11 juin 2005

Péché originel

Pour Schelling, le péché originel est dans la préférence donnée à la volonté propre sur la volonté de l'amour divin, "au dessus du créé"... (1). Je ne comprends pas cela comme un esclavage, mais bien comme un acte de discernement. Cela fait résonner pour moi la phrase de Paul, dans Romains 12 : "Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait." Ce discernement est peut-être le chemin de notre liberté, celle qui nous éloigne de la volonté du fond et nous permet d'entrer dans celle qui donne vie, et qui est amour.
L'homme pour être bon devrait mourir à toute particularité, subordonner sa volonté propre à la volonté de Dieu. Pour vivre en Dieu, qui est pour chaque volonté particulière un feu dévorant, l'homme doit mourir à toute particularité (2).
On en arrive au paradoxe d'un Dieu qui respecte notre unicité, qui nous a créé unique, mais qui nous appelle à trouver en nous et en l'autre, ce qui deviendra le feu dévorant de l'amour, et ce qui en cela nous libérera de nos servitudes.


(1) Urs von Balthasar, ibid p. 488
(2) ibid p. 489

Dieu, non autre

"Même quand nous sommes en Dieu, subsiste toujours en nous quelque chose qui n'était pas Dieu. Dieu hors de Dieu comme la fleur qui s'élève grâce à la lumière mais qui n'est pas lumière" (1). Cette distinction me semble essentielle, je l'ai déjà soulevé plus haut à partir de La Custode de Theillard de Chardin. On retrouve également le non aliud de Nicolas de Cuse. Dans cet autre que l'on ne peut saisir, on perçoit l'ouverture qui permet à la fois une vision anthropocentrique tout en laissant la place à une transcendance. Peut-être que finalement l'idée de temple de Dieu est ce qu'il y a de plus proche. Dieu repose en nous, en l'autre mais on ne peut le saisir. Toujours peut-on être attentif à cette présence, pour devenir transparent de la lumière.
Cette pensés rejoint celle d'Hegel lorsqu'il note la désespérance pour un particulier d'arriver à la vérité s'il demeure dans son pour soi. D'après Balthasar, il souligne ainsi le plus sévère enseignement de dépassement de soi destiné à une personnalité attachée à elle même. (2)
Mais chez Hegel, trois figures reprennent cette direction.
a) le stoïcisme, ou l'être est chez soi. L'homme n'a pas de contenu propre ce qui le conduit à l'ennui.
b) le scepticisme qui conduit à une conscience de soi confuse
c) ou le chrétien qui fait reddition de son autonomie dans l'obéissance, dans la renonciation. (3)
Mais cette critique de Hegel fait abstraction pour moi de la victoire, celle de Dieu qui unit à l'homme s'inscrit sur le chemin d'une liberté retrouvée, d'une humanité qui par sa conformité libre au désir de Dieu, participe à la victoire de l'amour.


(1) Urs von Balthasar, ibid p. 491
(2) ibid p. 493

10 juin 2005

Liberté et fond...

"Décider entre deux principes qui s'opposent en l'homme". Qu'il y en ait deux est décisif : "la volonté de l'homme et la volonté du fond. De fait, on ne peut supprimer le fond car sinon l'amour ne peut exister et le fond doit être à l'oeuvre indépendamment de l'amour afin que ce dernier existe réellement. Par suite, l'homme est comme quelqu'un qui saisi de vertige sur une cime escarpée éprouve l'angoisse de la vie à cause de la sollicitation du fond en lui et il ne faut pour cela aucun diable (1)
Si je comprends ce passage, on en arrive à estimer que l'existence du mal rend possible la tension dramatique et de ce fait la liberté.

(1) Urs von Balthasar, ibid p. 488

Immuable

Je reste perplexe devant cette affirmation de Schelling : "nous retirer des vicissitudes du temps dans notre intimité, notre foi dépouillée de tout ce qui est venu s'y ajouter de l'extérieur, et là contempler en nous l'éternel sous la forme de l'immuable." (1) Cette immuabilité de Dieu reste pour moi un concept philosophique se heurte foncièrement à ma vision du dialogue Homme-Dieu, même si je reste sensible à l'appel à la contemplation. Le volume 2 de cette dramatique, m'aide finalement à comprendre ce qui reste encore difficile à appréhender dans ce tome. Affaire à suivre donc.


(1) Urs von Balthasar, ibid p. 486

09 juin 2005

Vrai homme et vrai Dieu

A propos de Fichte, Balthasar note que "les deux volontés (Homme et Dieu) s'identifient en Christ au point qu'il n'y en a plus qu'une." (1) Il y a dans cette identité tout le mystère de l'incarnation, mais surtout au moment de l'agonie, cette rencontre cruciale entre volonté humaine, crainte, prière et volonté divine. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il y a identité mais conjugaison, mise en résonance, symphonie.
On peut aussi y voir la promesse eschatologique de Genèse 2. Ils ne feront qu'une seule chair. Le nouvel Adam a accompli l'écriture dans cette identité d'une volonté humaine qui vient rejoindre la volonté divine. Et en cela, le Christ fait toutes choses nouvelles... Ce que nous cherchions déjà plus haut, semble s'éclairer dans cette phrase...

(1) Urs von Balthasar, ibid p. 481

Marthe et Marie

On oppose à tort les deux femmes de Béthanie. Pour maître Eckhart, il faut dépasser cette opposition : "le chrétien radical est" pour Eckhart", dans toute sa vie fécond en Dieu" (1). Cela fait résonner quelques phrases notées dans le volume suivant et sur lesquelles nous reviendrons. La tentation de l'ascétisme, de la mystique peut aussi être une fuite. Dans ce domaine, la vertu de tempérance reste à privilégier. Car, il reste important de ne pas fuir le réel, l'autre, même si l'on ressent la fatigue de l'effort (cf. notes sur Olivier Abel, in mariages.blogspot.com).

(1) Urs von Balthasar, ibid p. 471

08 juin 2005

Liberté - III

Toujours dans cette recherche sur le rôle et la liberté, il semble que pour Balthasar, il faille "aller au delà de la résignation vers autre chose" pour se mettre en Dieu ? (1). Il s'agit donc toujours de ce sur-centrement de la personne qui a abandonné son serf-arbitre pour s'inscrire dans un projet plus vaste. Mais ce projet dépasse la personne, il est une participation non fusionnelle à l'amour.
"En Dieu les créatures sont plus existantes et plus vraies qu'elles-mêmes." (2)

(1) Urs von Balthasar, ibid p. 462
(2) ibid p. 463

Liberté - II

"Tout individu est en apparence coincé entre les héritages psychologiques et culturels qui font de lui ce qu'il est, ce qu'il apparaît. Il peut cependant changer de rôle. Au delà de la prison sociale qui l'enferme, il peut parvenir à une intériorité suffisante, un Soi-même qui lui permette de retrouver une liberté pour "entreprendre de plein gré le rôle assigné" (1).

C'est ce travail intérieur qui détermine la capacité de tout homme à parvenir à une plus grande humanité. On retrouve ici les accents développés par P. Ricoeur dans Soi-même comme un autre. Je m'interroge cependant à la lumière des pages suivantes sur la place des autres dans cette humanisation. L'enjeu n'est pas d'y parvenir seul, mais de permettre à l'humanité entière de parvenir à cette humanité.

(1) Urs von Balthasar, ibid p. 460

07 juin 2005

L'idéal moteur...

"L'homme tend à une perfection idéale inaccessible" (1) Cela renverse pour Balthasar la causalité freudienne en une orientation vers la finalité.. "Nous ne pouvons penser, sentir, vouloir sans qu'un but soit présent à nos yeux"...(2)
Je sens bien dans mes efforts fragiles pour soutenir une amie suicidaire que ce qui lui manque c'est une orientation vers un idéal qui pourrait paraître accessible. Mais quand la maladie ne permet pas de rendre cela envisageable, quel moteur peut-on introduire... ?
(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 445
(2) ibid p. 447

Rôle et société

En théorie, la communauté sociale peut amener à la rupture du masque, et permettre de "remonter jusqu'à la liberté primitive du projet-sur-soi téléologique". Adler opte pour une socialisation de la personne. Pour lui la socialisation et l'infériorité sont des facteurs essentiels de la progression de l'humanité. C'est un élan vers la vie mais qui reste pour Balthasar limité "car il ne peut concevoir que cette unité peut se recevoir de Dieu". (1)
Adler met cependant au centre l'humain, à la porte du christianisme en affirmant que "l'auxilliaire le plus important de l'éducation est l'amour".
Cette théorie permet d'intégrer à mon humble avis, le phénomène bénéfique de l'environnement. Mais il appelle aussi une thèse inverse. Ainsi si le rôle est un élément de construction sociale du moi, il reste appris, donné à l'avance, et surtout du fait de la distance entre le rôle et l'acteur, il permet d'en jouer plusieurs... Cela conduit pour Balthasar à un dualisme entre le Je et le Moi. (2)
Ralf Dahrendorf dans son Homo Sociologicus de 1958 soutient, à la suite de Kant et contre Hegel que "l'homme entrant dans le rôle que lui donne la société s'aliène" jusqu'à ce qu'en s'érigeant contre elle, il retrouve une liberté propre. Pour Balthasar, "on ferait mieux de parler de fonction qui se développe par suite de l'ambivalence de l'attente et des conflits de rôle qui en résultent." (3). Soit l'homme s'élève derrière la distance qu'il met entre lui et son rôle et la possibilité qu'il a d'en changer, dans une nouvelle dimension, un Soi véritable, soit dans cette distance peut se distinguer la marque de l'individu. (4).
Toute notre théorie sur les tours prend ici un sens intéressant, dans la mesure où il traduit l'enjeu de la distance entre ce moi construit, ciselé par la société et par ses propres choix et perceptions et le Soi profond, la petite flamme intérieure qu'il convient de retrouver en soi et chez l'autre pour atteindre une communion et un amour véritable. Cela conforte aussi notre idée de décentrement, qui ne serait alors que l'abandon du rôle imposé vers un choix libre, une destinée, un appel et de fait une autre hyperbole.

(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p.448 à 450
(2) ibid p.452
(3) ibid p.455
(4) ibid p.456

06 juin 2005

Immigration

Toujours chez Adler :"L'insécurité et l'inquiétude sont les fondements qui le rend éducable".
L'infériorité permet de limiter la tour de Babel, construite avec le temps. Cela évoque pour moi cette difficulté notable dans l'éducation des enfants de 2ème génération d'immigrés, qui face à des parents déboussolés et loin de leur culture, découvrent en eux un potentiel, par l'acquisition de la langue et de la culture locale.
Ce conflit entre le potentiel qui s'ouvre à eux et la limitation de l'héritage reçu de leurs parents conduit à une absence d'infériorité et expliquerait ainsi cette absence d'éducabilité ?

(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 368

05 juin 2005

Inférieur...

Chez Adler, "Etre homme c'est se sentir inférieur" (1) On pourrait en tirer un théorème mathématique. L'homme prenant conscience de sa finitude, parvient à la maturité véritable, celle où en voyant ses limites, il s'ouvre à la transcendance...

(1) Der Sinne des Lebens P.67 cité par Urs von Balthasar, ibid p. 445

Soi-même comme un autre

Je retrouve dans cette analyse du Soi chez Jung : "La transcendance du moi empirique vers le Soi qui lui est sur-ordonné (...) le moi individualisé s'éprouve comme objet d'un sujet inconnu et supérieur. Pensée à l'horizon illimité car l'idée d'un Soi en soi et pour soi est déjà un postulat transcendant" (1) des accents du Soi-même comme un autre de Paul Ricoeur. Balthasar y voit quelques ouvertures vers la grâce et la voix mais pas vers la prière... Que manque-t-il, si ce n'est cette capacité de décentrement ou même de sur-centrement qui pourrait caractériser l'acte de purification ultime où l'on ne fusionne pas dans un tout indifférencié mais bien dans une symphonie où tout en restant soi, on participe à la danse.
Balthasar ajoute que le "Soi individuel de C.J. Jung est en stricte opposition au Sur-moi de Freud (...), le centre de la personnalité à mi-chemin entre conscient et inconscient comme leur haute synthèse". (2) C'est là que l'on rejoint pour moi la longue démarche du Soi-même comme un autre de P. Ricoeur, dans ce qu'il a qualifié plus tard de petite éthique...
Pour Balthasar enfin, "Le dernier mot de Jung pourrait être résignation non dans un rôle ou un masque mais dans le sens ou le "voir Dieu" n'est pas total. "La totalité ne se réalise jamais au point que nous puissions nous identifier à elle". (3)
Cela montre pour moi une saine clairvoyance qui permet de distinguer la démarche de toute totalité, n'en déplaise à Hegel et viva Lévinas...

(1) d'après Urs von Balthasar, ibid p. 440-1
(2) ibid p. 442
(3) ibid...

04 juin 2005

Flamme intérieure

"Cette petite flamme était ma conscience, c'est la seule lumière que j'aie. Mon intelligence propre est certes infiniment petite et fragile comparée aux puissances des ténèbres, mais c'est tout de même une lumière, mon unique lumière. " (1)
On rejoint pour moi la notion de conscience chez Saint Thomas. Lire à cette occasion, l'excellente analyse de G. Médevielle, Le Bien et le Mal, dans la collection Tout Simplement... (voir fiche dans Chemins).

(1) C. G. Jung, Ma vie, souvenirs, rêves et pensées P. 110, cité par Urs von Balthasar, ibid p. 435

Tours - II

" Le moi selon Freud est une pauvre créature soumise à une triple servitude et vivant, de ce fait, sous la menace d'un triple danger : le monde extérieur, la libido du ça et la sévérité du sur-moi" (1) Si j'en comprends le sens, cette soumission serait au coeur de la construction de cette tour humaine, ou le moi se protège, non sans mal, de soi-même et de l'autre à travers la construction d'un masque, d'une apparence.
La difficulté réside dans la capacité de tout homme à quitter cette tour, pour retrouver l'autre sur une base plus humble et plus vraie... Cf. à ce sujet le blog mariages.blogspot.com
Pour Freud, également : "L'analyse ne vise qu'à établir la plus grande harmonie possible du moi". Cela confirmerait mon intuition fondamentale dans Bonheur dans le Couple, que la descente de tours ne peut se faire véritablement sans la médiation d'un tiers, "médiateur entre les revendications de la vie pulsionnelle (du ça) et celles du monde extérieur, donc entre les réalités internes et externes" (3)
La médiation est cependant multiple pour moi. Le grand médiateur restant le tout Autre (sans exclure les intermédiaires souvent nécessaires...)

(1) Essai de Psychanalyse p. 230 cité par Urs von Balthasar, ibid p. 432-3
(2) ibid 434
(3) ibid