05 septembre 2021

Effata ! Ouvre toi.

La danse de Dieu vers l’homme est folie à nos yeux comme celle de David devant l’arche qui déplaît tant à son épouse. Voici Jésus parti à la « périphérie » dans un terrain lointain de la Décapole, loin des juifs et de l’aveuglement de ceux qui croient être le « peuple unique »…

Et c’est là qu’avec des gestes tendres, des gestes très physiques qu’il fait renaître l’espérance d’Isaïe. Le boiteux bondira comme un cerf…

Alors que certains rêvent sur leur rétroviseur, il nous faut continuer de croire que Dieu vient visiter ceux qui sont perdus, sans oreilles et sans voix…

Jésus lève les yeux au ciel et soupire.

Lui le fils peut-il y arriver seul ?

Non c’est dans la danse trinitaire (1) que se joue la guérison.

Ce qui semble impossible à l’homme n’est possible que par la grâce divine. Les semences du Verbe et de l’Esprit (2) sont plus tenaces que nos rites et nos catéchismes, la vengeance de Dieu annoncée par Isaïe n’est pas violence humaine, elle est tendresse de Dieu, lumière dans la nuit.

« Alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. »(Isaïe 35)

Ouvre toi…

Je ferai de toi un « apôtre »

Hier, le petit Simon que j’ai baptisé et qui me demandait pourquoi on faisait une croix sur son front à l’entrée de l’Église a bien compris le signe de Jésus sur ses oreilles. Je lui ai dit qu’il pourrait mieux entendre ses parents lui dire je t’aime. Il fallait voir son regard vers son papa et son sourire.

Je n’ai pas entendu ce qu’il a dit à son père. Je deviens sourd, mais Simon a devant lui l’avenir… 

Prions pour lui et pour le petit Milo ce matin, premier enfant du premier mariage que j’ai célébré, baptisé tout à l’heure.

« Je serai qui je serai » Ex 3

Aujourd’hui est un jour d’espérance.

Telle est ma foi…


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir sur ce point la thèse d’Hans Urs von Balthasar dans la troisième partie de sa trilogie 

(3) beau commentaire de MN. Thabut ce matin à découvrir sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée

03 septembre 2021

Danse et souffrances - 15 Danse tragique ?

Si Jésus évoque danse et pleurs dans la même phrase (cf. Mat 11,17),, c’est bien qu’il existe un lien subtil et mystérieux entre les deux, au delà de l’opposition apparente entre lui et le Baptiste.

Ce lien est au cœur du mystère de l’incarnation et il n’est pas anodin de contempler cette semaine Jésus attentif aux souffrances de la mère de Pierre jusqu’au sourd de dimanche prochain.


Que dire sur la souffrance ?

Sur la pointe des pieds, j’ai osé aborder ce thème en clôture de mon cycle de théologie (1) car il me semblait un noeud pastoral particulier. Je ne peut pas dire que ma note ait été bonne, mais le travail sur ce thème peut-il être achevé ?

Un bon archevêque recommandait de ne rien dire. Folie de ma part ?


La souffrance n’est pas un appel de Dieu pour l’homme. Elle est.. parce que le mal est…

Et en même temps, cette réalité est souvent le lot de certains d’entre nous, de manière particulière. J’ai autour de moi de douloureux exemples à côté desquels je me sens démuni et chanceux à la fois.

Les mots me manquent.


Paul l’évoqua à plusieurs endroits la souffrance et va jusqu’à dire qu’il complète les souffrances du Christ (cf. Col 1, 24). Nous avons tous notre part dans ce mystère du salut, homme et femme, à la mesure de nos forces, à la suite de Job, sans croire pour autant que Dieu a une responsabilité. Voire même au contraire, et c’est le message central de la Croix, qu’il souffre à nos côtés. 


C’est le mystère même du mal… 

Dieu ne veut pas la souffrance…

Il ne faut cesser de le crier…

Et dans la douleur il faut aussi crier, à la suite des psaumes, cet « où es-tu mon Dieu ? » qui révèle notre inconnaissance.


Difficile d’en dire plus ici, mais j’invite à creuser le sujet…car une pastorale ne peut l’éluder.


Excursus sur l’Enfer et le purgatoire (évoqué sur RT) :

Notre sadisme et notre soif de vengeance peut souhaiter la souffrance d’autrui et le feu de l’enfer. Il faut peut-être relire alors ce que nous avons contemplé sur le pardon et la miséricorde infinie de Dieu, voir notamment la longue double réponse de d’ Hans Urs von Balthasar qui croit que l’enfer est peut-être vide (2) 

Sur la nuit féminine, voir aussi le livre de François Marxer (3) qui creuse magnifiquement ce thème de la nuit féminine et explore de belles figures. 


(1) cf. « quellle espérance pour l’homme souffrant ? » ou j’ai traduit, avec l’aide d’une amie, en français un texte inédit de Karl Rahner

(2) Hans Urs von Balthasar,  L'Enfer : une question  et Espérer pour tous chez DDB ou sa Dramatique divine.

Voir aussi ma trilogie « humilité et miséricorde » ( disponibles également gratuitement sur le site de la Fnac)

(3) François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

01 septembre 2021

Pierres dansantes - 14

L’expression pétrinienne « pierres vivantes » (1 P. 2,5) ne s’écrit qu’au pluriel, tant notre quête individuelle est stérile si elle ne nous ramène pas au Christ, seul maître.

L’idéal du théologien n’est pas de se distinguer mais de participer à cette construction fragile du nouveau temple dont le sommet est un vide laissé par le Crucifié, un manque, un souffle ténu, le bruit d’un fin silence et le chœur des anges (1).

Le sommet d’1Rois 19 n’est pas la victoire d’Elie mais la découverte qu’il n’est pas seul, que le « reste » est un amas de « pierres vivantes » habitées par le souffle et dansantes.

Nos ossements desséchés ont besoin d’une musique venue d’ailleurs…


Comme le souligne saint Jérôme, l’interprétation de l’Ecriture ne peut se faire qu’à plusieurs dans la « course infinie » vers l’insaisissable. 


« Tu as voulu, Seigneur, que la puissance de l’Évangile travaille le monde à la manière d’un ferment ; veille sur tous ceux qui ont à répondre à leur vocation chrétienne au milieu des occupations de ce monde : qu’ils cherchent toujours l’Esprit du Christ, pour qu’en accomplissant leurs tâches d’hommes, ils travaillent à l’avènement de ton Règne. » (oraison de l’office des laudes)


(1) cf. mon analyse dans pédagogie divine…

La danse des Pierres - 13

« Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. »


COMMENTAIRE D'ORIGÈNE SUR L'ÉVANGILE DE JEAN

« Le nouveau Temple 

Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. ~ Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de « Temple ».


Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.


Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.


De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute : Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »


Office des lectures d’aujourd’hui

31 août 2021

Les limites de l’exercice - contredanse - 12 🙂


« Beaucoup de gens savent bcp de choses sur Dieu, ou étudient pour les savoir ; qu’ils les sachent seulement parce que la curiosité les poussent, ou qu’ils s’imaginent savoir ou sachent, c’est leur gloire qu’ils cherchent et pas celle de Dieu » (1).


Je crois que tout ceux qui font de la théologie tombent dans ce travers et moi le premier. La question qui se pose est comment faire de ce savoir une aide pour autrui, sans imposer sa vérité, mais en semant, discrètement dans la vie ce qui nous a réveillé intérieurement au point que le savoir est dépassé par un ailleurs, une révélation qui nous transforme et nous détourne de cette tentation première.


C’est peut-être ce que j’ai ressenti à l’issue de mes années de théologie. J’avais un diplôme mais il ne valait rien si je ne mettais pas en chemin pour passer du savoir au vivre « en Christo » qui est d’un autre ordre et de fait inaccessible sans le travail de la grâce qui nous détache des trois tentations du valoir, du pouvoir et de l’avoir pour nous mener ailleurs.


Non que je sois parvenu au bout du chemin mais parce que ce qui compte est de continuer à chercher à saisir et se laisser saisir (Ph 3).


Finalement, le plus dur n’est pas d’étudier, mais peut-être de croire au point que le for interne parvienne à ce que BXVI appelait à Cologne la « fission nucléaire » du cœur de l’homme, ce décentrement véritable où l’on devient, en Dieu, des mains pour le royaume. L’enjeu est meta-pastoral, non au sens d’un prosélytisme stérile, mais de devenir « disciple » à la suite de l’unique médiateur entre le divin et l’humain. 


(1) Guillaume de Saint Thierry, Speculum fidei &42, Vrin p. 49, cité par Jean Luc Marion, D’ailleurs la Révélation, 2021, ibid. p. 97

14 août 2021

Amour, danse et génération - 11

Il y a aujourd’hui ce que l’on appelle des « clins Dieu » 😉.

Je baptise encore deux enfants demain, au cœur même de la fête de l’assomption, avec un texte choisi par les parents dans ce qui est l’évangile d’aujourd’hui (Mat 19, 13-15) et n’avait pas réalisé que ce texte suit de près cette citation particulière de Mathieu 19, 5 (texte d’hier). « À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. » 

Cela n’est pas anodin dans une pastorale qui relie mariage et baptême, où le « une seule chair » au sens hébreu est bien large. Je le traduis souvent par symphonie, car l’amour d’un homme et d’une femme est plus qu’un rapport fusionnel, il est vis à vis(1), échange, danse, création, fragilité et exposition, nudité et don, jusqu’à donner naissance à une chair nouvelle,  et en cela participation à la danse divine, qui donne et s’efface dans le don…


Pourquoi j’ose parler de danse ? 


Il y a dans le concept même de chair, au sens hébreu de basar une dimension de relation au sens trinitaire dans le sens où l'unité visée est proche de cette danse particulière des Personnes divines, telle que la décrit Jean dans son prologue (2) : chacune toute tournée vers l'autre. En effet, il ne s'agit plus alors du seul désir humain mais d'une véritable conjugaison des corps et des cœurs au service d'un amour qui les dépasse. Une Personne entre en relation avec une Personne prise dans sa totalité.

« Le langage des corps devient la langue de la liturgie » (...) [et élève le langage du corps] aux dimensions du mystère » (3) disait Jean Paul Il.


Le mot liturgie évoque une célébration qui dépasse le seul amour humain. La danse des corps et des cœurs peut devenir ainsi célébration de l'amour reçu, une manière de rendre grâce aux dons reçus du créateur mais aussi manière d’être signe de cet amour.


Dynamique sacramentelle (4) de large portée. 

Dynamique liée à une fécondité particulière jaillissante de ce don qui ne cherche plus son intérêt (5). 

Danse qui nous fait rejoindre le Corps des donateurs à l’image du grand Donateur, dans sa triple dimension et dans sa propre valse trinitaire et kénotique (ce que les Pères appellent la circumincession)…


On retrouve cette même idée de liturgie évoquée par X. Lacroix (6) lorsqu'il souligne lui aussi le sens multiple, la polysémie du mot chair, qui porte un sens corporel et spirituel. Dans une vision personnaliste qui considère que l'homme est une Personne, cette multiplicité du sens appelle en fait ce qu'il qualifie de "totalité unifiée". Qu’est ce à dire ?


Unifier le cœur, le corps et l'esprit, c'est justement entrer dans cette symphonie où mon corps et ton corps sont les humbles instruments d'un dialogue qui fait intervenir tous les langages, celui du visage(7), de la tendresse, et surtout cette harmonie du cœur qui dépasse la fusion rêvée pour être source. Source de vie…


Idéal du conjugal ? Probablement, mais là est bien le chemin..


Il y a dans la naissance le même dévoilement que celui de la rencontre. "Voici la chair de (notre) chair", le fruit merveilleux de notre amour et plus encore, un être, un potentiel autonome qui nous dépasse.


L'enfant n'est pas la chose de l'un et de l'autre, il est graine et cette graine sera à arroser, faire grandir, rendre autonome et laisser partir... Pour qu'à son tour il sème d'autres graines d'amour...


Cette séparation sera déchirement mais n’est-ce pas l’enjeu de la nouvelle naissance au sens de Jean 3 ?


Je n’ai évoqué pour l’instant que le contexte.

Venons-en au texte lui-même. 


Pourquoi Jésus met l'enfant au centre dans cet Évangile (8) ?


Je vous propose une réponse, fragile.

Ce que Jésus contemple chez l’enfant est triple : La Foi, l'Espérance et la Charité.


Les deux enfants que je baptise demain ont confiance en leur maman, et même foi dans leur maman. Quand ils la regardent, ils savent qu'elle les comblera. Enfants, ils n'en doutent pas encore. 

Et nous, doutons-nous de Dieu ? 

Redevenons comme un enfant nous dit Jésus.


Les deux enfants vivent dans l'espérance. Il savent que même si leur maman s'est absentée, elle reviendra. 

Nous avons plus de mal à espérer… 

Surtout quand la souffrance nous tombe dessus. Notre vie entière, même embourbée dans le marécage de nos addictions, devrait être, pourtant, comme eux, dans l'attente de cette branche d'olivier rapportée par la colombe le jour du déluge (Gn 7). Un jour il reviendra. « Il est ressuscité » nous disent les 4 Évangiles.


Ces deux enfants ont, en eux, une réelle capacité d’Amour et de Charité. Ils l’ont reçu de Dieu à travers leurs parents, Elle dort en eux et ne demande qu'à “servir”. 

Ils vont y travailler ! Ils vont recevoir, comme nous, l’Esprit de charité dans le silence de leurs baptêmes. Nous aussi, nous pouvons, comme eux, en faire usage. 


C’est cette sortie des eaux de la mort que le baptême exprime. 


Parents, parrains et marraines, devrons faire découvrir chez ces enfants, que seul l'amour véritable vaut la peine d'être vécu. 


Ils auront pour modèle cette danse conjugale qu’évoque le début de Mat 19…

Une seule chair…


Si nous n'avons pas la charité, ces deux enfants ne l'auront pas. Si elle n'est chez nous « qu'une cymbale qui sonne creux »(1 Co 13), ils devront la trouver tous seuls, et traverser le désert bien démuni.


Ils auront soif (Jn 4, Jn 19) et c'est à nous de leur apporter l'eau. Cette eau vive (Jn 4) qui guérit et vivifie.


Si vous ne savons plus où se trouve cette source, penchons nous à nouveau vers la Croix. C'est de la Croix qu'elle jaillit. C'est le signe unique du don de Dieu. Le seul, l'unique : la charité vient de Lui, elle se ressource en Lui, elle se contemple dans la Croix. 


A chaque eucharistie, nous devrions contempler la Croix. (...) le pain offert et consacré n'est rien, s'il n'est compris comme le don total, immense, d'un amour qui se donne et s'efface.


Le seul amour est celui qui se donne et s’efface ensuite.

C’est celui, je l’espère, de cette maman et de ce papa qui nous apportent ces deux enfants demain.

C’est celui auquel nous sommes appelés, chacun à notre manière.

C’est celui de ce Christ, que nous recevons chaque dimanche dans notre coeur.


Il nous faut prendre le temps de nous disposer à l'accueillir. Lui laisser une place. Car faire une seule chair c’est entrer dans la danse du don, dans cette dynamique même de la foi, l’espérance et la charité reçu de nos parents et rendues fécondes par la dynamique baptismale. 


Que conclure ?

Si Jésus met en avant l’enfant, c’est que nos théories, nos théologies et nos calculs trop humains doivent laisser place à ce qui vient d’Ailleurs, à l’insaisissable équilibre ou l’équilibre de l’insaisissable qu’illustre une des dernières photos de François Cassingena-Trévedy.


(1) cf. le beau développement qu’en fait Sylvaine Landrivon, in La femme remodelée. 

(2) cf. « La danse trinitaire » in « À genoux devant l’homme » et mes développements dans « Aimer pour la vie, essai de spiritualité conjugal »

(3) Jean Paul 2, “L'Amour Humain dans le plan divin, Cerf, p. 30

(4) cf. mon livre éponyme 

(5) cf. 1 Co 13

(6) X. Lacroix, Le corps de chair, p. 103sq

(7) cf. Lévinas…

(8) Texte de référence - Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 19, 13-15)

En ce temps-là,

    on présenta des enfants à Jésus

pour qu’il leur impose les mains en priant.

Mais les disciples les écartèrent vivement.

    Jésus leur dit :

« Laissez les enfants,

ne les empêchez pas de venir à moi,

car le royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent. »

    Il leur imposa les mains,

puis il partit de là.

12 août 2021

Un dixième pas de danse ?

Alors que nous nous préparons à fêter le 15/8, il y a peut-être deux premiers fils rouges à trouver : 

1. Le premier est probablement à percevoir entre nos lectures récentes du livre d’Osée dans la liturgie et la place particulière que donne ce prophète aux « entrailles » de Dieu (cf. Osée 11) et à cette sollicitude maternelle de Dieu, reprise dans la première lecture du 15/8 dans l’apocalypse où l’on voit Dieu conduire au désert et prendre soin de la femme « en lui réservant une place particulière », qui n’est pas non plus sans faire écho à Osée 2 et cette fiancée conduite  « à nouveau » au désert (1). C’est toute la sollicitude de Dieu qui est ici évoquée par Jean… entre les lignes. 


2. Dans la même trame, un deuxième fil est à trouver dans les nombreuses allusions à l’arche d’alliance, que l’on retrouve en lisant en mode cursif les lectures de cette semaine et celle de samedi soir et l’apocalypse dimanche, on conçoit le lien particulier entre l’arche d’alliance et Marie présentée là aussi par Jean comme nouvelle arche d’alliance. 


Ces deux fils rouges sont peut-être ce que nous avons à contempler pour aborder l’histoire même de Marie. 

Au regard de la tente de la rencontre (cf. notamment Ex 33-34) et toute l’histoire de l’arche d’alliance et du saint des saints qui abritait Dieu… (2) Marie apparaît soudain à nos yeux comme ce réceptacle de chair particulier, choisi par Dieu pour être le signe de l’amour divin…


Mais le désir d’un « Dieu qui vient à l’homme »(3) avait besoin d’une réponse et cette réponse est celle fragile, si bien illustrée par Fra angelico d’une jeune fille surprise par cette sollicitude et qui ose répondre oui mais mieux encore « fiat » sur le bout des lèvres dans le creuset d’un village perdu de Nazareth.


Il faut mettre peut-être ici aussi en perspective cet « où es-tu ? » de Dieu lancé à Adam ET Ève dans le jardin (4) pour contempler que c’est une petite bergère de Nazareth qui a répondu la première et totalement à cet appel de Dieu.


Le chemin de Marie ne sera pas un long fleuve tranquille. Avant peut-être de vénérer celle qui a dit oui, il nous faut contempler dans le silence ce chemin.


Que célébrons nous aujourd’hui finalement ?

Plus que l’assomption de la vierge Marie, c’est l’ensemble du mystère de la venue du Christ sur terre qui est à contempler.

Marie est l’écrin fragile de notre salut.

Mais qui est-elle véritablement ? Entre la jeune fille fragile que nous idéalisons et la femme-disciple que nous présente Jean à Cana, il existe une tension à maintenir.

Marie n’a pas été dès le début nimbée de lumière et de grâce mais a suivi un sentier qui nous interpelle. 

Marie est en effet au cœur de notre humanité celle qui répond probablement le mieux à l’appel de Dieu, celle qui comprend EN sa chair toute humaine, l’enjeu de la venue du Christ, marche à sa suite et répond à cet appel originel de Dieu(Gn 3,5), évoquée plus tôt. Elle devient en cela chemin pour nous. 

Ce que nous font découvrir les textes de ce dimanche n’est-il pas finalement que, dans le mystère de cette naissance, de cette femme habitée par la grâce divine, bouleversée par la venue du Christ EN son humanité (5) et dans le jusqu’au bout de son Amour, c’est la vocation de tout baptisé qui est surtout à contempler.

Dans la liturgie de la veille au soir du 15 août l’évangile interpelle notre propre manière de recevoir le Christ : L’Évangile de Luc ( 11, 28) insiste même dans le sens de tout ceux qui comme moi souvent rejette une idéalisation excessive. Relisons bien ce texte qui surprend la veille du 15/8 :

« En ce temps-là, comme Jésus était en train de parler, une femme éleva la voix au milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! »

 Jésus déclare alors : « Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » Ces propos sont choquants a priori. 


Jésus « n’efface » pas sa mère mais insiste bien sur ce basculement entre la figure mariale et l’appel renouvelé à notre vocation. 


L’assomption n’est pas seulement en effet la fête de Marie. 

Elle ouvre une espérance particulière pour l’humanité que le magnificat vient amplifier, en faisant vibrer à nouveau l’espérance du peuple de Dieu, de tout ce que portait l’AT. 


« Mon âme exulte le Seigneur car ce dernier disperse les superbes et vient élever les humbles, combler de biens les affamés, renvoyer les riches les mains vides, relever Israël son serviteur ». 


Le cri de Marie est notre joie : « Dieu se souvient de son amour ».


Dans le tressaillement d’Elisabeth que nous donne à contempler Luc se retrouve à sa manière cette espérance du peuple en marche et donc notre propre espérance. 


Oui Dieu vient nous visiter…

À chaque fois que la Parole prend chair en nous, qu’elle fait en nous sa demeure, l’assomption prend sens, quand nous tressaillons, à la suite du Baptiste, de la joie du don de Dieu qui veut nous habiter.(6)

Le rêve de Dieu devient notre danse… 


« Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! »


Le mystère de l’assomption c’est que Dieu veut habiter TOUT homme. 


Le mystère c’est que Dieu souhaite prendre chair EN nous et que sa victoire sur la mort ne viendra que lorsque nous serons un, femmes et hommes, dans la contemplation du Verbe de Dieu, de cette Parole qui prend chair dans notre chair, nous transforme… 


Il y a peut-être ensuite un parallèle théologique à faire entre Philippiens 2 (et notamment le « c’est pourquoi » du verset 9 qui souligne que Jésus est relevé car il s’est vidé de lui même) et le dogme de l’assomption. Au delà du chemin intérieur de Marie, à rapprocher peut-être de la conversion même du Christ dont parle Sesboué dans sa « pédagogie du Christ (7), le chemin intérieur de Marie est aussi marqué par une forme de kénose. Or ce dessaisissement de soi qui s’exprime notamment dans son fiat, si bien traduit par Fra angelico, peut justifier que l’Église ai souhaité lui donner une place particulière que la tradition a cristallisé dans un dogme. Sans valider les excès d’une mariolatrie excessive si bien dénoncée par Congar(8), on peut néanmoins s’interroger sur la distance qui demeure entre le chemin vectoriel (c’est-à-dire qui nous pousse à grandir (cf. 7) et kénotique de la vierge Marie et notre propre chemin et en tirer une forme d’interpellation, d’humilité à défaut d’une vénération…


Il y enfin un thème que l’on peut également contempler dans le « en Christo » paulinien(9), c’est finalement la danse mariale particulière de celle qui a été habitée par le Verbe et est donc devenue contenant de l’insaisissable, ce qui pour reprendre la théologie de Karl Rahner donne à la vierge, un autre chemin vectoriel pour nos eucharisties et fait résonner nos tressaillements intérieurs avec ceux de toutes les mères à commencer par Elisabeth.(10)

Être en Christ et recevoir en soi celui qui nous invite à faire Corps…


(1) voir mon essai « Pédagogie divine »

(2) voir mes billets précédents (danses 4 à 9)

(3) pour reprendre et évoquer la somme de Joseph Moingt

(5) au sens de l’ « en christo » souligné par Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique 

(6) voir mes écrits divers sur le thème du tressaillement et notamment mon roman « le vieil homme et la brise »

(7) Sesboué y soutient que le Christ n’a qu’une conscience progressive de son rôle, une idée que j’ai toujours trouvée intéressante pour percevoir l’interaction entre humanité et divinité

(8) je pense notamment à son deuxième tome du journal du concile

(9) cf. note 5

(10) J’ai longuement développé ce point dans « danse trinitaire » puis dans « A genoux devant l’homme »

31 juillet 2021

Danse 9


Il n’a pas échappé au lecteur attentif que mes billets 6 à 8 (saison 2), visaient à prendre de la hauteur sur la controverse actuelle lancée par le dernier motu proprio. Mes propos visaient un déplacement vers l’essentiel, sans nier l’intérêt d’une construction liturgique qui donne un sens à la célébration commune, le billet 7 appelait notamment à déplacer l’essentiel vers ce Christ qui récapitule et invite à vivre et faire « Corps » plutôt qu’à regarder le passé. En ce sens, le dernier message de François Cassingena-Trévedy vient, comme souvent, en écho à mes pattes de mouche en leur donnant une belle profondeur. 

Sobriété est le mot d’ordre.

Mais aussi, quête de l’essentiel.

A méditer sans modération, comme le bon vin qu’on garde pour la fin, au sens disruptif de Cana…


https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3625223067702173/?d=n

30 juillet 2021

Lumière et danse - 8

La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.

Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».

Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.


Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple. 

Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?


Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).

Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.


Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.


Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?


La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…


Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…

Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…


Quel Dieu ! 


Dieu caché, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce fruit nouveau-né

Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;

Tu dis seulement 

Le nom d'un enfant : 

Le lieu où tu enfouis ta semence.


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence !


Dieu livré, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce corps partagé

Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;

Tu dis seulement : 

La coupe du sang 

Versé pour la nouvelle confiance. ℟


Dieu blessé, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que cet homme humilié

Sur le bois qui t'expose au calvaire !

Tu dis seulement : 

L'appel déchirant 

D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟


Dieu vaincu, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ces corps décharnés

Où la soif a tari la prière ;

Tu dis seulement : 

Je suis l'innocent,

A qui tous les bourreaux font violence. ℟


Dieu sans voix, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce signe levé,

Edifié sur ta pierre angulaire !

Tu dis seulement : 

Mon peuple est vivant, 

Debout, il signifie ma présence. ℟


Dieu secret, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce livre scellé

D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.

Tu dis seulement 

Ces mots fulgurants : 

Je viens! J'étonnerai vos patiences ! 


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence ! (4)


(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq

(2) cf. mon « Rideau déchiré »

(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) office des lectures

28 juillet 2021

Du cléricalisme à la danse ? - 7

Si l’on contemple la première lecture donnée hier dans son contexte complet (Exode 33),  il faut peut-être méditer sur quatre  points. 

 1. Ce texte suit l’épisode du veau d’or, un rite stérile 

 2. Il commence par une invitation à se dépouiller de nos vêtements d’apparat (Ex 33,5)

 3. Moïse ne verra pas Dieu mais son dos

 4. La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est cette « tente de la rencontre » qui préfigure la direction à prendre, est un lieu ouvert à l’Esprit et non fermé sur lui même. La tente n’est pas d’ailleurs dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir, des certitudes humaines, mais hors du camp. 

Ce mouvement est d’ailleurs souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.(1)


Cette « réduction » au sens donné par Jean-Luc Marion (2), ce « décentrement » est à la fois un appel et un risque. 


Il y a en effet un travers dans ce mouvement qu’on note déjà chez Cyrille de Jérusalem dans une vieille catéchèse : « le Seigneur ordonne dans le Lévitique : Convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Témoignage. Il est à noter que le mot « convoque » (ekklèsiason) est employé ici pour la première fois dans l'Écriture, lorsque le Seigneur établit Aaron dans la charge de grand prêtre. Et dans le Deutéronome, Dieu dit à Moïse : Convoque devant moi le peuple, et qu'ils entendent mes paroles pour apprendre à me craindre. Il fait encore mention de ce nom d'Église, quand il dit au sujet des tables de la Loi : Sur elles étaient écrites toutes les paroles que le Seigneur vous a dites sur la montagne, au jour de l'Ekklèsia (de la convocation), ce qui revient à dire, plus explicitement : « Au jour où vous vous êtes réunis sur la convocation du Seigneur ». Le Psalmiste dit aussi : Je te rendrai grâce dans la grande assemblée (ekklèsia), dans un peuple nombreux je te louerai. (...)  Mais, dans la suite, le Sauveur institua, à partir des nations païennes, une seconde assemblée : notre sainte Église, celle des chrétiens, celle dont il a dit à Pierre : Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. (...) Lorsque la seule « Église » qui était en Judée a été rejetée, les Églises du Christ se sont multipliées par toute la terre.

(...) C'est de la même Église sainte et catholique que Paul écrit à Timothée : Tu dois savoir comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité. »(3)


Un travers possible dans la lecture de Cyrille est probablement celui de toute institution : se prendre pour le Christ qui est le seul médiateur (cf. Heb), le Corps, la seule assemblée. 

De même que le peuple juif a institutionnalisé la fonction de médiation en donnant des successeurs à Moïse, de même l’Église peut faire des successeurs de Pierre des substituts à la Personne du Christ.


La question centrale est peut-être de se poser pour comprendre que le « faites ceci en mémoire de moi », n’est pas l’institution rituelle du geste mais de ce qu’il représente : le don total du corps sur une croix.

Jean en déplaçant en Jean 6 le rituel vient mettre une faille dans le parallélisme synoptique. Il décrit aussi un Christ qui enlève ses vêtements (Jn 13,1), mais surtout substitue le lavement des pieds à l’eucharistie pour déplacer le risque institutionnel (4)…


En méditant cela, nous déplaçons le sacré ailleurs que dans le rite pour le placer dans l’imitation du don christique par excellence dont la Croix est le signe ultime, indépassable et non reproductible car il n’y a qu’un seul sacrifice, l’unique, celui du Christ qui ne souhaite pas être dépassé mais qui indique la direction vectorielle de l’amour. 


En disant cela je ne nie pas le sommet eucharistique mais je tente d’en dépasser la cristallisation rituelle vers autre chose que le célébrant, vers un ailleurs qui n’est pas dans le rite, la manière ou la personne, mais dans l’essentiel, la direction, la visée : la présence réelle n’est pas contenue dans le pain et le vin, elle devient chemin commun, assemblée, corps, insaisissable, fragile, extase éphémère, danse, buisson ardent, que nous ne pouvons contenir, conserver, enfermer, car déjà Il nous échappe alors même qu’Il danse avec nous… (5).


(1) cf. Dieu dépouillé 

(2) Ailleurs la révélation 

(3) cf. Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse pré-baptismale, Office des lectures d’aujourd’hui 

(4) voir mon « A genoux devant l’homme » en téléchargement gratuit à la Fnac

(5) Dans un certain monastère on ne conserve pas d’hostie, car le Christ n’est pas enfermable…comme le dit si bien Teilhard dans son « Custode », il nous échappe si l’on veut le retenir…

20 juillet 2021

Contredanse ? -6 - Marion


La Révélation n’est pas évidence mais éternelle déplacement. Loin de nos prêches parfois surfaits, de nos morales étriquées, de nos rites enfermants, l’incompréhensible creuse en nous un vent venu d’ailleurs.

Des témoignages multiples et contradictoires du premier Testament à la discordance apparente des évangiles (1)

la méditation de l’Ecriture laisse place, selon Jean Luc Marion  à « une profondeur, qui creuse le décalage des témoignages, maintient l’écart et permet surtout de préserver l’ailleurs d’où provient la signification des signes »(2).

Cette diversité est, ajoute-t-il le lieu de résistance qu’il décline en plusieurs contre-danses :

1. Entre les sachants et la Révélation venue d’ailleurs 

2. Entre la Révélation et le doute du témoin 

3. Entre les témoins entre eux qui partagent et se divisent en même temps « qu’ils s’imaginent en concurrence »

Avec le motu proprio se réveille des divergences qu’il nous faudrait idéalement réduire dans la contemplation de l’unique rêve de Dieu pour l’homme.

Quand on met vraiment le Christ au centre le reste n’est il pas superflu, lutte de pouvoir et d’égo…


(1) Pascal, Pensées L318.

(2) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020, p. 45

D’ailleurs la Révélation - 5 - Jean Luc Marion

Il fallait oser passer d’un geste sportif à la geste érotique pour aider à percevoir que dans la rencontre inouïe d’une symphonie érotique se distingue soudain l’ailleurs, l’incontrôlable, l’inoubliable, le non reproductible et en même temps la Révélation(1).

Après l’idole et la distance(2), le phénomène érotique(3) ou sa philosophie du don, Jean Luc Marion me surprend toujours…

Sa manière d’aborder la théologie n’est pas en contradiction avec ce que je vient d’évoquer dans mes trois premières contemplations de l’Amphore et le Fleuve(4). On reconnaît sa proximité avec Hans Urs von Balthasar (5) qui m’a également et différemment inspiré.

Je ne fait que commencer la lecture. Au delà d’un vocabulaire pas très accessible il y a là des pistes à creuser pour aborder autrement la théologie. 

L’enjeu ici est de s’exposer « grâce au « non-savoir pourtant certain du témoin qui accepte de comprendre d’ailleurs » (6)

La quête intérieure n’est pas de tout repos. C’est en butant sur ses propres contradictions et ses impasses que « l’invu » se laisse trouver, quand on ne l’attend pas.

À suivre dans l’axe de mes précédents billets.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(2 et 3) du même auteur

(4) voir mon livre éponyme 

(5) cf. Retire tes sandales

(6) Marion, D’ailleurs, la Révélation ibid. p. 43

15 juillet 2021

La danse du feu - 4

Dans le récit du buisson ardent que nous donne à manduquer la liturgie d’aujourd’hui se trouve une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique qui n’est pas sans écho avec le cycle d’Elie. 

Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. 

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu. 


Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui brûle en nous et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelque que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quelque soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu


On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ». “Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...).

C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ». 


Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob1 : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ. 


Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ». L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…(1)


Que dire 3000 ans plus tard ?


La danse du feu fragile prépare le don du feu, nous invite à l’agenouillement tout en nous préparant à l’agenouillement de Dieu devant l’homme(2), double pédagogie que souligne Joseph Moingt à sa manière. 


L’esprit qui descends en langue de feu n’est pas forcément la puissance en actes d’un Dieu qui brise notre volonté et le force à agir. Il est inhabitation silencieuse, danse intérieure et chant de Dieu…


(1) extrait de Pédagogie divine 

(2) cf. mon livre éponyme

14 juillet 2021

La danse de la brise

 La danse de la brise - 3

Qui est Dieu ? 

Comment se dévoile t-il progressivement à l’homme avant la déchirure du voile de Marc 15, 38  ? 

Il y aurait beaucoup à dire sur le chapitre 19 du premier livre des Rois et les commentaires ne manquent pas. Je ne peux évoquer le cycle dElie (cf. mes deux posts précédents) sans relever deux grandes découvertes dans la manducation de ce texte, central à bien des égards dans la pédagogie divine.

On vient ici de loin après les interrogations levées par Gn 2 à 4, 22sq, voire les théophanies progressives du livre de l’Exode (notamment 19 et 33-34).


Après l’erreur d’Elie qui massacre les prêtres et sa fuite (40 jours au désert) jusqu’à une presqu’agonie où le malak ( l’ange de toutes les théophanies de l’AT) le soutient, voici le prophète à bout. Et c’est là que Dieu choisit de faire signe, non dans le tonnerre mais dans ce que certains traduisent par « le bruit d’un fin silence ».


Le centre de la théophanie est encadré par une répétition longue, un peu surprenante pour certains commentateurs, plus classique pour d’autres. On pourrait éventuellement considérer qu’il s’agit d’une structure littéraire qu’on appelle concentrique (ou chiasme de type ABCBA) autour d’un C central constituant LA  révélation avec une répétition presque exacte de l’échange d’un long dialogue entre la « voix de Yhwh » et Élie. Relisons la traduction littérale de l’hébreu : 


A « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre » aux versets 9 et 10 

  B- Sors et tu te tiendras dans la montagne (v11) (…)

     C  Après le feu une voix de silence ténu

  B’ -  il sortit et il se tint à l’entrée (v 13)

A’ « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre ». (v13 et

14)


L’enjeu du texte se concentre dans les modes de révélation de Dieu et cette « métaphore vive » qui décrit une expérience par analogie (Dieu est comparé à une brise), tout en maintenant une tension. L’indicible est ici au « service » du lecteur, le conduisant progressivement à un décentrement de sa propre vision de Dieu. On est là au cœur même du projet de révélation de Dieu au monde, qui ne raye pas d’un trait toutes les impressions et révélations antérieures, mais vient corriger par petites touches et avec tendresse, ce que l’homme perçoit de l’imperceptible.


1 - La question difficile posée par la répétition des v.9-10 au v.13-14


La question « Quoi pour toi ici Élie ? »

interpelle. Est-ce Dieu qui veut la présence d’Élie

ou Élie qui cherche Dieu ? 


Il me semble qu’il ne faut pas répondre trop vite, mais plutôt maintenir cette tension. Il y a, rappelons-le, l’état dépressif du prophète qui le pousse dans sa quête, mais également, très vite, l’accompagnement du messager. On peut dire que le désir de Dieu est au cœur d’Élie, mais qu’il est aussi, d’une certaine manière, conduit et accompagné au désert… La main de Dieu reste sur lui, pourrait-on dire, en écho au chapitre 18.

On peut y voir à l’inverse une certaine forme d’ironie, qui semble remettre en cause sa raison d’être et la réalité de sa mission de prophète. Pour rebondir sur l’interrogation soulevée par A. Wénin sur l’auto-proclamation d’Élie en « superbaal », (cf. mon billet 2) on peut se demander si Dieu ne joue pas sur une mise en distance entre les prétentions prophétiques de l’homme et la réalité même de Dieu. Cette thèse pourrait expliquer que la mission principale qui lui sera confiée à la fin du chapitre soit celle d’oindre un successeur.

Certains commentateurs notent même que la répétition des versets 13 et 14 semblerait dire qu’Élie n’est pas affecté par la révélation. Qu’il passe à côté de l’essentiel.

Il reste insensible à ce qu’il voit. Cela renforcerait

l’idée qu’il n’est pas digne de sa tâche. Mais cela contraste avec les égards qui lui sont donnés au chapitresuivant (enlèvement, transfiguration). Il semble donc difficile de se prononcer dans un sens ou dans l’autre. (…) l’apparition divine n’est pas de son ressort, mais tient-elle uniquement de la liberté de Dieu… ?


C’est une question qu’il faudrait aussi poser à propos du

chapitre précédent, mais plus généralement dès que nous avons le sentiment de maîtriser Dieu.

N’est-ce pas en effet LA question que nous avons soulevée tout au long de ce parcours. L’homme a-t-il une influence sur Dieu, ou Dieu choisit-il d’apparaître  que lorsqu’on consent à accueillir humblement sa venue, ou comme le suggère Marion dans son dernier livre vient il inattendu d’ailleurs ? 

« Retire tes sandales » nous semble dire à nouveau ce

texte ? (1)


2- quelle révélation ? 


Ce qui ressort de mon long travail sur ce point (2) est que nous n’aurions pas là une seule « définition de

Dieu », mais comme souvent dans l’Ancien Testament,

plusieurs concepts en concurrence. Et nous restons bien dans cette tension, même si le texte introduit une faille que beaucoup ont exploitée, non sans raison, à la lumière du Nouveau Testament pour décrire la tendresse de Dieu.


On peut citer quelques points communs fréquents dans ce type de rencontre à toutes les révélations divines : un lieu à part, une rencontre privée, une mission donnée, une reconnaissance, qui marquent un style littéraire propre à toutes les théophanies de l’AT.


À chaque situation où la violence semble la solution, l’humilité du chercheur y trouve une autre voix, fragile, ténue, celle où Dieu se révèle entre les lignes.

Et c’est ici probablement que l’on peut considérer un sommet dans ce mouvement de dévoilement.


Il n’est pas anodin de souligner que les quarante

jours au désert font écho aux quarante ans de l’exode, mais aussi à la tentation du Christ. 


L’agonie du prophète peut aussi servir de toile de fond à la tentation du Christ au désert et à son agonie sur le Mont des Oliviers, comme le souligne C. H.Roquet


Ce qui ce joue ici, reste une nuit obscure, une insoutenable agonie du juste, qui doit faire le deuil de son orgueil ultime pour être disponible à la vraie rencontre.(...) 


Il serait vain de traduire ce que trois mille ans d’interprétation ont pu produire sur un texte aussi travaillé que celui-ci.


Notons cependant quelques interprétations qui paraissent originales. Parmi celles-ci, on peut noter celle de Grégoire le Grand qui préfigure, il me semble, ce qui pourra être repris par une théologie rahnérienne sur l’inhabitation de Dieu en l’homme.

 « L’homme dit Grégoire le Grand, n’est plus tout entier à l’intérieur de sa caverne, parce que le souci de la chair

ne l’importe plus, et il se tient à la porte, parce

qu’il médite de sortir hors des étroites limites

de la condition mortelle… Tendre l’oreille et se voiler

le visage, c’est écouter par l’esprit la voix de

l’Être au-dedans, et en même temps détourner

les yeux du cœur de toute forme corporelle, de peur d’imaginer quoi ce soit de matériel dans cet Être qui est partout tout entier et sans limites ».

On pourrait aussi citer Irénée ou Augustin (2) assez classiques dans leurs interprétations bien résumées chez François de Sales  « Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en cette douce et tranquille portée d'un vent presque imperceptible ».


Il nous faut, cependant, garder dans ce contexte une grande prudence sur ce qui est révélé de Dieu, même si le contraste avec les premières théophanies est saisissant. Beauchamp insiste à sa manière sur ce point en soulignant que la conversion vient de Dieu et non pas de nous. « Cela n’a pas pour but de nous faire admirer l’homme, mais de nous faire admirer l’action que Dieu exerce en transformant l’homme. Il faut donc que rien de l’homme ne soit caché. Le but est de montrer que nous sommes imparfaits ».

Car ce n’est qu’en percevant nos imperfections répétées que nous prenons conscience que les « publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume » (Mat. 21, 28-32), que Dieu se révèle aux simples et que notre propre conversion ne peut que se faire dans l’humilité.


C’est peut-être en effet dans la transformation du cœur d’Élie que se révèle le mystère, avec, comme par effet boomerang, ce qu’il conduit à révéler en nous. Car le piège, ajoute Beauchamp, serait de nous considérer comme supérieurs aux juifs, exempts de cette violence et proche du vrai Dieu. Notre chemin reste à parfaire et c’est en cela que le texte nous interpelle. 


Ce qui m’a le plus frappé dans ma recherche c’est qu’au lieu de réduire « la voix d’un fin silence » à une simple révélation d’un Dieu du silence s’ajoute plusieurs facettes et interprétations - j’en compte une dizaine (2) - jusqu’à celle qui suggère que ce qu’entend Élie est finalement une simple prière ou le chant des anges, ce qui renforce ce sentiment de petitesse.

Cette dernière montrerait ainsi que Dieu n’est pas plus présent qu’en Exode 34 où Dieu ne révèle que son dos…

Se pourrait-il qu’Élie découvre au bout de sa quête qu’il y a, au-devant de lui, plus près encore de lui, une assemblée de priants qui se tient là. Il se croyait seul, et il oublie « le reste » des hommes évoqués à la fin du chapitre.


Il n’est pas le seul ! 


À l’ultime tentation de se croire unique dépositaire de la vérité se heurte la prise de conscience qu’on ne peut rien sans Dieu et les autres.


Cela ne peut que renforcer notre propre petitesse, dans cette quête.

Nous ne trouverons pas Dieu tout seuls, mais c’est dans la communauté des priants qu’il se révélerait…

Cette vision fait écho à celle de Qumrân et de la liturgie des anges, clairement identifiée à ce texte du livre des Rois.

On pourrait conforter alors la thèse de ceux qui affirment qu’Élie n’a en fait rien vu de la réalité de Dieu, que la vision de Dieu lui a été refusée en partie.

Cessons alors d’affirmer que l’on sait mieux que les autres qui est Dieu et laissons Le continuer à nous déranger 😉 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir Pédagogie divine en téléchargement libre sur le site de la Fnac pour le développement complet de cette analyse qui n’est ici que résumée.


À suivre  - quelques notes en regard sur le dernier livre de Marion qui interpelle à sa manière cette révélation venue d’ailleurs

 Prophète en son pays ? - vocation et danse 2

L’office des lectures nous conduit depuis hier dans la manducation du cycle d’Elie. Après la belle espérance de la veuve de Sarepta, nous méditons aujourd’hui le défi lancé par Élie aux prêtres de Baal. Souvent la lecture s’arrête avant la fin du chapitre nous épargnant le massacre des prêtres par un Elie vainqueur, qui n’est pas simple à commenter sauf à prendre du recul et contempler l’ensemble du cycle. 


La figure même du prophète est délicate. Les chapitres 17 et 18 du premier livre des Rois préparent sa lente conversion, même si la fin du chapitre 18 montre qu’il reste empreint d’un désir de puissance.

Déjà, des similitudes apparaissent néanmoins avec ce que nous avons vu à propos de Moïse (cf. notamment Ex. 2). Le chapitre 19 semble nous plonger plus encore dans la question de la légitimité du prophète.

Comme le souligne d’ailleurs A. Wénin, la toute-puissance du prophète s’est exprimée par ses seules forces et l’on peut se demander à juste titre dans cette

introduction si Dieu est bien présent : « Selon le narrateur, Élie n’a pas reçu mission du Seigneur pour lancer son défi et provoquer la sécheresse.

Pas plus d’ailleurs que le Seigneur ne lui dira de convoquer les 450 prophètes de Baal (1 R 18 17-46).

Au contraire, le Seigneur lui avait seulement dit, la 3ème année de la sécheresse, d’annoncer à Akhab que la pluie allait revenir. Élie continue de professer un « super Baal », logique de puissance et de concurrence qui n’engendre que la mort (1R19, 1-5) (1)

Mais s’arrêter là serait oublier la suite du récit qui raconte la fuite de « Superman » au désert. 

L’enjeu du récit est finalement le basculement, la transformation d’Élie, qui après son excès de zèle devient plus passif, jusqu’à la limite de l’agonie et du découragement, (début du chapitre 19) jusqu’à son interpellation double « que fais tu Élie ?  » qui rime avec l’où es-tu ? de Gn3 et va encadrer sous forme de chiasme (2) la révélation de la brise légère lieu délicat transformation du prêtre autonome en un « agissant » POUR Dieu,  capable d’accomplir des gestes pour Yhwh : appeler, oindre, justifier… Il y a-t-il là, comme dans nos autres récits un véritable chemin d’humilité,

un peu forcé, d’Élie, source d’une descente de tours, d’une conversion intérieure qui rend la rencontre possible ? 

Il faut prendre le temps de manduquer doucement ce texte pour comprendre que nos désirs de puissance, nos fantasmes de Dieu porteur du feu et du tonnerre doivent s’effacer devant cet « invu » qu’évoque Jean Luc Marion dans son dernier livre(3)

Le bruit d’un fin silence est le mystère qui prépare le déchirement ultime du voile et révèle que Dieu est amour.(4)


PS: Toute ressemblance avec une certaine forme de cléricalisme actuel est fortuite 😉 


(1) André Wénish, l’homme biblique, p.163

(2) un chiasme est une structure littéraire qui encadre par une répétition un point essentiel 

(3) D’ailleurs la révélation 

(4) cf. aussi François Varonne Ce Dieu censé aimer la souffrance et ma « Pédagogie divine »…