28 octobre 2020

Homélie pour la Toussaint - v4

Homélie pour la Toussaint 


Projet 4

Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d'où viennent-ils ? »


Qui sont les saints d'aujourd'hui ?

L'Évangile répond à sa manière à la question posée dans l'Apocalypse, mais avant de contempler les béatitudes je vous propose de méditer sur la réponse donnée par Jean : 

 Ce sont ceux qui « viennent de la grande épreuve ;

« ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l'Agneau. »

La sainteté la plus visible est celle des souffrants qui résistent au désespoir et ont mis en Christ leur force. Non parce qu'ils sont resté forts - qui peut l'être quand la souffrance nous assaille ? - maïs parce qu'ils sont restés debout, droits, en dépit de ce qui les a terrassé.

Alors me vient à l'esprit de nombreux visages, innombrables de personnes qui autour de moi sont rayonnants en dépit de la souffrance, cette hancippée qui garde en elle la joie de Dieu alors que son corps n'est que douleur, cette mère de famille qui se lève toute les nuits depuis 30 ans pour son enfant malade...


Pourquoi Seigneur ?

La question mérite d'être posée même si elle n'a pour seule réponse que ce signe élevé sur le bois de La Croix...


« L'homme au cœur pur, aux mains innocentes,

qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,

et de Dieu son Sauveur, la justice.

Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! » nous dit le psaume.


Le pape François les appellent à juste titre les saints de la porte d’à côté. 


« Heureux les pauvres de cœur,

car le royaume des Cieux est à eux.

    Heureux ceux qui pleurent,

car ils seront consolés.

    Heureux les doux,

car ils recevront la terre en héritage. »


Chacune des béatitudes est une réponse et l'on se sent bien petits pour ajouter quoi que ce soit au texte.


Pourquoi cette souffrance ?

Jean ne répond pas...?

Mais il trace un chemin d'espérance « nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté.

Nous le savons : quand cela sera manifesté,

nous lui serons semblables

car nous le verrons tel qu'il est. »


Notre chemin et notre espérance n'est pas dans la recherche de la souffrance mais dans cette traversée subie de ce qui viens à nous, sans que nous l'ayons demandé...

Alors nous verrons Dieu comme Moïse au bout de sa longue marche au désert (cf. Ex 34) et notre visage sera illuminé.


Heureux les cœurs purs,

car ils verront Dieu.

    Heureux les artisans de paix,

car ils seront appelés fils de Dieu.

    Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,

car le royaume des Cieux est à eux.


J’aime contempler cette belle peinture de Fra Angelico qui montre les anges en train de danser au Paradis. Illusion ou espérance ? Les béatitudes nous introduisent au renversement de toute tentation de pouvoir, de valoir ou de savoir. Le royaume est pour les petits...


Et notre chemin est d’avancer sur cette route et passer par la porte étroite de ceux qui répondent par leur vie à l’appel discret et insistant de l’où-es-tu ? de Dieu.


La fête de là Toussaint, comme le glisse une amie est notre fête, celles de tous ceux qui désirent marcher à la suite de Celui qui a tracé le Chemin et qui nous conduira vers cette danse des bienheureux qui est notre espérance.




Version pour la messe des jeunes :
Questions à affiner...

Aimez vous vos parents ?
Aimez vous vos frères et sœurs autant que votre maman ?
Aimez vous vos copains de classe de la même manière ?
Même celui qui vous embête ?
La sainteté est la fête de ceux qui ont aimé jusqu’à leurs ennemis 
Voulez vous avancer dans cette direction ?
Qui va vous aider à cela ? 

 

19 septembre 2020

L’infini de Dieu - Homélie du 25eme dimanche année A

L'infini de Dieu - Homélie du 25eme dimanche année A
Qui sommes-nous pour juger les choix de Dieu ?
La méditation des textes de ce dimanche nous conduit vers quatre grandes réflexions : immensité, miséricorde, humilité et vigne
Immensité ou infini, c'est d'abord ce à quoi nous conduit Isaïe 55 : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins ». Je le disais en introduction les voies de Dieu sont insondables et son amour dépasse nos limites humaines.
Par la parobole d'aujaudhui, Jésus nous dévoile une partie du mystère et nous ne pouvons que contempler cet amour infini. C'est aussi la contemplation du salaire donné : une pièce d'argent... c'est le salaire officiel au temps de Jésus pourtant, vous l'avez compris dans la Parabole ce salaire n'est qu'une figure de l'infini de Dieu, c'est l'accès au Royaume. Cet accès il est offert à tous... c'est peut-être cela l'infini de Dieu, l'infini de l'amour de Dieu

Le deuxième mot clé c'est la miséricorde : celle de Dieu est aussi infinie. Elle s'exerce pour les premiers comme pour les derniers. Elle vise les fidèles mais court également vers les brebis perdues. Dieu ne veux pas la mort du pècheur mais qu'il vive....nous disait déjà Ezéchiel.
Dans un beau texte, un des plus anciens de la Bible le livre d'Osée le prophète nous parle d'un retournement intérieur de Dieu. «Comment te délaisserais-je, Mon coeur se retourne en moi, et toutes ensemble, mes compassions s'émeuvent.»Osée‬ ‭11:8‬‭ [à développer...] C'est cette miséricorde là qui se révèle dans la parabole d'aujourd'hui. Prenons le temps de la contempler à la lumière de nos failles les plus intérieures...
Cela nous conduit au troisième mot clé : l'humilité... où sommes-nous dans l'ordre de départ... pas forcément dans les premiers ou alors en apparence... l'évangile nous interpelle à la fois dans nos jugements sur autrui (// à faire avec le frère ainé du fils prodigue en Luc 15) comme dans une contemplation plus intérieure sur notre participation réelle au travail de la vigne....
mercredi soir j'arrivais épuisé du travail de la journée et je n'ai pas su sauter de joie quand l'un d'entre-vous m'a appelé pour ajouter une nouvelle réunion à mon week-end déjà blindé. Pardon Seigneur...
La vigne a besoin de nous. Le salaire est le même pour tous... il n'y a pas d'ascenseur pour le Royaume si ce n'est les bras du Seigneur miséricordieux nous dit la petite Thérese Retroussons les manches dès aujourd'hui... pas à la dernière heure...
« Si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c'est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. »Ph. 1....
Ce texte est à lire jusqu'au ch.3... une course sans fin...

Vient alors la contemplation du quatrième mot de ces textes la vigne... quelle belle image que nous allons méditer encore pendant deux autres dimanche. La vigne est par excellence l'invitation de Dieu à danser avec lui. Cela demande de nous nourrir aux deux tables de la parole et du pain, mais également de comprendre que rien ne porte du fruit si elle ne nous vient de la sève divine. Nous sommes des sarments inutiles si nous oublions cela...
Donne nous Seigneur la force de travailler à ta vigne...

18 septembre 2020

Homélie de Mariage - 19/9/20 et baptême de S.


Le début des textes que vous avez sélectionnés met la barre haute et je dois dire que je suis impressionné par cette sélection. « Vous avez été choisis par Dieu » dit saint Paul. C'est à la fois étrange d'entendre cela deux mille ans plus tard et pourtant, dans ce chemin que vous avez parcouru tous les deux, depuis votre rencontre jusqu'à cette maison, cette petite Salomé qui fait votre bonheur, il y a bien quelque chose d'unique qui s'est tissé entre vous deux. 

Je me souviens de notre première rencontre de ce que vous avez pu dire de l'autre, du pourquoi de ce mariage que vous avez tenu à célébrer malgré les contraintes extérieures. Continuez à avancer... vous êtes sur la bonne voie....et méditez à nouveau ces textes que vous avez choisi...

« Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d'humilité, de douceur et de patience.

Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. «  dit encore la première lecture. C'est un sacré chemin...

« Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. »

Cette phrase de Paul interpelle. M'interpelle... nous l'avons vu ensemble, dans le texte dit du Fils prodigue le pardon n'est pas simple... il est presque impossible à l'homme...

Et pourtant, si vous êtes là aujourd'hui dans cette église, c'est peut-être parce que vous sentez que seul Dieu vous donnera cette force...

Aimer jusqu'au bout est impossible à l'homme. Il est possible avec Dieu, en Dieu ?

Qu'est ce que cela veut dire ?

Peut-être que les jours où ce sera plus dur entre vous ( et il y en aura, j'ai 34 ans au compteur, je sais de quoi je parle), une seule chose permet d'avancer : croire que l'amour est plus fort. Croire que l'amour que vous avez construit est fondé sur celui qui aime jusqu'au bout, jusqu'à la mort...

Peut-être reviendrez vous un jour ici, ou en passant de temps en temps à Nonancourt vous souviendrez vous de cela… L'amour qui va jusqu'au bout est au cœur de votre oui… Si vous choisissez tout à l'heure de prononcer ce oui pour la vie, c'est pour proclamer au monde que c'est de cet amour là que vous voulez vivre… Et si vous le vivez chaque jour, si votre oui se conjugue tous les matins dans des gestes d'attention de tendresse et de patience alors vous deviendrez ce que dit l'évangile : vous serez le sel de la terre....


Alors comme le dit le psaume « l'amour du Seigneur,

sur ceux qui le craignent, est de toujours à toujours,

et sa justice pour les enfants de leurs enfants,

pour ceux qui gardent son alliance » sera votre chemin... Aujourd'hui n'est que le premier jour d'un long chemin. Au bout du voyage est la joie véritable, celle que vous entrevoyez déjà dans vos étreintes et la symphonie qui se tisse en vous, est un aperçu de cette tendresse qui vous habitera jusqu'au bout si vous poursuivez dans la direction prise aujourd'hui 

Amen

 ——

vous venez de prononcer des phrases qui vous unissent par les liens indissolubles du mariage… Il n'est pas anodin que pour le baptême de S. vous choisissiez un texte qui évoque le fait de faire un seul corps. Je serais bref, mais je veux souligner cela : faire un seul corps, ce n'est pas fusionner en une bouillie où chacun disparaît mais au contraire se trouver multiplié par l'amour qui vous réunit. Vous vous rappelez peut-être l'image des sept réservoirs que nous avons évoqué ensemble. Tout part de l'idée que la force de votre amour sera rayonnement pour le monde... lumière... amour qui se diffuse et devient fécond. 1 plus 1 égal trois... Salomé... mais plus encore entrer dans la dynamique de l'amour c'est former une communauté...

Par le baptême de S. vous participez à cette dilatation du cœur... cela implique des renoncements. Vous alllez l'exprimer tout à l'heure... choisir d'aimer c'est renoncer..., vous allez devoir conduire S. sur ce chemin... lui apprendre la tendresse, la patience, ce qui est justement renoncement... 

mais c'est l'enjeu même du Bapteme comme celui du mariage : être plongé dans la mort de tout ce qui nous entrave pour découvrir la force de l'amour qui vient de Dieu. Sur ce chemin le Christ est signe : il est le chemin la. Vérité et la vie... qu'est ce à dire ? Vous vous êtes engagés à aider S. à comprendre cela. Il vous faudra retrouver en vous, avec l'aide des parait et marraine choisi, ce qui est essentiel, pourquoi le Christ est chemin... pourquoi son amour est au cœur, est le centre... en marchant dans et pour l'amour vous serez le sel et la lumière pour S.

05 septembre 2020

Évangélisation...- 5


Ma lecture du texte cité de Michel Rondet dans le billet précédent s'inscrit dans la même lignée que la contemplation d'un Dieu « agenouillé devant l'homme(*) » depuis « l'où es-tu ? » lancé par Dieu au Jardin de Gn 3, alors que l'homme cherche la puissance jusqu'au « donne-moi à boire » de Jésus à la Samaritaine.



« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (Jn 4, 5-6) Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, n'est pas un lieu anodin. Il s'insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d'Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine… Et dans cette évocation, l'évangéliste nous introduit au sein même de toute la recherche entre Dieu et l'homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l'histoire de la faiblesse de l'homme.
Dans la tradition biblique, le puits ou la source (selon la traduction littérale « du grec) fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d'une certaine manière, sa reprise par l'évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d'autres passages porteurs de sens.
Puiser l'eau du puits est l'acte emblématique qui établit une alliance dans l'Ancien Testament. On retrouve ce récit dans la rencontre du serviteur d'Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l'alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d'épouser à nouveau l'humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l'importance pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires de cette rencontre et des déplacements auxquels l'évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l'évêque d'Hippone, jusqu'à une méditation des fiançailles du Christ avec l'Église païenne symbolisée par la Samaritaine.
Dieu a soif de voir grandir ces « semences du verbe plantées loin de ses frères juifs, semble dire Jean en écho aux méditations de Jésus devant la syrophénicienne chez Matthieu.
 Derrière cette évocation résonne également l'appel d'un des textes les plus anciens de l'Ancien Testament, celui d'Osée, où Dieu invite le prophète à « reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d'accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au cœur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Osée 2, 16).
Comme nous l'avons souligné, le texte grec ne parle pas d'ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d'une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.
D'autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d'Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l'homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l'autre. C'est en bas de la tour d'orgueil, dans la soif d'une rencontre que se trouve la source vive.
En deux phrases nous voici plongés dans le cœur même de la pastorale de l'Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s'agenouille devant l'homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l'homme et qui s'assoit pour tenter une ultime rencontre. « Saint Augustin, dans son commentaire sur Jean[traité 15] commente ainsi l'attitude du Christ : « Jésus est venu, il est venu près d'un puits, c'est-à-dire qu'il s'est humilié; il s'est fatigué à venir, parce qu'il s'est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce que c'était le sixième âge du monde. Il est venu près d'un puits, parce qu'il est descendu jusque dans l'abîme qui faisait notre demeure. C'est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l'abîme, Seigneur, j'ai crié vers vous». Enfin il s'est assis près d'un puits, car je l'ai dit déjà, il s'est humilié.  Augustin note par ailleurs que « Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang ». Le « donne-moi à boire » fait résonner alors plus encore ce que l'on peut interpréter comme un « j'ai soif de votre humanité », que nous entendrons à nouveau dans le cri du Christ en Croix. Le « J'ai soif » est le dernier cri lancé au monde avant que ne jaillisse de son sein, comme en retour, le fleuve d'eau et de sang, geyser d'amour qui inonde le monde.

Cette lecture se poursuit jusqu'à ce qu'elle soit portée à son paroxysme dans la théologie de la joie gauche ou l'agenouillement devant Judas. C'est la contemplation d'un Dieu miséricordieux qui n'impose pas une morale, mais croit en l'homme, n'arrache pas l'ivraie, mais contemple le grain qui pousse, ne juge pas la femme adultère mais l'invite à se relever.
Cette lecture n'est pas celle du prosélytisme conquérant, du moralisme pharisien, du juge qui abuse de son autorité, du clerc certain de sa supériorité sur le laïc. Elle est, pour moi, dans le jusqu'au bout de la kénose (Ph 2) : « Il n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'est fait serviteur, [en grec : ekenosen : il s'est vidé de lui-même/ dépouillé/ humilié dans un « j'ai soif » qui s'étend de Gn 3 à Jn 19, dans un « donne-moi à boire » qui résonne de Jn 4 (Samaritaine) au « j'ai soif de toi » que lit Mère Teresa...
Je pourrais continuer à explorer et contempler cela pendant des années, mais il est temps pour moi de rentrer dans le silence, car c'est au fond du cœur de l'homme que cette conversion doit se faire. Et qui suis-je pour oser dire comme Irénée, Varillon ou Zundel que « la gloire de Dieu est l'homme vivant ».
Quelques lecteurs m'ont demandé où et comment comprendre cette théologie particulière. Elle est offerte gratuitement à votre contemplation dans ces quatorze et quelques ouvrages qui ont construit ma foi. Il est temps que je me taise. j'ai trop parlé. La bruit d'un fin silence suffit, ouvrez vos portes au courant d'air, creusez en vous cet appel discret d'un Dieu agenouillé...
C’est pour cela que j’ai répondu au bout de 25 ans à l'appel au diaconat. Je crois dans la « pastorale de l'engendrement » de Bacq et Theobald, au fait que « l'évangile sauvera l'Église » de Moingt et en l'importance du « retour au centre » qu'est le Christ de Hans Urs von Balthasar.
Ma morale est vectorielle. Elle prend chacun là où il est et l'invite à faire un pas en avant. Qu'il soit au fond du gouffre ou près de la crête. Chacun est invité au fond de son cœur à entendre la plainte d'un Dieu souffrant, et assoiffé de notre amour. C'est dans « le rideau déchiré » (*) que se révèle le mystère, c'est en levant les yeux sur un corps décharné que l'on aperçoit sa fragilité.
L'office des lectures a cette nuit le dernier mot.

Comment es-tu foyer de feu
   et fraîcheur de la fontaine,
une brûlure, une douceur
   qui rend saines nos souillures ?

Comment fais-tu de l'homme un dieu,
   de la nuit une lumière,
et des abîmes de la mort
   tires-tu la vie nouvelle?

Comment la nuit vient-elle au jour ?
   Peux-tu vaincre les ténèbres,
porter ta flamme jusqu'au cœur
   et changer le fond de l'être ?

Comment n'es-tu qu'un avec nous,
   nous rends-tu fils de Dieu même ?
Comment nous brûles-tu d'amour
   et nous blesses-tu sans glaive ?

Comment peux-tu nous supporter,
   rester lent à la colère,
et de l'ailleurs où tu te tiens
   voir ici nos moindres gestes ?

Comment de si haut et de si loin
   ton regard suit-il nos actes ?
Ton serviteur attend la paix,
   le courage dans les larmes !

(*) pour lire À genoux devant l'homme (dont est tiré un extrait de ce billet), Dieu agenouillé, Retire tes sandales, Le rideau déchiré, Humilité et Miséricorde, Serviteur de l'homme, Pédagogie divine, Les chemins du désert, Dieu n'est pas violent, ou la Pastorale du Seuil, pour ne citer que 9 des 14 livres évoqués, suivez cette piste... : http://chemin.blogspot.com Je ne suis pas aussi prolixe que Teilhard mais j'y travaille... la piste vous conduira aussi à des romans offerts à ceux qui ont peur de la théologie et de « ses gros mots » et préfèrent un récit : d'une Perle à l'autre (800 pages) ou « le vieil homme et la brise » (80 pages) sont les meilleures pistes. Tout est offert gratuitement en numérique chez Kobo ou en papier à prix coutant chez Amazon. Bon vent. Ces livres sont auto-publiés, ceux qui portent mon nom aux éditions de L'Atelier ou chez Bayard sont épuisés. Je vais de mon côté chercher à suivre « celui qui m'a saisi et tacher de le saisir » (Ph. 3) en essayant de moins parler mais d'agir dans la périphérie où mon évêque m'a envoyé.


Communion et évangélisation - 4

Dans la lignée des billets précédents je m'interroge toujours sur les moyens disponibles pour permettre à ceux qui cherchent Dieu d'accéder à notre Église.

Ces voies sont peu nombreuses et parmi ce que j'ai recensé, il me semble pas, sauf erreur, que la participation à nos eucharisties aujourd'hui masquées soit le lieu le plus propice, pour les raisons évoquées dans les billets précédents mais que je compléterai ici plus en détail.
Si pour moi l'eucharistie a maintenant une place centrale, c'est bien le fruit d'un très long cheminement.
Chretien convaincu et pratiquant régulier, je suis passé par bien des étapes depuis le jour où j'ai osé dire à mon père que je ne voulais plus y aller le dimanche. Si j'y suis retourné c'est plus librement. Pour autant il m'a fallu aller jusqu'à une licence de théologie pour comprendre le sens de bien des gestes et symboles que l'Église a accumulé dans sa liturgie.
Auparavant je devais plutôt subir que comprendre, entendre qu'écouter et plus vibrer à certains chants et sourires qu'aux gestes et aux fastes vieillots de nos messes.
Depuis que certains mystères de cet immense sacrement me sont accessibles je ne prétend pas en avoir fait le tour et je dois avouer que l'essentiel est invisible à nos yeux. L'Esprit travaille par des chemins innombrables. Et cependant je m'interroge et vous interroge.
Comment un non croyant peut-il percevoir la finesse des gestes et des paroles sans une longue éducation au mystère ?
Je ne nie en rien le fait que s'y cristallise un extraordinaire « faire mémoire » comme le dit sit bien J.B. Metz.
En tout cas, je doute et ne crois pas, personnellement, au bien fondé des initiatives qui consistent à inviter des gens « au seuil de notre Église » à participer trop vite à une messe dominicale, sauf peut-être si elle rayonne d'une telle fraternité que l'émotion fasse fondre les cœurs...(cf. billet précédent) (j'exclut bien sûr les grands événements comme les JMJ et autres qui l'intègrent dans un package plus large).
Il y a un apprivoisement nécessaire.

Rappelons déjà ce que disait Michel Rondet sj à ce sujet il y a 23 ans, un texte qui n'a cessé de m'habiter :
« Pendant des siècles, notre pédagogie spirituelle s'est appuyée sur une tradition, reçue et transmise, qu'il s'agissait d'ouvrir à l'expérience spirituelle. On partait de la tradition reçue pour tenter de faire vivre une expérience.
Aussi sommes-nous désarmés lorsque nous nous trouvons face à une expérience qui a sa valeur, son dynamisme, mais ne dispose d'aucun repère pour se comprendre et se développer. Qu'est-ce qui m'arrive ? Suis-je le premier à vivre de tels états ? Est-ce que je ne suis pas sur le bon chemin ? Questions angoissantes que rencontrent vite les nouveaux chercheurs de sens et qui les conduisent à aller frapper à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?
Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l'on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.
Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? » [1]

L'enjeu premier d'une rencontre, c'est de défaire sa ceinture, de poser son sac et de dire : «  voilà, je ne sais encore rien, je ne sais rien de vous. Vous cherchez à être plus aimant dans votre vie de parents, de couple(*), parlons-en, essayons de creuser ensemble ce qui nous semble important. Nous pouvons ensemble chercher un chemin. Nous avons peu de provisions de route, si vous le voulez, nous les partagerons avec vous. Mais nous ne détenons pas la vérité. Essayons de reconnaître ce qui est important pour chacun au-delà de nos différences, essayons de partager nos quêtes intérieures et laissons Celui qui nous habite, au Nom de qui nous sommes réunis, transformer notre pain de froment en pain de vie, notre sueur en vin de noces », en espérant intérieurement que Dieu, qui est là, au cœur de ces rencontres, fera jaillir une source.
L'enjeu est un accompagnement, une marche où l'on accompagne, on explique, non dans la position du savant, mais plutôt dans celle du marcheur comme Jésus sur le chemin d'Emmaüs :
Or, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un bourg, nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.(...) " Et lui leur dit : " O (hommes) sans intelligence et lents de cœur pour croire à tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire ? " Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. Ils approchèrent du bourg où ils se rendaient, et lui feignit de se rendre plus loin. Mais ils le contraignirent, disant : " Reste avec nous, car on est au soir et déjà le jour est sur son déclin. " Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent ; et il disparut de leur vue. Alors ils se dirent l'un à l'autre « Notre cœur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ? » (Év. selon saint Luc, Chapitre 24, 13-31)
Le Christ est un compagnon qui sait s'effacer ensuite, « pour laisser advenir, en ceux et celles qui le suivent, sa propre relation à son Père »[2].
Pour C. Théobald « ceux qui ont commencé par le suivre avec leurs pieds doivent comprendre où il demeure (Jn 1, 38) s'ils veulent aller au bout de leur désir pour passer ainsi à une relation symétrique de compagnonnage ou d'amitié avec lui ».[3]
C'est ce concept de compagnonnage qu'il serait bon de méditer

J'aime sur ce point l'hymne de la FICPM dont j'ai défendu les couleurs pendant des années : « Je voudrais qu'en vous voyant vivre les hommes puissent dire, voyez comme ils s'aiment »...

Tout discours est dangereux et il nous faut savoir aussi avoir l'humilité de nous taire, ce que je ne vais pas tarder à faire.

Dans son analyse publiée sous le titre Le Pèlerin et le converti[4] Danièle Hérvieu Léger propose un classement des « identifications  religieuses» selon 4 pôles. Comme toute étude sociologique, il s'agit de types et donc de caricature. Quels sont ces types ? :
a) il y a d'abord le pôle communautaire : « qui définissent les frontières du groupe religieux et permettent de distinguer «ceux qui en sont» de «ceux qui n'en sont pas[5]». Cette dimension communautaire renvoie par exemple au fait d'être baptisé, considéré comme un « marqueur » distinctif.
b) Le deuxième est le pôle éthique : qui rassemble, autour des valeurs portées par tradition religieuse, les valeurs indissociables de la portée universelle du message religieux. Elles peuvent être appropriées indépendamment du communautaire (don de soi, générosité, sans être dans un marqueur communautaire).
c) La troisième identification est la dimension culturelle : les savoirs, liés à une culture particulière, qui rapprochent ceux qui les détiennent sans qu'ils partagent pour autant les valeurs et les marqueurs (par exemple quelqu'un qui est de racine juive sans être fidèle ou croyant d'une foi...)
d) Il y a enfin la dimension émotionnelle (expérience affective des fidèles qui touche au cœur de l'identité religieuse. Le pôle émotionnel fait que l'individu ressent son adhésion personnelle à la foi...)

On ne peut pas dire que ceux qui arrivent de très loin et rentrent dans nos églises appartiennent au premier, voire au deuxième type, sauf exceptions. La question qui demeure est de savoir si le troisième ou quatrième type peut se convertir dans nos célébrations, j'en doute. Mais peut-être doit-on croire au travail de la grâce et là encore à nos capacités d'accueil...

Restons vigilants et laissons pousser le grain sans arracher l'ivraie.


[1]     Michel RONDET s.j., La Baume-les-Aix, Études Fév 97
[2] Une Nouvelle Chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, publié sous la direction de P. Bacq et Christoph Théobald en 2004 chez Lumen Vitae/Novalis/Editions de l'Atelier, p.70
[3] Christoph Théobald , in La Révélation, Editions de l'Atelier, Paris 2001, p. 79   
[4]     Cf. Le pèlerin et le converti, La religion en changement, Danièle Hervieu-Léger, Flammarion, 1999, p. 71ss
[5]     Ibid. p. 72ss
(*) la pastorale du mariage en « périphérie » a été le lieu principal de ma vocation de laïc pendant 30 ans et de diacre depuis 2 ans. Ce texte reprend des extraits de mon livre « Pastorale du seuil » que je viens d'ajouter à la collection des livres téléchargeables sur Kobo et Fnac.
Sur ce, je vais faire une pause que j'expliquerai bientôt.

04 septembre 2020

Communion et fidélité -3 - P. Teilhard de Chardin

Hommage à Teilhard de Chardin.
Voici un court verbatim d'un documentaire à voir sans modération :
« Croire en l'homme
Croire au vivre ensemble
Croire que l'union différentie
Croire que l'évolution conduit au Christ
Croire que le phénomène humain a un sens
Faire un pari sur l'Église - une fidélité qui est une espérance sans limite en dépit de la souffrance de n'être pas compris...pas publié...
Un homme de mouvement
Une morale de mouvement...
Une notion de dynamique qui nous permet d'avancer, de repartir...
Un chercheur, un aventurier porteur d'espérance...
Opposer le goût de vivre à ce désespoir qui nous guette... »
Personnellement cette quête rejoint la mienne, comme je le décris dans un commentaire du billet précédent à propos de Philippiens 3 et de cette course infinie pour saisir et se laisser saisir...

L'Unité créatrice du monde - Pierre Teilhard de Chardin






 https://youtu.be/jyA0BWe1jpc

02 septembre 2020

Église et communion - 2


Au risque de faire grincer les dents de certains liturges, je m'interroge toujours sur notre cristallisation dominicale sur un rite, certes chargé d'histoire et de sens, mais qui par son caractère social, obligé et presque robotisé, a perdu le sens de ce qu'il était, un lieu de partage et de communion. Combien de gens viennent et repartent sans échange avec leurs voisins, enfermés dans une quête qui peut être mystique mais qui n'est pas fraternelle. Les masques et la peur du petit virus rendent cela encore plus criant. Sans compter les personnes âgées terrorisées par ce lieu clos qui s'enferment chez elle et perdent goût à la vie.
Redonner vie à nos rencontres, casser les automatismes, ne pas passer du miserere au gloria sans une transition qui ouvre à la grâce, faire goûter la Parole autrement qu'en renversant un sceau d'eau clérical fait de morale ou de théologie inaccessible... passer du « One man show » à la fête qui prends son temps, faire de nos rencontres des lieux à deux tables où le partage de la Parole et du Pain fait de nous des « porte-Christ » comme le suggère de vieilles catéchèses, le renouvellement de nos eucharisties est une priorité. C'est un vieux sujet depuis 1 Co 11, l'absence de partage dans nos assemblées hante l'Église depuis 2000 ans.

«Si je ne vous félicite pas en formulant cette injonction, c'est que vous vous réunissez, non pas pour le meilleur, mais pour le pire. D'abord, j'apprends que lorsque vous vous réunissez en Eglise, il y a parmi vous des divisions – et je le crois en partie. Il faut bien qu'il y ait aussi des dissensions entre vous, pour que ceux d'entre vous qui résistent à l'épreuve puissent se manifester. Donc, lorsque vous vous réunissez, ce n'est pas pour prendre part au dîner du Seigneur; car au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre dîner, de sorte que l'un a faim tandis que l'autre est ivre. N'avez-vous pas des maisons pour manger et boire? Ou bien méprisez-vous l'Eglise de Dieu en faisant honte à ceux qui n'ont rien? Que dois-je vous dire? Dois-je vous féliciter? Sur ce point, je ne vous félicite pas.

Ainsi, mes frères, lorsque vous vous réunissez pour le repas, attendez-vous les uns les autres.»
‭‭Première aux Corinthiens‬ ‭11:17-22, 33‬ ‭

Cette responsabilité est partagée par tous...

Écoutons ce que dit Origène comme un chemin d'espérance. « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et moi trois jours je le relèverai. Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de «Temple».

Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.

Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.

De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute: Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »

(1) Origène, commentaire sur l'évangile de Jean, source office des lectures du 2/9.

Communion et liturgie

L'Esprit nous conduit et nous assemble. Cette communion est appelée à dépasser les frontières, elle s'étend à tous les hommes de bonne volonté. L'Église peut en être le phare, quand elle s'agenouille pour rejoindre l'homme et l'inviter à son ultime « danse ».
L'unité de l'Église reste cependant « toujours à faire[535] ». Si, comme l'affirme Lumen Gentium 8 : « L'Église est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain. », l'unité de l'Église complète Congar, « ne se termine pas à elle-même, elle vise l'unité du genre humain… (...) [À la suite du] Verbe, en sa kénose de serviteur souffrant (...) [ l'Église est] grâce au don de l'Esprit, le pauvre signe et l'humble médiatrice du salut acquis dans le Christ[536] ».
Si Lubac insistait à ce sujet sur l'importance de la communion eucharistique, plusieurs dizaines d'années plus tard, mon expérience pastorale me fait mettre un bémol sur cette cristallisation sur la liturgie. Non que le sens du sacrifice eucharistique doive être limité, mais parce qu'avant d'arriver à ce niveau de communion, il nous reste à privilégier autre chose. Dans un sens, l'eucharistie n'est souvent vue que selon le prisme des trois Synoptiques en oubliant que Jean a présenté une autre vision de l'eucharistie en substituant à ce récit celui du lavement des pieds. Mon insistance portera là-dessus. L'Église ne peut vivre sa liturgie pleinement que lorsqu'elle aura rétabli d'une manière au moins égalitaire les deux aspects de sa théologie de communion et laissé au lavement des pieds (je ne parle pas du rite mais de l'attitude) une place aussi importante qu'au culte. Cette ouverture du cœur, préliminaire et essentiel constituera alors le sens profond du « faites ceci en mémoire de moi ».
L'Église, comme le souligne Maurice Vidal, est née de la Passion et de la résurrection. Avant d'être la mise en pratique d'un culte et d'un repas communautaire, elle passe par un vide qui est celui de l'humilité et de la distance : « on ne passe pas de plain-pied du ministère public de Jésus à l'Église, bien « que ce soit, au départ, approximativement le même groupe. Entre les deux, il y a un vide, créé par la condamnation et la mort de Jésus, pendant lequel ni les disciples, ni même les Douze n'assurent la continuité[537] ». Ce n'est pas précise Vidal plus loin « une défection de l'amitié — ce qu'elle n'a pas été —, mais comme un fléchissement, un trébuchement[538] ». Ce temps est celui de tout homme, pécheur et loin de « ressembler au Christ ». Un temps de vide où l'humanité entière qui doute peut être néanmoins rejoint par un Christ à genou devant l'homme, qui espère en sa conversion et se donne pour sa guérison (cf Jn 13 – Lavement des Pieds) ou qui « marche à ses côtés et explique la parole avant de se retirer au moment de la fraction du Pain (Lc 21 – Pèlerins d'Emmaüs).
Ce temps est celui de l'invitation trinitaire des hommes à la danse, qui constitue et justifie l'existence de l'Église. Ignorer ce temps, qui se renouvelle pour tous dans notre adhésion libre et consciente à l'Église, conversion qui se cristallise ensuite dans notre baptême et dans les sacrements, font de la communauté rassemblée, le lieu d'une Église à construire. C'est pour moi le sens et l'insistance donnée par les deux premiers chapitres de Lumen Gentium, qui précèdent ses développements sur la « nécessaire réalité d'une Église apostolique instituée et nécessairement hiérarchisée. Ce moment et cet ordre doivent être conservés pour donner du sens à sa manifestation liturgique [539]. Car l'unité, la sainteté, la catholicité de l'Église se fondent sur cela. Elle n'est pas imposée, mais une dynamique en perpétuel renouvellement, celle d'un peuple en marche vers la « ressemblance » et en cela vers la véritable sainteté dont Dieu seul rayonne.
Au cœur de cet appel, la proximité de Dieu, dans sa triple kénose se manifeste dans une « présence à fleur de peau »… Une présence délicate qui peut comprendre un retrait. « Il y a dans la fondation de l'Église par Jésus quelque chose d'analogue à la création du monde, dont Claudel disait que Dieu la fait exister comme la mer fait apparaître le continent, en se retirant[540] ». Écoutons, là encore Vidal sur ce point : « Le Royaume est là, comme quelqu'un qui est déjà à la porte (pour l'image, cf. Mc 13, 29), de sorte qu'il n'y a plus de délai pour rester neutre, ni pour se croire digne ou indigne de cette venue. Il n'est pourtant pas encore là, puisqu'il est seulement « tout proche », et cet intervalle définit le temps de la mission, de la prédication, de la conversion. »

[535] Y. M. Congar, L'Église une sainte, catholique et apostolique, in Mysterium Salutis n° 15, Dogmatique de l'histoire du Salut, Tome IV – L'Église communauté de l'homme-Dieu, Cerf, 1970, p. 60-61 : « Principe personnel et vivant (...) qui unit les Églises en une seule (...) et est principe de la sainteté de toutes créatures »
[535] P. 62
[536] P. 63
[537] Maurice Vidal, L'Église, peuple de Dieu dans l'Histoire des hommes, Centurion 1975, p. 42
[538] Ibid. p. 53
[539] Cette « circumincession » des notes de l'Église dont parle Congar, Cf. plus haut
[540] Cité par Vidal, op. cit. p. 54 »

Je teste ici un extrait de ma conclusion de « À genoux devant l'homme ».

29 août 2020

Notes pour le Baptême de M

Chers A et E
Chère famille

Vous êtes réunis dans la maison de Dieu autour du petit M.. Et vous demandez son baptême
Je ne crois pas me tromper en disant que cet enfant est le fruit d'un amour que vous tenter de construire. Il va se nourrir de cet amour, s'y abreuver comme à une source.

En choisissant ces textes, vous inscrivez sa vie sur un chemin particulier celui de l'amour.

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.
Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même ».Mat. 22

Contempler l'interaction entre ces deux paroles de vie est le chemin d'une vie. Ce sera le chemin de M..
« Ce n'est pas un Dieu du rite, de l'obéissance, mais le débordement bouillonnant de l'amour qui va abreuver M. La première lecture tirée d'Ezechiel 47 parle de l'eau jaillit du Temple. l'Église depuis des siècles considère que cette eau est le signe de l'amour de Dieu qui innonde le monde. Pour elle c'est le premier signe visible de l'amour qui a jailli du cœur du Christ, de son cœur transpercé le jour de sa mort.
M. va être baptisé dans cette eau, à l'intersection entre cette eau jaillie de l'amour immense de Dieu et de cet amour immense qui vous unit. Votre tâche à vous parents, mais aussi parrains, marraines et famille est de lui faire goûter à cette eau, lui donner envie de s'y abreuver. L'amour de M, s'il prend sa source dans votre amour et ce que vous pourrez lui dire de l'amour de Dieu peut changer le monde.
Option 1 abandonnée suite commentaire

Le baptême s'inscrit dans cette dynamique. Ce n'est pas un simple passage, c'est un engagement de tout faire de votre côté pour que ce potentiel d'amour qui repose en lui échappe à toutes les tentations, à toutes les adhérences et toutes les addictions. En renonçant vous-mêmes à ces tentations qui empêchent d’aimer comme vous allez le faire tout à l’heure vous vous engagez à tout faire pour que M. devienne amour, soit signe de l’amour, soit amour. Vous n’avez pas encore célébré votre mariage, c’est votre droit. Sachez néanmoins que par le baptême de M., par ce que vous allez présenter à Dieu aujourd’hui vous avancez dans cette belle dynamique de l’amour. Dieu vous attends. Il respecte vos hésitations. Il vous veut libres, tous les deux, pour qu’un jour quand vous serez prêts il vienne scelller à jamais ce qu’avec M. vous venez de signifier. 

Quant à vous, parrain et marraine, si A et E. vous  ont choisis, c’est parce que quelque chose en vous dis l’amour, rayonne de l’amour. Soyez digne de cet appel. 

Option 2 - préférence 
Le baptême s'inscrit dans cette dynamique. Ce n'est pas un simple passage, c'est un engagement de tout faire de votre côté pour que ce potentiel d'amour qui repose en lui échappe à toutes les tentations, à toutes les adhérences et toutes les addictions. En renonçant vous-mêmes à ces tentations qui empêchent d’aimer comme vous allez le faire tout à l’heure vous vous engagez à tout faire pour que M. devienne amour, soit signe de l’amour, soit amour. M. va boire l’eau que vous lui donnerez. Philippe Julien dit de mémoire que le plus beau cadeau que vous pouvez faire à vos enfants c’est de vous aimer... il sera aimant si vous l’êtes, en le présentant à Dieu vous entrez dans cette belle dynamique de l’amour. Dieu vous y attends. Il vous veut libres, heureux, et sera là dès que vous l’invoquerez (et même quand vous ne le ferez pas...). 


Quant à vous, parrain et marraine, si À et E. vous  ont choisi, c’est parce que quelque chose en vous dis l’amour, rayonne de l’amour. Soyez conscients et portés par cet appel. 

28 août 2020

Homélie Mariage du 29/8

Projet 1 de notes pour le mariage de samedi 

Chers X et Y 
Je reste admiratif devant votre désir d'affronter les éléments et de poursuivre ce projet de mariage jusqu'au bout.

Il traduit quelque chose de profond en vous, cet amour qui vous a rapproché, conduit déjà bien loin, jusqu'à cette belle maison, la naissance de votre fille et aujourd'hui à vous unir devant Dieu.

Dans votre lettre d’intention vous parliez de cette harmonie particulière qui vous unit. J’ai pu le vérifier dans nos entretiens. L'amour qui vous habite n'est pas un feu follet et les choix des textes que nous venons de lire le disent bien.

Je voudrais à ce sujet insister sur deux points.

L'amour dont parle Paul n'est pas non plus ordinaire. Le mot grec utilisé est agape. Dans une autre histoire Pierre va faire à ses dépends la douloureuse expérience de ce terme. Il vient de renier Jésus, il se sent mal et pourtant le voici devant le ressuscité et Jésus lui demande par deux fois : m'aimes-tu d'agape ? [la troisième fois Jésus parle de Philie] Pierre sais bien qu'il n'a pas aimé jusqu'au bout, il lui répond sur le bout des lèvres : je t'aime d'amitié (philo te). 

X et Y  vous allez vous promettre de vous aimer de cet amour immense qui prend patience, ne cherche pas son intérêt, va jusqu'au bout de la vie, ne renie pas, même dans les épreuves. En choisissant ce texte, en échangeant vos consentements, vous manifestez à tous que l'amour est grand, immense et que vous voulez en vivre, en être le signe. Ce sera votre mission impossible et dans 3 minutes se message ne s'autodétruira pas comme dans la série télévisée...
Comment allez jusqu'au bout ? L'évangile donne une réponse ; en restant attaché à la vigne. En mettant Dieu dans votre vie, en contemplant le plus possible l'amour qui s'est donné jusqu'à la Croix. Vous habitez tout près de l'Église de Z, tous les matins en poussant les volets, méditez sur ce qu'elle contient : le signe d'un amour infini qui va jusqu'au bout, jusqu'à en mourir. 

L'amour prend patience ; l'amour rend service ; l'amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d'orgueil ;  il ne fait rien d'inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s'emporte pas ; il n'entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.

On le sent, cet amour auquel vous êtes appelés est immense. Vous aurez besoin de force pour y parvenir, vos amis, votre fille sera là dans les moments plus difficiles pour tenir le cap. Cet amour particulier qui vous unit se nourrira de cela.
Je vous souhaite quelque chose de grand, à l’image de ce qui, en vous, vous a conduit jusque-là.


22 août 2020

Le message de Jean - une actualité brûlante

Le message de Jean - une actualité brûlante

Une concordance osée entre l'injonction du psaume 40 et Jn 13 mais plus globalement ma lecture actuelle de Jean (*) me conduit à cette conclusion un peu disruptive que je voudrais tester avec vous.

Extrait...
Rappelons le psaume 40 :
«Tu n'as pas pris plaisir au sacrifice ni à l'offrande: tu m'as ouvert les oreilles; tu n'as demandé ni holocauste ni sacrifice pour le péché. Alors j'ai dit: Je viens / [Me voici ] avec le livre-rouleau écrit pour moi. (...)
Moi, je suis pauvre et déshérité; mais le Seigneur pense à moi. Tu es mon secours et mon libérateur: mon Dieu, ne tarde pas! » Psaumes‬ ‭40:7-8, 18‬ ‭

On a déjà noté que, dans le récit de la Passion, les similitudes sont multiples au point que Dodd se demande si la tradition orale du récit de la Passion n'était pas si forte et antérieure à tout écrit évangélique, que les quatre recensions n'ont pu déroger à une lecture semblable[237]. Et cependant, le texte du lavement des pieds est unique. Il n'est raconté que par Jean et remplace, nous l'avons dit, le récit de l'institution de « l'eucharistie. Cette absence donne à penser. Deux hypothèses peuvent être avancées dans ce cadre.
Soit le lavement des pieds, en particulier dans sa deuxième partie est d'une certaine manière, une autre façon de dire ce à quoi nous invite Jésus : une véritable communion et réciprocité dans l'amour.
Soit il se surajoute au mémorial eucharistique, déjà présenté entre les lignes en Jn 6, 22-58 et qui, au temps de la rédaction finale du IV° Évangile, devait déjà être bien établie dans la communauté johannique[238]. Dans ce cas, la finalité est la même. Faire des rencontres eucharistiques, non pas un simple rituel, mais un « signe efficace », un sacrement de l'amour de Dieu et de l'amour des hommes au sein d'une communauté vivante.
Le texte donne cependant une direction particulière, en soulignant l'attention aux frères, aux plus petits et aux plus pauvres, aux esclaves à qui Jésus s'identifie ici.
On se souvient de la remarque de Paul (cf. notamment 1 Co 11, 33) qui déjà notait l'absence de communion véritable dans la jeune église, où les derniers arrivés, les esclaves, n'avaient pas le même traitement que les premiers, les hôtes du repas. En inversant les rôles, Jean nous conduit aux mêmes conclusions.
Cette tension reste un point sur lequel nous ne devrions pas cesser d'attacher de l'importance. Il est au cœur de ce à quoi nous appelle le message de l'eucharistie : une double tension vers Dieu et vers autrui… 
Jean nous conduit aux mêmes conclusions, mais donne une dimension différente. Le rite de l'eucharistie est presque depassé par une dynamique sacramentelle (cf. mon livre éponyme) qui n'est pas centré sur un mime du dernier repas, mais sur l'agenouillement kénotique, qui devient l'exhortation finale de Jean. Entre les lignes, on peut lire une injonction qui prend aujourd'hui une dimension plus urgente et fait écho avec ce que nous dit entre les lignes le pape François : Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir" ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"[239]
« allez à la périphérie », sous entendu (mais je force volontairement le trait) ne restez pas dans vos églises à mimer le dernier repas, mais agenouillez vous devant l'homme blessé (Jn 1), criez votre soif (Jn 4), agenouillez vous devant les souffrants (Jn 5), partagez et donnez (Jn 6), agenouillez vous devant les pêcheurs (Jn 8 et Jn 13), les étrangers (Mat 11), pleurez avec les souffrants (Jn 11). Vivez dans l'agapè.

Je rejoins là l'injonction récente de François Cassingena-Trévédy : « Ne faudrait-il pas envisager courageusement, pour l'avenir, et jusque dans nos communautés religieuses encore privilégiées, des messes plus espacées dans le temps, des messes qui viendraient consacrer, non pas un azyme insipide d'habitudes et de vies parallèles, mais le pain chaleureux, laborieux et complet de vies résolues à entrer pratiquement en communion profonde, à soutenir l'effort d'un pardon explicite et réciproque, et surtout ce partage fraternel de la Parole de Dieu » [240]


[237] cf. DODD, La tradition historique du IV° Évangile, Lectio Divina n° 128, Éditions du Cerf, 1987, trad° Maurice et Simone Montabrut, Éd. Originale : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Press, 1963, p. 38.
[238] On parle déjà de la fraction du pain en Act 20, 7. 
[239] Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93 »
[240] François Cassingena-Trévédy De la fabrique du sacré à la révolution eucharistique - Quelques propos sur le retour à la messe. Publication sur FB du 23/5/20

(*) cf. « À genoux devant l'homme » dont je prépare une troisième édition (disponible déjà en version bêta sur le site de la Fnac)

Qui est Jésus - homélie du 21ème (et 22eme) dimanche du Temps Ordinaire, Année…

Projet 5 - allégé

Pour vous qui suis-je ?
La question que pose Jésus résonne encore aujourd'hui. Il nous la pose personnellement et en même temps la réponse nous échappe et reste ouverte car qui sommes nous pour parler du mystère de Dieu fait homme ?

Trois clés de lecture.
Le contexte
La pédagogie sous jacente
L'enjeu pour Pierre et surtout pour nous.

Paul nous le glisse dans Romains 11, rien n'est réductible quand on aborde la nature de Dieu :
« Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! Qui a connu la pensée du Seigneur ? » Tout au plus pouvons nous contempler sa pédagogie.
Si vous n'avez jamais fait l'expérience, je vous invite à lire un évangile de bout en bout, comme le tente dans notre paroisse les maisons d’Évangile. C'est probablement la meilleure façon de préparer votre réponse à cette question du « qui suis-je pour vous? ».
Et en même temps, il ne s'agit pas d'étaler nos connaissances de l'inconnaissable, mais bien de témoigner d'une révélation intérieure comme celle de Pierre. L'idée de Dieu vient à nous du fond de notre cœur.

Le contexte
Il y a notamment une pédagogie propre à chaque évangéliste. Le texte de l'évangile d'aujourd'hui est central, pour Marc 8 (27-30) comme pour Matthieu 16 13-20 et Luc (9, 18-21) qui se lisent souvent en miroir. Ce texte est en effet un point de passage. Les experts (exégètes) le disent : la question posée à Césarée est un point charnière. Il y a l'avant et l'après.
L'avant, c'est le chemin de l'homme. Jésus qui se révèle par ses actes, comme un personnage peu ordinaire. Jusqu'à cet épisode de la multiplication des pains et chez Marc de l'aveugle né. [Que l'aveugle vienne juste avant la question peut être considéré comme un clin d'œil de Marc...
Marc semble dire : Avant vous étiez aveugle. Maintenant c'est officiel : Il est l'oint de Dieu... ]
L'après c'est la marche vers Jérusalem, l'annonce de la mort.
Dans tous ces textes se traduit aussi une pédagogie particulière. Jésus n'est pas arrivé avec fanfare et trompette en proclamant sa divinité ou son titre de Messie.
Non. Il a commencé par être homme, aimant, attentif, vrai en paroles et en vérité. Cette pédagogie s'inscrit dans la pédagogie même de Dieu...
La question qu'il pose à Pierre est donc centrale.
Qui suis-je ?


La réponse de Pierre montre qu'il a compris, qu'en lui s'est révélé quelque chose. Et pourtant, dans le texte suivant que nous verrons dimanche prochain [la liturgie coupe et c’est dommage un ensemble cohérent] Pierre va refuser la Croix.. Paradoxe également pédagogique.
Pierre a une révélation sur la nature du Christ et pourtant il ne saisit pas la Passion. Qui pourrait à ce stade d'ailleurs ?
Soulignons le, c'est entre la révélation et l'erreur de Pierre que Jésus donne à l'apôtre sa mission. Au cœur d'une tension...

Que dire aujourd'hui.
L'erreur est de croire que nous savons répondre.
Je ne sais pas qui est Jésus.
Je suis en recherche.
Nous le sommes tous.
Le danger est de se croire arrivé, d'avoir tout saisi.
Le mystère est plus grand, plus profond, plus large.
Tout ce que nous avons compris est « balayures »  dit Paul, notre course est de « le saisir et de se laisser saisir par lui (Ph 3) ».

Quel est alors notre mission pour aujourd’hui ?
Peut-être réentendre la question du Christ : Pour vous qui suis-je ?
Est-ce un Dieu que l’on vénère du bout des lèvres le dimanche ou au contraire quelqu’un qui transforme nos façons d’agir? Nous émeut et nous met en mouvement ? Pouvons nous affirmer qu’il est le chemin la vérité et la vie.

La semaine dernière nous avons fêté les 40 ans de sacerdoce de notre curé. 40 ans de vie donnée. Gageons que cette mise en mouvement est fondée sur une réponse à la question du Christ. Nous sommes petits face à cette dynamique du don...

La question que nous pose Jésus reste valable et la réponse vient de l’Esprit. Restons attentif à cela, car c’est l’Esprit qui a conduit Pierre, qui conduit l’Église et qui conduit chacun de nous à être des pierres vivantes de cette Église fondée sur Pierre.


14 août 2020

Ouvrons notre cœur -Homélie du 20ème dimanche année

Projet 4 de notes pour l’homélie

Il y a une tension apparente dans les textes d’aujourd’hui entre l’enfermement des hommes et les dons de Dieu qui tourne autour d’une question : « Les « païens » ont-ils une place dans le Royaume du Père ? »

On rejoint une vielle question qui voyait le peuple juif, puis par transition, l’Église comme seul lieu de salut. Mais cette vision étriquée a été corrigée d’une part dans le récit de la Cananéenne, puis par certains pères de l’Église dont saint Justin, un thème repris par Vatican 2 qui élargit la révélation à tous à travers ce que l’on appelle les « semences du verbe », ce dont particulier fait par Dieu à tous les hommes.

Matthieu reprend un texte de Marc 7, 24 qui a un petit ajout intéressant « laisser d’abord les enfants se rassasier » qui explique mieux l’hésitation de Jésus. Il n’empêche que ce texte traduit un changement d’opinion chez Jésus.

Mais avant d’en arriver là, commencions peut-être par cette phrase qui peut faire polémique :
« Dieu, en effet, a enfermé tous les hommes dans le refus de croire pour faire à tous miséricorde. » (Rom 11)

Cet « enfermement » dont parle Paul n'est pas une condamnation de Dieu, mais un raccourci de L’apôtre  qu'il a déjà développé au chapitre 5 de la même lettre, dans son célèbre « combien plus... » 
Relisons cet extrait : «Mais il n'en est pas du don gratuit comme de la faute; car si, par la faute d'un seul, tous les hommes sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don se sont, par la grâce d'un seul homme, Jésus-Christ, abondamment répandus sur tous les hommes.»
‭‭Romains‬ ‭5:15‬ ‭
Partant de sa propre expérience de pêcheur Paul veut montrer que le salut est impossible sans Dieu, ce que Matthieu soutient aussi en Mat 19.
Pour lui, plus l'homme se trompe, plus Dieu redouble de grâce et de miséricorde.
Plus nous nous enfermons dans la faute, plus grande est la miséricorde.
Ce constat intérieur nous pouvons le faire nous mêmes. Le libre exercice du don de la liberté nous conduit inexorablement vers le doute, le refus de croire, un entre soi qui passe à côté de la vraie charité . [Et je ne vous demande pas si vous avez profité des vacances pour prier...]

Comment sortir de cet enfermement ?

Une triple réponse se trouve dans les textes d'aujourd'hui

  1. Contempler la miséricorde qui dépasse et surpasse tous nos enfermements
  2. Apprendre à prier et à aimer en vérité 
  3. Contempler ce que Vatican 2 appelle à la suite de Justin, les semences du verbe

Apprends nous à prier

C'est le chemin de la première lecture. Dieu nous conduit sur une haute montagne qui n'évoque pas tant l'escalade que cette quête intérieure qui pourrait être notre chemin...

« je les conduirai à ma montagne sainte,
je les comblerai de joie dans ma maison de prière » (Isaïe 56)

Qu'elle est cette montagne, si ce n'est le lieu le plus intime où Dieu nous parle ? Avons-nous pris le temps, en ce temps de vacances de nous reposer en Dieu...

Il y a une prière très simple que nous pouvons faire chaque jour. Elle se résume en trois mots comme nous l'enseigne notre pape.

Merci
Pardon
S'il te plat....

Elle résonne dans les textes d'aujourd'hui.
Merci pour « les dons gratuits de Dieu » nous glisse saint Paul..

Pardon pour nos refus de croire, pour nos manque de charité...
Donne nous ta miséricorde, continue-il...

La question soulevée par Paul et la Cananéenne vient élargir notre cœur aux dimensions du monde.
On est loin de nos guerres de clocher, de savoir si les « accourus » ont le droit d'être membre de nos églises...

Le cœur de Dieu est vaste...
Parfois c'est l'étranger qui vient nous déranger, le pauvre, l’immigré.
Il ne s’agit pas seulement d’accueillir l’autre, mais de le mettre en premier, de contempler chez lui le don de Dieu. Le texte de la Cananéenne nous montre que Dieu a mis en chaque humain son verbe. Dieu s’agenouille devant l’homme.

Les semences du verbe dépassent l'Église. Elles sont le don de Dieu au monde.
Jésus en fait l'expérience avec la Cananéenne
Il doit se mettre à genoux devant cette foi qui dépasse celle de son peuple...

Je vais vous confier un secret. Mon ministère de diacre est une série ininterrompue d'émerveillement sur ces semences du verbe que je découvre à la périphérie de notre Église...

Les miettes qui tombent de la table sont nombreuses.
Méditons là dessus comme le fils ainé du fils prodigue. Nous allons avoir accès au banquet de Dieu, cessons de juger notre voisin ou l'étranger. Il est dans le cœur de Dieu...
Concentrons nous sur l’essentiel ; la charité vraie, débordante et l’action de grâce.

Dépouillement final - Jn 13 sq

Dépouillement final - Jn 13 sq
Déposer son vêtement pour le lavement des pieds c'est aussi, pour le Christ, commencer le dépouillement final.
On pourrait faire une lecture spirituelle qui voit le dénuement du Christ suivi de son action de verser l'eau dans le bassin puis de s'agenouiller devant l'homme comme une symbolique de la soumission finale et du sang versé.
C'est comme on le verra plus loin sous la plume de Xavier Léon-Dufour (1), comme un premier « mime symbolique » de la croix qui se déroule ici.
Il y a alors dans cet axe de lecture une dimension que Pierre ne comprend pas encore, faute d'en avoir la clé ultime. Le lavement des pieds, c'est déjà la Passion, le don final, le sang versé, c'est le jusqu'au bout de l'amour...
Le refus de Pierre prend alors une autre ampleur : au delà du refus de la kénose c'est le refus de la souffrance et de la mort qui est en jeu.

La deuxième piste à méditer est peut-être celle du signe, du sacrement et de la distance qui peut se créer entre le rite et l'agir.
Le rite du jeudi saint n'est rien s'il demeure un mime, un discours en geste au lieu d'être un amour en actes...
On dit que le lavement des pieds n'est pas un sacrement parce que la vie et la mission de l'Église doit être un éternel lavement des pieds... cela reste à prouver dans l'aujourd'hui de nos vies, de nos agir...
À méditer


(1) Xavier Léon-Dufour, Évangile selon saint Jean, tome 3, p. 26 & 60.

Signes et dépouillement - Correspondances Gn 41 - Luc 15



«Et Pharaon ôta son anneau de sa main et le mit à la main de Joseph, et il le fit revêtir d'habits de fin lin et lui mit au cou un collier d'or.»
‭‭Genèse‬ ‭41:42‬ ‭

Au mitan du cycle de Joseph, alors que tout semble perdu pour lui, alors qu'il semble abandonné de Dieu et des hommes, voici qu'il retrouve l'espoir. Fort de sa capacité à interpréter les songes, un talent qui est la source de son malheur - voici qu'il trouve la grâce de Pharaon et ce dernier lui confie son royaume.

Même si le personnage de Joseph semble arrogant au départ, et qu'il nous semble mériter la jalousie de ses frères, il y a chez lui des traces de la figure du Christ. L'épisode de l'anneau nous interpelle, d'une certaine manière. On retrouvera en Luc 15, cette expression particulière qui redonne au Fils perdu l'anneau du pouvoir. Et c'est dans cette tension entre Joseph et le fils prodigue que l'on pourra contempler l'amour infini de Dieu.
Joseph est, à sa manière, le fils aimé du Père. Il était perdu pour Joseph, vendu comme le sera le Christ pour quelques pièces d'argent. Pourtant le Père n'oublie pas son fils et son amour demeure...
Joseph sera la victime, puis l'instrument du pardon. C'est une page importante de la pédagogie divine.

Dépouillement - ce pain nommé désir

Que cherchons nous ?
Vers quoi courrons nous ?
Y a-t-il un terme à notre faim ?

Notre monde s'est enroulé dans cyclone du même. Nous voulons le même. Nous cherchons le même. Nous courrons dans cette spirale mimétique qui touche jusqu'à nos églises, nos rites, nos façons de faire.

Mais Dieu n'est pas là...
Il est aux abonnés absents de cette quête. Il ne répond pas à ces désirs de mêmeté.

Où est-il ?
On croit le saisir et il nous échappe encore.
Il n'apporte pas « d'émotions volatiles, des consolations immédiates et des certitudes paresseuses »(1). Il ne guérit pas les foules à la volée, ne console pas les affligés sur demande. Il nous précède juste en Galilée, nous accompagne sur les chemins d'Emmaüs puis disparaît, échappe aux tentatives de réduction.
Il se donne en miette de peur de nous rassasier, d'éteindre notre faim et notre soif...

« Travaillez dans le calme » (1), labourez la terre, Dieu est un trésor caché au fond du champ. Il est là où on ne l'attend pas.

Aimez jusqu'au bout, jusqu'à plus soif, jusqu'à ce que cela pèse, car là est l'amour véritable, l'agape, dont l'Eros n'est que l'étincelle...

A la passion du même, aux trains nommés désirs, doivent se substituer la quête ultime, la traversée du désert, la conversion du cœur...

Marchez...
Allez au large...
Quitter le confort du même.
Laissez-vous dépouiller de vos certitudes.
Laissez le travailler en vous jusqu'aux jointures de l'âme.
Ne cédez pas sur le chemin.
Et si vous reculez, laissez-vous porter, embrasser, consoler, car il est chemin, miséricorde et vie.

(1) cf. François Cassingena-Trévédy, La voix contagieuse, 2017, ibid. p. 143

Baptême et dépouillement - Homélie pour le Baptême de K. - 16/8/20


Quel est l'enjeu du baptême de K ? 
Les textes que nous venons de découvrir aujourd'hui nous donnent une piste de lecture particulière.

Commençons d'abord par la deuxième lecture tirée d'une lettre de Saint Paul apôtre aux Romains (8, 28-32)
« Nous le savons,
Quand les hommes aiment Dieu,
Lui-même fait tout contribuer à leur bien,
Puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son amour.
Ceux que, d'avance, il connaissait,
Il les a aussi destinés d'avance
A être configurés à l'image de son Fils »

Configuré à l'image du Christ...
Qu'est-ce que cela sous-entend ?
K. rêve d'être une princesse.
Elle va accéder par le baptême à une nouvelle dimension, celle de prophète de prêtre et de serviteur du Royaume, c'est à dire que tout ce qui en elle sera lumière et amour sera le double signe que Dieu est amour et que l'amour l'habite de l'intérieur.

Vous l'avez bien exprimé dans votre demande de baptême, cette joie particulière de K. est déjà lumière d'un amour qui vous dépasse.

Dans la première lecture Ezekiel exprime cela par l'image d'un fleuve. Du temple coule un fleuve immense. Pour nous chrétiens, c'est du cœur transpercé du Christ que jaillit ce fleuve.
En renonçant à tout ce qui conduit à la haine, en choisissant l'amour vous allez aider à faire de K. un ange de lumière, un signe qu'au delà de la mort, l'amour vaincra.
C'est votre tâche à tous, parrain et marraine, parents, mais vous aussi familles rassemblées ici, d'aider K. à rayonner de cet amour là, d'un amour immense qui va jusqu'au bout de la vie, au delà de la mort.
Et votre petit D. qui danse déjà avec les anges vous aidera à cela...
Bien sûr cette tâche est immense

Ce que nous allons célébrer aujourd'hui s'inscrit dans cette dynamique

Entrer dans le Jourdain à la suite du Christ c'est accepter de venir laver ce qui nous empêche d'aimer, c'est renoncer à tout ce qui fait obstacle à notre vocation originelle, c'est nous laisser modeler dans la forme originale et nue de l'homme créé par Dieu et pour Dieu.
C'est se dépouiller de tout ce qui conduit au mal pour choisir l'amour.

Dépouillement qui conduit à la vie, renoncement pour un plus grand bien.

La suite de la lettre de Paul prend tout son sens : Ceux qu'il avait destinés d'avance,
Il les a aussi appelés ;
Ceux qu'il a appelés,
Il en a fait des justes ;
Et ceux qu'il a rendus justes,
Il leur a donné sa gloire.
Que dire de plus ? Si Dieu est pour nous,
Qui sera contre nous ?
Il n'a pas épargné son propre Fils,
Mais il l'a livré pour nous tous :
Comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ?





13 août 2020

Le vent du Verbe...

Quand vient le souffle,
n'oublie pas de contempler ce Verbe qui vient en toi.
Il fait frissonner les drisses de ton navire intérieur.
Il fait gonfler tes voiles .
Il t'emmène glisser sur l'océan de la vie.

Entre amers et rochers il te fait tracer sa route
Il te remet sur le bon cap...
Vers les horizons lointains il t'attire.
Te voilà agile face aux lames, brisant l'écume de la vie, porté au delà des tempêtes.

Mais ne perd pas ton cap.
Car déjà la force première se perd et t'échappe et le grand calme peut briser ton élan, les sargasses du monde arrêter ta course.

Il faut alors serrer tes voiles, virer de bord, parfois, chercher la brise fugace. Il faut surtout couper ces lianes qui ont repris le dessus, enserré la barre et détourné ta course.

Comment avancer quand la force du Verbe s'est perdu en toi ?
Prendre à nouveau les rames...
Ramer à contre courant.
Se dépouiller de ce qui alourdit la barque.
Écoper les eaux saumâtres qui encombrent ton esquif.
Guetter le vent.

Avance au large.
Lève les yeux.
Écoute.
Cherche au milieu des frémissements du monde, ce qui est bon, ce qui est vrai.

Ne te laisse pas détourner par les sirènes.
N'écoute pas leurs chants trompeurs.
Ne perds pas espoir.

Il te faut prendre les rames, malgré la chaleur, la solitude, le silence.
Ramer en dépit des mains calleuses, du dos meurtri.
Avancer...

Il est là.
Il t'attend.
Il suffit de tourner ton oreille vers le Verbe, guetter l'appel, surprendre sur l'onde son frémissement, pour qu'à nouveau ta barque s'agite et que le vent divin regagne ce qui était perdu.

Murmure.
Murmure léger.
Courant d'air.
Souffle fragile qui naît en toi.
Flamme de la lampe qui s'agite.
Feu qui s'éveille.

Il est là.
Bientôt le vent te fera bondir à nouveau.
Et sur les lames tourmentées tu avanceras.
Jusqu'à ce port ultime où le vent et les vagues, dansent à l'unisson.
Jusqu'au lieu où la brise devient souffle de Dieu.