une culpabilité maladive.
"Purifie-moi de mon péché avec l'hysope, et je serai net; lave-moi et je serai plus blanc que la neige". 50 (51),9 Pourtant ce serait remettre notre orgueil en avant que de croire que tout est "neige" immaculée. Si la miséricorde de Dieu est infinie, elle laisse en nous la trace de nos fautes pour que l'humiliation positive qui en découle soit le terreau de notre humilité et conversion future. "Tu ne refuses pas Seigneur un coeur brisé et broyé" 50 (51), 19

18 février 2016

La miséricorde chez Grégoire de Nysse

"La miséricorde est une disposition bienveillante qu'on éprouve pour ceux qu'afflige ‎quelque malheur. Car de même que l'inhumanité et la férocité ont leur source dans la haine, ainsi la miséricorde a la sienne dans l'affection". Cette définition du cappadocien n'a d'intérêt que dans le contraste qu'elle met en avant. Elle rejoint ce retournement du coeur évoqué en Osée 11, 8 qui transforme notre vision de Dieu en Dieu de tendresse, pris aux entrailles...

(1) Grégoire de Nysse, Homélies sur les Béatitudes, traduction de l'abbé Pelletier, 1856-1857, cité in Le livre de la miséricorde, op. Cit p. 72



17 février 2016

Conversions intérieures

Le Fils de Dieu prône une attitude, "signifiée à travers lui, plus grande, plus divine et plus parfaite : dépouiller l'âme elle-même et ses dispositions intérieures de leurs passions cachées, arracher jusqu'à la racine et rejeter les éléments étrangers à l'esprit" nous disait déjà Clément d'Alexandrie au IIème siècle (1) Qu'est-ce à dire ? 
Ce que l'Église appelle péché - même si je trouve le mot trop moralisateur - n'est autre que toutes ces adhérences aux passions intérieures qui viennent du mauvais coeur en nous, celui qui nous détourne de la triple vocation de l'homme : contempler, adhérer et agir en Christ.
Contempler le Christ en ce qu'il a de fondamentalement bon peut nous amener à cette conversion intérieure. Un chemin semé d'embûches mais qui conduit au Père.

(1) Clément d'Alexandrie, Quel riche sera sauvé ? Paris, Cerf, SC 2011, cité in Le livre de la miséricorde, op. Cit p. 36

10 février 2016

Humilité et vérité -2

Cette prière de soeur Térésa nous conduit aussi au décentrement véritable : "Laisser l'amour de Dieu prendre entière et absolue possession d'un cœur ; que cela devienne pour ce cœur comme une seconde nature ; que ce cœur ne laisse rien entrer en lui qui lui soit contraire" 

Si l'on suit ses propos, la contemplation de Dieu "produit l'amour, et la connaissance de soi produit l'humilité.
L'humilité n'est rien d'autre que la vérité. « Qu'avons-nous que nous n'ayons reçu ? » demande saint Paul (1Co 4,7). Si j'ai tout reçu, quel bien ai-je par moi-même ? Si nous en sommes convaincus, nous ne relèverons jamais la tête avec orgueil. Si vous êtes humble, rien ne vous touchera, ni louange ni opprobre, car vous savez ce que vous êtes. Si l'on vous blâme, vous n'en serez pas découragé. Si l'on vous proclame saint, vous ne vous placerez pas sur un piédestal. La connaissance de nous-mêmes nous met à genoux." (1)

(1) Mère Teresa et Frère Roger, La prière, fraîcheur d'une source,  Bayard, 2003, p. 81

09 février 2016

De l'humilité à l'Église

Si je suis bien les propos de Balthasar qui part du postulat que l'humanité du Christ est la voie principale, "l'accès ouvert vers le Père" (1), le processus d'expropriation de l'homme, de décentrement, trouve son aboutissement dans une humilité extrême qui conduit l'homme à "renoncer à sa nature individuelle au profit d'une anima ecclesiastica" (2), c'est à dire qu'il n'est plus rien qu'une âme vouée à plus grand que lui-même, cette Église des saints auquel il donne tout.

On entre ici en correspondance avec l'obéissance décrite chez Madeleine Delbrêl par B. Pitaud dans son petit complément à la lettre des Amis de Madeleine Delbrêl sur les prêtres ouvriers où il insiste sur cette fidélité malgré tout à l'Église en 1953, alors même que la crise fait rage. Cette obéissance est chemin, non parce qu'elle serait une forme de soumission aveugle mais bien parce que Madeleine a compris combien l'Église prime ici sur l'individuel.‎ "On ne fait rien de bon en dehors de l'Église. On ne peut annoncer Jésus-Christ que si l'on est soi-même greffé à son Corps".

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, Apparition, tome 1, Cerf DDB, 1965-1985, (GC1) p. 212
(2) ibid p. 216
(3) Bernard Pitaud, Supplément n. 91 à la Lettre aux Amis de Madeleine Delbrêl, p. 11


07 février 2016

Le labyrinthe du silence - leçons d'humilité

Film poignant que cette quête de vérité sur le silence qui a suivi Auschwitz en Allemagne après la guerre au point qu'une génération entière ne savait rien du drame. 
Quel chemin que ces hommes qui refusent de concéder qu'ils ont participé au carnage et s'enferment dans le déni,  le mutisme et l'alcool. 
Cela met à nu notre nature humaine dans ce qu'elle a de plus noir et interroge sur la puissance du mal et de la violence.  
Cela met en question aussi ce que nous appelons justice mais aussi miséricorde.  
Cela crie aussi sur Dieu, sa passivité,  son silence et sur ce que la Croix révèle des mimétismes et du mal.  

04 février 2016

Obéissance 2

Il n'y pas de coïncidence fortuite. Si je tombe sur Jn 21 et la pêche miraculeuse après ma réflexion sur l'obéissance chez Madeleine Delbrêl, c'est probablement que cela doit encore travailler en moi. On veut pêcher tout seul ou entre amis (Thomas, Nathanaël, Jean et Jacques), mais les poissons ne sont pas là. N'est ce pas la leçon de Dieu face à nos ambitions humaines. "Cette nuit là ils ne prirent rien" (Jn 21, 3). 
A la question de Jésus sur le rivage, ils doivent reconnaître l'échec de leurs volontés humaines. Et ce n'est qu'en obéissant à l'ordre du Christ que se révèle les dons de Dieu. Une leçon intérieure qui se poursuivra pour Pierre jusqu'à sa fin : " tu étendras‎ la main et c'est un autre qui nouera ta ceinture et te conduira jusqu'ou tu ne voudras pas". (v. 18)
Comme il est dur, souvent de consentir, alors que l'illusion de notre valoir nous semble justifier nos actes. Et pourtant nous ne sommes que des serviteurs, instruments fragiles d'un plan de Dieu qui nous dépassera toujours.


Le culte de l'obéissance

Je poursuis ma lecture commentée de la lettre à Louise Brunot, sur les traces de Bernard Pitaud(1). Si elle insiste sur notre mort, c'est que notre naissance à Dieu au sens de Jean 3 se fait "à proportion" de notre mort. C'est à dire que tout abandons, de l'obéissance à notre père spirituel  jusqu'au renoncement qui nous conduit à "obéir au métro qu'on rate" est à la fois obéissance au monde, renoncement à "sa volonté propre" et de ce fait abandon au vouloir de Dieu sur nous. Plus qu'un regard mystique sur le monde, c'est aussi une hygiène de vie, un retour au centre
 Non pas ce que je veux mais ce que Tu veux.

(1) supplément 99 de la lettre que Amis de Madeleine Delbrêl, op. Cit p. 3


03 février 2016

Visage intérieur

‎"Prendre conscience du jardin intérieur (...) causer interminablement avec le Verbe fait chair et nous enfoncer dans son visage" (1)
L'expression est bizarre. S'enfoncer dans le visage. Que veut dire Madeleine Delbrêl dans cette métaphore ? Probablement que derrière le visage réside l'âme, derrière l'apparence demeure le Saint des Saints, ce coeur auquel on ne parvient que lorsqu'on a fait silence, fait taire notre "propre brouhaha", quand au delà de l'émotion causée par le visage on se laisse mouvoir par autre chose, par l'Esprit qui nous conduit à Dieu.

Pour cela, précise-t-elle‎ il faut atteindre "la volonté de ne plus vouloir", se couler dans "l'obéissance qui tue si bien notre volonté" qui n'est plus alors esclavage, mais liberté de celui qui a trouvé sa voie, qui n'écoute plus les tentations du monde, mais l'amour qui se cache en nous pour éclore.

(1) Lettre à Louise Brunot du 4 janvier 1933, cité dans le supplément 99 de la Lettre aux Amis de Madeleine Delbrêl.

02 février 2016

Le pauvre attendu

"La présence réelle du Christ dans le pauvre connu en tant que personne est peut-être, quand elle est vraiment crue, ce qui peut faire éclater n'importe quelle situation sociale et la rendre authentiquement chrétienne. Le pauvre ne doit pas être quelqu'un de supporté, de toléré mais d'attendu". (1)
Ne rejoint-on pas là ce que Levinas appelle l'irruption du visage de l'autre, l'appel du visage ? Peut-être va t-on même plus loin encore. Car pour Madeleine Delbrêl il n'y a pas de limite à l'appel. On ne peut pas dire : "on fera ceci jusqu'ici - Cela jusque-là. Il ne nous doit jamais rien. C'est nous qui lui devons ce que nous devons au Christ lui-même". (2)
Les propos sont forts. Ils nous interpellent jusqu'aux jointures de l'âme (Heb 4, 14)‎ et font écho à cette parabole de la compassion de Luc 10.

(1) Madeleine Delbrêl, AMD IV, note de 1964, La joie de croire, p. 88, cité dans le supplément n. 103, op. Cit p. 2.
(2)‎ ibid.

Leçons de pauvreté

"Seuls des hommes qui auront accepté du Christ [une] leçon pauvreté et de douceur pourront comme l'ont pu les saints révéler les secrets des Béatitudes qui sont en effet les mêmes pour tous" (1) 
Il y a, en effet, me semble-t-il, une pédagogie du Christ qui, en nous conduisant jusqu'au vide et à la nuit, nous laisse découvrir la porte étroite. 
A contempler.

(1) Madeleine Delbrêl, lettre ‎à Jean Durand du 4 septembre 1951, cité dans le supplément au n. 103 de la lettre aux Amis de Madeleine Delbrêl de janvier 2016.

30 janvier 2016

Les nouveaux lépreux

En évoquant l'attitude du Christ envers les lépreux qu'il n'hésite pas à toucher, bravant les prescriptions de l'époque (1), le pape François nous interpelle sur la véritable miséricorde, celle des nouveaux lépreux d'aujourd'hui, ces prochains que souvent nous ignorons volontairement.

(1) Le nom de Dieu est miséricorde, op. Cit. p. 85
























































































26 janvier 2016

Paternité spirituelle

Je termine la lecture de la biographie de Grégoire de Naziance par Jean Bernardi avec d'autant plus d'intérêt que je découvre Grégoire comme un homme hypersensible et solitaire. 

Son "affectivité frustrée cherche une compensation dans cette écriture qui donne le moyen de se confier à autrui sans être blessé par son contact. Dès lors qu'on a grandi au milieu des livres et appris à se couler dans leur langage, on sera enclin à mettre ses pas dans les pas des grands ancêtres en leur empruntant leurs mots et leurs rythmes" (1)

Je pense que cela me touche, parce que c'est un peu ce que je fais dans ces lignes.

Plus haut, je suis heureux de lire chez ce spécialiste de Grégoire que l'hymne célèbre attribué à Grégoire (À toi, l'au delà de tout...) est bien, pour lui, de l'auteur (2) Il base son analyse sur l'utilisation au verset 9 du mot synthema qui désigne "l'union ‎dans la personne du Christ des deux natures divines et humaines" que Bernardi retrouve chez Grégoire dans ses discours (3), mais aussi chez Basile et Grégoire de Nysse.

(1) Jean Bernardi op. Cit p. 312
(2) ibid p. 305
(3) Grégoire de Naziance, Discours 29, 18 et 19