Chapitre 1, fin
Dans le Nouveau Testament, notre contemplation trouve un sommet dans le déchirement du voile du temple qui chez Marc 15 révèle le silence du Dieu crucifié. Dans le silence de la croix, le verbe de Dieu se fait murmure et nous invite à la conversion. Il nous conduit d’Emmaüs vers la Galilée…
Le signe de Jonas
Revenons sur les pas d’Élie.
Nous avons déjà évoqué le signe de Jonas. Le prophète, appelé par Dieu pour convertir la ville de Ninive, est lui aussi désespéré. Il refuse de voir la clémence de Dieu pour ce peuple. À travers l’image d’un ricin, qui meurt alors que Jonas y avait trouvé refuge, Dieu lui montre l’ironie de sa situation et l’étendue de sa tendresse. Comme Élie
Jonas se croyait tout investi de la mission de juger Ninive, mais l’amour de Dieu est plus fort que son propre jugement des hommes et des choses.
On a évoqué à ce sujet, ce qui peut apparaître comme le pathos du prophète qui trouvera un lointain écho dans l’agonie du Christ décrite surtout chez Luc. C’est face à cette peine, à cette plainte qu’Élie, comme Jonas reçoit une réponse de Dieu, une espérance performative pour lui, mais aussi pour sa descendance spirituelle (Élisée) et le salut d’une multitude de 7 x 1000 hommes (plénitude). Les 7.000 hommes s’inscrivent d’ailleurs en contraste avec les 3.000 tués de l’épisode du veau d’or (Ex 32).
Ce texte fait ainsi résonner l’affirmation du Christ : « il ne vous sera donné que le signe de Jonas ». Et au cœur de cette vision de Dieu, fragile et ténue, nous pouvons faire résonner celle du silence de Dieu en croix. Comme le Christ, poussé au désert avait subi la tentation pendant 40 jours, comme l’agonie qui précède la mise à mort, il semble qu’Élie doivent parcourir un chemin initiatique équivalent, au terme d’une période où il n’a plus de force et il est pourchassé pour être mis à mort… C’est au bout de ce chemin, quand l’espérance semble morte que le don de Dieu peut apparaître et pas avant.
Comme nous dit A. Wénin : « Au fil du livre, les images de Dieu souvent violentes qui traînent dans les cultures et dans les têtes sont reprises et traversées une à une, comme si toutes recèlaient quelque chose de la vérité de Dieu, mais aussi comme si cette vérité « captive de l’injustice » disait Paul (Rm 1, 18) – attendait d’être affranchie du mensonge qui dit Dieu complice du mal. Jésus est cet homme qui traverse le mal dont il est victime sans le relayer en violence et en mensonge. Librement, il fait du mal subi le lien d’un don de soi dans un amour capable d’assumer ce mal au point d’y tracer un chemin de vie pour les violents eux-mêmes. De la sorte, la croix manifeste la vérité de Dieu quant à la violence. »
Où es-tu ? - transition
Où es-tu mon Dieu ? Dans notre monde où Dieu semble de plus en plus absent, où la violence, la haine et le mépris semblent avoir pris la première place, nous pouvons répéter la question : « Où es-tu mon Dieu ? »
Loin des tremblements de terre et des orages de la guerre, loin du vent de la haine, la réponse de Dieu se trouve dans le bruit d'un fin silence (cf. 1 Rois 19), dans le chant des martyrs et des anges.
Écoutons ce que nous dit Augustin : « Croyez-vous, frères, que Dieu ignore ce qui vous est nécessaire ? Celui qui connaît notre détresse connaît d'avance aussi nos désirs. C'est pourquoi, quand il enseignait le Notre Père, le Seigneur recommandait à ses disciples d'être sobres de paroles : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l'ayez demandé » (Mt 6,7-8). Si notre Père sait ce qui nous est nécessaire, pourquoi le lui dire, même en peu de mots ? ... Si tu le sais, Seigneur, est-il même nécessaire de te prier ? Or celui qui nous dit ici : « Ne multipliez pas vos paroles dans vos prières » nous déclare ailleurs : « Demandez et vous recevrez », et pour qu'on ne croie pas que c'est dit en passant, il ajoute : « Cherchez et vous trouverez », et pour qu'on ne pense pas que c'est une simple manière de parler, voyez par où il termine : « Frappez, et on vous ouvrira » (Mt 7,7). Il veut donc que pour recevoir tu commences par demander, que pour trouver tu te mettes à chercher, que pour entrer enfin tu ne cesses de frapper... Pourquoi demander ? Pourquoi chercher ? Pourquoi frapper ? Pourquoi nous fatiguer à prier, à chercher, à frapper comme pour instruire celui qui sait tout déjà ? Et même nous lisons dans un autre endroit : « Il faut prier sans cesse, sans se lasser » (Lc 18,1)... Eh bien, pour éclaircir ce mystère, demande, cherche et frappe ! S'il couvre de voiles ce mystère, c'est qu'il veut t'exciter à chercher et trouver toi-même l'explication. Tous, nous devons nous encourager à prier. » et la seule question de l'où es-tu ? nous conduira vers Celui qui nous cherche derrière le voile de l'amour donné. Dans le jardin du monde, il pose lui aussi la question. Où es-tu homme ? (cf. Gn 3). Ta vie est-elle don fragile ? Si elle l'est tu ne peux que me trouver. Car je suis don.
Nous venons de tracer un fil ténu qui part d’Osée, nous conduit au désert jusqu’à la quête d’Élie et pointe déjà vers le Christ. Dans cet axe fragile nous pouvons maintenant marcher comme des funambules vers le sommet de la révélation en retraversant d’autres textes fondateurs qui affinent cette marche et renforcent notre espérance : Dieu a soulevé le voile, écoutons le.
On a une tendance naturelle à commencer la
lecture de la Bible par la Genèse, pour deux raisons : elle commence elle-même par un récit de la création du monde et le peuple juif l’a placée au début du Pentateuque, les cinq grands livres de la Thora.
Mais les travaux récents démontrent que le texte de la Genèse est surtout rédigé après l’exil, au moins dans ses dernières strates rédactionnelles.
Une autre approche serait alors d’analyser les récits dans l’ordre de leur apparition. C’est un peu ce que nous venons de faire avec Osée, considéré comme le, ou l’un des plus anciens textes écrits disponibles, même si de nombreuses traditions orales l’auraient précédé.
Ce renversement dans l’ordre de la lecture nous a apporté un a priori positif sur ce qui se révèle de Dieu et permet d’entamer une lecture qui rejoint, in fine, la révélation chrétienne. C’est cet exercice que nous venons de tenter.
Retournons maintenant vers ce récit de l’origine, non comme une véritable histoire de l’humanité, mais plutôt comme l’interprétation fondatrice d’un peuple en marche, qui mêle aux mythes fondateurs une interprétation plus spirituelle et psychologique de notre nature humaine.
On peut dire que la Genèse, avant d'être une théologie, c'est-à-dire une science de Dieu est d'abord une anthropologie, c'est-à-dire une science de l'homme. En visitant ces histoires humaines, c’est notre histoire qui est revisitée, dans ce qu’elle a de beau et de vil, de passionné et de malheureux. Suivre les pas des patriarches, c’est aussi mettre à jour nos faiblesses, ce qui fait de nous des êtres qui ont besoin de Dieu.
Il y a dans ce texte les traces d’une révélation qui semble au départ « lumineuse » alors qu’elle est pour l’auteur, comme pour le lecteur d’aujourd’hui plus voilée. Deux explications semblent possibles. Les premiers chapitres de la Genèse sont probablement une projection des auteurs en exil qui gomment une partie du passé pour redonner espoir à un peuple qui se croit perdu. À l’inverse, Dieu semble maintenant en retrait et le présent est de plus en plus noir. C’est peut-être parce que dans ce "reste" qui demeure, proche de celui découvert par Elie (cf. plus haut), une même dynamique est demandée que celle des premiers chrétiens. S’ils ont été capables d'accueillir l'incroyable d'un Dieu qui le rejoint en s’incarnant, il nous reste à les suivre sur ce chemin.
Dès le chapitre 3, nous sommes confrontés à l’irruption du mal. Nous y contemplons ces violences qui ne sont pas absentes de notre humanité et viennent en nous réveiller nos propres désirs, tentations et fragilités.
Le Pape François évoque ce « chemin de souffrance et de sang qui traverse de nombreuses pages de la Bible, à partir de la violence fratricide de Caïn sur Abel et de divers conflits entre les enfants et les épouses des patriarches». Dieu est-il absent de tout cela ? Non ! Sa tendresse s’est révélée en Os. 115 et reste visible, entre les lignes. Laissons-nous habiter par ce texte, manduquons-le et trouvons, au sein des tensions qui se révèlent la pédagogie de Dieu dont l’aboutissement ne sera visible qu’en Christ.
Entrer dans la pédagogie de Dieu, c’est se laisser façonner petit à petit, comme il l’a fait avec son peuple. « L'entreprise [divine] (...) [est] l'objet d'un travail (...) Dieu la prend, la touche, la pétrit, l'effile et la façonne. Représente-toi Dieu tout entier occupé à donner figure à l'œuvre de sa main : il y applique son intelligence, son action, son conseil, sa sagesse et sa providence et avant tout son affection (...) Dieu fit l'homme. Ce qu'il façonna, « il le fit à l'image de Dieu », c'est-à-dire du Christ ».
On le verra, si Dieu se révèle, c’est souvent dans l’alternance d’un caché/dévoilé qui ne heurte pas nos sens, respecte notre liberté. Au terme du voyage, nous pourrons mieux contempler le Fils, figure ultime de toute pédagogie divine, « image du Dieu invisible » (Col. 1, 15). Il n’est pas pour autant le voile de Dieu. Il nous faut comprendre, à la lumière des deux mille ans de révélation qui l’ont précédé, l'enjeu de son humanité, de son humilité, de l'abaissement qui nous ouvre à la contemplation de « l'homme en qui Dieu resplendit ». Au bout du chemin, comme nous le dit si bien le centurion, devant la Croix, chez Marc, le voile se déchire. Dieu est là... « Dieu apparaît en l'homme-Jésus ». Il est « l'homme-Dieu indivisible » nous dit Balthasar, contre une idée fausse qui verrait Jésus comme une figure incomplète, réservée aux simples, incapables de saisir la réalité de Dieu.
À suivre
Photo : Christ en croix, Robert Schneider, chapelle Baltard, saint Séverin
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