14 avril 2016

Syntonie et Trinité

Lire chez Teilhard que "l'instant du don total coïnciderait  alors avec la rencontre divine" (1), n'est-ce pas rejoindre cette dimension trinitaire du mariage évoquée par le pape François dans la joie de l'amour (2).

C'est ce que j'appelle la symphonie conjugale où l'homme et la femme mettent tout en oeuvre pour conjuguer leurs "instruments de musique" dans une quête qui peut devenir, comme le suggère Jean Paul II une liturgie, c'est à dire que leurs dons s'oublient dans une chair‎ unique (Gn 2) qui les dépassent, véritable fécondité à laquelle ils sont appelés.

Car cette chair unique visée par Gn 2 n'est-ce pas in fine le grand Corps du Christ . "La vraie union est celle qui simplifie, c'est à dire qui spiritualise... la vraie fécondité est celle qui associe les êtres dans la génération de l'Esprit". (3)

Teilhard le dira plus tard : " vous ne serez heureux (...) que si vos deux vies se rencontrent et se propagent, aventureuse ment penchés vers l'avenir dans la passion d'un plus grand que vous" (4)

(1) op. Cit p. 89 Cité par Christophe Gripon, p. 159ss
(2) AL n. 11
(3) Teilhard, Eternel féminin, p. 258
(4) Henri de Lubac,‎ L'éternel féminin, p. 72

Se marier, ça vaut la peine - AL 10

Je ne résiste pas à citer presque l'intégrale d'AL 130,tant il y a là l'essence du témoignage : " Après avoir souffert et lutté unis, les conjoints peuvent expérimenter que cela en vaut la peine, parce qu'ils sont parvenus à quelque chose de bon, qu'ils ont appris quelque chose ensemble (...) peu de joies sont aussi profondes et festives". 
Cela me rappelle l'hymne de la Fédération internationale des Centres de Préparation au mariage (FICPM) : "je voudrais qu'en ‎nous voyant vivre ils disent voyez comme ils s'aiment"....

Le festin de Babette dans La joie de l'amour - 9

Le chapitre 4 d'Amoris Laetitia (AL) commence par une très belle manducation de 1 Cor 13 : "l'amour prend patience....". Sur plus de 20 pages le pape commente un à un chacun des versets de cet ode à l'amour. Il y a une pédagogie et une dynamique dans cette lectio divina qui rejoint ce que j'ai longuement commenté dans La dynamique sacramentelle en apportant bien sûr des couleurs plus vives et plus profondes. On sent que ce texte a habité l'auteur et le porte dans sa méditation. En AL 126 il en arrive à une contemplation de la joie de l'amour, élargissement et "dilatation du coeur" qui passe par la prise de conscience de "la grande valeur" de l'autre (AL 127), le don jusqu'à la contemplation de l'autre comme une fin en soi (128), même s'il est malade et sans attraits.
On s'étonnera à moitié qu'après saint Th‎omas d'Aquin le pape François cite le film "le festin de babette" (AL 129)...

13 avril 2016

La dimension sacramentelle - La joie de l'amour 7

Le sacrement de mariage, "signe sacramentel" (AL 71) est aussi un "don pour la sanctification et le salut des époux, (...) rappel permanent de ce qui est arrivé sur la croix (...) vocation (...) réponse à l'appel spécifique à vivre l'amour conjugal comme signe imparfait de l'amour entre le Christ et l'Église" (AL 72).

On note là chez notre pape un léger glissement entre la vision idéaliste de ses prédécesseurs et le réalisme pastoral de François. En liant la vocation sponsale à la Croix, il ne dénature pas le sens commun du sacrement, mais insiste sur la difficulté qui‎ en découle. Comme je l'ai souvent écrit, le mariage est "impossible à l'homme et possible avec Dieu". C'est probablement ce que l'imparfait du n. 71 veut signifier. Dans Aimer pour la vie, j'insiste à la suite d'Augustin et de Bonaventure sur la différence entre l'image et la ressemblance, soulignant que seul le Christ est ressemblance parfaite. 
François nous donne une leçon d'humilité. Nous ne serons jamais à la ressemblance de l'amour trinitaire. Mais c'est à quoi nous sommes appelés.

Balancier ? - Les limites de l'exercice

Je souscris à la "sagesse" de Christos Yannaras sur les limites de l'utilisation de la métaphore érotique dans une pastorale. Dans un monde trop érotisé‎, il faut se méfier plus que jamais de notre utilisation de la Parole plus loin qu'elle ne veut aller. Dans un contexte vétéro-testamentaire, les métaphores de d'Osée 2, des premiers chapitres de Proverbes comme du Cantique des Cantiques, avaient leur place. Mais la sagesse de Paul est de la transformer, de la purifier en une métaphore plus aboutie, celle d'Éphésiens 5, dont l'accent lui-même doit être à nouveau contextualisé, comme je le montre dans Aimer pour la vie. On touche là à la vertu de tempérance.
Et pourtant on sent bien l'intention de C. Gripon  qui en cherchant à combattre l'excès masculin qui pèse sur la théologie depuis Lombard et Thomas, nous réouvre‎, par Teilhard à une poétique du féminin.
Cet effet de balancier me semble nécessaire, tant notre rationalisation de la foi européenne peut nuire à son éclosion. 

Il ne faut pas tomber, à l'inverse,  dans une traduction trop érotisée de la théologie du corps qui dépasse les avancées plus prudentes de JP II sur la liturgie des corps(1). 

On le voit tout est complexe et délicat. Suis-je trop prudent et masculin en disant ça ?  ‎

Aristote avec sa tempérance était plus prudent que Platon.  On peut relire plus bas ce que j'écrivais à la suite de Barth et les limites du platonisme telle que mise en évidence dans GC1 de Balthasar...‎

C'est peut être aussi le chemin de Teilhard entre son Éternel feminin et un ouvrage plus tardif sur L'évolution de la chasteté. On sent dans le premier la faille qui s'ouvre en lui dans la rencontre du féminin et dans le second la conversion intérieure (sublimation ? ) d'un désir qui lui permet enfin de saisir que la force érotique fleurit dans une fécondité nouvelle ce que j'appelle symphonie (quand François nous parle de syntonie (2)‎.
Citons Teilhard : "La femme épanouit, sensibilise, révèle [l'homme]à lui-même" (3) et plus loin "L'amour est le seuil d'un autre univers".  C'est  la flamme jaillie de cette première union [conjugale] qui s'élèvera vers Dieu" (4)
(1) Homme et femme, il les créa, p. 30
(2)  cf. Amoris Laetitia n. 13
(3) Pierre Teilhard de Chardin, L'évolution de la chasteté, p. 77 et 80, cité par Christophe Gripon p. 152‎
(4) Ibid p. 88‎







Famille et sacrement - La joie de l'amour 6

Le pape François reprend ce beau texte de Paul VI prononcé à Nazareth en 64  : "toute famille, malgré sa faiblesse, peut devenir une lumière dans l’obscurité du monde" (AL 66). Il parle bien sûr de la "sainte famille", mais je me doute que sous la plume de François,  ses propos sont plus larges et sonnent comme une exhortation.
C'est ce qui apparaît dès le n.70, dans sa citation de Deux caritas est : “Le mariage fondé sur un amour exclusif et définitif devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple et réciproquement: la façon dont Dieu aime devient la mesure de l’amour humain ” (n. 11).

On rejoint ici ce lien particulier mis en avant par Éphésiens 5 et récemment commenté (cf tags).

C'est ce qu'on peut lire juste après :"Le Christ a (...) aussi élevé le mariage au rang de signe sacramentel de son amour pour l’Église (cf. Mt 19, 1-12 ; Mc 10, 1-12 ; Ep 5, 21-32). C’est dans la famille humaine, réunie par le Christ, qu’est restituée ‘‘l’image et la ressemblance’’ de la Sainte Trinité (cf. Gn 1, 26), mystère de tout amour." (AL 71).

Nous rejoignons là ce que j'ai longuement évoqué dans la "dynamique sacramentelle".

L'inconnaissable

À la suite de mes posts sur "l'inconnaissable divin", je tombe sur ce petit extrait de l'apologie de saint Justin  qui entre en résonance : " personne n'est capable d'attribuer un nom au Dieu qui est au-dessus de toute parole, et si quelqu'un ose prétendre qu'il en a un, il est atteint d'une folie mortelle. Ces mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms, mais des appellations motivées par ses bienfaits et par ses œuvres. Le mot Dieu n'est pas un nom, mais une approximation naturelle à l'homme pour désigner d'une chose inexplicable" (1)

On pourrait aussi rappeler l'hymne de saint Grégoire de Naziance... : A toi l'au delà de tout"...

(1) Saint Justin,  première apologie,  source : office des lectures du jour, AELF

12 avril 2016

Présence absence - 3

"Il est bien que je m'en aille" Jn 16,7.
"Un seuil que nous avons du mal à passer, car beaucoup occupent la place du Christ. (...) [Celui-ci] s'efface (...) tout en renvoyant à quelqu'un d'autre, à notre origine, à la Parole de Dieu, au Père." nous dit Christoph Théobald. Il appelle cela "une expérience d'inversion  (...) seuil essentiel de l'expérience d'écoute (...) on ne regarde plus vers Dieu mais on se voit regardé par lui" (1).
C'est peut-être le point ultime de l'humilité. S'arrêter de parler à Dieu ou de Dieu et le laisser nous regarder, plonger au fond du coeur, nous aimer, tels que nous sommes et tels que nous pouvons devenir sous son regard, éclairés par sa lumière, portés par ses grâces et conduits à aimer en actes, comme nous le sommes...

(1) Christoph Théobald, Paroles humaines et Parole de Dieu, op. Cit p. 25.

Une éthique positive

Je rejoins ce que disait Mgr. T. Anatrella ce matin sur Radio N-D sur la façon dont le pape aborde la morale familiale. Les numéros 62ss sont caractéristiques de cette approche. L'indissolubilité n'y est pas présentée comme un "joug", "mais bien plutôt comme un don" (62) et la Samaritaine, comme la femme adultère ne sont pas condamnées mais "la perception de leur péché se réveille face à l'amour". (AL 64) L'approche de François n'est pas celle d'une condamnation, mais d'un éclairage miséricordieux qui éveille, éclaire et aide à discerner.

Quelle est ‎la différence me direz vous ? Elle est dans le respect porté à l'homme au-delà des actes. Et cela change tout... Car l'appel peut alors être entendu, l'interpellation donner du fruit.

Réalité et défi de la vie familiale - Chapitre 2

Je termine le chapitre 2 d'AL. On y trouve une description sans concession de toutes les difficultés actuelles de nos familles : excès de travail, individualisme, manque de communication, violences, migrations, addictions, sans compter d'autres pressions exogènes... François en parle avec la compassion misericordieuse d'un père et fustige les "lanceurs de pierres mortes".

On relira utilement le n. 53 sur la force de la famille.
J'aime la dernière phrase du chapitre qui nous vient des évêques colombiens : "libérer en nous les énergies de l'espérance en les traduisant en rêves prophétiques, en actions qui transforment et en imagination de la charité" (1)

(1) AL 57

Réflexions pastorales - AL 35 à 38

Poursuivons notre lecture de La joie de l'amour. Les paragraphes 35 à 38 semblent opposer une pastorale de l'accompagnement à une morale du jugement. Personnellement j'ai toujours eu une préférence pour la première et n'est pas caché mon agacement aux manifestations contre la décadence du monde qui manque de "capacité dynamique pour montrer les chemins de bonheur (...) reflet des attitudes de Jésus qui en même temps (...) [propose] un idéal exigeant [sans renoncer] à une proximité compatissante avec les personnes fragiles, comme la Samaritaine ou la femme adultère" (AL 38).

On retrouve bien là la priorité pastorale de notre pape et son hôpital de campagne. J'ai conscience que cela peut heurter nos vaillants défenseurs de la morale, mais c'est ce qui différencie pourtant Jésus des Pharisiens en Jn 8. 

Cf. A ce sujet mes développements dans Le vieil homme et la Perle.

Éloge de la tendresse - Amoris Laetitia 28

Nous avons souvent commenté ici le chapitre 11 d'Osèe en ce qu'il décrit les entrailles de Dieu et leur retournement. J'aime ce que dit François dans AL 28 sur la tendresse paternelle et maternelle de Dieu. Il met en rapport le Ps 131 et Osée 11 en décrivant un Dieu qui nous comble "comme un petit enfant contre sa mère". Ps 131, 2.
Est-ce parce que je vais être grand-père en septembre que l'image me touche ? :)

PS : Pour ceux qui n'ont pas le temps de lire l'exhortation (snif :( voici quelques pépites "live"...

11 avril 2016

Individualisme et communion

Si Dieu reste inconnaissable, l'incarnation nous ouvre un champ de contemplation, mais aussi de communion. Il nous révèle un Dieu tendu vers l'homme.  "Yannaras va jusqu'à affirmer que le lieu de la connaissance apophatique - la participation - s'identifie (...) au lieu de l'Église" (1). Il s'en suit une intéressante distinction entre l'individualisme religieux et l'Église.
"La religion est nécessairement individualiste (...) pulsion instinctive [alors] (...) que l'Église constitue l'existence comme communion". (2)
Cette clé de compréhension ouvre pour moi des portes à la compréhension de ce que j'appelle l'invitation à la danse trinitaire, non comme une adhésion mystique individuelle, mais comme le dépassement et le décentrement kénotique de l'individu qui entre au service du grand Corps qu'est l'Église.

(1) Christos Yannaras , cité par Gripon, op. Cit p. 120
(2) ibid p. 121.‎

Amoris laetitia - Pape François, La joie de l'amour

La joie de l'amour, du pape François  tout un programme à consommer sans modération.  On sent un texte emplit de sens pastoral.  Affaire à suivre donc... cf. lien sur le site du Vatican.
Petit extrait: "Le couple (...) est la vraie ‘‘sculpture’’ vivante (...) capable de manifester le Dieu créateur et sauveur. C’est pourquoi, l’amour fécond (...) la relation féconde du couple devient une image pour découvrir et décrire le mystère de Dieu, fondamental dans la vision chrétienne de la Trinité qui, en Dieu, contemple le Père, le Fils et l’Esprit d’amour. Le Dieu Trinité est communion d’amour, et la famille est son reflet vivant" AL,11
On retrouve des accents proches des catéchèses de Jean Paul II,  qu'il cite d'ailleurs juste après.
Cela résonne avec ce que j'ai écrit dans "Aimer pour la vie" et "Dynamique sacramentelle". Notons qu'il utilise le mot syntonie en 13 là ou je préfère symphonie. Cela doit être mon côté poète... :)

10 avril 2016

Sur le toit du monde -3 - M'aimes-tu ?

Quelques jours après la publication d'un post sur Jn 21, je découvre ce texte de Jean Paul II,  qui entre en résonance : " Il y a eu et il y a bien des hommes et des femmes qui ont su et qui savent encore aujourd'hui que toute leur vie a valeur et sens seulement et exclusivement dans la mesure où elle est une réponse à cette même question : « Aimes-tu ? M'aimes-tu ? » Ils ont donné et ils donnent leur réponse de manière totale et parfaite — une réponse héroïque — ou alors de manière commune, ordinaire. Mais en tout cas ils savent que leur vie, que la vie humaine en général, a valeur et sens dans la mesure où elle est la réponse à cette question : « Aimes-tu ? » C'est seulement grâce à cette question que la vie vaut la peine d'être vécue." (1)
(1) Homélie à Paris du 30 mai 1980, (trad. DC 1788, p. 556 copyright © Libreria Editrice Vaticana)