23 mai 2005

La mort - II

"S'il y a en moi une certitude inébranlable, c'est qu'un monde déserté par l'amour ne peut que s'engloutir dans la mort, c'est aussi que là où l'amour persiste, là où il triomphe de tout ce qui tend à le dégrader, la mort ne peut pas ne pas être en définitive vaincue." (1) On retrouve cette espérance du Cantique des cantiques : "l'amour est fort comme la mort". Je ne sais d'ailleurs, si depuis la résurrection du Christ, on ne pourrait pas traduire cette espérance de l'Ancien Testament en "plus fort que la mort"...
Cela fait revivre en moi les admirables pièces de Gabriel Marcel que sont L'Iconoclaste, Le Fanal, Le mort de demain...

G. Marcel cité par Urs von Balthasar, ibid p. 327

22 mai 2005

Salvifici Doloris - II (Le sens salvifique de la souffrance)

"Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l'Eglise". Cette phrase de Paul qui introduit la lettre apostolique de Jean-Paul II donne le ton de toute la lettre.

L'idée centrale c'est que la souffrance est la rencontre entre un homme libre et le mal qu'elle que soit sa forme. Quelle que soit la forme de cette souffrance, se trouve "toujours une expérience du mal qui entraîne la souffrance de l'homme. Ainsi donc, la réalité de la souffrance fait surgir la question de l'essence du mal : qu'est-ce que le mal ?"" (§ 7)

Sur la cause du mal, Jean-Paul II souligne qu'il s'agit d'abord de l'absence d'un bien.

On a envie cependant de compléter, à ce stade, par la distinction thomiste entre "mal de peine" (tremblement de terre, maladie) et le "mal de faute" (mal causé par un tiers).
Cette rencontre avec le mal pose la question du pourquoi ? mais aussi du but (pour quoi ?). Alors que pour les amis de Job, cette souffrance semble justifiée par la faute, Job nous fait découvrir le travail de l'homme qui est un chemin de conversion. Déjà dans L'Ancien Testament, nous remarquons une tendance qui cherche à dépasser l'idée selon laquelle la souffrance n'a de sens que comme punition" (§12).
Mais pour comprendre le pourquoi, il faut nous tourner vers le Christ. La souffrance "doit servir à la conversion c'est-à-dire à la reconstruction du bien". (...) "Le Christ nous fait entrer dans le mystère et nous fait découvrir le pourquoi de la souffrance, dans la mesure où nous sommes capables de comprendre la sublimité de l'amour divin." (§ 13).
Le Christ apporte une lumière nouvelle, celle du salut. (§ 15)
Le Christ se fait proche de la souffrance humaine. (§ 16) et son enseignement et notamment les huit béatitudes trace un chemin hyperbolique qui montre que la souffrance participe à l'oeuvre du salut.
Jean-Paul II rejoint ici ce qui pour Hans Urs von Balthasar est le propre de la dramatique divine. Le Christ est au centre du drame, chemin de lutte contre le mal sous toutes ses formes. Chemin et victoire.
Or pour Jean-Paul II, le Christ prend sur lui cette souffrance. "Le Fils de même nature que le Père souffre en tant qu'homme. (...) Il se charge d'une manière totalement volontaire des souffrances" (§18), rejoignant la prophétie du Serviteur Souffrant (Isaïe 53, 5). La réponse du Christ à la souffrance est donc à la fois dans la Bonne Nouvelle mais avant tout par sa propre souffrance". C'est le langage de la Croix.
La souffrance c'est subir le mal mais c'est aussi une participation à l'amour.

Le mystère du mal s'inscrit donc dans le drame. Et comme le souligne Paul, lorsque je souffre "ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. (§20).

On prend alors conscience du paradoxe de la faiblesse et de la force. Je ne peux répondre seul à la souffrance. Il y a un moment où seul Dieu peut l'assumer en moi (faiblesse) et en même temps, ce dé-centrement, ce sur-centrement en Christ me permet d'obtenir sa grâce (force).

Dans ma souffrance, je participe au drame. "Je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ . Les souffrants s'inscrivent donc dans la communion des martyrs et des saints, dans le chemin de l'Eglise, celui qu'elle trace dans "l'Evangile de la souffrance . (§25) Ce chemin, Marie fut la première à le tracer, en complétant dans sa chair (comme elle l'avait fait dans son coeur) la souffrance de son Christ, en l'accompagnant sur le chemin du Calvaire.

Cette participation à la souffrance donne une "force particulière qui rapproche intérieurement l'homme du Christ, une grâce spéciale (§26). "Lorsque le corps est profondément atteint par la maladie (...) la maturité intérieure et la grandeur spirituelle deviennent d'autant plus évidentes, et elles constituent une leçon émouvante pour les personnes qui jouissent d'une santé normale .
Le souffrant accomplit ainsi un service irremplaçable et entre dans la communion de l'Eglise, au sein même du drame.

Jean-Paul II rappelle ensuite "la parabole du Bon Samaritain qui appartient à ce même Evangile de la souffrance. Elle indique, en effet, quelle doit être la relation de chacun d'entre nous avec le prochain en état de souffrance. Il nous invite à ne pas passer outre, à ne pas épargner nos moyens, notre coeur, comme nos moyens matériels, être capable de don, libérer en nous ses capacités d'aimer. Et Jean-Paul II rappelle la phrase du Christ : "C'est à moi que vous l'avez fait" (§29).

La relecture de ce texte à l'aune de la vie et de la mort de Jean-Paul II lui donne un sens tout particulier. On perçoit combien sa mort saluée par tant d'hommes et de femmes a tracé à sa manière l'Evangile de l'amour qui est pour reprendre ses propres mots l'Evangile de la souffrance.

Texte Intégral : http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_letters/documents/hf_jp-ii_apl_11021984_salvifici-doloris_fr.html

La Mort - I

Le tragique se situe dans le choix entre une mort, évènement passif que l'on fuit ou un autre hautement actif que l'homme choisit délibérément en en fixant à son gré, l'instant la manière et le pourquoi. (1)
C'est à la fois l'instant le plus humiliant, celui où l'on sombre dans la pourriture et en même temps le plus noble si l'homme le prend comme un enjeu et un accomplissement de son existence...
Il n'y a, insiste Urs von Balthasar qu'un sujet véritablement dramatique, le choix de l'homme face à la mort.
On retrouve cette interpellation soulevée par Lévinas, dans ce que Sibony interprète comme l'interpellation ultime de l'homme face à la Scène... Celle où l'on doit choisir entre vivre coupable ou mourir pour l'autre. Mais est-ce que ce choix fondamental n'est pas ce à quoi nous devons nous préparer toute une vie. Etre prêt au don, si notre don n'a que cet instant pour être valide (ce qui reste d'ailleurs une question à méditer...).


(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 310

21 mai 2005

Paul Ricoeur

"Le philosophe Paul Ricoeur, l'un des plus grands penseurs français de l'après-guerre, dont l'oeuvre considérable est mondialement reconnue, est décédé à l'âge de 92 ans, à son domicile près de Paris, a annoncé samedi un de ses proches..."

J'en parlais encore il y a deux jours. Je l'ai croisé il y a dix ans à la soutenance de thèse d'un ami, mais surtout dans ses livres...

C'était un grand, grand bonhomme...

Grâce ou liberté ?

"La libre victoire sur soi-même présentée d'en bas comme soumission, sagesse, renoncement est distinguée d'en haut comme effet de la grâce. Pour Calderon, il n'y pas de fatalité neutre mais seulement le oui et le non de la nature déchue par le péché héréditaire face à ce que saint Paul appelle les puissances du monde, et la saisie de la grâce salvatrice dans la soumission qui extérieurement se subordonne au destin mortel mais aussi le surmonte intérieurement." (1)

Probablement un peu compliqué à la relecture...
Ce que j'en retiens, mais il faut peut-être se replonger dans le texte, c'est que ce qui est bon en moi, ce que je travaille, de toutes mes forces, n'est vainqueur que lorsque j'abandonne ma volonté pour faire la sienne et que j'atteins ainsi une liberté véritable, créatrice, féconde. Au bord du gouffre de la démesure, tu me conduis vers les eaux tranquilles...

Il y a donc conjonction entre mon oui et la grâce reçue, qui s'harmonise dans une liberté nouvelle et créatrice...

(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 309

20 mai 2005

La souffrance

Je viens de relire la lettre apostolique Salvifici Doloris, la valeur salvifique de la souffrance, Jean Paul II, 11 février 1984.*
Un texte d'une grande profondeur, qu'il est intéressant de relire à l'aune de la vie et de la mort de Jean Paul II.



* disponible sur http://www.vatican.va
voir lien direct dans le commentaire de Phil.

19 mai 2005

Liberté ou pulsion - II

" Sémirimis suit son destin mais ce qu'elle prenait pour une liberté n'est que pulsion.."

Le serf arbitre, encore...

(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 307

18 mai 2005

Liberté et pulsion - I

"Le moi abandonné et rejeté de Dieu qui voudrait revenir à l'ordre saint, fondé en Dieu, mais se voit barrer le chemin par la faute originelle de l'existence et par la volonté qu'aveuglent les instincts ne peut que crier, dans l'angoisse et la misère, à une divinité qui n'est plus un sauveur : protège moi de moi-même " Benno von Wiese, à propos de l'Aïeule de Grillparzer dans Die Deutsche Tragödie von Lessing bis Hebbel, Leibzig p. 387

Cet appel païen peut cependant être relu, dit Urs von Balthasar, à l'aune de Jn 11,25ss : "Qui croit en moi, même s'il meure vivra..."
Et de fait, quand on s'échappe à soi-même, quand le serf-arbitre dont nous parle Luther et repris par Ricoeur dans la Philosophie de la Volonté est tel que nous perdons pied, il nous faut reconnaître ce que nous tardons toujours à admettre. Nous ne pouvons rien de nous-mêmes. Il est notre sauveur...


(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 302

17 mai 2005

Notre place ?

N'est-ce pas au coeur de cette question que nous pouvons nous laisser interpeler par un autre.
Comprendre que notre vie n'est pas ordonnée par la simple servitude des forces intérieures qui nous habitent mais bien par autre chose...

Corps du Christ

Comme le souligne Urs von Balthasar*, on ne peut évoquer la question des rôles sans reprendre la position paulinienne, qui insiste sur la place de chacun dans le corps du Christ. Urs von Balthasar cite quelques textes éclairants à l'aune de nos réflexions des billets précédents. Je me contenterais de les aligner, à titre illustratif.

1 Co 7 (17,20,24) : "Pourtant, chacun doit continuer à vivre dans la situation que le Seigneur lui a donnée en partage, et où il était quand Dieu l'a appelé."
Rm 12, 3-6 : "n'ayez pas de prétentions déraisonnables, soyez assez raisonnables pour n'être pas prétentieux, chacun en proportion de la foi que Dieu lui a donnée en partage. (...) nous avons reçu des dons qui sont différents."
Eph 4,10 : "Les dons qu'il a faits, ce sont des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et catéchètes, afin de permettre les saints en état d'accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous ensemble à l'unité dans la foi et dans la connaissance du fils de Dieu, à l'état d'adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude. Ainsi nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive à tout vent de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l'erreur."

Notre rôle est donc à mesurer de manière relative, ce que nous avons souvent tendance à oublier lorsque nous construisons la tour de notre moi.

* Urs von Balthasar, ibid pages 297-8


Commentaires : Je signale, que la plupart des citations données ici sont issues de la traduction liturgique de la Bible ou de la TOB, en espérant ne pas abuser du droit de citation...

16 mai 2005

Responsabilité et liberté

Le principe de responsabilité nous interpelle au point que là aussi notre liberté de choix est limitée. Mais, la question se situe au-delà du simple questionnement philosophique.

Plus la situation est dramatique, plus notre liberté qui semble limitée est mise à mal par notre peur de la mort.

Conflit dramatique entre Eros et thanatos dirait le père Freud. Oui et non, puisque ici, plus qu'ailleurs notre sens éthique fondamental est en cause. Et face à ce choix, l'éclairage de notre conscience est plus que jamais nécessaire. Ce qui ne garantit en rien notre capacité de répondre oui à l'interpellation.

15 mai 2005

Le souffle de l'esprit...

"Le Seigneur n'était pas dans l'ouragan ; et après l'ouragan,
il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n'était pas
dans le tremblement de terre ;
et après ce tremblement de terre, un feu,
mais le Seigneur n'était pas dans ce feu ;
et après ce feu, le murmure d'une brise légère.
Aussitôt qu'il l'entendit, Élie se couvrit le visage
avec son manteau,
il sortit et se tint à l'entrée de la caverne."

1 Rois 19 -11,13

Comment, en ce jour de Pentecôte, ne pas évoqué ce qui est pour moi un
des textes les plus subtiles de l'Ancien Testament.
On y perçoit la tendresse d'un Dieu que l'on croyait dans la puissance et qui ce révèle,
comme le suggère E. Lévinas dans le "bruit d'un fin silence".
Manifestation fragile de Dieu qui respecte notre liberté et s'incline à notre rencontre.

Mort et action... Face à la peur...

Dans "Jeux de massacres", Ionesco (*) semblent s'attacher aux comportements des acteurs face à la mort. Ici, la menace de mort a définitivement triomphé de l'action. Elle interpelle sur les limites du discours...

On peut toujours parler, faire de beau discours, mais comment serons nous face à la mort ? C'est sur cette question fondamentale que la construction intérieure de l'individu peut utile. Pour un chrétien cependant, on peut ajouter que toute attitude de foi repose sur notre espérance, celle du Christ ressuscité.

Il a vaincu la mort.


Sur cette base, nous pouvons fonder notre foi.
Et face à nos peurs, nous pouvons déposer nos limites au pied de cette croix victorieuse, élevée de terre pour donner un sens à nos doutes et nos espoirs. Comme les juifs qui ont vénéré le serpent d'airan dans leur marche au désert, nous fondons notre espoir sur cette évélation.
Que Dieu nous donne la grâce de dépasser cette peur.

* cité par Urs von Balthasar, ibid pages 287

Dieu aime tout homme

Une des plus grandes convictions de ma foi, c'est de croire que tout homme est aimé de Dieu.
Cet amour n'est pas un amour réducteur, mais un amour qui respecte fondamentalement la liberté de l'homme, au point de se mettre à genou devant son humanité, sans le forcer, sans le brusquer, mais en lui disant simplement, je crois en toi, je crois en ton humanité.

C'est ce qu'exprime le geste de Jésus, la veille de sa passion, lorsqu'il se met à genou devant Pierre, celui qui deviendra le pasteur de son troupeau :

"Tu vas me renier, Pierre, mais je me mets à genou devant toi. Je crois, qu'au delà de tes actes, il y a en toi un potentiel d'humanité"
. C'est pour moi le coeur de ma foi

14 mai 2005

Le visage de l'autre...

Le visage de l'autre est signe. Il nous interpelle par le regard, mais aussi parce qu'il y a au fond des yeux un être de chair, mystérieux, inaccessible que l'éclat du regard nous révèle à petites touches.
Se laisser toucher par le regard, c'est commencer un chemin d'ouverture.

Référence : Autrement qu'être ou au delà de l'essence, E. Lévinas