30 mars 2020

Le nouveau temple de Dieu - Jean Fisher

Le nouveau temple de Dieu - Jean Fisher

Le temple des hommes n'est qu'une pâle figure du véritable temple de Dieu, édifié sur le corps du Seigneur et construit avec le sang des martyrs et des saints innocents. Un temple immense aux pierres ciselées par l'amour donné et offert à chaque fois que l'homme participe par ses mains à l'amour divin déversé sur le monde face au mal et à la souffrance. Et aujourd'hui ils s'affine et se bonifie dans le don des soignants et de tous les hommes de bonne volonté qui travaillent pour lutter contre le mal, le virus, l'abandon, la violence.

Écoutons Jean Fisher sur ce thème :
« Le Christ Jésus est notre grand prêtre, son corps est le sacrifice de notre [salut], qu'il a offert sur l'autel de la croix pour le salut de tous les hommes. Le sang répandu pour notre rédemption n'était pas celui des veaux et des boucs, comme dans la loi ancienne, mais de l'agneau très innocent, Jésus Christ notre Sauveur.
Le Temple où notre grand prêtre célébrait sa liturgie n'était pas bâti de main d'homme mais édifié par la puissance de Dieu seul. En effet, il a répandu son sang à la face du monde : celui-ci est bien un temple que seule la main de Dieu a pu bâtir. Le Temple a deux parties : l'une est la terre que nous habitons maintenant ; l'autre est encore inconnue des mortels que nous sommes. Tout d'abord notre grand prêtre a offert le sacrifice ici sur terre, lorsqu'il a subi une mort très amère. Mais ensuite, revêtu de l'habit d'immortalité, il est entré en vertu de son propre sang dans le Saint des saints, c'est-à-dire dans le ciel. Et là, il a présenté devant le trône du Père céleste ce sang d'une valeur infinie qu'il avait versé sept fois. »(1)

Si Jean Fisher développe sa thèse au 16eme siècle sur l'idée du « rachat » que nous avons traduit salut en mettant en avant un prix payé à Dieu, il nous faut contempler au delà d'une fausse idée d'un Dieu vengeur ce sang versé non à un Dieu sadique mais bien comme une contribution à l'amour face au mal si évident aujourd'hui. Un Dieu amour ne peut vouloir la mort des innocents. Il est au contraire celui qui appelle à l'amour, à nos mains.

(1) Jean Fisher, commentaire du psaume 129, source AELF, office des lectures du 5eme lundi de carême.

25 mars 2020

Homélie du 5eme dimanche de carême - Année À - Ez 37, Rom 8 - Jn 11

Où étais-tu ?

S'il ne faut retenir qu'une phrase de ces lectures c'est peut-être, en ces temps de douleur et d'angoisse celle là : « Jésus, en son esprit, fut saisi d'émotion, il fut bouleversé » Jn 11

Les larmes de Jésus au tombeau de Lazare sont la seule réponse au mal qui nous accablent. Il est à nos côtés...

Et c'est cette miséricorde qui est source de vie pour nous et nous conduit à la foi véritable.

Alors pouvons-nous relire et entrer dans la logique de Jean : « Jésus lui dit :
« Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra ;    quiconque vit et croit en moi
ne mourra jamais.
Crois-tu cela ? »
    Elle répondit :
« Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
    Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas :
« Le Maître est là, il t'appelle. »
  Marie, dès qu'elle l'entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus.
    Il n'était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l'endroit où Marthe l'avait rencontré.
    Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu'elle allait au tombeau pour y pleurer.
    Marie arriva à l'endroit où se trouvait Jésus.
Dès qu'elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit :
« Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. »
    Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi,
Jésus, en son esprit, fut saisi d'émotion, il fut bouleversé, et il demanda :
« Où l'avez-vous déposé ? »
Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »  Alors Jésus se mit à pleurer. »

Si Dieu pleure c'est qu'il est amour, donc étranger à tout mal...(1)

« Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d'Israël.   Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j'ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple !  Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; » (Ez 37)

« si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l'Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes.
    Et si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rom 8)

« Crois-tu cela ? »
La question de Jésus résonne en nous...
Laissons résonner en nous cette parole...
Sortons de nos tombeaux... Les tombeaux de nos peurs, de nos incroyances, de nos doutes. Le chemin de Marthe est exemplaire. Elle nous appelle à croire en ce Dieu qui vient nous visiter. Elle nous pousse plus loin vers l'espérance d'un Dieu qui nous relève dans le silence de nos nuits.

A l'heure où nous vivons reclus, enfermés dans nos doutes, il nous faut entendre la voix presque étranglée du Christ qui va pourtant lui-même vers la mort. 

« Crois-tu cela ? »

« Que l'appel du Seigneur résonne donc à tes oreilles ! Ne les ferme pas aujourd'hui à l'enseignement et aux conseils du Seigneur. Si tu étais aveugle et sans lumière en ton tombeau, ouvre les yeux pour ne pas sombrer dans le sommeil de la mort. Dans la lumière du Seigneur, contemple la lumière ; dans l'Esprit de Dieu, fixe les yeux sur le Fils. Si tu accueilles toute la Parole, tu concentres sur ton âme toute la puissance du Christ qui guérit et ressuscite. (...) Ne crains pas de te donner du mal pour conserver la pureté de ton baptême et mets dans ton cœur les chemins qui montent vers le Seigneur. Conserve avec soin l'acte d'acquittement que tu as reçu par pure grâce. (...)
Soyons lumière, comme les disciples l'ont appris de celui qui est la grande Lumière : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14). Soyons des luminaires dans le monde en tenant bien haut la Parole de vie, en étant puissance de vie pour les autres. Partons à la recherche de Dieu, à la recherche de celui qui est la première et la plus pure lumière »(2)


(1) pour aller plus loin voire mes essais sur la souffrance "Où es-tu mon Dieu" et "Quelle espérance pour l'homme souffrant ?"
(2) Grégoire de Naziance, Sermon sur le saint baptême, Discours 40; PG 36, 359-425 (Le baptême d'après les Pères de l'Église; coll. Icthus, t. 5; trad. J. Charbonnier - réviseur(s) : F. Papillon; Publication B. Grasset sous la responsabilité de l'Association J.-P. Migne 1962; p. 138s rev.)

23 mars 2020

L’amour en toi - 56 - Sesboué

Je retrouve chez Sesboué un des concepts sur lequel je travaille déjà depuis plusieurs mois, ce que j'ai « flagé » comme « Amour en toi » et qui n'est autre que ce lien intérieur qui se tisse par le biais de la pédagogie divine entre l'homme et Dieu.

Il s'agit là d'un chemin de liberté.

Comme souvent Sesboué l'exprime fort bien : « Il est un autre pôle, plus secret et subjectif, le pôle originaire de la conscience, le pôle du jaillissement inventif de nos pensées, le pôle où nous sommes habités par le désir de l'Absolu. Ce pôle se dérobe à notre investigation directe, car il ne peut jamais devenir objectif. Nous pouvons pas plus le regarder que nous ne pouvons voir notre propre rétine, qui est pourtant l'agent premier de notre vue. C'est là que passe de l'inconscient au conscient toute réflexion, tout événement de conscience. (...) C'est à ce pôle que l'Esprit saint est secrètement présent et agissant, qu'il nous invite et nous suggère d'agir pour le bien. (...) Il est toujours présent sous la forme de la proposition ou d'une invitation . Si nous vivons sous son influence nous sommes des hommes debout (...) sa présence n'est jamais coercitive : elle respecte toujours la liberté des personnes.(1)

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 352-3

22 mars 2020

Pédagogie divine - 22

Il y a dans les théophanies anciennes de l'ancien testament des interrogations qui demeurent. Au delà des scènes abruptes et effrayantes parfois, il faut, nous voir avec Gerhard von Rad des couches « profondes (...) dans lesquelles transparaît (...) une promesse » (1) 
Pourquoi ?
Il faut probablement comprendre les interrogations des hommes et les faire nôtres, surtout en ces temps de ténèbres.
Le silence de Dieu, son apparent retrait thématisé par la philosophie juive après Auschwitz (H. Jonas) nous interpelle aujourd'hui.
Dieu semble « néglige[r] silencieusement la question angoissée et dubitative d'Abraham au sujet de la réalisation de la promesse »(1) et les théophanies à Isaac (Gn 26, 23) « semblent pâles et copiées sur d'autres »(2).

Ce n'est qu'au bout du voyage dans la théophanie pathétique et finale de la Croix que seule prend sens le chemin et la pédagogie divine.

C'est ce que nous essayons de thématiser dans ce nouvel essai (614 pages) maintenant disponible en version bêta sur le lien suivant ou en pdf à tout ceux qui sont intéressés par ce projet conclusif s'il en est de mes lectures pastorales.



(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p. 170
(2) p. 171

Au fil de Jean 9 - Augustin - Aveugle né

Au fil de Jean 9 - Augustin - Aveugle né

Le Seigneur a dit brièvement : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. Ces paroles contiennent d'une part un ordre, d'autre part une promesse. Faisons donc ce qu'il a ordonné pour ne pas désirer avec imprudence ce qu'il a promis. Qu'il ne nous dise pas, au jugement : « As-tu fait ce que j'ai commandé, pour que tu réclames ce que j'ai promis ? — Qu'as-tu donc ordonné, Seigneur, notre Dieu ? » Il te le dit : « Suis-moi. » Tu as demandé un conseil de vie. De quelle vie, sinon celle dont il est dit : En toi est la source de vie ? ~ Obéissons donc maintenant, suivons le Seigneur ; brisons les entraves qui nous empêchent de le suivre. Et qui est capable de défaire de tels nœuds sans être aidé par Celui dont il est dit : Tu as brisé mes chaînes ? Celui dont un autre psaume dit : Le Seigneur délie les enchaînés, le Seigneur redresse les accablés.

Ces hommes délivrés et redressés, que vont-ils suivre, sinon cette lumière qui leur dit : Moi, je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. Car le Seigneur éclaire les aveugles. Soyons donc éclairés, mes frères, en recevant un remède pour les yeux, celui de la foi. Car Jésus a commencé par oindre l'aveugle de naissance avec de la terre et sa salive. Nous-mêmes, du fait d'Adam, nous sommes des aveugles de naissance et nous avons besoin du Christ pour voir clair. Il a mélangé de la salive et de la terre : Le Verbe s'est fait chair, et il a établi sa demeure parmi nous. Il a mélangé la salive et la terre, de là cette prophétie : La vérité germera de la terre ; et lui-même a dit : Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie.

Nous jouirons pleinement de la Vérité, lorsque nous verrons face à face, car nous en avons la promesse. Qui oserait espérer ce que Dieu n'aurait pas daigné promettre ou donner ?

Nous verrons face à face. L'Apôtre dit : Notre connaissance est partielle. Nous voyons actuellement une image obscure dans un miroir ; alors nous verrons face à face. Et saint Jean, dans sa lettre : Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. Nous le savons, lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. Voilà la grande promesse !

Si tu aimes, tu dois suivre. « J'aime, dis-tu, mais par où dois-je suivre ? » Suppose que le Seigneur ton Dieu ait dit : « Moi, je suis la vérité et la vie. » Parce que tu désires la vérité, parce que tu convoites la vie, tu chercherais le chemin pour y parvenir, et tu te dirais : « C'est une belle chose que la vérité, une grande chose que la vie, si je savais comment y parvenir ! » Tu cherches par où ? Tu l'as entendu qui disait en premier lieu : Moi, je suis le Chemin. Avant de te dire « pour où », il a commencé par te dire « par où ». Moi, je suis le Chemin. Le Chemin pour où ? — La Vérité et la Vie. Il t'a dit d'abord par où aller, il t'a dit ensuite où aller. Moi, je suis le Chemin, moi, je suis la Vérité, moi, je suis la Vie. Lui qui demeure auprès du Père, il est la Vérité et la Vie ; en revêtant notre chair, il est devenu le Chemin.

On ne te dit pas : « Donne-toi du mal, cherche le chemin pour parvenir à la vérité et à la vie. » On ne te dit pas cela. Lève-toi, paresseux ; le Chemin en personne vient vers toi, et il t'a éveillé de ton sommeil, si du moins il t'a éveillé : Lève-toi et marche !

Peut-être essaies-tu de marcher, et tu ne peux pas parce que tu as les pieds malades. Pourquoi as-tu les pieds malades ? Peut-être que la cupidité les a forcés à courir dans des terrains accidentés. Mais le Verbe de Dieu a guéri aussi les boiteux. « Eh bien, dis-tu, j'ai les pieds en bon état, mais c'est le chemin que je ne vois pas. » Il a éclairé aussi les aveugles.(1)

(1) St Augustin, commentaire de l'évangile de Jean, source office des lectures AELF

21 mars 2020

Méditation du troisième samedi de carême

Méditation du troisième samedi de carême

En ces temps de malheur la 1ère lecture nous interpelle ; « Je veux la fidélité, non le sacrifice » nous dit Os 6, 1-6. 
Écoutons d'abord l'ensemble du texte, tiré du livre du prophète Osée :
Venez, retournons vers le Seigneur !
il a blessé, mais il nous guérira ;
il a frappé, mais il nous soignera.
Après deux jours, il nous rendra la vie ;
il nous relèvera le troisième jour :
alors, nous vivrons devant sa face.
Efforçons-nous de connaître le Seigneur :
son lever est aussi sûr que l'aurore ;
il nous viendra comme la pluie,
l'ondée qui arrose la terre.
– Que ferai-je de toi, Éphraïm ?
Que ferai-je de toi, Juda ?
Votre fidélité, une brume du matin,
une rosée d'aurore qui s'en va.
Voilà pourquoi j'ai frappé par mes prophètes,
donné la mort par les paroles de ma bouche :
mon jugement jaillit comme la lumière.
Je veux la fidélité, non le sacrifice,
la connaissance de Dieu plus que les holocaustes.
– Parole du Seigneur.

Nous sommes encore dans une lecture d'un Dieu vengeur qui n'est pas forcément le Dieu chrétien, et pourtant, au delà de cette image d'un Dieu qui punit, transparaît une double tension. Celle qui nous fait grandir : «  Je veux la fidélité, non le sacrifice » et l'espérance d'une révélation : « Après deux jours, il nous rendra la vie ; il nous relèvera le troisième jour :
alors, nous vivrons devant sa face. »

Entre ces deux tensions se dresse une morale vectorielle, celle qui n'est pas dans le jugement d'autrui mais dans une interpellation intérieure où notre péché transparaît et nous conduit à l'humilité.

Tu veux la fidélité, Seigneur, non le sacrifice. (cf. Os 6, 6a)

Prions avec le Psaume : 50 (51), 3-4, 18-19, 20-21ab

« Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Si j'offre un sacrifice, tu n'en veux pas,
tu n'acceptes pas d'holocauste.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem.
Alors tu accepteras de justes sacrifices,
oblations et holocaustes sur ton autel. »

Alors L'Evangile prend sens : Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie. Aujourd'hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur.
Tes paroles, Seigneur, sont esprit et elles sont vie.
(cf. Ps 94, 8a.7d)
Écoutons l'Évangile de Jésus Christ selon saint Luc : « En ce temps-là, à l'adresse de certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici »
L'introduction n'est pas neutre. J'avoue n'avoir jamais pris le temps de la méditer. Arrêtons-nous un instant dessus, dans l'axe du frère aîné du fils prodigue...(Luc 15).

« Deux hommes montèrent au Temple pour prier.
L'un était pharisien, et l'autre, publicain (c'est-à-dire un collecteur d'impôts).
Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même :
"Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain.
Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne."
Le publicain, lui, se tenait à distance et n'osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis ! »
Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c'est lui qui était devenu un homme juste,
plutôt que l'autre.
Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. »
– Acclamons la Parole de Dieu.
(Lc 18, 9-14) Textes liturgiques © AELF.

Tout est dit. Donne-nous Seigneur cette inaccessible humilité.

18 mars 2020

Homélie du quatrième dimanche de carême - guérison de l’aveugle né…

Projet 2

Nous qui entrons dans le confinement et la peur, nous pourrions avoir deux tentations. 
  1. Celle de nous replier sur nous-mêmes en oubliant ceux qui vont souffrir plus encore de l'isolement. 
  2.  Celle d'oublier que Dieu est là, à nos côtés, malgré son silence apparent.

Le mal semble frapper le monde et la tentation de certains serait de dire que Dieu se venge de nos aveuglements.
Non l'aveugle né n'avait pas subi la faute de ses pères comme le pensait les juifs de l'époque.
Non Dieu ne regarde pas comme les hommes, nous dit le livre de Samuel.
Non, le temps de la justice divine n'est pas venu.
Malgré l'ombre qui s'étend comme le virus, n'oublions pas que la lumière est ailleurs.

« Conduisons nous comme des enfants de lumière » nous dit Paul (Eph 5)

« Crois-tu au Fils de l'homme ? » nous demande Jésus dans ce texte de Jean 9. Laissons résonner en nous cette question avant de répondre comme le fit un jour la juive Etty Hillesum au camp de Westerbock. : « Dieu a besoin de nos mains. »

Dieu est là.
Dieu est là dans la solidarité qui se met en place.
Dieu est là dans ce dévouement extraordinaire des soignants.
Dieu est là dans ces petits appels que nous faisons, faute de mieux.
Dieu est là qui pleure à côté des proches que nous sommes en train de voir partir et qui doivent souffrir de notre absence.

Dieu est là comme il s'est révélé - déchiré, déchiqueté sur le bois de la croix.
Ne cédons pas à la peur.



Contemplons au contraire les signes d'espérance.
L'espérance c'est de croire que l'amour va vaincre face à nos tentations d'enfermement.
L'espérance c'est de percevoir que Dieu ouvre nos mains.
L'espérance c'est de sentir au fond de nous que l'amour vaincra...

Méditons ce magnifique psaume 22/23 :

Le Seigneur est mon berger : (...) Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi (...) tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ; j'habiterai la maison du Seigneur. »

Dieu tout-puissant, Bienfaiteur, Créateur de l'univers,
écoute mes gémissements, moi qui suis en danger.
Délivre-moi de la crainte et de l'angoisse ;
libère-moi par ta force puissante, toi qui peux tout (...).
Seigneur Christ, (...) coupe les mailles de mon filet par l'épée de ta croix victorieuse, l'arme de vie.
De tous côtés ce filet m'enveloppe, moi captif, pour me faire périr ;
conduis vers le repos mes pas chancelants et biaisants.
Guéris la fièvre de mon cœur qui étouffe.
Je suis coupable envers toi, ôte de moi le trouble, fruit de l'invention diabolique,
fais disparaître l'obscurité de mon âme angoissée (...) !
Renouvelle en mon âme l'image de lumière de la gloire de ton nom, grand et puissant.
Intensifie l'éclat de ta grâce sur la beauté de mon visage
et sur l'effigie des yeux de mon esprit, moi qui suis né de terre (Gn 2,7).
Corrige en moi, rétablis plus fidèlement, l'image qui reflète la tienne (Gn 1,26).
Par une pureté lumineuse, fais disparaître mes ténèbres, pécheur que je suis.
Inonde mon âme de ta lumière divine, vivante, éternelle, céleste,
pour qu'en moi grandisse la ressemblance au Dieu Trinité.
Toi seul, ô Christ, es béni avec le Père
pour la louange de ton Esprit Saint
dans les siècles des siècles. Amen (1)

(1) Saint Grégoire de Narek Le Livre de prières, n° 40 (SC 78 ; trad. Isaac Kéchichian, s .j. ; Éds du Cerf 2000 – réimpression de la 1e édition de 1961 revue et corrigée, p. 237-239, – rev.), source  : l’Évangile au Quotidien 

16 mars 2020

Jeûne eucharistique

Jeûne eucharistique

La conjoncture dramatique nous prive d'eucharistie. C'est dans cette privation, au cœur du carême, que Dieu se fait désir.

Comme un cerf altéré mon âme te cherche, au mon Dieu...dit le psaume 41.

Écoutons le à nouveau :

Comme un cerf altéré
cherche l'eau vive,
ainsi mon âme te cherche
toi, mon Dieu.

Mon âme a soif de Dieu,
le Dieu vivant ;
quand pourrai-je m'avancer,
paraître face à Dieu ?

Je n'ai d'autre pain que mes larmes,
le jour, la nuit,
moi qui chaque jour entends dire :
'' Où est-il ton Dieu ? ''

Je me souviens,
et mon âme déborde :
en ce temps-là,
je franchissais les portails !

Je conduisais vers la maison de mon Dieu
la multitude en fête,
parmi les cris de joie
et les actions de grâce.

Pourquoi te désoler, ô mon âme,
et gémir sur moi ?
Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce :
il est mon sauveur et mon Dieu !

Si mon âme se désole,
je me souviens de toi,
depuis les terres du Jourdain et de l'Hermon,
depuis mon humble montagne.

L'abîme appelant l'abîme
à la voix de tes cataractes,
la masse de tes flots et de tes vagues
a passé sur moi.

Au long du jour, le Seigneur
m'envoie son amour ;
et la nuit, son chant est avec moi,
prière au Dieu de ma vie.

Je dirai à Dieu, mon rocher :
'' Pourquoi m'oublies-tu ?
Pourquoi vais-je assombri,
pressé par l'ennemi ? ''

Outragé par mes adversaires,
je suis meurtri jusqu'aux os,
moi qui chaque jour entends dire :
'' Où est-il ton Dieu ? ''

Pourquoi te désoler, ô mon âme,
et gémir sur moi ?
Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce :
il est mon sauveur et mon Dieu ! (1)

Un jour viendra où nous communierons à la table du Christ. En attendant sentons nous proche de ceux qui n'ont pas accès à cette table, parce que leur situation traduit en apparence une rupture que nous sommes souvent plus d'un à partager.(2)

« Que celui qui n'a pas péché jette la première pierre » (Jn 8).

C'est peut-être en méditant cela, en toute humilité que notre communion à la table sera plus féconde.

(1) traduction AELF
(2) cf. sur ce point mon roman Le vieil homme et la perle et Dynamique sacramentelle

Leçon d’humilité - saint Basile


« Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse, que le vaillant ne se glorifie pas de sa vaillance, que le riche ne se glorifie de sa richesse ! Alors, où est la vraie gloire et en quoi l'homme est-il vraiment grand ? Le prophète répond : Celui qui veut se glorifier trouvera sa gloire s'il reconnaît et comprend que je suis le Seigneur.

Voilà quelle est la noblesse de l'homme, voilà quelle est sa gloire et sa grandeur : connaître vraiment ce qui est grand et s'y unir, et rechercher sa gloire dans la gloire de Dieu. L'Apôtre dit en effet : Celui qui se glorifie, qu'il se glorifie dans le Seigneur, après avoir dit : Le Christ a été envoyé pour être notre sagesse, pour être notre justice, notre sanctification, notre rédemption. ~

Voilà quelle est en Dieu notre fierté parfaite et exacte : ne pas se flatter de sa propre justice, mais savoir qu'on est dépourvu de vraie justice et ne trouver sa justice que dans la foi au Christ. Et c'est en cela que Paul se glorifie, car il méprise sa propre justice : il recherche cette justice qui est donnée par le Christ, qui vient de Dieu et qui consiste en la foi, pour connaître le Christ, éprouver la puissance de sa résurrection, et communier aux souffrances de sa passion, en reproduisant sa mort dans l'espoir de parvenir à ressusciter d'entre les morts.

Alors, toute la prétention de l'orgueil s'écroule. Il ne te reste plus rien, pauvre homme, dont tu puisses te vanter, où tu puisses mettre ta fierté et ton espérance. Il ne te reste qu'à mortifier tout ce que tu possèdes, qu'à chercher dans le Christ ta vie future. Nous l'avons par avance, nous y sommes déjà, puisque nous vivons entièrement par la grâce que Dieu nous donne.

Et certes, c'est l'action de Dieu qui produit en nous la volonté et l'action, parce qu'il veut notre bien. En outre Dieu nous révèle par son Esprit sa sagesse qui a préparé notre gloire. Et c'est Dieu qui nous donne la force dont nous avons besoin dans nos labeurs. J'ai travaillé plus qu'eux tous, dit saint Paul ; non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

Dieu nous a délivrés de tout danger au-delà de toute espérance humaine. Nous avions reçu en nous-mêmes notre arrêt de mort, dit saint Paul. Ainsi notre confiance ne pouvait plus se fonder sur nous-mêmes, mais sur Dieu qui ressuscite les morts. C'est lui qui nous a arrachés à une telle mort et nous en arrachera ; en lui nous avons mis notre espérance : il nous en arrachera encore. » (1)

Si l'on croit bien faire, un seul remède : considérer notre faiblesse et accepter que ce qui est bien à travers nous vient de Dieu seul, cet amour déposé en nous, miette vivante non consumée de la Parole et de l'Eucharistie partagée qui subsiste à nos adhérences et devient grâce parce qu'elle est germe de Dieu.

C'est peut-être cela qui nous fait considérer que Dieu plante dans nos jardins mal cultivés des graines qui dépasse notre terre pour jaillir vers le ciel.


C'est au nom de cela que je continue d'écrire en dépit de l'orgueil qui m'étouffe.
C'est au nom de cela que je pense qu'un misérable comme celui tant blâmé dans le passé récent a pu faire naître une grande œuvre qui l'a dépassé et fait jaillir de la fragilité une lueur d'espoir et de charité.
La charité, l'espérance et la foi restent théologales, c'est-à-dire don de Dieu, prêchent avec raison notre Église.

(1) Basile de Césarée - Homelie sur l'humilité, source Office des lectures du 3eme lundi de carême

15 mars 2020

Au fil de Jean 4 - La Samaritaine - Saint Augustin

En guise de corrigé de mon homélie, Écoutons saint Augustin sur Jean 4 :

« Arrive une femme. Elle représente l'Église ; l'Église qui n'était pas encore justifiée, mais déjà appelée à la justification. Car c'est de cela qu'il est question. Elle arrive sans savoir, elle trouve Jésus, et la conversation s'engage.

Voyons comment, voyons pourquoi arrive une femme de Samarie qui venait puiser de l'eau. Les Samaritains n'appartenaient pas au peuple des Juifs, car à l'origine ils étaient des étrangers. ~ C'est un symbole de la réalité qu'arrive de chez les étrangers cette femme qui était l'image de l'Église, car l'Église devait venir aussi des nations païennes, être étrangère à la descendance des Juifs.
Écoutons-la donc : en elle, c'est nous qui parlons ! Reconnaissons-nous en elle et, en elle, rendons grâce à Dieu pour nous. Elle était la figure, non la vérité ; car elle-même a présenté d'abord la figure, et la vérité est venue. Car elle a cru en celui qui, en elle, nous présentait cette préfiguration. Donc, elle venait puiser de l'eau, tout simplement, comme font ordinairement des hommes ou des femmes.
  
Jésus lui dit : Donne-moi à boire. (En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter de quoi manger). La Samaritaine lui dit : Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? En effet, les Juifs ne veulent rien avoir en commun avec les Samaritains.
Vous voyez que c'étaient bien des étrangers : les Juifs n'employaient jamais leurs récipients. Et, parce que cette femme avait emporté une cruche pour puiser l'eau, elle s'étonne de ce qu'un Juif lui demande à boire, ce qui n'était pas la coutume des Juifs. Mais celui qui cherchait à boire avait soif de la foi de cette femme.

Écoute enfin quel est celui qui demande à boire. Jésus lui répondit : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi à boire, c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. Il demande à boire, et il promet à boire. Il est dans le besoin, comme celui qui va recevoir, et il est dans l'abondance, comme celui qui va combler. Si tu savais le don de Dieu, dit-il. Le don de Dieu, c'est l'Esprit Saint. Mais Jésus parle encore à cette femme de façon cachée et peu à peu il entre dans son cœur. Peut-être l'instruit-il déjà. Qu'y a-t-il de plus doux et de plus bienveillant que cette invitation : Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te dit : Donne-moi a boire, c'est peut-être toi qui demanderais, et il te donnerait de l'eau vive. ~
Quelle eau va-t-il lui donner, sinon cette eau dont il est dit : En toi est la source de vie ? Comment auraient-ils soif, ceux qui seront enivrés par les richesses de ta maison ?
Il promettait donc la nourriture substantielle et le rassasiement de l'Esprit Saint, mais la femme ne comprenait pas encore. Et, parce qu'elle ne comprenait pas, que répondait-elle ? La femme lui dit : Seigneur, donne-la moi, cette eau :  que je n'aie plus soif, et que je n'aie plus à venir ici pour puiser. Sa pauvreté l'obligeait à peiner, et sa faiblesse refusait cette peine. Elle aurait dû entendre cette parole : Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos ! Jésus lui disait cela pour qu'elle cesse de peiner. Mais elle ne comprenait pas encore.(1) »

(1) Augustin d'Hippone, commentaire de l'Evangile de Jean, source: office des lectures du 3eme dimanche de carême

14 mars 2020

Homélie du 3eme dimanche de carême - La Samaritaine - Jean 4

Homélie du 3eme dimanche de carême - La Samaritaine - Jean 4

Projet 2
Connaissons-nous le don de Dieu ?

C'est peut-être la contemplation centrale des textes de ce dimanche. Si nous avons accepté de quitter nos habitudes pour marcher dans le « désert » et rencontré la soif véritable, alors nous rejoignons le grand assoiffé d'amour : Jésus Christ, celui qui se présente au puits à l'heure la plus chaude et nous demande à boire.
Avant-dernier agenouillement du Fils devant « l'homme » - ici une femme qui ne cesse d'avoir soif malgré ses cinq maris.
Le contraste est saisissant et c'est pourtant là que tout se joue.

Le puits est le lieu de la rencontre typique de l'ancien testament. C'est donc de nos épousailles qu'il s'agit. Allons nous répondre à cette demande en mariage ?
« Donne moi à boire ? »

Pouvons nous apporter l'eau pour qu'il serve au vin des noces ?
Qui sont nos cinq maris et celui avec qui nous restons englués ? Orgueil, suffisance, avarice, luxure... (je parle pour moi...) ?

Pouvons-nous quitter ce qui nous empêche de comprendre que l'eau de la vie vient de Dieu ? Que l'eau n'est autre que cet amour déposé au fond de notre cœur et qui ne demande qu'à jaillir.
    
Méditons d'abord sur ce don de Dieu, même si l'actualité nous détourne le coeur des chemins d'espérance.

Dieu n'est pas dans le drame, mais dans l'amour qui jaillit, dans ces chants qui emplissent les maisons italiennes en ce moment et traduisent que l'amour est plus fort que la mort.

« Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. »

Le Christ est le Rocher d'où jaillit l'amour. C'est ce qu'affirme en tout cas de nombreux commentaires sur l'épisode du Rocher : « Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb.
Tu frapperas le rocher, il en sortira de l'eau, et le peuple boira ! » Exode 17

Ils ont transpercé le cœur de Dieu et de cette plaie offerte jaillit un fleuve immense : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : 'Donne-moi à boire', c'est toi qui lui aurais demandé, et il t'aurait donné de l'eau vive. » Jean 4

L'eau jaillissante...

« l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné. » Romains 5
Précise saint Paul...

Ce qui jaillit du cœur transpercé est l'Esprit d'amour. Laissons nous inonder de l'intérieur par cette eau vive. La vie est là. Même si nous sommes privés d'eucharistie, elle est au fond de nous, dès que nous quittons ce qui obscurcit notre regard...



11 mars 2020

Pédagogie divine 21 - Saint Irénée


Cela pourrait être le résumé du livre "Pédagogie divine" dont je viens de mettre en ligne la première épreuve, après plusieurs années de cisèlement.

Ce n'est jamais un hasard pour moi de tomber sur des textes qui éclairent où résonnent avec mes sujets de recherche. Celui-ci, retrouvé dans l'office des lectures d'aujourd'hui, entre largement dans cette catégorie.
Écoutons donc saint Irénée :

« Depuis le commencement, Dieu a modelé l'homme en vue de ses dons ; il a choisi les patriarches en vue de leur salut ; il formait d'avance le peuple, pour apprendre aux ignorants à suivre Dieu ; il préparait les prophètes, pour habituer l'homme sur la terre à porter son Esprit et
à être en communion avec Dieu. Lui qui n'avait besoin de rien accorde sa communion à ceux qui ont besoin de lui ; pour ceux qui lui plaisaient, il dessinait comme un architecte l'édifice du salut ; à ceux qui ne le voyaient pas en Égypte, il servait lui-même de guide ; aux turbulents dans le désert, il donnait la loi pleinement adaptée ; à ceux qui entraient dans une bonne terre, il donnait l'héritage approprié ; pour ceux qui revenaient vers le Père, il immolait le veau gras, et leur offrait la meilleure robe. Bref, de bien des manières, il disposait le genre humain à l'harmonie du salut.

Voilà pourquoi Jean dit dans l'Apocalypse : Et sa voix était pareille à la voix des multiples eaux. Oui, elles sont nombreuses, les eaux de l'Esprit de Dieu, — car le Père est riche et grand — et passant à travers elles toutes, le Verbe apportait généreusement son assistance à ceux qui lui étaient soumis, prescrivant à toute créature la loi nécessaire et appropriée.

Ainsi par la Loi, il déterminait la construction du tabernacle, l'édification du Temple, le choix des Lévites, les sacrifices et les oblations, les purifications, et tout le reste du service du culte. Lui-même n'a nul besoin de tout cela : car il est toujours comblé de tous biens, et a en lui toute odeur de suavité, et toutes les fumées de parfums, même avant que Moïse fût.

Mais il éduquait le peuple enclin à retourner aux idoles : il le disposait, par de nombreuses prestations, à persévérer dans le service de Dieu, il l'appelait par les choses secondaires aux principales, c'est-à-dire par les figuratives aux véritables, par les temporelles aux éternelles, par les charnelles aux spirituelles, par les terrestres aux célestes.

Qu'est-ce qui fut dit à Moïse : Tu feras tout selon le modèle de ce que tu as vu sur la montagne. En effet, pendant quarante jours, il apprit à retenir les paroles de Dieu, les caractères célestes, les images spirituelles, et les figures des choses à venir. Ainsi le dit Paul : Ils buvaient au rocher qui les suivait, car le rocher était le Christ. Puis ayant rappelé le contenu de la loi, il ajoute : Toutes ces choses leur arrivaient en figures ; elles ont été écrites pour être instruction, à nous en qui est arrivée la fin des siècles. Par ces figures, ils apprenaient à craindre Dieu et à persévérer dans son service. Ainsi la loi était pour eux un enseignement, en même temps qu'une prophétie de l'avenir. » (1)

(1) Saint Irénée de Lyon, Contre les hérésies

08 mars 2020

Parole, proximité et silence


Je découvre dans La Croix du 5 mars ce très bel extrait de la règle des diaconesses de Reuilly : « [La Parole] t'est offerte et cependant te résiste. Elle est forte et cependant s'estompe, fragile sous l'afflux de tes mots. Elle est limpide et cependant cachée, elle se cherche comme à tâtons. Elle t'éclaire et cependant ne brille qu'au-devant de ton pas. Elle est tout près de toi et cependant son immensité occupe les siècles. Cherche, scrute, patiente, demande. Ne te laisse pas rebuter car c'est Dieu lui-même qui veut t'apprendre Dieu. Aime assez l'Écriture pour qu'elle te délivre ses secrets. Ses accents sont toujours nouveaux. Imprègne-toi d'elle, fais-en ton étude, écris-la, raconte-la… Mais si t'enflammait une seule parole, fais silence et ne désire rien d'autre : le Seigneur t'a parlé comme l'ami parle à son ami. »

On retrouve ici une belle composition spirituelle qui fait entrer en résonance plusieurs médiations comme le texte célèbre d'Augustin extrait des Confessions sur la proximité et distance de Dieu et ce beau texte teilhardien de La custode que je rêve de retrouver.

Belle contemplation.

07 mars 2020

Homélie du deuxième dimanche de carême - Année A - Pédagogie et transfiguration…

Pourquoi a-t-on besoin du carême ?

Cinq  verbes dans les textes d'aujourd’hui nous donne le chemin : quitter, monter, contempler, écouter agir...

Quitter
Dieu nous a fait des êtres libres.
« Le chemin qui s'ouvre devant [l'homme] est celui de la liberté ou de la servitude, du progrès ou de la régression, de la fraternité ou de la haine. En outre, l'homme découvre qu'il lui appartient de bien diriger les forces qu'il a mises en mouvement et qui peuvent l'écraser ou le servir. (...) En vérité, les déséquilibres dont souffre le monde actuel sont liés à un déséquilibre plus fondamental, qui a sa racine dans le cœur même de l'homme. C'est en l'homme lui-même, en effet, que de nombreux éléments se combattent. D'une part, comme créature, il lit l'expérience de ses multiples limites ; d'autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure, sollicité par tant d'appels, il est sans cesse contraint de choisir entre eux et d'en abandonner quelques-uns. En outre, faible et pécheur, il accomplit souvent ce qu'il ne veut pas et n'accomplit point ce qu'il voudrait. C'est donc en lui-même qu'il souffre division, et c'est de là que naissent au sein de la société des discordes si nombreuses et si profondes » Gaudium et Spes
Nous avons abusé de cette liberté. Nous avons besoin de retrouver le chemin qui nous révèle notre saine dépendance au divin.
Nous avons besoin de comprendre et sentir Sa tendresse, de contempler Sa bonté.

Face à Israël perdu sur les voies du monde, Dieu se décide à ramener son peuple au désert, à le séduire ... comme Osée le fait symboliquement avec Gomer (Osée 2)

Mais ce détour au désert n'est pas chemin de mort. Il est pédagogie, une « plongée dans la mort » pour redécouvrir la vie : « il les rassasie du pain venu des cieux ; il ouvre le rocher : l'eau jaillit, un fleuve coule au désert. » Ps 104, 40-41

Quel est ce fleuve ?

C'est ce que nous révèle l’Évangile de ce dimanche.
Il faut avoir accepté de quitter, aux côtés d'Abraham, son « pays » (Gn 12), ce monde qui nous enferme dans sa routine et ses nœuds.
Il faut, spirituellement, monter, faire l'ascension dans l'effort, aux côtés de Pierre, Jacques et Jean, malgré la fatigue et la soif, pour découvrir que la lumière est au bout du chemin. Le Fils est ce buisson ardent révélé trois fois à Moïse (cf. Exode 3, Exode 34 - aux termes de 40 ans de désert et Mat 17). Il est le souffle ténu senti par Élie  après 40 jours de désert (1 Rois 19). Il est chemin de vie et fleuve éternel...

L'Évangile de Matthieu reprend les codes des Théophanies (1) de l’Ancien Testament pour insister sur cette révélation de Dieu. 

C'est au bout de la route que la lumière déchire le brouillard. Si nous croyons, la mort n'a plus d'importance. Oublions un instant la peur et la panique qui occupe le monde. A ses trois amis, Jésus donne d'entrevoir la lumière. Alors quittons ce qui nous retient au monde, partons au désert malgré cette aridité apparente.

« Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s'est manifesté : il a détruit la mort,
et il a fait resplendir la vie et l'immortalité
par l'annonce de l'Évangile ».
2 Tim 9, 10

Il a fait resplendir la vie. Au cœur de notre carême tournons nos cœur vers la lumière de l'eucharistie, laissons Jesus briser nos cœurs de pierre...

Contemplons la lumière, non pour s’y arrêter comme le suggère Pierre, mais pour agir...
Les théophanies n’ont pour fonction que de nous mettre en chemin. « Si les théophanies sont colorés et impressionnante surtout dans les songes, les images restent fonction de ce qui est le plus important : des paroles de la promesse, et c’est pour cette promesse »(2) qu’elles se destinent.

Ici, la révélation faite aux disciples est destinée à préparer à la promesse finale : Dieu est plus fort que la mort ». C’est le kérygme qui est visé, notre foi en la résurrection.


(1) Sur ce thème cf. mes travaux de recherche et notamment L’amphore et le fleuve
(2) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p 171
Illustration : Moïse frappant le rocher. Trésor des églises d’Eure et Loir

06 mars 2020

Au fil de Jean 13 – lavement des pieds – plus qu’un sacrement - pédagogie 20

« L'Église a fait de l'eucharistie le sommet des sacrements dont elle vit. Pourquoi le lavement des pieds n'est-il pas devenu à son tour un sacrement de l'Église ? Jésus y a posé le geste, a donné la parole et indiqué le devoir de le répéter. Ce cas est infiniment plus clair que ceux de plusieurs autres sacrements. Après quelques hésitations dans la tradition, la répétition liturgique s'est bornée au geste, devenu formel, accompli par l'évêque ou le prêtre le Jeudi saint. La réponse à cette question est dans la nature du geste lui-même : l'eucharistie est un symbole vrai du sacrifice du Christ. Ici nous sommes pas dans le symbole, mais dans la chose elle-même. Jésus ne demande pas de célébrer mais de réaliser tous les jours, comme il l'a fait lui-même [tout au long de sa vie], le service fraternel. Ce geste accompli le commandement de l'amour que Jésus ne cessera de redire aux siens (cf. Jn 14-17). (...). Ce geste est plus qu'un sacrement : il révèle Jésus (...). Et nous donne en même temps l'exemple et la tâche de servir tous les jours nos frères. Comme la croix, le lavement des pieds est la matrice de tous nos sacrements. Dans cette scène volontairement humble Jésus se révèle tout entier »(1)

On a là le sommet de la pédagogie de Jésus : nous conduire presque sans mots et avant le grand silence de la croix à l'essentiel. Et cette dynamique sacramentelle (2) est plus large que ce l'Église cristallise dans les sacrements : elle devient l'axe même de notre vie, de l'amour...

Jeune diacre je regrettais de ne pas avoir à agir le jeudi saint... L'enjeu n'est pas là, comme je le découvre en lisant Sesboué : le jeudi saint n'est qu'un rappel. La tâche du diacre est un perpétuel lavement des pieds...

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 335
(2) cf. mon essai éponyme

Au fil de Marc 6, Pédagogie du Christ - 19


« La vraie multiplication des pains, celle qui se poursuit par toute la terre, c'est l'eucharistie, nourriture pour la vie éternelle. La même scène [de Marc 6] est racontée par l'évangile de Jean [6] avec plus de détails encore. Marc disait que la foule s'était assis sur l'herbe verte ; Jean précise qu'il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Cette même foule poursuit alors Jésus qui leur transmet le grand enseignement sur l'eucharistie : il fait passer du désir de rassasier sa faim à celui du pain de la vie éternelle (...) pain de son corps qu'il donnera à manger au risque de scandaliser ses disciples qui ne comprennent pas comment il leur faudra manger sa chair et boire son sang. Ce signe des pains est une propédeutique patiente [on pourrait dire pédagogie] pour éduquer la foule au mystère du pain de la vie éternelle. (1)

Certains exégètes peuvent souligner que la lecture de Jean est post-pascale. Il n'empêche qu'elle s'inscrit dans cette pédagogie divine que nous essayons de thématiser.

La multiplication est en soi une parabole extraordinaire de ce don d'amour fait par le Christ et à travers le Fils le Père dans cette danse trinitaire qui se perpétue.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 333

29 février 2020

Pédagogie divine 18 - Hans Urs von Balthasar

Hans Urs von Balthasar nous introduit à sa manière à un croisement théologique entre plusieurs mouvements de compréhension (1). Je vais tenter de traduire avec mes mots son long développement et, par nature, sa contemplation de cette pédagogie divine que je cherche à dévoiler.

  1. Il y a d'abord la contemplation du grand Donateur, de ce Dieu qui est source de tout don et à qui tout appartient sans pour autant, comme le dira plus tard Jean-Luc Marion, être celui qui réclame - mais au contraire s'efface.
  2. Il y a ensuite ce Dieu qui nous convie à découvrir que notre repos est en lui, que l'amour n'est autre que de se réfugier dans ses bras miséricordieux : « en toi est la source de la vie » Ps 36,9
  3. A cet amour l'homme est appelé à répondre dans une alliance qui ne lui laisse pas de repos : « c'est de tout son cœur et de toute son âme » (cf. notamment Dt 18) que l'on doit répondre.
  4. Et pourtant nos échecs laisse percevoir la distance entre cette lente révélation de la gloire qui tranche avec la « nudité » de l'homme. Face à cette gloire, presque inaccessible, apparaît la nécessité d'un médiateur, serviteur souffrant qui, à l'image de Moïse, conduit à la terre promise sans pouvoir y accéder (Nb 20, 12).
Tout cela est, à sa manière, pédagogie, car Dieu s'y révèle doucement comme ce Dieu qui prépare à la révélation finale, dans ce sublime dévoilement trinitaire de l'incarnation, de la Croix et de la résurrection tout en gardant pour nous un sens, une immédiateté presque palpable tant le don de Dieu, sa révélation en nous, l'humilité et le besoin de médiation reste constitutif de notre « christianité ».

Il en vient une réflexion qui réhabilite à sa manière la figure du prêtre comme médiateur lui aussi de quelque chose.
En théorie il est appelé à personnifier cet entre deux. La difficulté est que le prêtre reste homme, fragile, blessé et qu'en dépit de sa vocation à la « ressemblance » il reste souvent pâle image de celui qu'il représente.

L'actualité récente est à ce titre une leçon d'humilité...

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et La Croix, 3, Théologie, Ancienne Alliance, Paris, Aubier, 1974 p. 155

Homélie du 1er Dimanche de Carême - Gn 2-3, Ps 50, Rom 5, Mat 4

Projet 3

Deux questions ce matin, à l'occasion de ce premier dimanche de Carême 
Qu'est-ce qui m'attache au mal ?
Qu'est-ce qui m'en libère ?
  1. Qu'est-ce qui m'attache au mal ?
La première lecture (Gn2 et 3) n'est pas à prendre comme une vision historique des choses mais bien comme une constatation très intérieure de nos désirs de puissance sur l'autre, sur les biens de l'autre, sur nous-mêmes contre Dieu à qui nous refusons la première place, par orgueil et par aveuglement...

Le tentateur s'installe chez nous dès que nous entrons dans cet engrenage...
Notre liberté, notre clair vision est troublée, obscurcie par ces adhérences, ces routines qui nous conduisent progressivement à perdre la vraie liberté : celle de dire non à ce mal qui nous envahit...

L'illusion est de croire que nous échappons à cela. Le mal s'installe parfois dans des fausses pistes qui ont l'apparence du bien...

Matthieu nous dévoile la même chose dans le discours subtile du tentateur à Jésus. « Ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
 Jésus peut-il se servir de sa toute-puissance pour convertir ? Non ?
« Il est écrit : L'homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
 »
Le Fils nous ramène au Père...

« Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas. »
Jésus peut-il sombrer dans l'orgueil ? Non..! :
« Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Jésus veut-il le pouvoir sur la terre ? Non !
« C'est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras »

A la triple tentation qui résume toutes les autres, « l'avoir, le valoir et le pouvoir » le Christ nous conduit à une seule réponse : Dieu est premier. S’il n’est pas premier c’est que nous avons pris un mauvais chemin.
Méditons cela dans nos cœurs.

Nous en venons à ma deuxième question.
Qu'est-ce qui me libère de cette adhérence au mal ?

Paul nous donne sa réponse : Jésus Christ 
Autant notre faute est bien commune, autant le salut est unique. Notre faute est fausse liberté. Le salut est plus grand. Dieu nous libère.
Alors, prenons le temps de la distance, contemplons les dons de Dieu, méditons sur ses pas :
  1. Contre nos désirs « d'avoir » Jésus nous introduit à la générosité 
  2. Contre le valoir Jésus nous conduit à l'humilité 
  3. Contre nos désirs de pouvoir, Jésus nous introduit à  la prise de conscience de nos fragilités...
Le carême est en quelque sorte une station météo pour nous :
Quel est notre degré d’humilité ?
Quelle est la force du vent (pouvoir) ?
Quel est notre température d’avarice.. ?

Prenons alors le temps de méditer le psaume 50
« Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j'ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d'être sauvé ;
que l'esprit généreux me soutienne.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange. » 
Le psaume 50 peut nous conduire pendant ce temps de carême.

Entrons dans ce chemin de purification, ce chemin de désert 
Et n’oublions pas qu’un prêtre nous attend pour recevoir notre confession, les bras grands ouverts au nom du Père.




28 février 2020

Pédagogie du Christ - 17

En support au thème de mon livre en préparation, je découvre chez Sesboué la même idée (je n'ai rien inventé) qui nous décrit dans un long chapitre 12 la pédagogie du Christ face au pécheurs. Après l'évocation de Zachée je retiendrais l'épisode chez Simon le pharisien (Mc 14, Lc 7,36sq, Jn 12) où une femme pécheresse vient laver les pieds de Jésus - un geste qui pourrait avoir suscité l'épisode du lavement des pieds ? Plutôt qu'un enseignement moralisateur c'est par une parabole que Jésus travaille le cœur de Simon. «  la pédagogie de [Jésus passe par] une parole qui témoigne de sa même tendresse que vit à vis de la femme »(1)

Le terme de tendresse est bien trouvé. C'est l'amour de Dieu pour l'homme qui se manifeste là et va trouver son apogée dans le lavement des pieds et dans la croix. Suivre cela c'est percevoir tout le chemin et la pédagogie divine qui se manifeste depuis la genèse jusqu'à nous.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 317

27 février 2020

Homélie de baptême - 27 - à partir d’Ezechiel 47


Qui suis-je devant l'amour d'un homme et d'une femme qui viennent présenter à Dieu le fruit de leur amour ?

Les textes d'aujourd'hui et tout particulièrement la première lecture nous invitent à leur manière à contempler cela.
L'amour qui vous a réuni C et L est grand. Il vous dépasse.

Il est comme ce fleuve qui jaillit du Temple de Dieu dont nous parle la première lecture que vous avez choisie (Ez 47). Pour l'instant il semble fragile, comme cet enfant que vous présentez à Dieu.

Et pourtant vous pressentez que cette petite Alice peut vous surprendre, par ses sourires d'abord, sa tendresse, et plus tard par sa capacité à aimer.

Il vous reste à soigner cette croissance, la conduire, la rendre à son tour amour.

Le baptême s'inscrit dans cette dynamique. Ce n'est pas un simple passage, c'est un engagement de tout faire de votre côté pour que ce potentiel d'amour qui repose en elle échappe à toutes les tentations, à toutes les adhérences et toutes les addictions.

Alice va devoir choisir entre la vie pour aimer et la mort qui résulte d'un enfermement sur soi. Choisir la vie et non la mort auquel nous conduit toute forme de servitude. 

Alice est don de Dieu. N'oubliez pas cela. Prenez le temps, à votre manière, de l'introduire à cette contemplation de ce qu'est l'amour, du pourquoi de l'amour...

Alice va aujourd'hui être baptisée selon cette dynamique particulière du Christ. En la plongeant dans l'eau, elle va symboliquement mourir à ce qui l'empêche d'aimer pour vivre dans l'amour. Et vous parents, parrain et marraine en renonçant de même au mal, tout à l'heure vous allez signifier que pour elle vous choisissez l'amour plus que ce qui vous empêche d'aimer. Ce choix est un début, le début d'une conversion intérieure. Vous allez être les pierres vivantes de cette transformation d'Alice en fleuve d'amour. Vous allez être porteur de cette flamme qui va faire d'elle un feu de joie pour le monde...

Bien sûr ce chemin n'est pas simple. Le chemin du Christ l'a conduit à la croix. C'est pourquoi elle aura besoin de vous tous ici rassemblés, et notamment de vous parents parrain et marraine pour avancer. Nous allons exprimer cela, dans le rite qui va suivre...

26 février 2020

Mercredi des cendres - Au fil de Matthieu 6


« Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l'accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n'y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l'aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite,
afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu'ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense.
Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ;
ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. » Mat 6


« Sois fort, sois fidèle, Israël,
Dieu te mène au désert ;
C'est lui dont le bras souverain
Ouvrit dans la mer
Un chemin sous tes pas. »(1)

« Le jeûne qui me plaît, n'est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ?
N'est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?
Alors ta lumière jaillira comme l'aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera la marche.
Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici. » Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante,
si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi.
Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et te rendra vigueur. Tu seras comme un jardin bien irrigué, comme une source où les eaux ne manquent jamais.
Tu rebâtiras les ruines anciennes, tu restaureras les fondations séculaires. On t'appellera : « Celui qui répare les brèches », « Celui qui remet en service les chemins » (Isaïe 58, 6-12) AELF (1)

Nous entrons en carême : Quarante jours pour grandir dans l'amour de Dieu et de notre prochain.

Écoutons saint Grégoire : « Nous entamons aujourd'hui les saints quarante jours du carême, et il nous faut examiner attentivement pourquoi cette abstinence est observée pendant quarante jours. Moïse, pour recevoir la Loi une seconde fois, a jeûné quarante jours (Ex 34,28). Élie, dans le désert, s'est abstenu de manger quarante jours (1R 19,8). Le Créateur des hommes lui-même, venant parmi les hommes, n'a pas pris pas la moindre nourriture pendant quarante jours (Mt 4,2). Efforçons-nous, nous aussi, autant que cela nous est possible, de refréner notre corps par l'abstinence en ce temps annuel des saints quarante jours (...), afin de devenir, selon le mot de Paul, « une hostie vivante » (Rm 12,1). (...) Mais que personne ne s'imagine que seule cette abstinence nous suffise. Le Seigneur dit par la bouche du prophète : « Le jeûne que je préfère ne consiste-t-il pas plutôt en ceci ? Partager ton pain avec l'affamé, recevoir chez toi les pauvres et les vagabonds, habiller celui que tu vois sans vêtement, et ne pas mépriser ton semblable » (Is 58,6-7). Voilà le jeûne que Dieu approuve (...) : un jeûne réalisé dans l'amour du prochain et imprégné de bonté. Prodigue donc aux autres ce que tu retires à toi-même; ainsi, ta pénitence corporelle soulagera le bien-être corporel de ton prochain qui est dans le besoin. » (2)

Il y a là un chemin de conversion à accomplir, non pour une abstinence exceptionnelle mais pour convertir notre façon d'agir de manière permanente en trouvant ce qui est véritablement essentiel, non pas notre petit confort personnel mais notre charité débordante : « celui qui n'a pas tout donné n'a rien donné » (3)

(1) office des lectures
(2) Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les évangiles, n° 16, 5 (trad. par les moines du Barroux ; Le Barroux , Éd. Sainte-Madeleine ; diff. Téqui, 2000; rev.), source : l'Évangile au Quotidien
(3) attribué au Père Ceyrac

24 février 2020

Pédagogie divine 16

«Tout l'organisme de la révélation, de l'Ancien comme du Nouveau Testament pivote autour de l'idée de salut. (...) [Et la question : ] « Qui doit être le Christ pour qu'il ait pu nous sauver, comme cela nous a été annoncé ? [est le centre]. Tout dans la Bible, et tout d'abord la personne du Christ, est ordonné à notre salut, c'est-à-dire à notre bonheur total et définitif (...) la Bible est un immense « pour nous », organisé par Dieu » (1)

C'est dans ce sens que la pédagogie de Dieu vers l'homme se résume à une invitation à Sa Danse (cf. plus haut) et que la déchirure du voile (cf. Mc 15, 38) révèle l'ensemble du mystère : Christ est mort pour notre salut et sa résurrection est le prologue de notre bonheur à venir in Christo.

« Notre Dieu est un Dieu qui s’intéresse à l’homme, qui se fait proche de l’homme et pour qui l’homme existe en vérité »(2)

« L’abaissement du Christ venant chez nous est une élévation de notre dignité et la révélation de notre vocation à vivre en amis de Dieu (...) Le Christ respecte notre condition humaine en la partageant en tout de sa naissance à sa mort. D’un même mouvement il nous révèle cette ressemblance originelle et il l’a restauré. Tout son comportement est devenu un agir d’homme, mais d’un homme parfait accomplissant totalement le vœu créateur de son Père. Il établit entre son Père et nous une solidarité et une communion nouvelle. Il nous a montré comment l’amour de Dieu pour nous pouvait s’exprimer avec toute la tendresse d’un homme » (3)

« En souffrant pour nous , il ne nous a pas seulement donné l’exemple, afin que nous marchions sur ses pas, mais il a ouvert une route nouvelle ; si nous la suivons, la vie et la mort deviennent saintes et acquièrent un sens nouveau » (GS 22,3)

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 285
(2) p. 286
(3) p. 296

23 février 2020

Divinisation ou invitation à la danse - Bernard Sesboué

 Le terme de divinisation surprend, même si je l'avais déjà rencontré chez Varillon dans Joie de croire, joie de vivre qui l'évoque à partir de l'eucharistie : « Dieu vient diviniser ce que nous humanisons ».

Pour Sesboué le concept rejoint l'idée que nous sommes « enfants de Dieu » (Rom 8, 16 et 1 Jn 3,1), mais aussi cette grande image nuptiale déployée dans Eph 5. Pour lui, il « ressort de ces textes que nous sommes invités à entrer dans l'intimité affectueuse de la famille divine dont nos liens d'amour les plus forts sont une image. Le paradoxe veut que cette entrée dans l'amour même de Dieu ne nous arrache en rien à notre humanité. Parce que nous sommes ainsi faits de par notre création, notre divinisation est le accomplissement dernier de notre humanisation » (1)

Notre salut se destine à cette divinisation. Il rejoint là peut-être ce que disait à sa manière Fra Angelico par sa danse des anges dans son tableau du jugement dernier, une image qui entre en résonance avec ce que je développe dans « danse trinitaire »(2), cette idée que Dieu, dans sa bonté, rêve de nous voir participer à sa danse.



(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p. 284
(2) cf. notamment l'Amphore et le fleuve.

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Mal originé ou prix de la liberté - Bernard Sesboué

Je continue ma lecture. Après une longue analyse sur les différentes interprétations du « péché originel » qui nous conduit de Pélage et Augustin au concile de Trente et ses premiers canons (1), l'auteur analyse la réponse des philosophes des Temps Modernes. On quitte la notion étroite d'un mal transmis par Adam vers une interpellation du mal comme « passage de la nature à la liberté ». Pour Kant, la source du mal se « trouve dans un choix libre » fait par tout homme. Hegel évoque quant à lui un mal qui révèle le bien en creux, « les deux connaissances étant inséparables pour [que l'homme devienne] un être moral (...) [qu'il parvienne à un] processus de maturation (...) [au] développement de la conscience de soi (...) Félix culpa (...) [cette chute] nécessaire pour un plus grand bien. (...) Ce qui chez Kant était de l'ordre de la liberté devient chez Hegel le devenir nécessaire de la conscience » (2).

L'enjeu n'est pas de chercher un coupable ailleurs, mais de se rendre compte de l'enchaînement qui nous rend esclave et de trouver une manière d'accueillir cette grâce qui nous en libère.

Tout cela n'est pas éloigné de cette pédagogie divine que nous cherchons à mettre en lumière.
La liberté donnée à Adam n'est pas incompatible avec la sollicitude de Dieu et la question intérieure posée à l'homme : « où es-tu ? »(3)

Mais Sesboué continue, à l'aune des travaux de Rahner, vers une approche qui n'est pas loin de ce que j'appelle la constatation de nos « adhérences » au mal qu'il définit comme un héritage que l'on ne peut trop vite appeler originel mais qui est constitutif de notre état, de notre liberté et de notre chemin de sanctification. C'est à partir de l'homme actuel que la constatation de nos faiblesses permettent d'appréhender l'origine du mal et non une prétendue connaissance historique qui nous conditionnerait au mal, au serf-arbitre ou à tout autre fatalité. Et c'est dans cette condition que Christ a sa place. Si nous ouvrons nos cœurs à ce Dieu sauveur.

(1) Bernard Sesboué, L'homme, merveille de Dieu, Paris, Salvator, 2015 p.199 à 245.
(2) ibid. p. 246-8
(3) cf. mon livre éponyme

21 février 2020

Fais de la place pour l’amour - Augustin - Amour en toi 55


Je suis d'autant plus sensible à cette exhortation qu'elle est centrée sur une mention de Philippiens 3, choisi pour mon mariage il y a 33 ans...
un clin Dieu... ;-)

« Quelle est la promesse qui nous a été faite ? Nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu'il est. La parole s'est exprimée comme elle a pu ; le reste, c'est au cœur de le comprendre. Alors que saint Jean lui-même s'exprime, comme il peut par rapport à Celui qui est, que pourrions-nous dire, nous qui sommes si loin d'égaler ses mérites ?

Revenons donc à cette onction du Christ, revenons à cette onction qui nous enseigne intérieurement ce que nous ne pouvons pas exprimer ; et puisque vous ne pouvez pas voir maintenant, que votre activité se contente de désirer. Toute la vie du vrai chrétien est un saint désir. Sans doute, ce que tu désires, tu ne le vois pas encore : mais en le désirant tu deviens capable d'être comblé lorsque viendra ce que tu dois voir.

Supposons que tu veuilles remplir une sorte de poche et que tu saches les grandes dimensions de ce qu'on va te donner, tu élargis cette poche, que ce soit un sac, une outre, ou n'importe quoi de ce genre. Tu sais l'importance de ce que tu vas y mettre, et tu vois que la poche est trop resserrée : en l'élargissant, tu augmentes sa capacité. C'est ainsi que Dieu, en faisant attendre, élargit le désir ; en faisant désirer, il élargit l'âme ; en l'élargissant, il augmente sa capacité de recevoir.

Nous devons donc désirer, mes frères, parce que nous allons être comblés. Voyez saint Paul, élargissant son désir pour être capable de recevoir ce qui doit venir. Il dit en effet : « Certes, je ne suis pas encore arrivé, je ne suis pas encore parfait. ~ Frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le Christ. »

Que fais-tu alors en cette vie, si tu ne l'as pas encore saisi ? — « Une seule chose compte : Oubliant ce qui est en arrière et tendu vers l'avant, je suis mon élan vers le triomphe auquel je suis appelé de là-haut »[Ph 3]. Il dit qu'il est tendu et qu'il suit son élan. Il se sentait incapable de saisir ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce que le cœur de l'homme n'a pu concevoir.

Voilà notre vie : nous exercer en désirant. Le saint désir nous exerce d'autant plus que nous avons détaché nos désirs de l'amour du monde. Nous l'avons déjà dit à l'occasion : vide ce qui doit être rempli. Ce qui doit être rempli par le bien, il faut en vider le mal.

Suppose que Dieu veut te remplir de miel : si tu es rempli de vinaigre, où mettras-tu ce miel ? Il faut répandre le contenu du vase il faut nettoyer le vase lui-même il faut le nettoyer à force de travailler, à force de frotter, pour qu'il soit capable de recevoir autre chose.

Parlons de miel, d'or ou de vin : nous pouvons désigner de n'importe quel nom ce qui est indicible, mais son vrai nom est Dieu. Et quand nous disons « Dieu », que disons nous ? Ce mot désigne tout ce que nous attendons. Tout ce que nous pouvons dire est en dessous de la réalité ; élargissons-nous, en nous portant vers lui, afin qu'il nous comble, quand il viendra. Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est. » (1)

Sur même sujet on trouvera les mêmes accents dans la vie de Moise de Grégoire de Nysse (2)

(1) Saint Augustin, sermon sur la première lettre de Jean
(2) cf. La course infinie