03 décembre 2006

Girard - Sotériologie - II

S'il est vrai que dans le Nouveau Testament, Jésus est victime d"une "injustice criante", René Girard dénonce comme Rahner le retour en arrière Anselmien qui rétablit la notion de bouc émissaire et à sa suite de nombreux autres boucs émissaires pour conjuguer la violence des hommes (Judas, juifs, sorcières...).
Pour Girard, les peuples païens n'avaient pas bénéficié de la pédagogie de l'ancienne Alliance et le choix de la non violence restait à faire (1)
Cette vision est critiquée par Balthasar qui considère que la synthèse de Girard est un système clos, purement scientifique ou la métaphysique est exclue. Il note cependant que Girard rejoint Barth pour qui l'analogia entis est l'invention de l'anté-christ. Pour Girard, le religieux est l'invention de Satan. Ce qu'Augustin nommait le désir naturel de Dieu (desiderium naturale in Deum) est chez Girard comme chez Barth totalement canonique. Il y a là des tensions si forte qu'aucuns drame ne se déroule plus pour lui, la violence est partout (2)
Il n'est plus question ici de péché mais d'hostilité et d'une certaine manière la culpabilité est devenue secondaire. Urs von Balthasar ne voit pas comment chez Girard le Christ réduit au rôle de bouc émissaire porterait le péché du monde sauf si le péché lui est prétendument imposé par les Hommes. Personellement je suis peut être plus proche de cette conception de Girard que de Balthasar sur ce point ou tout au moins entre les deux.
Pour Urs von Balthasar "que se passe-t-il, dans la réalité de la Croix, si l'on suppose que le fait de changer le Christ du péché du monde n'est qu'un défoulement psychologique et si on fait un Père non violent ne demandant rien qui puisse ressembler à un sacrifice d'expiation ?". "L'Eglise considère l'Eucharistie comme une actualisation du sacrifice de la croix dans lequel le Christ s'est offert pour l'humanité dès lors quel sens cela-a-t-il de présenter et d'offrir ce don du Christ au Père divin si l'on admet que celui ci, qui n'est plus un Dieu de l'Ancien Testament, ne saurait s'y complaire étant donné qu'il n'a jamais voulu la mort et moins encore ne l'a imposé à son Fils ?" (3) Pour Balthasar, avec Girard on n'a pas épuisé le problème posé par la justice, le jugement et la colère de Dieu.
A méditer, mais faut-il suivre Urs von Balthasar là dessus ? Je continue de buter sur cette notion d'un Dieu vengeur...

(1) Urs von Balthasar, DD III, Ibid p. 282
(2) p. 280 de "Des choses cachées depuis la fondation du monde, cité par Balthasar, ibid p. 285
(3) ibid

Balises : Girard, Sotériologie, Balthasar, bouc

01 décembre 2006

René Girard - dramatique et sotériologie

Pour Balthasar, Réné Girard voit le désir de l'homme illimité et sans objet définitif à l'intérieur d'un dynamisme mimétique. Le sujet désire l'objet parce que le rival lui-même le désire (..) Le désir est ainsi essentiellement mimétique (1).
C'est pourquoi la violence est là avant même le désir de l'objet. Pour le philosophe, la violence elle même valorise l'objet. (...) C'est dans l'accord spontané sur la victime que se produit le rétablissement de la paix de manière cathartique en ce sens que l'antagonisme négatif de la violence se mue en réciprocité positive. Faire sacrifice prend alors le double sens de rendre maudit et de rendre saint : la victime est tour à tour abaissée et exaltée.
Le rite offre ainsi la solution toute prête qui consiste dans le choix unanime de la victoire pour appaiser la violence divine. Il y a là répétition cathartique du drame originel de la victime émissaire (2)

Ce qui est frappant, finalement c'est l'éternelle actualité de cette analyse, où plusieurs milliers d'années après, nous reproduisons ces schémas, de la politique à notre environnement le plus proche. Se concentrer sur une victime pour appaiser notre violence.
En prenant sur lui cet abaissement et cette condition de victime, le Christ démonte le système. Sans le guérir, il ouvre une fenêtre vers la vérité, dévoile l'essentiel : le mal et l'amour.

(1) Hans Urs von Balthasar, DD III, ibid, p. 275
(2) ibid, p. 276 à 279

Balises : kénose, sacrifice, Girard, Balthasar

30 novembre 2006

Souffrance de Dieu

Pour Moltmann, quand le Fils souffre jusque dans la mort, le Père souffre de la mort de son Fils. Car Dieu sans souffrance ne pourrait être le Dieu de ce monde. Cela rejoint pour Balthasar (p. 270) les expressions du pathos de Dieu dans l'Ancien Testament.
Je retrouve ici ce que j'avais aimé dans La souffrance de Dieu chez Varillon. C'est probablement un anthropomorphisme, mais cela prend sens et donne à Dieu un "toujours plus" dans sa miséricorde... Peut on être amour sans souffrance ?

28 novembre 2006

Partager notre peine... et dévoiler la faute...

Pour Saint Augustin, "Jésus, nous ayant trouvé dans la peine et la faute a pris sur lui la peine seulement mais nous a sauvé de l'un et de l'autre" (1), j'aime cette vision du "pro nobis" qui évite une sotériologie trop doloriste... Il a partagé nos souffrances et ce faisant montré l'impasse de toute violence.

(1) Cité par Balthasar, ibid p. 265

24 novembre 2006

Colère de Dieu

La notion de drame implique-t-elle pour autant d'introduire la colère de Dieu. Ce concept continue de m'interpeller chez Balthasar... Peut-être suis-je trop contaminé par Rahner ? Est-ce que le mal de l'homme doit avoir sa contrepartie dans la colère de Dieu. Certes, elle transpire sans cesse dans l'Ancien Testament, mais je continue de penser qu'il s'agit d'un anthropomorphisme...
Et pourtant, l'amour peut-il être sans une colère intérieure, une violence contenue... Comment interpréter l'apocalyse... ? Comme un récit d'histoire nous dit Théobald, où comme un récit téléologique comme l'interprète Balthasar ?
A suivre...

23 novembre 2006

Sotériologie chez Rahner et Balthasar - III

"Si en la réalité de Jésus, en laquelle et par engagement et acceptation, l'autocommunication de Dieu se fait à toute l'humanité et (...) est réellement insurpassable, alors il faut dire qu'elle n'est pas seulement posée par Dieu, mais qu'elle est Dieu lui-même" (1)

Là, pour Urs von Balthasar la visée transcendentale de l'homme et la révélation de Dieu finissent par se rejoindre dans Karl Rahner au point qu'il y a identité entre anthropologie et christologie . La Trinité ne peut jamais s'éclairer qu'à partir du mouvement transitif de Dieu dans lequel il manifeste "3 modes de présence" (2)

Pour Urs von Balthasar, cela conduit à la critique suivante : "Il n'est pas montré clairement si le mouvement transitif de Dieu, où il se manifeste, contient la totalité du mouvement imanent (...). Cela reste un discours abstrait dont la seule fin est de souligner la liberté de communion de Dieu"

Pour moi, Balthasar a partiellement raison, dans la mesure où le discours rahnérien a des accents utopiques et exclut en quelque sorte le réel, au delà de l'idéal humain, d'une humanité déchirée, divisée, en proi à la souffrance et au mal, au non amour et sur laquelle la thèse de l'auto-communication risque de rebondir comme l'eau sur les ailes d'un canard...
Et Urs von Balthasar de conclure que "finalement, à la sotériologie de Rahner (...) il manque le facteur dramatique décisif. Cela se manifeste aussi en ce que la "colère de Dieu" est toujours surpassée par sa volonté de salut; et celle-ci est-elle même toujours au delà de tout refus humain et négation de Dieu : à la limite, dit-il, "n'irait-t-on pas jusqu'à l'apocatastase" ? (3)


(1) Rahner Traité fondamental de la Foi p. 231, cité par Balthasar, ibid p. 256
(2) Rahner Traité fondamental de la Foi p. 162, cité par Balthasar, ibid p. 257
(3) p. 258

22 novembre 2006

Sotériologie chez Rahner et Balthasar - II


D'après Balthasar, Rahner rejette toute idée de substitution et évite d'accentuer la souffrance de Jésus mais met l'accent sur la mort "c'est de la mort que tout ce qui est catégorial s'efface, le monde disparaît et le sujet libre s'en remet irrévocablement (pourvu qu'il veuille) à Dieu (1)
Pour Rahner : "la mort de Jésus est la conséquence inévitable de la fidélité à sa mission et en obéissance à ce que Dieu lui demandait" (2)
Il y a pour moi comme unetension à trouver entre une vision un peu utopique rahnerienne et ce que je pourrais qualifier de relent janséniste chez Balthasar. La souffrance du Christ n'est pas à mettre en avant comme une incitation à souffrir mais comme un chemin particulier à laquelle notre amour nous conduit et que nous sommes appelés à transcender par amour et en communion. Le risque serait de retomber dans la vision d'un Dieu-colère comme celle qui transparaît dans Job, sans voir en quoi le Christ n'est pas bouc émissaire de Dieu, mais comme le dit Girard lieu de cristalisation du péché de l'homme et lieu d'expérience, d'incarnation mais aussi de dépassement par Dieu, en Dieu... Les écueils sont visiblement nombreux sur ce chemin d'interprétation... Pour K. Rahner cependant, note Urs von Balthasar, toute dévotion à la passion sont à dépasser si l'on ne veut pas manquer l'essentiel (2) Qu'est-ce à dire : un dolorisme qui oublie de s'ouvrir à la grâce et son auto-communication ?
A méditer et à travailler...
J'ai conscience que j'invite le lecteur sur un chemin complexe, que je ne maîtrise pas moi-même, et j'invite encore une fois à la lecture du texte original... (Chemins de lecture est un lieu de défrichage...)

Balthasar, ibid p. 253
Balthasar, citant le Traité fondamental de la foi, p.280-1, p.254

Balises : Rahner, Balthasar, Sotériologie

21 novembre 2006

Sotériologie chez Rahner et Balthasar

Balthasar présente dans ces pages la position de Rahner qui rejette la manière courante d'interpréter le pro-nobis et d'abord celle d'une expiation. Pour Rahner cela "réduit à l'extrême la valeur du hyper hêmon ["pour nous" selon Rom 8,32] paulinien et cela de façon purement arbitraire". Pour lui il faut revenir plutôt à l'expérience pascale des disciples G. 261 (TFF 299) (1)
Pour Balthasar il s'agit cependant d'une "grande dépréciation de tout ce qui fait pratiquement la grande théologie du Nouveau Testament, celle d'où l'Eglise de tous les temps, non seulement les simples, mais surtout les grands saints, ont tiré leur spiritualité" (1)
Il note que pour Rahner, le Jésus pré-pascal n'a pas forcèment interprété sa mort comme un sacrifice d'expiation. Il souligne par ailleurs que pour K. Rahner, la thèse de l'immutabilité divine, d'un "Dieu ne pouvant changer de dispositions est toujours déja réconcilié c'est-à-dire que dans son offre de grâce est incluse cette volonté de pardonner les péchés et de justifier l'homme (TFFoi p. 139ss). (2)
Nous reviendrons là dessus. Personnellement, même si j'ai toujours été fasciné par le travail de Balthasar, j'avoue que là dessus, je rejoins encore Rahner dans son analyse... Mais ce serait préjugé de la suite de la lecture...

La notion du Dieu vengeur continue de me déplaire. Je préfère celle d'un Fils de Dieu qui aime envers et contre tout...

Mais le "pour nous" interpelle et mérite que l'on avance dans la lecture...

(1) Balthasar, ibid p.249
(2) ibid p. 251

La maladie du chrétien

Je vous confie ce texte d'Y. Congar, cité par Magnificat... :
"Aujourd'hui, après quarante ans de sacerdoce, quarante-cinq de vie religieuse, après avoir beaucoup réfléchi et prêché, je crois m'être approché d'une position (...) [ou] « Dieu » est absolument premier mais il est « Père de Jésus Christ, notre Seigneur », cela dans ma pensée dogmatique et dans ma prière, si j'ose employer d'aussi grands mots pour des choses qui sont chez moi médiocres. Mais, s'il s'agit de ma vie telle que j'essaie de la mener au milieu des hommes, avec eux et pour eux, alors Jésus Christ qui en est la lumière et la chaleur par son Saint-Esprit, le mouvement. Chaque jour, il m'interpelle. Chaque jour, il m'empêche de m'arrêter. Son Évangile et, son exemple m'arrachent à la tendance instinctive qui me retiendrait lié à moi-même, à mes habitudes, à mon égoïsme. Je lui demande de me faire cette miséricorde de ne pas me laisser à moi-même lié à ma tranquillité égoïste. Et je vérifie la vérité du mot d'Ibn Arabi : « Celui dont la maladie s'appelle Jésus ne peut pas guérir."
Yves Congar.

19 novembre 2006

Controverse - Sotériologie - VII

A la notion d'échange apporté par les Pères de l'Eglise (commercium), Anselme introduit idée du rachat. Cette idée est rejetée par Saint Thomas dès le départ. Pour lui, il n'y a pas de prix de rachat à payer aux Puissances ou d'une action pénale venant satisfaire la colère divine. Pour Balthasar cependant, Saint Thomas a une vision pâle de la passion qui ne sent pas l'abandon par Dieu comme le coeur de la Passion.
J'avoue avoir toujours eu la même réaction et cette lecture m'interpelle, ce qui n'est pas nouveau. Là encore, il faut percevoir l'ensemble de l'exposé de Balthasar pour percevoir son cheminement de pensée... Afin de ne pas morceler ce chemin de pensée, j'ai décidé de réunir sur Chemins, une analyse plus complète de la sotériologie balthasarienne, telle que je la perçois, et non comme une vision objective et scientifique, mais comme un ressenti personnel, un chemin de lecture que je vous invite à parcourir, à défaut de vous plonger dans le texte intégral...

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3 L'action, ibid p. 239
Voir sur ce thème : Théologie Balthasar Sotériologie

18 novembre 2006

Assumé nos péchés - Sotériologie - VI

Pour Ambroise, le Christ a assumé nos péchés non dans leurs effets mais dans leur réalité. Il a ainsi porté les conséquences du péché.
Pour Jean Damascène, c'est non en tant que lui-même qu'il aurait été ou serait devenu malédiction mais en tant qu'il a assumé le rôle (prosôpon) et s'est mis à notre place. C'est dans ce sens qu'ont les mots : "il est devenu pour nous malédiction".

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3 L'action, ibid p. 228
Voir sur ce thème : Théologie Balthasar Sotériologie

15 novembre 2006

Miséricorde volontaire - Sotériologie - V

Augustin parle d'une miséricorde volontaire : "il assume les passions de l'âme, par exemple la crainte de la mort à Gethsémani, comme des "mouvements de la faiblesse humaine en vertu d'une miséricorde volontaire" (...) il n'avait pas à être tenté (...) ni à craindre la mort, mais il éprouve la crainte de la mort, de la tentation et de l'abandon "en nous" pour nous..."
On perçoit qu'il ne s'agit pas là d'une auto-flagellation, mais d'un vivre-avec, de ce qui constitue l'amour véritable, comme l'élan de la mère qui veut souffrir avec son enfant (ce qui est d'ailleurs la réponse de sa mère : le oui de Marie à Gethsémani, humble et présent...).

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3 L'action, ibid p. 226
Voir sur ce thème : Augustin Balthasar Sotériologie

13 novembre 2006

Consumer... Sotériologie - IV

"Il veut consumer ce qui est mauvais en moi, comme le feu consume la cire ou dissipe la lumière tandis que grâce à un tel mélange je deviens participant de sa bonté (Or 30 PG 36 108C - 109 C) Grégoire de Naziance. En cela, il joue notre rôle, s'insère dans le drame (dramatourgeita). Balthasar rappelle plus loin que le premier sens de drame c'est l'action. Il ne s'agit donc pas d'un Dieu abstrait, mais d'un spectateur engagé..

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3 L'action, ibid p. 225
Voir sur ce thème : Théologie Balthasar Sotériologie

10 novembre 2006

Né pour nous... - Sotériologie - III

C'est afin de pouvoir mourir que Dieu a accepté de naître (Grégoire de Nysse - Or Cat 32,3)
Il ne s'agit pas en cela d'un parachutage de Dieu, Deux ex machina qui fait semblant de vivre et fait semblant de mourir. Mais bien la descente kénotique et discrète de Dieu en l'homme, miracle de l'incarnation de l'infini dans la contingence pour nous ouvrir à l'au-delà de nous...

Balise : Kénose

08 novembre 2006

Admirable échange - Sotériologie - II

Cyprien décrit bien la notion d'échange: "Ce qu'est l'homme, le Christ voulu l'être afin que l'homme puisse être ce qu'est le Christ". Et cette notion me permet d'insister sur la double nature du Christ : vrai homme et vrai Dieu, sans laquelle cette affirmation n'a pas sa pleine portée.

(1) d'après Hans Urs von Balthasar, Dramatique Divine, 3 L'action, ibid p. 218-220
Voir sur ce thème : Théologie Balthasar Sotériologie