"C'est au Calvaire et dans la déréliction de Jésus sur la Croix que la distance entre le Père et le Fils devient pour la première fois tout a fait manifeste ; et même l'Esprit, qui les unit tous les deux en formant leur "nous", apparaît précisèment dans le dévoilement de l'unité, comme pure distance. Le Fils portant le péché, c'est-à-dire ce qui constitue l'écart pur et simple par rapport à Dieu, semble avoir perdu le Père au milieu de son abandon" (1)
Cette apologie de la distance nous dérange, de même que l'abandon. Mais comment peut-on ressentir la souffrance de l'abandon sans faire l'expérience, au coeur même du désespoir, que Dieu est possible, si le Christ n'a pas été jusque là sur ce chemin ? Echange sublime de deux kénoses, celle du Père qui laisse aller le Fils et celle du Fils qui va jusque là par amour du Père... Là est le dévoilement, dans la symphonie trinitaire...
Balthasar, ibid p. 296
Balises : Souffrance, kénose, déréliction
4 commentaires:
Suite à votre commentaire, j'ai vu qu'il y avait dans votre blog 18 référence sur la question de la déréliction, donc je vois mieux de quoi il s'agit maintenant. Le post ci-dessus m'a fait penser à ce que j'exprimais hier à un ami qui va entrer chez les Chartreux. Dieu est infini. La meilleure façon de faire l'expérience de Dieu, c'est d'entrer en contact avec l'infini. Or la seule chose qui devient facilement infinie chez l'homme pécheur, c'est la souffrance et le désespoir d'être séparé de Dieu. C'est en creusant dans le sentiment de cette séparation qu'on atteint quelque chose de vraiment intolérable, qui nous dépasse totalement, mais si on le fait avec le bon état d'esprit, c'est-à-dire par amour, on y trouve Dieu. C'est pour moi ce qu'a montré le Christ sur la Croix. Ce que son exemple ne dit pas, en revanche, c'est que pour nous, l'expérience devient simultanée, suffisamment du moins pour qu'on accepte de creuser volontairement dans l'insupportable.
On dit souvent que le Christ a pris sur lui la colère du Père, mais il est dommage que la théologie chrétienne n'explicite pas mieux la chose (si vous avez une référence cependant, je suis preneur), qui est très claire pour les soufis. Les énergies divines ou noms divins se déparent en deux grandes catégories, noms de Beauté et noms de Majesté. Les Noms de Beauté sont liés à la croissance et à l'enrichissement (printemps été) tandis que les autres sont liés à la déréliction et destruction (automne hiver) - le lien avec les saisons n'est pas chez les soufis à ma connaissance, mais il est évident qu'il y a deux grandes forces qui commandent à l'univers, création/destruction, et que ceci se trouve dans le Père. Il y a donc chez l'homme l'alternance de ces énergies, les noms de Beauté se manifestent dans les consolations, mais on n'apprend pas grand chose en étant consolé, alors nous devons surtout expérimenter ce qui nous fera grandir, la nuit obscure, et qui nous apparaît comme une souffrance insupportable, tant que nous n'y voyons pas clairement la main de Dieu. La colère de Dieu, c'est cette face destructrice (qui doit s'appliquer au vieil homme). Mère Teresa a écrit à plusieurs reprises :"Il détruit tout en moi". Quand elle y reconnaît enfin la main de Dieu, l'expérience change de visage, et elle ne cherche plus à y échapper.
Nous avons toutes les occasions possibles de contempler l'infini de la souffrance, et si ce n'est la nôtre (ce à quoi nous ne sommes pas toujours disposés), celle des autres fait aussi l'affaire. Il est bien dommage que la pastorale actuelle insiste surtout sur les consolations qu'on peut recevoir de Dieu, en oubliant de dire que plus on veut être consolé, plus le chemin sera long.
Sur la colère, on peut lire les tomes de la dramatique de Balthasar. Il y a dans le dernier livre de Kasper que je commente ici quelques belles pages. Personnellement je me méfie des propos trop vengeurs sur la colère de Dieu qui n introduisent pas une tension féconde avec la miséricorde
Dans Osée, explique bien Kasper, Dieu renonce à sa colère pour exercer sa miséricorde.
Cela me semble plus juste que de mettre Dieu à l'origine de nos souffrances.
Je ne pense pas avoir parlé d'attitude vengeresse de la part de Dieu, en revanche j'ai certainement dit que ce qui naît doit mourir. Plus exactement, cela doit se transformer, et si cela ne peut se transformer du fait du péché, cela doit mourir. Avez-vous déjà observé une grand-mère devant une télévision ? Pour sûr, si elle vivait dix mille ans de plus, elle ne changerait rien à sa vie. Par ailleurs, il faut bien faire de la place. Imaginez une seconde que les fleurs, une fois écloses, demeurent éternellement, très vite il n'y aurait plus de place pour rien.
Je ne vois pas comment Dieu renoncerait aux lois qu'il a établies. Notre souffrance vient de ces lois qui permettent à l'univers de tenir debout. Il y a une logique dans l'acte créateur. Si nous scions un arbre du mauvais côté, il nous tombe sur la tête. Dieu ne va pas changer la loi de la gravitation pour nous protéger de notre bêtise. De même, la nuit obscure vient corriger de graves défauts spirituels, comme Saint Jean de la Croix nous l'explique si bien. Il est heureux que la Providence divine nous corrige, et très sincèrement, je ne souhaiterais pas que Dieu exerce sa miséricorde sur moi si cela devait me faire mourir idiot. Tous les jours je lui demande de lui envoyer les épreuves les plus utiles à mon perfectionnement, et de m'aider à en tirer le maximum d'enseignement. J'ai eu bien plus de difficultés que la moyenne avec la vie spirituelle parce que j'étais un sous-doué, longtemps je me suis plaint d'avoir moins de grâces que les autres, mais aujourd'hui je remercie le Seigneur, parce que si j'en avais eu davantage j'aurais développé des défauts dont je n'aurais jamais pu me défaire.
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