08 avril 2022

Essai fragile d’une homélie pour les Rameaux

 À la suite de cette longue lecture nous ne pouvons que rester silencieux… Nous sommes au bout du voyage qui, à travers le carême, nous a conduit vers cette Semaine Sainte particulière où Jésus va marcher vers la mort, agneau silencieux, les mains liées par la violence des hommes, prêtant son dos aux outrages comme l’avait prédit Isaïe. 

Ce silence doit nous interroger. 


Pourquoi ?

Pourquoi est il parvenu à ce stade d’abandon ?

Pourquoi va-t-il jusqu’au bout ? 

Quelle est la force qui l’habite ?


Les lectures qui précèdent apportent des réponses troublantes.


Isaïe et le psaume 21 ont été écrits probablement plusieurs centaines d’années auparavant et décrivent une violence déjà là : « ils ont percé mes mains et mes pieds » (Ps 21). Cette folie va-t-elle s’arrêter ? 


La question qui vient est essentielle…

Sommes-nous complices de cette violence ?

À chaque fois que nous tournons la tête devant un petit qui souffre, un mendiant d’amour, un étranger, ne sommes-nous complices de cette violence ? 

Que faisons-nous pour arrêter cela… ? 

Posons nous peut-être la question jusqu’au bout ? Qui allons-nous soutenir demain ? Ceux qui prônent la violence et l’exclusion ou ceux qui veulent construire un monde plus fraternel ? Je n’irais pas plus loin sur ce thème, bien difficile. 


Contemplons plutôt la deuxième lecture. Jésus ne fait pas le choix de la violence. Il aurait pu être Dieu, « il s’est anéanti (ekenosen), dit le texte, prenant la condition de serviteur », allant jusqu’à laver les pieds de celui qui va le livrer dira Jean 13. Humilité extrême…


Et nous, allons-nous jusque-là ? 

À chaque fois que nous entrons dans la spirale du jugement, de la jalousie et de l’orgueil nous participons à la mort de Jésus, au règne de la violence…

À chaque fois que nous fuyons ou détournons le regard…


Jésus a pris le chemin inverse. Il s’est fait humble, il est monté sur un petit âne fragile. Il est conscient que la gloire est rien, que l’orgueil est violence…


Je vous le dit sur la pointe des pieds…. 

Ne rentrons pas dans le jeu du malin. 

Dieu nous appelle à l’amour, dans les petits gestes de l’aujourd’hui de nos vies. Tout le reste est du vent…


Il a choisi d’aller jusqu’au bout, pour nous conduire à une révélation : 

1. la Croix est le signe de l’amour du Père qui va jusqu’à donner son Fils, 

2. Elle montre le Fils qui va jusqu’à souffrir le silence apparent du Père, jusqu’au cri que pousse tous les souffrants

3. pour que, en nous, s’ouvrent les portes de l’Esprit, remis en nos cœurs pour nous faire choisir l’amour. 

À la croix nous découvrons que la Trinité toute entière est agenouillement devant l’homme pour qu’il quitte le chemin du mal et choisisse l’amour… 


Jésus est amour en actes. Il va jusqu’au pardon inouï d’un « pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’il font… » Et nous que faisons nous pour que l’amour soit vainqueur ? Que fais-tu de ton frère ? 


Les rameaux que nous allons brandir ne servent à rien. Ils nous protègent de rien si nos maisons ne sont pas des lieux habités par l’amour, si notre Dieu n’a pas de place au plus profond de nos cœurs….


Entrons dans cette Semaine Sainte avec cette question essentielle : où est l’amour dans ma vie ?

05 avril 2022

Triangles 2.45


Une amie m’a glissé une belle image de triangle qui complétée à mon concept de danse donnerait quelque chose d’intéressant.


« Au lieu d’opposer homme et femme en vis à vis, il faudrait mettre le Christ dans le triangle pour que cela ne demeure pas une éternelle confrontation » me dit-elle, « mais ce que vous appelez une danse ».

Avec dans une main l’autre et dans l’autre le Christ, ajoute-t-elle. 

Si l’on associe cela à mon concept/image de danse trinitaire nous aurions quelque chose de ce genre : 


Père 


                                 Esprit


                  Fils.   


     femme        homme


Faites tourner cela dans une danse symphonique ou comme une douce série d’engrenages et vous approchez de ce qui me semble « le rêve de Dieu » pour reprendre la métaphore de François…




Avons-nous trop tendance à opposer hommes et femmes ? Cherchons nous l’unité dans son sens symphonique ? Passe-t-il par l’humilité ?Dans mon livre « aimer pour la vie » je développe ce concept de « descente de tours » qui suppose une humilité réciproque devant l’inaccessible de l’autre. Un chemin qui s’approche de l’agenouillement du Christ. Lui seul descend jusqu’à terre. Et son geste est chemin.


Mais sommes-nous prêts à descendre dans la folie d’une nudité et du don jusqu’à ce que signifie la troisième formule du consentement : « je te reçois et je me donne à toi » ?. « Ils étaient nus et n’en n’avaient pas honte… ». Cette nudité qui rejoins celle du don total du Christ en Croix…


« je te reçois… » 

La réception prime… 

Le don, trop mis en avant, serait écrasement ou masochisme. 

La danse ne fonctionne que lorsqu’elle est symphonique et kénose… 

Et cet agapè est ce que Christ nous apprend…

Dieu est la source de tout don. 

A l’aube de la semaine sainte, c’est peut-être ce qu’il nous reste à contempler…


PS : certains diront qu’on peut se passer d’un des éléments du schéma. Peut-être, mais je crois qu’au sein même de chaque personne humaine repose à la fois une part de féminité et de masculinité, comme en germe, la trace fragile d’une semence trinitaire. Cette cohabitation ne se révèle que lorsque nous nous ouvrons à l’autre dans ce cri originel et réciproque qui vient à nos lèvres devant le « visage de l’autre » habité par le souffle qui nous fait sortir d’une auto suffisance.

03 avril 2022

La semence 2.44


Les textes de ce dimanche sont très riches.

Isaïe nous parle de germes qui rejoint ces dons reçus déjà mentionnés dans mes billets précédents (2.23). Nous sommes les fruits de la grâce multiforme d’un Dieu amour. Ce passé, ces dons reçus, qu’en avons nous faits ? Souvent pas grand chose, voir le mal, le jugement ou la jalousie… balayures nous dit Paul, (Ph 3) car le Christ m’a saisi pour autre chose…

Saisi pour une course nouvelle : le saisir, lui l’insaisissable et se laisser saisir, transformer, se laisser « pousser » comme cette semence déjà évoquée pour en faire le bien.

Ce mal que j’ai fait est balayure si Dieu me relève et me glisse à l’oreille, « va, je t’aime, ne pèche plus.. »

À toute morale de condamnation qui rend froid nos discours, la danse du Christ à genoux devant la femme pécheresse, mais plus largement devant notre humanité fragile toute entière est de convertir la loi de pierre en traits fragiles, en chemin d’humilité et d’humanité… « va… ! »

Je sais que certain.e.s refusent de considérer que cette femme puisse être celle qui deviendra la première en chemin, celle qui est première apôtre de la résurrection… mais pourquoi pas ? Car si nous sommes tous enfermés dans notre passé, la danse humble de Dieu, loin des froideurs pharisiennes est une danse vectorielle, un agenouillement qui nous propulse plus haut. C’est cela être « saisi » dans la course à laquelle nous convie Paul. Course infinie nous dit le cappadocien… 

Danse…


Ce qui compte n’est pas notre passé mais de percevoir ce concept de tourbillon amoureux entre trois personnes, ce que j’appelle dans mon livre éponyme « la danse trinitaire ». Non pas un cyclone au dessus de nos têtes, mais, par l’incarnation, une éternelle invitation à la danse.

L’agenouillement de Jésus devant la femme adultère, qui tranche avec la froide raideur des pharisiens est le signe fragile de ces agenouillements qui traversent l’écriture et se répondent d’Abraham à Béthanie jusqu’en Jean 13. Dieu est ici à genoux, comme devant Judas ou moi Claude, qui fait rarement le bien que je voudrais faire. Il est le signe que l’amour est plus grand que ce qui me retient à la terre. Dieu nous aime et sa morale « vectorielle » est de croire qu’en tout homme repose la semence d’un amour à faire « pousser… »

29 mars 2022

L’eau et la danse 2.43

La liturgie met en lien aujourd’hui deux textes magnifiques autour du thème de l’eau. Ils sont chacun à contempler à la lumière de ce passage de Jean 19 où le cœur du Christ transpercé fait jaillir une source inépuisable qui n’est autre pour Jean que l’Esprit. C’est ainsi qu’il faut lire il me semble ce récit d’Ezéchiel 47 avec cette source immense jaillissante dont on ne peut plus évaluer la profondeur. 

Saint Bonaventure avait cette belle image dont j’ai fait le titre d’un de mes livres «  l’amphore et le fleuve (1)». Si nous contemplons avec bienveillance notre vie, nous pouvons apercevoir l’ampleur des dons de Dieu que notre amphore ne peut parvenir à recueillir tellement elle dépasse notre propre contenant. De la fleur fragile à l’amour reçu d’autrui le grand Donateur ne cesse de combler ses enfants. Encore faut-il ouvrir son cœur à cette source immense. Et c’est l’enjeu du discours de Jean, depuis la nouvelle naissance évoquée à Nicodème (Jn 3), en passant par le « j’ai soif de toi » que nous fait comprendre la question à la samaritaine (Jn 4) jusqu’au j’ai soif final, la question que pose Jésus au paralytique en Jean 5 est un écho de « l’où es tu ? » originel de Gn 3.

Veux-tu être guéri ? Le veux-tu vraiment ? Crois-tu à la bonté de Dieu ? Vais-je mourir en vain ? M’aimes-tu ? Veux-tu danser avec moi ? 

« J’ai joué de la flûte sur la place du marché », viendras tu jusqu’au bout ?


Écoutons saint Augustin sur ce thème… :

« Les miracles du Christ sont des symboles des différentes circonstances de notre salut éternel (...) ; cette piscine est le symbole du don précieux que nous fait le Verbe du Seigneur. En peu de mots, cette eau, c'est le peuple juif ; les cinq portiques, c'est la Loi écrite par Moïse en cinq livres. Cette eau était donc entourée par cinq portiques, comme le peuple par la Loi qui le contenait. L'eau qui s'agitait et se troublait, c'est la Passion du Sauveur au milieu de ce peuple. Celui qui descendait dans cette eau était guéri, mais un seul, pour figurer l'unité. Ceux qui ne peuvent pas supporter qu'on leur parle de la Passion du Christ sont des orgueilleux ; ils ne veulent pas descendre et ne sont pas guéris. « Quoi, dit cet homme hautain, croire qu'un Dieu s'est incarné, qu'un Dieu est né d'une femme, qu'un Dieu a été crucifié, flagellé, qu'il a été couvert de plaies, qu'il est mort et a été enseveli ? Non, jamais je ne croirais à ces humiliations d'un Dieu, elles sont indignes de lui ».

Laissez parler ici votre cœur plutôt que votre tête. Les humiliations d'un Dieu paraissent indignes aux arrogants, c'est pourquoi ils sont bien éloignés de la guérison. Gardez-vous donc de cet orgueil ; si vous désirez votre guérison, acceptez de descendre. Il y aurait de quoi s'alarmer, si on vous disait que le Christ a subi quelque changement en s'incarnant. Mais non (...) votre Dieu reste ce qu'il était, n'ayez aucune crainte ; il ne périt pas et il vous empêche vous-même de périr. Oui, il demeure ce qu'il est ; il naît d'une femme, mais c'est selon la chair. (...) C'est comme homme qu'il a été saisi, garrotté, flagellé, couvert d'outrages, enfin crucifié et mis à mort. Pourquoi vous effrayer ? Le Verbe du Seigneur demeure éternellement. Celui qui repousse ces humiliations d'un Dieu ne veut pas être guéri de l'enflure mortelle de son orgueil.

Par son incarnation, notre Seigneur Jésus Christ a donc rendu l'espérance à notre chair. Il a pris les fruits trop connus et si communs de cette terre, la naissance et la mort. La naissance et la mort, voilà, en effet, des biens que la terre possédait en abondance ; mais on n'y trouvait ni la résurrection, ni la vie éternelle. Il a trouvé ici les fruits malheureux de cette terre ingrate, et il nous a donné en échange les biens de son royaume céleste » (2)


Ses paroles sont puissantes, dérangeantes, mais comme Naaman, ne faut-il pas se laisser secouer, de temps en temps jusqu’à la jointure de l’âme. L’appel de Dieu est irrésistible à qui veut bien entrouvrir sa porte à l’indicible…


(1) Claude Heriard, l’amphore et le fleuve, gratuit sous ce lien : https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

(2) Saint Augustin  Sermon 124

26 mars 2022

Agenouillement 2.42

Peut-être que la découverte intérieure à laquelle nous conduit la manducation des textes de ce dimanche, en complément de mon billet précédent, à la suite de cette démesure à laquelle Jesus nous appelait il y a quelques semaines, réside dans 4 contemplations successives :

 1. Celle d’un Dieu nourricier qui passe de la manne quotidienne à la démesure de Canaan, terre promise, elle même prélude du don du Fils. (Josué 5)

 2. Celle d’un Christ à genoux devant Judas car il croit en l’homme (Jn 13)

 3. Celle d’une croix qui révèle nos jalousies éternelles et révèle le jusqu’au bout de l’amour (2 Co 5)

 4. Celle d’un Dieu qui s’agenouille pour panser les pieds meurtris du pécheur que nous sommes dans une divine miséricorde (Luc 15)

Alors les agenouillements qui vont d’Abraham à Béthanie jusqu’au lavement des pieds, déjà longuement commenté dans ma trilogie et dans « Danse avec ton Dieu » ne sont finalement que les mimes d’un double agenouillement : celui du Père ET du Fils qui, sous la conduite et la grâce de l’Esprit nous conduit à notre tour à tomber à genoux devant nos frères  : telle est la danse auquel Dieu nous invite.


Jésus s’adresse à des pharisiens souligne Marie-Noēlle Thabut (cf, lien ds 2.41). Des hommes pieux, mais trop rapide à juger comme le fils aîné de Luc 15. A toute nos tentations de jugement et de jalousie Jésus oppose un Dieu qui court vers la brebis perdue et tombe à genoux devant celui qui s’agenouille intérieurement. Le fils prodigue prononce deux fois son mea culpa et c’est dans cette structure concentrique que la miséricorde divine se dévoile, épiphanie du verbe qui précède ce « Père pardonne leur » que Luc glissera plus loin… en 23, 34 - une phrase qui est l’équivalent chez Luc du lavement des pieds de Jn 13….


Don de Dieu

   Passage 

       Jalousie et violence des pharisiens 

               Confession du Fils prodigue 

                      Un père qui court vers son fils 

                       (Dieu de tendresse)

               Confession du Fils prodigue 

         Jalousie du frère aîné 

     Père pardonne leur

Mort du Fils

Pâques


Cf. mon «  Dieu de miséricorde » ou la nouvelle édition gratuite de Dieu dépouillé sur https://www.fnac.com/ia9587875/Claude-J-Heriard

24 mars 2022

Laetare… 2.41

Nous sommes au quatrième dimanche de cette longue marche et la liturgie nous invite à faire une pause dans ce tunnel particulier qui nous conduit à Pâques pour ne pas sombrer dans dans la désespérance, mais au contraire pour lever la tête et contempler les dons de Dieu.

Alors que le bruit des canons ébranlent les portes de l’Europe, que des tremblements de terre secouent l’Asie et que la pandémie reste à nos portes, pourquoi se réjouir ?

Peut-être d’abord parce que le printemps est là. Qu’il nous est donné après l’hiver de croire que la vie peut surgir du néant. Les hébreux après 40 ans au désert, soutenus par la manne, arrivent dans un pays de lait et de miel… (cf. Josué 5). Mais ce qui compte est plus essentiel, 


« Si quelqu’un est dans le Christ,

il est une créature nouvelle.

Le monde ancien s’en est allé,

un monde nouveau est déjà né », 

nous dit Paul (2 Co 5)


Être dans le Christ… invités à ne pas nous enfermer dans une posture de culpabilité, mais relever la tête, voir l’Amour qui se révèle à nous dans une double révélation au delà de nos impasses. Nous marchions vers la mort et voilà que dans le Christ nous est révélé l’incroyable. Jésus nous fait croire à l’impossible : à la miséricorde.

C’est peut-être l’essentiel de cet évangile de Luc, après deux belles histoires, cette bonne nouvelle auquel le fils prodigue ne veut croire. La grande nouvelle c’est qu’au delà du don que nous fait le Fils, il y aussi le pardon de Père qui est aussi immense. Nous pouvons nous réfugier dans les bras d’un « père » qui court déjà vers nous.


Oui, quelque soit nos abandons, nos reniements, nos aveuglements, Dieu reste amour, Dieu est amour et sa joie est de guetter notre retour, de courir vers nous, de s’agenouiller devant nos pieds blessés, panser nos cœurs meurtris, pleurer de nos violences et nous inviter encore et toujours à l’amour et au pardon en remettant à notre doigt la bague qui fait de nous des fils,

Alors ne nous comportons pas comme le fils aîné, réjouissons nous, à chaque fois qu’un homme frappe à la porte de nos églises, car Dieu est là plus grand que nos amours fragiles… 


Je bénirai le Seigneur en tout temps,

sa louange sans cesse à mes lèvres. (…)

exaltons tous ensemble son nom.

Je cherche le Seigneur, il me répond :

de toutes mes frayeurs, il me délivre.

Qui regarde vers lui resplendira,

sans ombre ni trouble au visage.

Un pauvre crie ; le Seigneur entend :

il le sauve de toutes ses angoisses ».Ps 33


Prenons le temps d’écouter les mots du Père comme s’il nous parlait à l’oreille : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il faut festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort,

est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé ! » 

Luc 15…


Qu’est ce qui guérit le fils prodigue ?

« Rentrant en lui même ? » dit le verset 17. 

Descendons au plus profond de nos cœurs.

Là est le mystère auquel Christ nous invite. Après ce dimanche de joie, n’oublions pas que le jeûne qui compte est surtout celui qui nous éloigne du bruit et nous invite au silence, à ce lieu intérieur où Dieu nous attend. C’est là que nous aurons l’étincelle qui nous fait voir au delà d’un Christ à genoux un Dieu également « à genoux ». C’est en/par le Fils que se dévoile la vraie image du Père, que se fait sentir, par les mots/Verbe du Fils, la tendresse infinie d’un Dieu qui croit en l’homme.


Réjouissons nous en ce dimanche de la joie et espérons contre toute espérance…


——


PS : pour aller plus loin, on pourrait aussi commenter peut-être ce verset compliqué de Paul : « Dieu l’a identifié au péché » 2 Co 5, 21. Certaines versions traduisent « chargé de nos péchés ». 

Paul parle du Christ mais le mot est complexe je l’entends au sens donné par Jean 3 et Nb 11. En Nb 11, Moïse élevé le serpent pour guérir de ses blessures. Jésus explique en Jn 3 qu’il faudra la Croix pour montrer où conduit la violence. Elle est le signe élevé de nos violences et de nos faiblesses. La première de notre faiblesse est peut-être de trop vite identifier le voisin comme pècheur. C’est la tentation du fils aîné. 

Notre aveuglement est de voir l’autre sous l’angle du jugement. La révélation de Luc c’est que tout homme est aussi capable de bien. Le Christ sans péché a été condamné à tort et sa mort [souligne René Girard après Paul] montre la tentation du fils aîné, cette jalousie qui nous conduit vers la violence extrême et collective, mimétique. Ne jugeons pas trop vite. L’enfant perdu (et nous aussi probablement) peut être touché par la grâce et là est notre espérance !

Ce Dieu que nous présente Jésus à travers les mots de Luc est celui qui envoie son Fils aux pieds de tout homme, à genoux (Jn 13) pour les sortir de toute impasse, c’est le père de celui qui  « prend la condition de serviteur » (Ph2) pour relever ce qui est tombé. 

C’est ce Christ qui se révèle à nous, celui que nos frères orthodoxes vont jusqu’à vénérer dans l’icône de l’anastasis où Christ y relève Adam et Ève (cf. Image 3) pour que tout homme se relève de ses impasses. Là est notre joie et notre espérance…l’amour est plus fort que la mort…


On peut aussi lire ici l’excellent commentaire de Marie-Noēlle Thabut https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/524306-commentaires-du-dimanche-27-mars-2/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-27-mars-2

Ou rejoindre notre Maison d’Évangile - La Parole Partagée

15 mars 2022

Buisson ardent 2.40 [v3]

La première lecture de dimanche (Exode 3) est un source profonde de contemplation. Il n’est pas anodin de « retirer ses sandales », devant ce buisson de feu, car Dieu, qui mérite un sacré détour, y prépare doucement sa révélation jusqu’au lavement des pieds, et au silence de la croix, dans cette danse particulière d’un amour trinitaire qui se penche vers l’homme.  

C’est ici que l’on commence à percevoir la tendresse d’un Dieu qui s’intéresse à l’homme, frémit dans ses entrailles « maternelles » et entend, comme dans Osée, la souffrance de son peuple.

Je suis descendu ou je vais descendre… ? 

Présent ou futur, tant attendu en ces jours de désolations qui nous frappent encore ? 

On doit peut-être souligner ici les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ».

Je vous livre ici une vieille méditation (1) inspirée de nombreux auteurs. 

Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la « pureté de l’affirmation » Eckhart évoque ainsi « un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière ».

Que veut-il dire par là ? Est-ce ce tourbillon d’un amour qui ne cesse de s’intéresser à l’homme ?


Il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie ». 

Eckart souligne que cette vie « signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ».


Est-ce la démesure de l’amour divin dont nous parlait Jésus dimanche dernier ? 

Est-ce déjà le cœur transpercé d’où jaillit l’amour qu’évoque Jean 19 et qui se dessine dans la dynamique du torrent du temple d’Ezechiel ?


Pour Thomas Römer  on devrait d’ailleurs plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob[319] : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». 

De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. 

Dans cette révélation du nom de Dieu, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de « Yhwh » imprononçable car probablement insaisissable…

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.


Dieu est amour, mais jusqu’où ? Se limite-t-il dans une préférence ou va-t-il jusqu’à l’agenouillement devant Judas et donc jusqu’à chacun de nous, en dépit de nos faiblesses et de nos reniements ?


D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction qu’il faut probablement aller. 


En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ.

Enfin, selon Grégoire de Nysse, le buisson : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ».

L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère… »(1)


Quel est alors l’enjeu pour aujourd’hui ? Est-il de croire comme l’a fait Moïse il y a 3000 ans cette affirmation particulière du verset 7 : « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple ». En ce temps de guerre tel est le souffle ténu de notre espérance… 

Dieu pleure de nos violences… Ses entrailles se déchirent et nous appelle à la Paix. 


La où certains soutiennent la guerre, le buisson brûle d’un amour qui ne consume pas et Jésus refuse que l’on coupe le figuier dans l’espoir qu’il portera du fruit… Quelle espérance !


(1) Extrait de mon Dieu dépouillé 


Cf. aussi https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR

13 mars 2022

Transfiguration - la danse lumineuse 2.39

Pourquoi Moïse et Élie sont-ils invités à cette danse lumineuse de la Transfiguration ?

Peut-être parce que depuis Abram qui cherche dans les vieux sacrifices son Dieu, seuls ces deux personnages ont fait l’expérience du désert jusqu’à contempler le dos de Dieu sans en voir la face.

Moïse est redescendu tout lumineux du Sinaï (Ex 34) mais n’a pas encore vu la lumière véritable.

Élie a senti la brise et entendu le bruit d’un fin silence (1 Rois 19), voire le chant des anges (1), mais il ne lui a pas été donné de voir Dieu.

Dieu ne se révèle que dans une danse tragique et inaccessible, là où on ne l’attend plus.

La transfiguration est le signe fragile et lumineux que sur la Croix toute noire de sang versé la lumière va jaillir d’un cœur transpercé.

Mythe, dernière théophanie, rêve qui attire Pierre dans un élan mystique et lui fait croire qu’on peut planter la tente ? Non, la lumière fugace du ressuscité qui se révèle ici n’est pas le bout du chemin, mais la seule manifestation que Dieu n’est qu’en route vers l’insaisissable…

Ni Moïse, ni Élie, ni Pierre ne peuvent saisir ce qui nous vient d’Ailleurs. Il nous dépasse et en même temps il nous entraîne dans une danse lumineuse et obscure, tragique et en même temps salvatrice, car dans le sang versé une fois pour toutes de l’agneau de Dieu, nos faiblesses et nos violences fondent devant ce qui est lumière, l’amour infini d’un Dieu trinitaire qui se donne et se révèle sur une croix et devient la gloire et la lumière d’un amour qui se donne puis s’efface dans le silence d’un unique sacrifice…


(1) cf. Pédagogie divine

Cf. aussi le beau commentaire de Marie-Noēlle Thabut  https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/523847-commentaires-du-dimanche-13-mars-2/

09 mars 2022

Danse avec ton Dieu - le livre - 2eme édition

 Danse avec ton Dieu - Bouquet final ?

 Comment Dieu vient-il à l’homme ? Plusieurs réponses sont possibles. Celle la plus méditée est cette lente pédagogie de plusieurs millénaires, qui montre que Dieu a choisi de se révéler, après bien des échecs, dans la trace fragile d’un homme. 

Depuis l’enfant nu jusqu’à la Croix, le dévoilement d’un Dieu tout amour touche en effet à l’indicible, pas à pas d’une danse subtile et bien fragile, qui va jusqu’au tragique.  

La danse de Dieu vers l’homme a sa source bien loin, mais, d’inaccessible, elle s’est faite plus palpable, plus humaine, et surtout nous a tracé un chemin, un pas de deux, puis à trois, avant de se retirer dans le silence, tout en nous invitant à une valse. 

Ce mystère reste chemin éternel de contemplation. 

Ce chemin que je trace avec vous depuis plus d’un an méritait d’être rassemblé dans un livre. Il fait suite à de nombreux écrits et recherches personnelles sur nos liens entre l’Écriture, la Révélation et la vie. Le principal est peut-être le petit essai « Danse trinitaire » pour lequel ces réflexions constituent comme de lointains échos à une trame déjà orchestrée dans cette musique particulière qui m’habite depuis des années.  Si ce premier essai a donné naissance à d’autres ouvrages que j’ai tenté de résumer dans  «  Dieu dépouillé », il manquait une mise en résonance entre un travail solitaire et d’autres chercheurs. 

Diacre dans un village du monde rural, à la périphérie du bruit du monde, mais aussi dans le monde, plongé à l’écoute de cette rumeur que l’on n’entend pas toujours dans nos paroisses trop policées, ce texte est une composition de petits écrits dont la trame est un fil rouge fragile, mais qui ne cesse de danser dans ce tourbillon particulier auquel Dieu nous invite sans cesse.

Ce recueil reprend donc des notes spirituelles rédigées pendant les nuits de mai 2020 à 2022. Nuits de confinement, mais aussi de dialogue intérieur et de réflexions théologiques d’abord solitaires puis progressivement d’interactions avec une communauté de chercheurs. Dialogue ouvert, souvent respectueux, parfois plus difficile, mais loin d’une théologie fermée, académique ou dogmatique. Le tout s’est nourri de lectures croisées entre la Parole, des livres, des essais, des mémoires et des thèses échangées librement.

Les textes qui suivent s’organisent en trois « saisons » : Dépouillement puis « danse trinitaire saison 1 et 2 ».

Pourquoi ce recueil ?

D’abord pour tracer le chemin personnel parcouru, les impasses, les répétitions et les lumières venues d’ailleurs. Pour rendre accessible à tous, certains travaux plus difficiles, comme le dernier livre de Jean Luc Marion, qui a servi de base à la troisième saison. Pour mettre en lumière quelques autres lectures « dansantes » comme celles du « Dieu nu » d’Arnold, la découverte de certains ouvrages de T. Römer et de livres de François Cassingena-Trévedy et de Sylvaine Landrivon.

Pour mettre aussi, en parallèle, certains textes ayant été rendus publics en chaire, homélies paroissiales, rarement écrites seules, le plus souvent travaillées à plusieurs. Le résultat est là, avec ses impasses et le désir toujours recherché d’un consensus fragile et de cette invitation à la danse trinitaire, thème central, insaisissable d’un Dieu qui se révèle à nous et se donne..





A vous lecteurs qui avaient dansé avec moi parfois sur quelques notes, voici maintenant proposé, gratuitement sur Kobo  (en PDF par MP) ou sous forme papier à prix coutant sur Amazon, une centaine de méditations nocturnes qui constituent, par petites touches, des pas de danse avec un Dieu trine.

28 février 2022

Le troisième pas - danse 2.38

Une fois pris dans le tourbillon de la danse, où s’arrêter ? La reprise, le jeudi saint du mime original du lavement des pieds n’a de sens que lorsqu’il prends chair dans un amour en « actes et en vérité ». C’est ce que Jean Zumstein (1) appelle sa deuxième interprétation du lavement des pieds, non plus seulement comme lieu de contemplation d’un Dieu à genoux, mais comme « exemple », exhortation à continuer à faire de même. 

Pour Pierre le premier sens du lavement des pieds est déjà difficile à accepter. Non pas toi Seigneur… Est-il capable de faire le troisième pas ?

Qu’est-ce que le troisième pas et pourquoi parler en effet d’un troisième pas de danse. Parce que pour moi, le premier agenouillement introduit la Croix, le vrai « agenouillement »mais si la Croix est signe élevé, lieu de salut et invitation, non à un sacrifice (unique) par essence, mais à la conversion/metanoia du cœur qui nous met au cœur du mouvement introduit cet axe même qui va du chapitre 13 de Jean (lavement des pieds) au chapitre 19 (croix). Tout dans cette « danse » est orienté pour nous préparer à agir.

Le lavement des pieds est, comme le souligne le Christ lui-même au verset 15, « un exemple [ὑπόδειγμα] pour que, comme moi j’ai fais à vous, vous aussi vous fassiez » (2) Jean 13, 15.

Tout est orienté vers notre agir, notre diaconie véritable.

Zumstein, à propos de ce verset et plus largement du geste de Jésus insiste sur le mot grec ὑπόδειγμα / exemple, là où Léon Dufour parlait de mime. De mon côté je maintiens le mot de danse, car depuis le geste du chapitre 13 au « tragique » de la Croix se révèle l’essence même du mouvement qui va de Dieu à l’homme, descente indicible, POUR que l’humain aille à l’humain… Non pas un agenouillement servil devant Dieu, mais un amour dans cette démesure que nous contemplions dimanche dernier.

Quel chemin que cette humilité de Dieu (kénose).

« Le don que le Christ fait de sa vie et qui porte l’amour à son achèvement est la condition de possibilité de l’amour des disciples. Parce que le Christ instaure l’amour comme une réalité dans le monde - plus précisément comme la réalité [ultime] (…) -, les disciples sont mis en condition d’aimer ».(3). Sont-ils pour autant capables de prendre ce  « toboggan » théologique qui part de la pédagogie divine à jusqu’à la révélation et n’a comme but unique que de nous projeter vers l’essentiel, le commandement unique d’aimer « d’agapè » [sans mesure] ? C’est en tout cas l’inaccessible projet de Dieu qui nécessite le torrent d’amour que décrit Jean au chapitre 19, ce jet d’eau et de sang jaillissant de la faille d’un cœur brisé et donné sans retour qui n’est autre pour lui que le don de l’Esprit.


Ce que les hommes n’avaient pas perçu, semble évidence pour les « amies de Béthanie », qui, dans leur complémentarité salutaire, font de Marthe et Marie les deux faces les plus visibles de la révélation en marche, nous glisse à sa manière Sylvaine dans ses « leçons de Béthanie  » (4) déjà évoquées… 


Pour nous, l’enjeu n’est pas de croire qu’il s’agit d’un acquis, d’une courbette éphémère. Cette danse vers l’homme est inaccessible pour nous sans la force de l’Esprit qui vient cueillir notre désir et nous fait franchir le ravin entre un « peut-être » et l’agir véritable.


Or, il n’est pas innocent de noter, que pour l’auteure, ce sont des femmes qui sont baignées les premières dans ce torrent d’amour et deviennent actrices du salut.


En paraphrasant l’hymne d’aujourd’hui ont peu s’agenouiller devant celles qui ont cru les premières :


Les voici rassemblées

Dans la maison du Père,

Les compagnons d'épreuve

Qui t'ont vu crucifié.

Tu ouvrais le passage,

Elles marchaient sur tes traces,

Ô Seigneur des Vivants.


Elles portaient dans leur cœur

Pour éclairer le monde

La mystérieuse image

De ta gloire humiliée.

Messagers d'espérance,

Elles semaient ta parole

Et c'est toi leur moisson.


Elles ont place au festin

Dans le Royaume en fête,

Pour avoir bu la coupe

De l'amour partagé.

Tu leur montres le Père

Et ta joie les habite,

Ô Jésus, Fils de Dieu !


Nous fêtons aujourd’hui la chaire de Pierre, mais sur quelle pierres vivantes est bâti ce trône ? N’oublions pas celles qui ont lavé leur tuniques dans le sang de l’agneau. Méprisées alors que leurs « voies royales » (5) [toutes leurs souffrances ou dévotion accumulées] les mettent devant ceux qui ont pris la première place en négligeant les toutes aimées de Dieu…

Hommage et humilité…


(1) Jean Zumstein, l’Evangile selon saint Jean (13-21), Labor et Fides, 2007

(2) Jean 13, 15, traduction littérale 

(3) Zumstein, ibid. p. 53

(4) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(5) cf. son livre éponyme

20 février 2022

Le premier pas - danse 2.37

Nous sommes venus et nous sommes repartis.

Qu’est ce qui a changé ?

Comment notre vie est-elle bouleversée par Christ ?

Cette question, nous ne pouvons la poser à la dérobade et je n’ai à peine le droit de la poser ici. Et pourtant elle devrait me travailler, nous travailler, au plus profond de notre cœur, car elle est essentielle. Elle est au cœur de notre engagement de chrétien.

Dans la première lecture de ce dimanche, David surprend ses interlocuteurs, alors qu’il s’inscrivait dans une logique de violence, le voici qui est transformé de l’intérieur, qu’il renonce à mettre la main sur son roi et interpelle sa raison.

Dans la deuxième lecture Jacques interpelle de la même façon notre humanité. Sommes-nous des fils d’Adam, des « terreux » ou des fils spirituels ?

Que sont d’ailleurs les fils de l’Esprit ? C’est peut-être ceux qui acceptent d’être changés en profondeur, qui sentent monter en eux la violence et qui la répriment, changent leur « cœurs de pierre en cœur de chair » et se laissent conduire par l’Amour, l’amour avec un grand A, celui qui « ne cherche pas son intérêt » mais entre dans la démesure du don, un don immense, dont le Christ est seul icône parfaite.

Jésus nous parle aujourd’hui dans ce texte particulier de Lc 6, 27-38 qui suit juste le message des béatitudes. Il va un pas plus loin. Et quel pas !

Si l’on te frappe, tends la joue gauche. Ne répond pas. Tends ton regard vers l’agresseur, ne lui tends pas la première joue, celle qui a souffert, ce qui serait du masochisme, mais interpelle-le par ton regard, et en même temps, change ton regard pour changer le sien. Laisse toi envahir par le par-don, par l’Amour. Ce à quoi nous conduit le Christ est plus grand que tout. Il est cet amour que décrit Luc, débordant, démesure, don qui ne compte pas, qui ne juge pas.

Il est agenouillement, devant tous les Judas que nous sommes, comme ceux que nous subissons.

Christ croit en toi, en moi, en nous.

Le voici, à genoux, pleurant, pour que se réveille enfin, l’amour, celui qu’Il porte sur nous, qu’Il nous partage à l’infini, à chaque fois que nous entrouvrons la porte de notre cœur et qu’en nous se glisse le don de l’indicible, et nous conduit au « me voici » qui nous fait danser la musique de Dieu. 

Aujourd’hui, comme tous les dimanches, il est là, à genoux, non pas pour nous mettre à genoux, mais parce qu’il croit en l’impossible, qu’il est Amour.

La veille de sa passion, quand il s’est mis à genoux devant celui qui le livrait, comme devant Pierre, il a fait le premier pas de danse (1). Sommes nous prêts à faire le second. Allons nous communier à cet Amour qui se donne et se redonne dans la démesure d’une eucharistie en actes.

C’est le rêve de Dieu, de toute éternité…






Notes pour l’homélie de ce jour….


(1) peut-être pas le premier comme je le montre dans ma trilogie (cf. Lien sous l’Image 4), mais d’une certaine manière le plus fou, l’unique, celui de cette mesure débordante que nous n’imiterons jamais assez…

19 février 2022

Deux voies ? - danse 2.36

En poursuivant ma lecture (1) je repense à cette histoire découverte récemment de la personnalité particulière de sainte Jeanne Jugan, fondatrice des petites sœurs des pauvres au milieu du 19eme siècle, d’une étonnante clairvoyance pastorale et qui soudain, après quatre années d’intense activité, à été arbitrairement destituée de sa charge de supérieure. Le Père Le Pailleur a décidé en effet de nommer Marie Jamet, âgée de 23 ans, à la tête de la communauté naissante, dans le but de prendre lui-même le crédit et le pouvoir sur la fondation de cette fraternité.

« Devant l’injustice, Jeanne répond par le silence, la douceur et l’abandon. Par amour, elle avait donné son lit, son pain. Maintenant, le Seigneur lui demande de lui céder la responsabilité de ses Pauvres, ses « trésors » comme elle aimait les appeler.

Sans aucun changement extérieur, Jeanne continue à sillonner les sentiers de France pour nourrir les nombreux pauvres qui affluent dans les maisons. De nombreuses jeunes filles se mettent à sa suite, permettant ainsi d’ouvrir des maisons dans toute la France et de franchir la Manche dès 1851.

Au fil des années, l’ombre s’étend de plus en plus sur Jeanne. En 1852, à peine âgée de soixante ans, elle est rappelée à la maison de Rennes. Elle ne sortira plus en quête. Quatre ans plus tard, elle accompagne le noviciat à La Tour Saint Joseph, où elle vivra une longue retraite de vingt-sept ans.

A sa mort, le 29 août 1879, peu de Petites Sœurs savent qui elle est, même si l’influence de son énergie originelle auprès des jeunes est décisive. Par son exemple, Jeanne lègue en héritage à toute sa grande famille l’humilité, la petitesse, la douceur.

Quarante ans après l’accueil de la première personne âgée, les Petites Sœurs sont 2 400, disséminées »dans le monde au service des pauvres et des personnes âgées (2).

Ce n’est que bien plus tard que l’on découvre la supercherie. Le Pailleur l’a volontairement écartée pour prendre le pouvoir…

Jeanne Jugan ne fut vraiment reconnue comme sainte que sous Benoît XVI…

Quelle histoire !

De la même manière, pourquoi les premières femmes de l’Evangile ont elles disparues au profit d’une hiérarchie très masculine. Comment expliquer que les femmes agissantes, les Marthe, les Maries, les Junia et Lydie sont devenues des pierres oubliées dans la fondation de l’Église ? La question que soulève de manière lumineuse Sylvaine Landrivon (1) à partir de son analyse de Jean 11 mérite d’être posée car elle est finalement au cœur de ce qui se révèle actuellement comme la grande faille de notre Église. 

Alors que le grand vase d’argile, en dépit de ses enluminures et de ses dorures, se fissure, il est temps d’écouter celles que nous avons écartées pour reconstruire sur des bases plus collégiales. Est-ce l’enjeu du synode ?

Va t-on chercher ensemble une autre voie ? 


(1) Sylvaine Landrivon, les leçons de Béthanie, Cerf 2022. 

(2) biographie de Jeanne Jugan 

18 février 2022

La danse de l’agapè 2.35

Il y a une danse particulière qui m’habite, celle d’un Christ à genoux qui se fait petit et suppliant, comme en Jn 13 devant Pierre et Judas. Humilité fondamentale d’un Dieu qui appelle la seule réponse possible : non un agenouillement servil ou rituel mais une descente intérieure, une plongée dans la mer de Galilée où, comme Pierre, nu en Jean 21, et conscient de nos 7x77 reniements nous pouvons glisser d’une voix hésitante : tu sais bien que je t’aime, avec cette humble nuance du grec qui différencie notre réponse humaine (Philo te), seule réponse réaliste à « l’agapas me ? » divin. Jamais nous n’atteignerons l’amour du Christ mais c’est à cette danse kénotique que nous sommes conviés.

Relisons l’échange en grec : «ἀγαπᾷς με » Jean 21,15 ‭‭  Agapas me : M’aimes-tu d’agapè ? demande par deux fois Jésus à Pierre. 

M’aimes tu de cet agape dont parlera si bien Paul (et que nous avons contemplé récemment en 1 Co 13) ?

La question résonne encore sur nos routes. Elle ne fait que donner écho à « l’où es-tu ? » de Dieu a lancé au jardin en Gn 3. (1)


Nous sommes au cœur de cette danse trinitaire d’un Dieu qui s’efface devant le don du Fils et d’un Fils qui s’agenouille en attendant la seule réponse possible : m’aimes-tu ? Oui Seigneur tu sais bien que je [cherche] à t’aimer.  

Philo te... φιλῶ σε. 


Pierre n’aura finalement que cette humble réponse, encore marqué par son triple reniement. C’est probablement ce qui conduira Jésus à changer sa troisième question en « Phileis me ? » reprenant le même verbe que Pierre.


Ultime agenouillement d’un Christ qui vient de crier son « J’ai soif ( de ton amour) » en Jn 19. Un Christ dont le cœur transpercé nous donne la seule chose qui lui reste à donner, son sang mêlé d’eau qui est, pour Jean, Esprit de paix...


Entre la « philo » et cette « agapè » se dresse l’océan de nos fragilités...


Je reprend cette introduction tirée de mon dernier livre « danse avec ton Dieu » pour en venir à l’essentiel. Une des grandes révélations pour moi du nouveau livre de Sylvaine Landrivon (Les leçons de Béthanie) est ce même petit mot grec glissé au début du verset 5 de Jean 11. Ma lecture du grec reste balbutiante et je n’avait pas remarqué cet « agapè » que cite Jean 11,5 entre Jésus et ses amies de Béthanie : « Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. ». L’êgapa est à mettre en écho et en tension avec ce « philo te » cité plus haut de Pierre en Jean 21. Pierre ne l’atteint pas… 


Que Jean l’utilise ici, comme il l’utilisera pour évoquer le disciple « préféré » (Jn 13,23 ; 19, 26 ; 21, 7 & 20) est une interpellation. 

Cet amour là, cette danse particulière entre Jésus et ces deux femmes de Béthanie, qu’en avons nous fait ? Va-t-on continuer à l’effacer ? 

Il faut lire toutes les nuances qu’apporte l’auteure pour percevoir ce qui est pour moi soudain lumineux. Ephata… Avons nous été aveugles, sourds ou muets sur ce sujet  ? 

Avons nous ignoré une évidence ? Cette nécessaire complémentarité du vis à vis ?

J’ai déjà été long.

Mais j’y reviendrais 

A suivre.

17 février 2022

Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

 Reprise - Communion et danse avec son Dieu - 1.40.2 (*)

Peut-on véritablement comprendre le mystère de la Cène à laquelle nous sommes invités ? Probablement qu’à moitié. Ce qu’on perçoit à la fraction du pain, si l’on en croit Luc 24, ce n’est pas tant le prêtre qu’il soit blanc, noir, homme ou femme, mais la charité en actes de Celui qui disparaît alors, à Emmaüs en nous laissant trouver seul le chemin pour le suivre. L’essentiel est alors de se remettre en marche, car la fraction du pain n’est que le mime (1) d’un don qui va jusqu’au bout de l’amour et qu’il nous faut conjuguer à notre manière en fonction de nos dons, de nos « talents » à l’image de Celui qui disparaît tout en étant bien présent par les traces vives de la Parole et du Pain, manduqués à nouveau ensemble en souvenir douloureux et fécond de nos incapacités et de nos joies mêlées... et dans l’espérance de trouver un jour notre façon de rompre le pain dans une dynamique sacramentelle (2)  qui dépasse le rite, le mime (au sens donné par  X. Léon Dufour) pour devenir sacrement réel, signe efficace et fécond. L’essentiel est que notre façon d’agir reflète une pâle mais vraie image de Celui qui nous a invité à sa table. La fraction du pain est alors plus que le rite, elle devient Vie, Vérité, Amour partagé et donné, diaconie et communion. Tous les autres débats sur la présence ou non, la forme, l’orientation vers l’Est ou la tenue deviennent alors des frémissements futiles et ridicules... 


Il est temps qu’on retourne au centre au lieu de s’étriper sur la forme. Je n’ai jamais compris le sens des insistances sur la forme alors qu’on est invitée à une danse plus essentielle, à devenir ce que nous disons, à vivre ce que nous prêchons dans nos églises qui se vident non par la faute de l’un ou de l’autre, mais parce que nous oublions l’essentiel. Ce n’est pas nos débats sur la qualité du rite qui fera avancer ce à quoi nous invite le Christ, qui se moquait bien des lavements de mains rituelles, leur préférant une autre forme de diaconie à genoux devant l’homme (cf. Jn 13). 

Arrêtons de réguler ou d’exclure certains du partage de la Table par ce qu’ils seraient moins dignes, moins purs... que celui qui n’a pas péché jette la première pierre (cf. Jn 8 )...

Discours moralisateurs et stériles que celui qui veut fermer la porte de l’Église à certains. L’essentiel est ailleurs comme nous le rappelle François (3).

Je ne cesse de contempler cette hymne de la Fédération dont j’ai été longtemps le porte parole pour la France : «  je voudrais qu’en vous voyant vivre les gens puissent se dire : voyez comme ils s’aiment ».(4)

L’essentiel est là. C’est l’appel de Mat 25.(5).

—-

Ajout au texte original 

Je rêve en parcourant le livre de Sylvaine déjà évoqué en 2.33 à une refonte de nos liturgies, à une 5eme prière eucharistique qui ne soit plus cette fois prononcée par le prêtre seul mais donne véritablement écho à ce chœur des chercheurs de Dieu que nous sommes. Une sorte de symphonie polyédrique à plusieurs voix qui se tait soudain devant le pain et le vin, car qui peut véritablement prononcer les paroles du Christ si ce n’est le bruit d’un fin silence, le souffle ténu venu d’ailleurs ?

Alors notre communion sera pleine et entière. 

Le sera-t-elle d’ailleurs ? Probablement pas tant que le fruit reçu ne soit devenu agapè, don véritable, vécu et partagé, agenouillement non plus devant un Dieu distant mais devant les souffrants d’aujourd’hui en qui se révèle la Présence du Grand absent qui est bien là car il les porte dans ses bras…


(1) cf. Xavier Léon Dufour dans son commentaire de Jean tome 2

(2) C’est en tout cas ce que je cherche à décrire dans mon livre éponyme téléchargeable gratuitement sur Kobo

(3) cf. son entretien avec Spadaro : «  ne soyons pas ceux qui se tiennent à la porte pour empêcher d’entrer ».

(4) hymne de la fédération internationale des CPM - FICPM


(*) Je retombe sur ce texte écrit il y a 14 mois et qui n’a pas pris beaucoup de ride… dont le titre a inspiré le titre de mon dernier livre… et qu’on retrouve p. 112  voir ici https://www.amazon.fr/Danse-avec-ton-Dieu-campagne-ebook/dp/B09PQ9FJRR/

16 février 2022

Ode à la grâce - Danse 2.34

Qui sommes-nous pour revendiquer une part du Royaume..

Nous sommes des serviteurs bien inutiles.

C’est ce que nous glisse la liturgie d’aujourd’hui…

Entre Isaïe, Paul ou Pierre, les trois lectures invitent à déceler ce que Bernanos dévoile à la fin de son chef d’œuvre  « tout est grâce ».

Pierre en fait l’expérience dans l’évangile… « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre » Luc 5 

Et cependant cette impuissance peut-être un chemin pour nous quand nous percevons que Dieu travaille au sein même de nos incompétences pour faire de nous des passeurs… 

A condition bien sur de ne pas oublier qu’il est la source unique de ce fleuve immense dont nous sommes comblés… 

Le fleuve d’Ezéchiel est bien large par rapport à nos petites amphores, soulignait Bonaventure.

«Ce n’est pas celui qui plante qui importe, ni celui qui arrose, mais Dieu, qui fait croître.»

‭‭Première aux Corinthiens‬ ‭3:7‬

À méditer