05 décembre 2020

Homélie du 6/12 - 2eme dimanche de l’avent - année B

 Quel est finalement ce qui fait le lien entre les textes de ce dimanche ? 


Il y a en fait deux sortes de montagnes, celles où l’on monte pour proclamer la Parole et les montagnes intérieures que l’homme s’érige loin de Dieu. Ne nous trompons pas de montée. L’évangile nous donne la clé de lecture en évoquant l’abaissement du prophète. Ce qui rend d’ailleurs difficile la place de celui qui doit monter au pupitre pour parler de la Parole divine....


Le risque est en effet d’oublier l’essentiel qui est le chemin même de l’avent. Dieu se révèle surtout dans la descente et nous rejoint dans l’humilité. C’est quand on perçoit cela que l’humilité du serviteur devient l’essentiel. Mais n’allons pas trop vite.


Isaïe ouvre une piste en évoquant la nécessité d’une conversion intérieure.


« Préparer / aplatissez les chemins du Seigneur ».


Qu’est ce à dire ?

Comment rendre plat ce qui est accidenté en nous.

J’entendais récemment un prêtre comparer les besoins dit essentiels que le gouvernement nous autorise à satisfaire avec ce qui semble in essentiel - la place de Dieu dans nos cœurs.


En ce temps de préparation de Noël attention au superflu... le plus grand risque est là.

Ne faisons pas une montagne du superflu.


Laissons-nous interpeller au contraire par cette demande particulière de la Parole, ce qu’elle creuse en nous.


Dans l’évangile de jeudi en Matthieu 7. On entendait déjà que « celui qui entend ma parole et la mets en actes... en pratique... bâtit sur le roc ».


Qu’est ce qui creuse en nous des sillons, « jusqu’au jointures » de l’âme (Heb 4, 12), change nos montagnes intérieures en vallées profondes si ce n’est cette Parole qui nous habite, nous pétrit de l’intérieur....


Le risque le plus fréquent est de détourner la Parole de Dieu à notre profit, de l’utiliser. C’est ce que fait le serpent au désert.


Non, aplanir nos montagnes, c’est se laisser travailler, déranger de l’intérieur par la Parole, jusqu’à l’humilité et la charité véritable.


Au point que tout d’un coup, comme Jean le Baptiste, malgré tout nos désirs de puissance, nos belles paroles, nous nous sentions petit, feuille balayée par le vent devant celui qui vient et dont nous ne sommes pas digne de dénouer les sandales. 


L’enjeu est dans cette humilité qui ouvre en nous un sillon pour que la Parole nous conduise à l’agir.


Nous ne sommes pas dignes...


Sans nous laisser pour autant envahir par la culpabilité... laissons la parole nous travailler de l’intérieur. 


« Que tout ravin soit comblé, toute montagne et toute colline abaissées ! que les escarpements se changent en plaine, et les sommets, en large vallée !

Alors se révélera la gloire du Seigneur. »


Si l’on médite bien Isaïe on perçoit que c’est en creusant en nous un chemin qui s’ouvre à la Parole et à la charité que la gloire c’est-à-dire l’amour de Dieu se révèle 


En s’effaçant Jean laisse passer la lumière...


Paul ajoute dans son épître une petite phrase qui nous donne courage même si la route est longue 


« Dieu prend patience envers vous,

car il ne veut pas en laisser quelques-uns se perdre, mais il veut que tous parviennent à la conversion. »


Et pour cela, il vient nous re-visiter...

Il a aussi besoin de nos mains...


Laissons le nous envahir plutôt que d’être envahi par l’inutile. Préparons notre crèche intérieure.


Il vient.


Tout à l’heure il va nous visiter. En nous avançant vers l’autel faisons notre la Parole du Baptiste.


« je ne suis pas digne de m’abaisser pour défaire la courroie de ses sandales. »


Je ne suis pas digne Seigneur mais dit seulement une Parole et je serai guéri...


17 novembre 2020

Incarnation et danse trinitaire - 10

L'évangile d'aujourd'hui (Zachée, Luc 19, 1-10) est aussi une belle image de l'incarnation. Comme le soulignent les Pères de l'Églis, le fait de descendre à Jéricho, qui se situe au-dessous du niveau de la mer et géographiquement très en dessous de Jérusalem, évoque un mouvement de Dieu vers l'homme, à l'inverse de la montée à Jérusalem. Non seulement Jésus descend à Jéricho, mais il invite Zachée à descendre lui aussi de son arbre (sa tour) pour se rendre chez « lui, au cœur de lui-même, dans sa maison et en vérité avec lui-même, dans le don de ses biens…

L'incarnation prend ici son sens plein, sa dynamique, à l'instar de cet « où es-tu ? » de Gn 3 où ce « J'ai soif » à lire entre les lignes en Jean 4 (la Samaritaine) où Jésus se met en attitude de demande.

Son « donne-moi à boire » résonne chez Jean, comme chez Luc dans un « j'ai soif de votre humanité» et rejoindra, ainsi le cri du Christ en croix, prononcé avant que ne jaillisse (encore chez Jean) de son sein le fleuve d'eau et de sang, comme un geyser d'amour qui inonde le monde.

Le verbe s'est fait chair, il désire d'un grand désir habiter parmi nous.

L'incarnation se conjugue en plusieurs couleurs dans le NT avec toujours cette dimension de descente et d'humilité si bien décrite par Paul en Ph. 2.

«Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ Jésus: bien qu'il fût dans la condition de Dieu, il n'a pas retenu avidement son égalité avec Dieu; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la condition d'esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s'est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers » Philippiens‬ ‭2:5-10‬ ‭

Cette descente de Dieu vers l'homme que l'on appelle kénose est aussi illustrée physiquement par l'agenouillement du Christ devant ses apôtres (Jean 13) tout en s'inscrivant en réponse à une série d'agenouillements que l'on peut contempler depuis Exode 3 - Retires tes sandales, jusqu'à la femme adultère au pied de Jésus, un Christ qui demande à boire ou s'abaisse en Jn 8 pour écrire sur le sol, mais aussi en pas de danse avec tous nos agenouillements jusqu'à celui de Marie de Bethanie à genoux aux pieds de Jésus en Jn 12, où celui sublime, d'Etty Hillesum.(1)

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

C'est pour moi au cœur de ce que j'appelle la danse trinitaire, une danse qui part de Dieu le Père et remonte à lui... une danse où Dieu nous invite.

Simon Pierre Arnold le dit aussi magnifiquement à sa manière : « l'abaissement trinitaire du Père dans le Fils et du Fils dans le monde par l'Esprit : tel est le sens absolu éternellement inachevé de l'Incarnation »(2). Et son commentaire d'un Dieu en manque de l'homme résonne avec cette dynamique trinitaire qui nous invite à sa danse (3).


Commentaire 2 :

« Notre Seigneur s'est hâté de lui faire quitter ce figuier desséché, son ancienne manière d'être, afin qu'il ne reste pas sourd. Pendant que flambait en lui l'amour de notre Seigneur, il a consumé en lui l'homme ancien pour façonner en lui un homme nouveau. » (4)

(1) Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerborck, Paris, Seuil 1995. Une vie bouleversée, Journal Intime 1941-1943 et autres lettres de Westerbrock Seuil 1995.
(2) Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité, op. cit. dans mon billet 9
(3) cf. aussi mes nombreuses balises « agenouillement » et « danse trinitaire » in http://chemin.blogspot.com

Pour aller plus loin, mes références préférées sur ce thème :
- Varillon François, L'humilité de Dieu, Centurion, Paris, octobre 1991
- Moingt, Joseph, L'homme qui venait de Dieu, Paris, Cerf, Cogitatio Fidei, 1993-2002 (et autres recueils)
- Urs von Balthasar, Hans Dramatique Divine, Namur, Éditions Culture et Vérité, série «Ouvertures »
- Brown, David, La tradition kénotique dans la théologie britannique, Paris, Mame Desclée, 2010
- Durand, Emmanuel, La Périchorèse des personnes divines. 4) saint Ephrem, Commentaire de l'Évangile concordant, 15, 20-21 ; SC 121 (trad. Louis Leloir; Éd. du Cerf 1966; p. 277-278), source : l'Évangile au Quotidien

Dieu est nu - Hymne à la divine fragilité - danse trinitaire 9

Le livre de Simon Pierre Arnold (1) au delà du concept de « Dieu nu » qui rejoint des thèmes qui me sont chers (2) a cette phrase qui m'interpelle : « j'ai pris conscience que le tohu-bohu constituait bien le premier pas de la création » (p. 6), que l'auteur complète en p. 21 : « l'ordre n'est pas la raison d'être de l'univers, mais bien une condition toujours partielle et incomplète pour qu'affleure la surprise et l'inattendu au cœur de ce magma chaotique. L'à-peu près est l'Âme de la création en éternel devenir ». 




Pourquoi cette interprétation est-elle pour moi lumineuse ?

Parce qu'elle laisse à la fois une place à Dieu et à l'homme, à la liberté et la révélation.

Elle donne aussi une esquisse fragile de réponse à la question sans réponse du mal. En créant le tohu-bohu, Dieu n'exclut pas qu'il puisse conduire au chaos et donc au mal. Il ne le désire pas, envoie un « souffle fragile » (4) qui cherche à ordonner le chaos, mais laisse aussi peut-être cette possibilité comme prix à payer de la liberté, comme condition d'une existence qui échappe à une création trop figée et trop pure qui serait dictature du bien sans vis à vis.
Créer l'imparfait c'est ouvrir au bien, au don, y compris au Fils, et in fine à l'amour en retour...

L'auteur poursuit ainsi « L'incarnation est, dans son fondement une option délibérée pour l'échec et le nom pouvoir. La kénose [humilité et dépouillement de Dieu au sens donné par Ph. 2] est une décision, et non une erreur stratégique. Elle est le point de départ de toute véritable nouveauté (p. 28).

On rejoint là la question du Donateur qui s'efface (3), d'un Dieu qui nous aime au point de laisser au sein du tohu-bohu une lueur fragile, un signe élevé, un Dieu dépouillé (2).

Personnellement je vibre avec cette analyse trinitaire qui rejoint ce que je décris de mon côté comme une danse trinitaire (2) de Dieu vers l'homme, agenouillement successif du Père puis du Fils...

Mais plus encore, cette insistance sur la kénose est aussi pour moi le chemin qui devrait être notre chemin, le chemin de l'Église. Il l'exprime assez bien à sa manière (cf. p. 39 sq).

Son « Dieu en manque » [de l'homme] que je découvre à l'instant page 66 et qui résonne avec mon Dieu « à genoux devant l'homme » est si loin du Dieu impassible que nous a servi la théologie, que j'en frémis de joie...

Quelques pépites de plus de peur des les oublier : « L'incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C'est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu'il cite Teilhard)

On entend aussi le mot engendrement déjà cité souvent ici

(1) Dieu est nu. Hymne à la divine fragilité, Simon Pierre Arnold, Lessius 2019
(2) cf. notamment mes « Dieu dépouillé », « le rideau déchiré » et la « danse trinitaire ».
(3) allusion à la fois aux travaux d'Hans Jonas, de M. Mauss et Jean Luc Marion
(4) S.P. Arnold a cette belle image de la Ruah comme matrice maternelle de Dieu p. 57.



Quelques pépites de plus de peur des les oublier : 

Dieu en manque de l’homme p. 66
« L’incarnation est un processus collectif et cosmique universel, avec ses progrès et ses reculs, comme tout engendrement. C’est cette divine incertitude qui dit le mieux la kénose de Dieu » ibid p. 71

On rejoint cette notion de fragilité amoureuse de Dieu dont les entrailles se retournent en Osée 11 🙂

On vibre aussi sur une notion de dynamique loin de toutes traditions figées. Le souffle agit encore sur le monde (pas étonnant qu’il cite Teilhard) 

On entend aussi le mot engendrement déjà cité dans mon dernier billet...

« Avant de proposer une quelconque Bonne Nouvelle nous devons nous guérir de la maladie et du goût du pouvoir. Sans ce dépouillement kénotique de nos ambitions cléricales notre mission aujourd’hui est nulle et non avenue, du moins du point de vue du Dieu nu, le seul dans lequel je crois... » p. 190

Le temps de la danse est venu (...) comme une perpétuelle improvisation communautaire de la joie  (...) libre de toute culpabilité ». P. 195

« Le temps est venu de la simple Présence (...) l’enracinement solidaire et discret de l’Église au creux de la douleur quotidienne du monde » p. 204 

On rejoint pour moi ce que j’évoquais sur J.B. Metz, une mémoire qui actualise la Présence, souffre avec les souffrants dans l’espérance d’une joie encore inaccessible... c’est en tout cas ce que je ressens en soulevant le calice en communion avec tous les souffrants qui me sont confiés... geste pour moi diaconal par essence... 

Non qu’il soit réservé mais en profonde communion avec les soignants, qui participe à leur manière à la liturgie de cette Présence fugace.




Écriture et infini - 6.4

Un bel entretien du rabbin et philosophe Marc-Alain Ouaknin dans le Panorama de novembre 2020 donne à penser. On aimerait pouvoir tout citer. Je vous livre quelques pépites dans les limites du droit de citation :
  • « Dans le Talmud, on ne cherche pas à mieux comprendre le texte où à mieux comprendre Dieu. Ce serait une façon de s'approprier Dieu et de tenter d'enfermer l'infini. Non, il s'agit d'interpréter le texte pour que sa parole soit comprise de manière plurielle ».
  • « Dieu se fait « livre », s'incarne dans le livre, mais il doit être libéré pour ne pas devenir une idole (...) rendre au texte un sens infini... (...) rendre à Dieu son statut d'infini (...) s'abstraire de l'immédiateté de la pulsion de compréhension (...) nous délivrer d'automatismes...
  • Un rabbin c'est un allumeur de feu intérieur (...) mettre en mouvement (...) se rencontrer.
On retrouve ici des interpellations proches d'Emmanuel Lévinas qu'il cite d'ailleurs plusieurs fois.

Je résonne personnellement avec cette ouverture dans l'infini des interprétations qui ouvre à l'infini des visages y compris dans les interprétations du divin qui ne fige pas Dieu dans une définition mais ouvre à la fois à un appel et à un peut-être.

J'adhère aussi à cette notion d'allumeur de feu qui me fait penser à cette belle idée de « pastorale d'engendrement » prônée par Philippe Bacq et C. Theobald. Ne figeons pas le texte dans une vision étriquée, laissons le ouvrir en nous des infinis.

Lire l’Écriture - 6 ter

Que la Bible soit un doux mélange entre paroles humaines et Parole de Dieu n'enlève en rien l'intérêt de se plonger dans l'océan des livres qui la composent, de suivre ses méandres et ses balbutiements, l'invention de Dieu (1) comme le sous entend Thomas Römer.
C'est justement dans ces balbutiements et ses fausses pistes, au travers des fausses idées de Dieu qu'elle véhicule qu'apparaît entre les lignes la Sagesse qui est à l'œuvre. Mon ami Christophe Gripon (2) y voit une touche très féminine de Dieu. Il s'agit en effet d'une longue gestation que cette « pédagogie divine » (3) qui trace au sein des mythes et des méditations ce qui va faire éclore la Révélation. Paul Ricoeur écrivait je crois dans « Le conflit des interprétations » cette métaphore vive(4) sublime : « Le mythe donne à penser ».

Cette phrase est tout un programme.

Le buisson ardent est une préfiguration du Christ nous glissait Benoît XVI dans son Jésus de Nazareth.

Le rocher que brise Moïse est le Christ nous dit un père de l'Église.

L'eau qui jaillit du cœur du Christ a pris sa source dans le Temple d'Ezechiel et nos ossements desséchés s'altère de cette eau et ce vin à jamais versé.

Alors plongeons nous ensemble dans l'Ecriture, n'hésitons pas à partager nos découvertes dans une lecture commune.

Je vous invite à tenter cette expérience singulière dans un forum dédié qui ne fait pas concurrence à celui-ci mais veut en faire un lieu réservé à la manducation.

Ses règles sont strictes. Rester concentré sur la lectio divina. Ne partir que de l'Ecriture, ne commenter qu'elle dans le respect et la contemplation...

https://www.facebook.com/groups/2688040694859764/?ref=share

(1) Thomas Römer, l'invention de Dieu, Points, Seuil, Paris, 2014
(2) cf. notamment L'Eros un chemin vers Christ Sophia et Les portes du Ciel
(3) voir mon livre éponyme
(4) voir aussi son livre éponyme

09 novembre 2020

Quelle est la place du diacre ?



Quelle est la place du diacre dans ce tohu-bohu médiatique qui semble diviser notre Église entre les partisans farouches d'une Église visible et ceux qui invitent à la prudence et ceux qui insistent enfin sur le service des plus pauvres ? Faut-il opposer les trois ou trouver une manière d'être ferment de pacification et d'unité ? Comment faire découvrir les bienfaits d'une certaine frugalité eucharistique à laquelle nous invite un François Cassingena-Trévedy (1) ou à de nouvelles cathédrales ? (2)
Peut-on promouvoir d'autres formes de partage ? (3)
Quelle place prendre entre un cléricalisme revendiqué et le cri des laïcs in-entendus ?
Quelle place a le diacre entre le pouvoir et la faiblesse, la quête de puissance et la nudité du Christ en croix ?
Il y a probablement beaucoup de souffrances et de frustrations rentrées. Peut-on avoir une parole libre et respectueuse de nos différences ?
Le diacre est il un pont entre deux mondes ou un « chandelier inutile » (sic) de nos eucharisties ?
Il existe des lieux de contemplation à construire.
 
(1) une conférence de François Cassingena-Trévedy à méditer https://www.facebook.com/groups/reflexiongh/permalink/4457707744303675/

(2) cf. le dernier billet de Veronique Margron https://www.facebook.com/100000201806678/posts/4198758096807542/


(3 et 5) En lien avec un commentaire de François Cassingena-Trévedy, dans la conférence évoquée il y a quelques jours déjà je vous invite à visiter ce lien, cette petite église domestique virtuelle.
On ne prend pas la Parole, on la contemple, on la médite, on la manduquer, on la partage.











08 novembre 2020

Écriture - 6 bis - Comment s’est écrite la Bible ?


Les avancées de l'archéologie récente apporte un regard nouveau et révélateur sur ce qu'on appelle Parole de Dieu, réfutant systématiquement l'apparente chronologie biblique qu'ils considèrent comme artificielle et loin de ce qui est historique et compatible avec les traces et autres signes du passé.
Cette nécessaire distance avec le texte peut-il nous aider à prendre de la distance sur l'apparente violence divine dans l'ancien Testament ?
J'évoquais récemment ma lecture commencée de Thomas Römer. Je vous livre cet extrait qui me semble intéressant à la suite de mes billets récents.

« Les milieux d'exilés issus de l'élite judéenne jouèrent un rôle important dans la production d'un certain nombre de rouleaux qui sont à l'origine du Pentateuque et des écrits prophétiques. La destruction de Jérusalem et de son Temple par les Babyloniens, en 587 avant l'ère chrétienne, avait provoqué chez ces intellectuels une crise idéologique. Les piliers identitaire d'un peuple du Proche-Orient ancien, c'est-à-dire le roi, le temple du dieu national et le pays, s'étaient écroulés. Il fallait donc trouver de nouveaux fondements pour dire l'identité d'un peuple privé de ses institutions traditionnelles, et c'est ainsi que ce mirent en place différentes réponses à la crise : une de ses réponses est « l'histoire deutéronomiste » qui comprend les livres allant du Deutéronome jusqu'au deuxième livre des Rois.
Le but de cette histoire est de démontrer que la destruction de Jérusalem et la déportation d'une partie de la population ne sont pas dû à la faiblesse du dieu d'Israël face aux divinités babylonienne ; au contraire, c'est lui [Dieu] qui se sert les babyloniens pour sanctionner son peuple et ses rois de ne pas avoir respecté les stipulation de son « alliance », consigné dans le Deutéronome.
Le milieu des prêtres rédige, de son côté, une histoire des origines (appelée souvent « écrit sacerdotal ») qui se trouve surtout dans les livres de la Genèse, de l'Exode et du Lévitique et qui insiste sur le fait que tous les rituels et institutions ont été révélés avant l'entrée du pays et avant la royauté – celle-ci n'est donc pas indispensable. Pour les auteurs sacerdotaux, toutes les coutumes par lesquelles va se définir le judaïsme à l'époque perse et hellénistique (circoncision, Pâque, rituels et les lois alimentaires) sont données par Moïse dans le désert, en l'absence d'un pouvoir politique. Ces deux ensembles littéraires préparent en quelque sorte le chemin vers le monothéisme, car ils affirment de manière différente d'unicité du dieu d'Israël. »(1)

Je ne suis qu'au début de la lecture mais cette introduction de Römer confirme déjà ce que je commentais il y a quelque temps comme une nécessaire prise de distance entre ce que l'on pouvait considérer comme une révélation chronologique et de seule facture divine et cette double construction complexe du texte biblique entre parole divine et projet humain qui révèle à la fois une lecture spirituelle de l'histoire et un texte engagé et dirigé à des fins parfois religieux ou politiques. Cela renforce l'idée d'une nécessaire interprétation comme pour tous « Livres » et prétendue Parole de Dieu. L'historico-critique n'a pas fini son œuvre.

Quel est l'origine du nom de Dieu ?
Dans un long premier chapitre de son livre, Thomas Römer nous conduit à explorer la difficile quête de l'origine du nom de Dieu, imprononçable pour nos frères juifs. Au delà de mon intérêt personnel pour ce refus de nommer ce que l'on ne peut définir sans réduire, je note l'intérêt porté :
- à la notion d'Être, tirée d'une quête arabe pré-musulmane ancienne,
- de son long développement sur la révélation à Moïse (2) en Ex 3, 14 et le « je serai qui je serai » (cf. p. 47)
- À cette conclusion qui est ouverture : « Yhwh serait donc celui qui souffle, qui amène le vent, un dieu de l'orage qui peut aussi inclure les appels guerriers, et une telle caractérisation s'applique assez bien (...) aux fonctions primitives de Yhwh »(3)
Je suppose qu'il va aller plus loin sur ce thème de l'invention de Dieu qui devient alors celui qui justifie la violence, loin de fait de la révélation christique...

(1) Thomas Römer, l'invention de Dieu, Points, Seuil, Paris, 2014, p. 33
(2) figure biblique qu'il souligne, citant l'égyptologue Jan Assmann quelle n'a « aucune trace historique » cf. p. 72
(3) ibid. p. 50, cf. aussi p. 67 et 70

28 octobre 2020

Homélie pour la Toussaint - v4

Homélie pour la Toussaint 


Projet 4

Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d'où viennent-ils ? »


Qui sont les saints d'aujourd'hui ?

L'Évangile répond à sa manière à la question posée dans l'Apocalypse, mais avant de contempler les béatitudes je vous propose de méditer sur la réponse donnée par Jean : 

 Ce sont ceux qui « viennent de la grande épreuve ;

« ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l'Agneau. »

La sainteté la plus visible est celle des souffrants qui résistent au désespoir et ont mis en Christ leur force. Non parce qu'ils sont resté forts - qui peut l'être quand la souffrance nous assaille ? - maïs parce qu'ils sont restés debout, droits, en dépit de ce qui les a terrassé.

Alors me vient à l'esprit de nombreux visages, innombrables de personnes qui autour de moi sont rayonnants en dépit de la souffrance, cette hancippée qui garde en elle la joie de Dieu alors que son corps n'est que douleur, cette mère de famille qui se lève toute les nuits depuis 30 ans pour son enfant malade...


Pourquoi Seigneur ?

La question mérite d'être posée même si elle n'a pour seule réponse que ce signe élevé sur le bois de La Croix...


« L'homme au cœur pur, aux mains innocentes,

qui ne livre pas son âme aux idoles.

Il obtient, du Seigneur, la bénédiction,

et de Dieu son Sauveur, la justice.

Voici le peuple de ceux qui le cherchent ! » nous dit le psaume.


Le pape François les appellent à juste titre les saints de la porte d’à côté. 


« Heureux les pauvres de cœur,

car le royaume des Cieux est à eux.

    Heureux ceux qui pleurent,

car ils seront consolés.

    Heureux les doux,

car ils recevront la terre en héritage. »


Chacune des béatitudes est une réponse et l'on se sent bien petits pour ajouter quoi que ce soit au texte.


Pourquoi cette souffrance ?

Jean ne répond pas...?

Mais il trace un chemin d'espérance « nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'a pas encore été manifesté.

Nous le savons : quand cela sera manifesté,

nous lui serons semblables

car nous le verrons tel qu'il est. »


Notre chemin et notre espérance n'est pas dans la recherche de la souffrance mais dans cette traversée subie de ce qui viens à nous, sans que nous l'ayons demandé...

Alors nous verrons Dieu comme Moïse au bout de sa longue marche au désert (cf. Ex 34) et notre visage sera illuminé.


Heureux les cœurs purs,

car ils verront Dieu.

    Heureux les artisans de paix,

car ils seront appelés fils de Dieu.

    Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice,

car le royaume des Cieux est à eux.


J’aime contempler cette belle peinture de Fra Angelico qui montre les anges en train de danser au Paradis. Illusion ou espérance ? Les béatitudes nous introduisent au renversement de toute tentation de pouvoir, de valoir ou de savoir. Le royaume est pour les petits...


Et notre chemin est d’avancer sur cette route et passer par la porte étroite de ceux qui répondent par leur vie à l’appel discret et insistant de l’où-es-tu ? de Dieu.


La fête de là Toussaint, comme le glisse une amie est notre fête, celles de tous ceux qui désirent marcher à la suite de Celui qui a tracé le Chemin et qui nous conduira vers cette danse des bienheureux qui est notre espérance.




Version pour la messe des jeunes :
Questions à affiner...

Aimez vous vos parents ?
Aimez vous vos frères et sœurs autant que votre maman ?
Aimez vous vos copains de classe de la même manière ?
Même celui qui vous embête ?
La sainteté est la fête de ceux qui ont aimé jusqu’à leurs ennemis 
Voulez vous avancer dans cette direction ?
Qui va vous aider à cela ? 

 

19 septembre 2020

L’infini de Dieu - Homélie du 25eme dimanche année A

L'infini de Dieu - Homélie du 25eme dimanche année A
Qui sommes-nous pour juger les choix de Dieu ?
La méditation des textes de ce dimanche nous conduit vers quatre grandes réflexions : immensité, miséricorde, humilité et vigne
Immensité ou infini, c'est d'abord ce à quoi nous conduit Isaïe 55 : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins ». Je le disais en introduction les voies de Dieu sont insondables et son amour dépasse nos limites humaines.
Par la parobole d'aujaudhui, Jésus nous dévoile une partie du mystère et nous ne pouvons que contempler cet amour infini. C'est aussi la contemplation du salaire donné : une pièce d'argent... c'est le salaire officiel au temps de Jésus pourtant, vous l'avez compris dans la Parabole ce salaire n'est qu'une figure de l'infini de Dieu, c'est l'accès au Royaume. Cet accès il est offert à tous... c'est peut-être cela l'infini de Dieu, l'infini de l'amour de Dieu

Le deuxième mot clé c'est la miséricorde : celle de Dieu est aussi infinie. Elle s'exerce pour les premiers comme pour les derniers. Elle vise les fidèles mais court également vers les brebis perdues. Dieu ne veux pas la mort du pècheur mais qu'il vive....nous disait déjà Ezéchiel.
Dans un beau texte, un des plus anciens de la Bible le livre d'Osée le prophète nous parle d'un retournement intérieur de Dieu. «Comment te délaisserais-je, Mon coeur se retourne en moi, et toutes ensemble, mes compassions s'émeuvent.»Osée‬ ‭11:8‬‭ [à développer...] C'est cette miséricorde là qui se révèle dans la parabole d'aujourd'hui. Prenons le temps de la contempler à la lumière de nos failles les plus intérieures...
Cela nous conduit au troisième mot clé : l'humilité... où sommes-nous dans l'ordre de départ... pas forcément dans les premiers ou alors en apparence... l'évangile nous interpelle à la fois dans nos jugements sur autrui (// à faire avec le frère ainé du fils prodigue en Luc 15) comme dans une contemplation plus intérieure sur notre participation réelle au travail de la vigne....
mercredi soir j'arrivais épuisé du travail de la journée et je n'ai pas su sauter de joie quand l'un d'entre-vous m'a appelé pour ajouter une nouvelle réunion à mon week-end déjà blindé. Pardon Seigneur...
La vigne a besoin de nous. Le salaire est le même pour tous... il n'y a pas d'ascenseur pour le Royaume si ce n'est les bras du Seigneur miséricordieux nous dit la petite Thérese Retroussons les manches dès aujourd'hui... pas à la dernière heure...
« Si, en vivant en ce monde, j'arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c'est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. »Ph. 1....
Ce texte est à lire jusqu'au ch.3... une course sans fin...

Vient alors la contemplation du quatrième mot de ces textes la vigne... quelle belle image que nous allons méditer encore pendant deux autres dimanche. La vigne est par excellence l'invitation de Dieu à danser avec lui. Cela demande de nous nourrir aux deux tables de la parole et du pain, mais également de comprendre que rien ne porte du fruit si elle ne nous vient de la sève divine. Nous sommes des sarments inutiles si nous oublions cela...
Donne nous Seigneur la force de travailler à ta vigne...

18 septembre 2020

Homélie de Mariage - 19/9/20 et baptême de S.


Le début des textes que vous avez sélectionnés met la barre haute et je dois dire que je suis impressionné par cette sélection. « Vous avez été choisis par Dieu » dit saint Paul. C'est à la fois étrange d'entendre cela deux mille ans plus tard et pourtant, dans ce chemin que vous avez parcouru tous les deux, depuis votre rencontre jusqu'à cette maison, cette petite Salomé qui fait votre bonheur, il y a bien quelque chose d'unique qui s'est tissé entre vous deux. 

Je me souviens de notre première rencontre de ce que vous avez pu dire de l'autre, du pourquoi de ce mariage que vous avez tenu à célébrer malgré les contraintes extérieures. Continuez à avancer... vous êtes sur la bonne voie....et méditez à nouveau ces textes que vous avez choisi...

« Revêtez-vous de tendresse et de compassion, de bonté, d'humilité, de douceur et de patience.

Supportez-vous les uns les autres, et pardonnez-vous mutuellement si vous avez des reproches à vous faire. «  dit encore la première lecture. C'est un sacré chemin...

« Le Seigneur vous a pardonnés : faites de même. »

Cette phrase de Paul interpelle. M'interpelle... nous l'avons vu ensemble, dans le texte dit du Fils prodigue le pardon n'est pas simple... il est presque impossible à l'homme...

Et pourtant, si vous êtes là aujourd'hui dans cette église, c'est peut-être parce que vous sentez que seul Dieu vous donnera cette force...

Aimer jusqu'au bout est impossible à l'homme. Il est possible avec Dieu, en Dieu ?

Qu'est ce que cela veut dire ?

Peut-être que les jours où ce sera plus dur entre vous ( et il y en aura, j'ai 34 ans au compteur, je sais de quoi je parle), une seule chose permet d'avancer : croire que l'amour est plus fort. Croire que l'amour que vous avez construit est fondé sur celui qui aime jusqu'au bout, jusqu'à la mort...

Peut-être reviendrez vous un jour ici, ou en passant de temps en temps à Nonancourt vous souviendrez vous de cela… L'amour qui va jusqu'au bout est au cœur de votre oui… Si vous choisissez tout à l'heure de prononcer ce oui pour la vie, c'est pour proclamer au monde que c'est de cet amour là que vous voulez vivre… Et si vous le vivez chaque jour, si votre oui se conjugue tous les matins dans des gestes d'attention de tendresse et de patience alors vous deviendrez ce que dit l'évangile : vous serez le sel de la terre....


Alors comme le dit le psaume « l'amour du Seigneur,

sur ceux qui le craignent, est de toujours à toujours,

et sa justice pour les enfants de leurs enfants,

pour ceux qui gardent son alliance » sera votre chemin... Aujourd'hui n'est que le premier jour d'un long chemin. Au bout du voyage est la joie véritable, celle que vous entrevoyez déjà dans vos étreintes et la symphonie qui se tisse en vous, est un aperçu de cette tendresse qui vous habitera jusqu'au bout si vous poursuivez dans la direction prise aujourd'hui 

Amen

 ——

vous venez de prononcer des phrases qui vous unissent par les liens indissolubles du mariage… Il n'est pas anodin que pour le baptême de S. vous choisissiez un texte qui évoque le fait de faire un seul corps. Je serais bref, mais je veux souligner cela : faire un seul corps, ce n'est pas fusionner en une bouillie où chacun disparaît mais au contraire se trouver multiplié par l'amour qui vous réunit. Vous vous rappelez peut-être l'image des sept réservoirs que nous avons évoqué ensemble. Tout part de l'idée que la force de votre amour sera rayonnement pour le monde... lumière... amour qui se diffuse et devient fécond. 1 plus 1 égal trois... Salomé... mais plus encore entrer dans la dynamique de l'amour c'est former une communauté...

Par le baptême de S. vous participez à cette dilatation du cœur... cela implique des renoncements. Vous alllez l'exprimer tout à l'heure... choisir d'aimer c'est renoncer..., vous allez devoir conduire S. sur ce chemin... lui apprendre la tendresse, la patience, ce qui est justement renoncement... 

mais c'est l'enjeu même du Bapteme comme celui du mariage : être plongé dans la mort de tout ce qui nous entrave pour découvrir la force de l'amour qui vient de Dieu. Sur ce chemin le Christ est signe : il est le chemin la. Vérité et la vie... qu'est ce à dire ? Vous vous êtes engagés à aider S. à comprendre cela. Il vous faudra retrouver en vous, avec l'aide des parait et marraine choisi, ce qui est essentiel, pourquoi le Christ est chemin... pourquoi son amour est au cœur, est le centre... en marchant dans et pour l'amour vous serez le sel et la lumière pour S.

05 septembre 2020

Évangélisation...- 5


Ma lecture du texte cité de Michel Rondet dans le billet précédent s'inscrit dans la même lignée que la contemplation d'un Dieu « agenouillé devant l'homme(*) » depuis « l'où es-tu ? » lancé par Dieu au Jardin de Gn 3, alors que l'homme cherche la puissance jusqu'au « donne-moi à boire » de Jésus à la Samaritaine.



« Jésus (...) s'était assis là, au bord du puits. » (Jn 4, 5-6) Le puits de Jacob… Ce lieu de la rencontre, n'est pas un lieu anodin. Il s'insère dans une histoire qui remonte aux origines, à ce Fils d'Isaac, lui aussi perdu dans la pâte humaine… Et dans cette évocation, l'évangéliste nous introduit au sein même de toute la recherche entre Dieu et l'homme depuis plus de mille ans. Dieu faible, assis au centre de l'histoire de la faiblesse de l'homme.
Dans la tradition biblique, le puits ou la source (selon la traduction littérale « du grec) fait échos à des thèmes récurrents de la bible hébraïque et, d'une certaine manière, sa reprise par l'évangéliste dans un contexte différent est une forme de révélation de la nature du Christ. Il introduit d'autres passages porteurs de sens.
Puiser l'eau du puits est l'acte emblématique qui établit une alliance dans l'Ancien Testament. On retrouve ce récit dans la rencontre du serviteur d'Isaac avec Rébecca (Gn 24, 11ss), comme celle de Jacob et de Rachel (Gn 29, 2ss) ou celle de Moïse et Séphora (Ex 2, 16ss). La thématique des fiançailles est toujours en lien avec celle plus vaste de l'alliance. Que ce lieu rappelle celui où les patriarches ont rencontré leurs épouses pourrait être signe du désir de Jésus d'épouser à nouveau l'humanité. Il ouvre des perspectives dans la compréhension de l'importance pour le lecteur habitué à ces schémas littéraires de cette rencontre et des déplacements auxquels l'évangéliste nous conduit. On pourrait aller ainsi, à la suite de l'évêque d'Hippone, jusqu'à une méditation des fiançailles du Christ avec l'Église païenne symbolisée par la Samaritaine.
Dieu a soif de voir grandir ces « semences du verbe plantées loin de ses frères juifs, semble dire Jean en écho aux méditations de Jésus devant la syrophénicienne chez Matthieu.
 Derrière cette évocation résonne également l'appel d'un des textes les plus anciens de l'Ancien Testament, celui d'Osée, où Dieu invite le prophète à « reprendre avec lui Omer, sa femme adultère. Là aussi, le phrasé symphonique résonne d'accents anciens, où Dieu cherche à séduire, à parler au cœur : » Mon épouse infidèle, je vais la séduire, je vais l'entraîner jusqu'au désert, et je lui parlerai cœur à cœur » (Osée 2, 16).
Comme nous l'avons souligné, le texte grec ne parle pas d'ailleurs de puits, mais plutôt de source. La contemplation de Jésus assis à côté d'une source vive, celle donnée à Jacob (Dt 33, 28), est aussi une symbolique très forte.
D'autres passages porteurs de sens peuvent être aussi soulignés comme la rencontre d'Élie et de la veuve de Sarepta. Là aussi, l'homme de Dieu demande à boire à une étrangère et comme le souligne C-H. Rocquet, on ne sait lequel des deux apporte le plus à l'autre. C'est en bas de la tour d'orgueil, dans la soif d'une rencontre que se trouve la source vive.
En deux phrases nous voici plongés dans le cœur même de la pastorale de l'Ancien et du Nouveau Testament, cette quête amoureuse de Dieu qui s'agenouille devant l'homme. On y voit un homme-Dieu fatigué par la route sur les pas de l'homme et qui s'assoit pour tenter une ultime rencontre. « Saint Augustin, dans son commentaire sur Jean[traité 15] commente ainsi l'attitude du Christ : « Jésus est venu, il est venu près d'un puits, c'est-à-dire qu'il s'est humilié; il s'est fatigué à venir, parce qu'il s'est chargé du poids de notre faible humanité. Il est venu à la sixième heure, parce que c'était le sixième âge du monde. Il est venu près d'un puits, parce qu'il est descendu jusque dans l'abîme qui faisait notre demeure. C'est pourquoi il est écrit au psaume: « Du fond de l'abîme, Seigneur, j'ai crié vers vous». Enfin il s'est assis près d'un puits, car je l'ai dit déjà, il s'est humilié.  Augustin note par ailleurs que « Jésus avait soif aussi de la foi de cette femme, car il a soif de la foi de tous les hommes pour lesquels il a répandu son sang ». Le « donne-moi à boire » fait résonner alors plus encore ce que l'on peut interpréter comme un « j'ai soif de votre humanité », que nous entendrons à nouveau dans le cri du Christ en Croix. Le « J'ai soif » est le dernier cri lancé au monde avant que ne jaillisse de son sein, comme en retour, le fleuve d'eau et de sang, geyser d'amour qui inonde le monde.

Cette lecture se poursuit jusqu'à ce qu'elle soit portée à son paroxysme dans la théologie de la joie gauche ou l'agenouillement devant Judas. C'est la contemplation d'un Dieu miséricordieux qui n'impose pas une morale, mais croit en l'homme, n'arrache pas l'ivraie, mais contemple le grain qui pousse, ne juge pas la femme adultère mais l'invite à se relever.
Cette lecture n'est pas celle du prosélytisme conquérant, du moralisme pharisien, du juge qui abuse de son autorité, du clerc certain de sa supériorité sur le laïc. Elle est, pour moi, dans le jusqu'au bout de la kénose (Ph 2) : « Il n'a pas retenu le rang qui l'égalait à Dieu, mais s'est fait serviteur, [en grec : ekenosen : il s'est vidé de lui-même/ dépouillé/ humilié dans un « j'ai soif » qui s'étend de Gn 3 à Jn 19, dans un « donne-moi à boire » qui résonne de Jn 4 (Samaritaine) au « j'ai soif de toi » que lit Mère Teresa...
Je pourrais continuer à explorer et contempler cela pendant des années, mais il est temps pour moi de rentrer dans le silence, car c'est au fond du cœur de l'homme que cette conversion doit se faire. Et qui suis-je pour oser dire comme Irénée, Varillon ou Zundel que « la gloire de Dieu est l'homme vivant ».
Quelques lecteurs m'ont demandé où et comment comprendre cette théologie particulière. Elle est offerte gratuitement à votre contemplation dans ces quatorze et quelques ouvrages qui ont construit ma foi. Il est temps que je me taise. j'ai trop parlé. La bruit d'un fin silence suffit, ouvrez vos portes au courant d'air, creusez en vous cet appel discret d'un Dieu agenouillé...
C’est pour cela que j’ai répondu au bout de 25 ans à l'appel au diaconat. Je crois dans la « pastorale de l'engendrement » de Bacq et Theobald, au fait que « l'évangile sauvera l'Église » de Moingt et en l'importance du « retour au centre » qu'est le Christ de Hans Urs von Balthasar.
Ma morale est vectorielle. Elle prend chacun là où il est et l'invite à faire un pas en avant. Qu'il soit au fond du gouffre ou près de la crête. Chacun est invité au fond de son cœur à entendre la plainte d'un Dieu souffrant, et assoiffé de notre amour. C'est dans « le rideau déchiré » (*) que se révèle le mystère, c'est en levant les yeux sur un corps décharné que l'on aperçoit sa fragilité.
L'office des lectures a cette nuit le dernier mot.

Comment es-tu foyer de feu
   et fraîcheur de la fontaine,
une brûlure, une douceur
   qui rend saines nos souillures ?

Comment fais-tu de l'homme un dieu,
   de la nuit une lumière,
et des abîmes de la mort
   tires-tu la vie nouvelle?

Comment la nuit vient-elle au jour ?
   Peux-tu vaincre les ténèbres,
porter ta flamme jusqu'au cœur
   et changer le fond de l'être ?

Comment n'es-tu qu'un avec nous,
   nous rends-tu fils de Dieu même ?
Comment nous brûles-tu d'amour
   et nous blesses-tu sans glaive ?

Comment peux-tu nous supporter,
   rester lent à la colère,
et de l'ailleurs où tu te tiens
   voir ici nos moindres gestes ?

Comment de si haut et de si loin
   ton regard suit-il nos actes ?
Ton serviteur attend la paix,
   le courage dans les larmes !

(*) pour lire À genoux devant l'homme (dont est tiré un extrait de ce billet), Dieu agenouillé, Retire tes sandales, Le rideau déchiré, Humilité et Miséricorde, Serviteur de l'homme, Pédagogie divine, Les chemins du désert, Dieu n'est pas violent, ou la Pastorale du Seuil, pour ne citer que 9 des 14 livres évoqués, suivez cette piste... : http://chemin.blogspot.com Je ne suis pas aussi prolixe que Teilhard mais j'y travaille... la piste vous conduira aussi à des romans offerts à ceux qui ont peur de la théologie et de « ses gros mots » et préfèrent un récit : d'une Perle à l'autre (800 pages) ou « le vieil homme et la brise » (80 pages) sont les meilleures pistes. Tout est offert gratuitement en numérique chez Kobo ou en papier à prix coutant chez Amazon. Bon vent. Ces livres sont auto-publiés, ceux qui portent mon nom aux éditions de L'Atelier ou chez Bayard sont épuisés. Je vais de mon côté chercher à suivre « celui qui m'a saisi et tacher de le saisir » (Ph. 3) en essayant de moins parler mais d'agir dans la périphérie où mon évêque m'a envoyé.


Communion et évangélisation - 4

Dans la lignée des billets précédents je m'interroge toujours sur les moyens disponibles pour permettre à ceux qui cherchent Dieu d'accéder à notre Église.

Ces voies sont peu nombreuses et parmi ce que j'ai recensé, il me semble pas, sauf erreur, que la participation à nos eucharisties aujourd'hui masquées soit le lieu le plus propice, pour les raisons évoquées dans les billets précédents mais que je compléterai ici plus en détail.
Si pour moi l'eucharistie a maintenant une place centrale, c'est bien le fruit d'un très long cheminement.
Chretien convaincu et pratiquant régulier, je suis passé par bien des étapes depuis le jour où j'ai osé dire à mon père que je ne voulais plus y aller le dimanche. Si j'y suis retourné c'est plus librement. Pour autant il m'a fallu aller jusqu'à une licence de théologie pour comprendre le sens de bien des gestes et symboles que l'Église a accumulé dans sa liturgie.
Auparavant je devais plutôt subir que comprendre, entendre qu'écouter et plus vibrer à certains chants et sourires qu'aux gestes et aux fastes vieillots de nos messes.
Depuis que certains mystères de cet immense sacrement me sont accessibles je ne prétend pas en avoir fait le tour et je dois avouer que l'essentiel est invisible à nos yeux. L'Esprit travaille par des chemins innombrables. Et cependant je m'interroge et vous interroge.
Comment un non croyant peut-il percevoir la finesse des gestes et des paroles sans une longue éducation au mystère ?
Je ne nie en rien le fait que s'y cristallise un extraordinaire « faire mémoire » comme le dit sit bien J.B. Metz.
En tout cas, je doute et ne crois pas, personnellement, au bien fondé des initiatives qui consistent à inviter des gens « au seuil de notre Église » à participer trop vite à une messe dominicale, sauf peut-être si elle rayonne d'une telle fraternité que l'émotion fasse fondre les cœurs...(cf. billet précédent) (j'exclut bien sûr les grands événements comme les JMJ et autres qui l'intègrent dans un package plus large).
Il y a un apprivoisement nécessaire.

Rappelons déjà ce que disait Michel Rondet sj à ce sujet il y a 23 ans, un texte qui n'a cessé de m'habiter :
« Pendant des siècles, notre pédagogie spirituelle s'est appuyée sur une tradition, reçue et transmise, qu'il s'agissait d'ouvrir à l'expérience spirituelle. On partait de la tradition reçue pour tenter de faire vivre une expérience.
Aussi sommes-nous désarmés lorsque nous nous trouvons face à une expérience qui a sa valeur, son dynamisme, mais ne dispose d'aucun repère pour se comprendre et se développer. Qu'est-ce qui m'arrive ? Suis-je le premier à vivre de tels états ? Est-ce que je ne suis pas sur le bon chemin ? Questions angoissantes que rencontrent vite les nouveaux chercheurs de sens et qui les conduisent à aller frapper à toutes les portes, sauf à celles qui justement sont dépositaires d'une tradition spirituelle qui semblerait pouvoir répondre à leur attente. Pourquoi ?
Parce que, trop souvent, nous proposons des réponses là où l'on nous demande des chemins. Ceux qui, d'horizons très divers, se mettent en marche, au souffle de l'Esprit, n'attendent pas que nous leur offrions la sécurité d'un port bien abrité. Ils ont justement quitté le port des sécurités factices. Ils ont gagné le large à leurs risques et périls, ils savent que la traversée sera longue. Ils ne nous demandent pas de leur décrire le port, mais de les accompagner sur un chemin dont ils ne connaissent pas encore le terme : ils savent qu'une rencontre les attend, qui leur fera découvrir le meilleur d'eux-mêmes et le sens de l'aventure humaine. Ce qu'ils espèrent, c'est un compagnonnage de recherche et de disponibilité, pas un étalage complaisant de certitudes. Ceux qu'ils aimeraient rencontrer, ce sont les mages dans leur marche à l'étoile, pas les scribes de Jérusalem qui, eux, savent. Or, trop souvent, l'Église a pour eux le visage des scribes de Jérusalem.
Trop occupés des vérités à transmettre, nous sommes peu sensibles à l'attente de ceux qui ne nous demandent pas encore ce qu'il faut croire, mais ce que c'est que croire. Nous partons d'une tradition à transmettre, alors qu'il faudrait accompagner une naissance. Mais qui d'entre nous est assez libre dans sa foi pour oser la nouveauté, dans une fidélité créatrice au don qu'il a reçu ? » [1]

L'enjeu premier d'une rencontre, c'est de défaire sa ceinture, de poser son sac et de dire : «  voilà, je ne sais encore rien, je ne sais rien de vous. Vous cherchez à être plus aimant dans votre vie de parents, de couple(*), parlons-en, essayons de creuser ensemble ce qui nous semble important. Nous pouvons ensemble chercher un chemin. Nous avons peu de provisions de route, si vous le voulez, nous les partagerons avec vous. Mais nous ne détenons pas la vérité. Essayons de reconnaître ce qui est important pour chacun au-delà de nos différences, essayons de partager nos quêtes intérieures et laissons Celui qui nous habite, au Nom de qui nous sommes réunis, transformer notre pain de froment en pain de vie, notre sueur en vin de noces », en espérant intérieurement que Dieu, qui est là, au cœur de ces rencontres, fera jaillir une source.
L'enjeu est un accompagnement, une marche où l'on accompagne, on explique, non dans la position du savant, mais plutôt dans celle du marcheur comme Jésus sur le chemin d'Emmaüs :
Or, ce même jour, deux d'entre eux se rendaient à un bourg, nommé Emmaüs, distant de Jérusalem de soixante stades, et ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux, mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.(...) " Et lui leur dit : " O (hommes) sans intelligence et lents de cœur pour croire à tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire ? " Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. Ils approchèrent du bourg où ils se rendaient, et lui feignit de se rendre plus loin. Mais ils le contraignirent, disant : " Reste avec nous, car on est au soir et déjà le jour est sur son déclin. " Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent ; et il disparut de leur vue. Alors ils se dirent l'un à l'autre « Notre cœur n'était-il pas brûlant en nous, tandis qu'il nous parlait sur la route, et qu'il nous faisait comprendre les Écritures ? » (Év. selon saint Luc, Chapitre 24, 13-31)
Le Christ est un compagnon qui sait s'effacer ensuite, « pour laisser advenir, en ceux et celles qui le suivent, sa propre relation à son Père »[2].
Pour C. Théobald « ceux qui ont commencé par le suivre avec leurs pieds doivent comprendre où il demeure (Jn 1, 38) s'ils veulent aller au bout de leur désir pour passer ainsi à une relation symétrique de compagnonnage ou d'amitié avec lui ».[3]
C'est ce concept de compagnonnage qu'il serait bon de méditer

J'aime sur ce point l'hymne de la FICPM dont j'ai défendu les couleurs pendant des années : « Je voudrais qu'en vous voyant vivre les hommes puissent dire, voyez comme ils s'aiment »...

Tout discours est dangereux et il nous faut savoir aussi avoir l'humilité de nous taire, ce que je ne vais pas tarder à faire.

Dans son analyse publiée sous le titre Le Pèlerin et le converti[4] Danièle Hérvieu Léger propose un classement des « identifications  religieuses» selon 4 pôles. Comme toute étude sociologique, il s'agit de types et donc de caricature. Quels sont ces types ? :
a) il y a d'abord le pôle communautaire : « qui définissent les frontières du groupe religieux et permettent de distinguer «ceux qui en sont» de «ceux qui n'en sont pas[5]». Cette dimension communautaire renvoie par exemple au fait d'être baptisé, considéré comme un « marqueur » distinctif.
b) Le deuxième est le pôle éthique : qui rassemble, autour des valeurs portées par tradition religieuse, les valeurs indissociables de la portée universelle du message religieux. Elles peuvent être appropriées indépendamment du communautaire (don de soi, générosité, sans être dans un marqueur communautaire).
c) La troisième identification est la dimension culturelle : les savoirs, liés à une culture particulière, qui rapprochent ceux qui les détiennent sans qu'ils partagent pour autant les valeurs et les marqueurs (par exemple quelqu'un qui est de racine juive sans être fidèle ou croyant d'une foi...)
d) Il y a enfin la dimension émotionnelle (expérience affective des fidèles qui touche au cœur de l'identité religieuse. Le pôle émotionnel fait que l'individu ressent son adhésion personnelle à la foi...)

On ne peut pas dire que ceux qui arrivent de très loin et rentrent dans nos églises appartiennent au premier, voire au deuxième type, sauf exceptions. La question qui demeure est de savoir si le troisième ou quatrième type peut se convertir dans nos célébrations, j'en doute. Mais peut-être doit-on croire au travail de la grâce et là encore à nos capacités d'accueil...

Restons vigilants et laissons pousser le grain sans arracher l'ivraie.


[1]     Michel RONDET s.j., La Baume-les-Aix, Études Fév 97
[2] Une Nouvelle Chance pour l'Évangile, Vers une pastorale d'engendrement, publié sous la direction de P. Bacq et Christoph Théobald en 2004 chez Lumen Vitae/Novalis/Editions de l'Atelier, p.70
[3] Christoph Théobald , in La Révélation, Editions de l'Atelier, Paris 2001, p. 79   
[4]     Cf. Le pèlerin et le converti, La religion en changement, Danièle Hervieu-Léger, Flammarion, 1999, p. 71ss
[5]     Ibid. p. 72ss
(*) la pastorale du mariage en « périphérie » a été le lieu principal de ma vocation de laïc pendant 30 ans et de diacre depuis 2 ans. Ce texte reprend des extraits de mon livre « Pastorale du seuil » que je viens d'ajouter à la collection des livres téléchargeables sur Kobo et Fnac.
Sur ce, je vais faire une pause que j'expliquerai bientôt.

04 septembre 2020

Communion et fidélité -3 - P. Teilhard de Chardin

Hommage à Teilhard de Chardin.
Voici un court verbatim d'un documentaire à voir sans modération :
« Croire en l'homme
Croire au vivre ensemble
Croire que l'union différentie
Croire que l'évolution conduit au Christ
Croire que le phénomène humain a un sens
Faire un pari sur l'Église - une fidélité qui est une espérance sans limite en dépit de la souffrance de n'être pas compris...pas publié...
Un homme de mouvement
Une morale de mouvement...
Une notion de dynamique qui nous permet d'avancer, de repartir...
Un chercheur, un aventurier porteur d'espérance...
Opposer le goût de vivre à ce désespoir qui nous guette... »
Personnellement cette quête rejoint la mienne, comme je le décris dans un commentaire du billet précédent à propos de Philippiens 3 et de cette course infinie pour saisir et se laisser saisir...

L'Unité créatrice du monde - Pierre Teilhard de Chardin






 https://youtu.be/jyA0BWe1jpc

02 septembre 2020

Église et communion - 2


Au risque de faire grincer les dents de certains liturges, je m'interroge toujours sur notre cristallisation dominicale sur un rite, certes chargé d'histoire et de sens, mais qui par son caractère social, obligé et presque robotisé, a perdu le sens de ce qu'il était, un lieu de partage et de communion. Combien de gens viennent et repartent sans échange avec leurs voisins, enfermés dans une quête qui peut être mystique mais qui n'est pas fraternelle. Les masques et la peur du petit virus rendent cela encore plus criant. Sans compter les personnes âgées terrorisées par ce lieu clos qui s'enferment chez elle et perdent goût à la vie.
Redonner vie à nos rencontres, casser les automatismes, ne pas passer du miserere au gloria sans une transition qui ouvre à la grâce, faire goûter la Parole autrement qu'en renversant un sceau d'eau clérical fait de morale ou de théologie inaccessible... passer du « One man show » à la fête qui prends son temps, faire de nos rencontres des lieux à deux tables où le partage de la Parole et du Pain fait de nous des « porte-Christ » comme le suggère de vieilles catéchèses, le renouvellement de nos eucharisties est une priorité. C'est un vieux sujet depuis 1 Co 11, l'absence de partage dans nos assemblées hante l'Église depuis 2000 ans.

«Si je ne vous félicite pas en formulant cette injonction, c'est que vous vous réunissez, non pas pour le meilleur, mais pour le pire. D'abord, j'apprends que lorsque vous vous réunissez en Eglise, il y a parmi vous des divisions – et je le crois en partie. Il faut bien qu'il y ait aussi des dissensions entre vous, pour que ceux d'entre vous qui résistent à l'épreuve puissent se manifester. Donc, lorsque vous vous réunissez, ce n'est pas pour prendre part au dîner du Seigneur; car au moment de manger, chacun se hâte de prendre son propre dîner, de sorte que l'un a faim tandis que l'autre est ivre. N'avez-vous pas des maisons pour manger et boire? Ou bien méprisez-vous l'Eglise de Dieu en faisant honte à ceux qui n'ont rien? Que dois-je vous dire? Dois-je vous féliciter? Sur ce point, je ne vous félicite pas.

Ainsi, mes frères, lorsque vous vous réunissez pour le repas, attendez-vous les uns les autres.»
‭‭Première aux Corinthiens‬ ‭11:17-22, 33‬ ‭

Cette responsabilité est partagée par tous...

Écoutons ce que dit Origène comme un chemin d'espérance. « Détruisez ce Temple, et en trois jours je le relèverai. Les hommes charnels et amis des réalités sensibles me semblent désignés ici à travers les Juifs. Ceux-ci sont irrités parce que Jésus a chassé ceux qui, par leur activité, faisaient de la maison de son Père une maison de trafic, et ils lui réclament un signe. Mais par ce signe on verra que le Verbe, qu'ils refusent d'accueillir, a raison d'agir ainsi. Le Sauveur va unir en une seule parole ce qui concerne le Temple et ce qui concerne son propre corps. Lorsqu'ils lui demandent Quel signe peux-tu nous donner pour justifier ce que tu fais là, il répond : Détruisez ce Temple, et moi trois jours je le relèverai. Mais, selon une interprétation possible, le Temple et le corps de Jésus, l'un et l'autre, me semblent être la figure de l'Église. Car celle-ci est bâtie de pierres vivantes ; elle est une demeure spirituelle pour un sacerdoce saint ; elle est construite sur les fondations que sont les Apôtres et les prophètes avec, pour pierre angulaire, le Christ Jésus. Elle est donc en toute vérité qualifiée de «Temple».

Selon l'Écriture, vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. Pour ce motif, même si l'assemblage des pierres de ce Temple semble se disjoindre et se défaire ; même si, comme il est écrit au psaume 21, tous les os du Christ semblent dispersés dans la persécution et l'oppression, par les complots de ceux qui attaquent l'unité du Temple à coups de persécutions ; cependant le Temple sera relevé et le corps ressuscitera le troisième jour, après le jour de malheur qui l'a accablé et après le lendemain de celui-ci, jour de l'achèvement.

Car il y aura un troisième jour dans le ciel nouveau et sur la terre nouvelle, lorsque ses ossements, qui sont de la maison d'lsraël se relèveront, lors du grand jour du Seigneur, après sa victoire sur la mort. Par conséquent, la résurrection du Christ après les souffrances de la croix englobe le mystère de la résurrection de son corps tout entier.

De même que le corps visible de Jésus a été crucifié, enseveli, et ensuite ressuscité, de même tout le corps constitué par les fidèles du Christ a été crucifié avec le Christ et ne vit plus désormais. Chacun d'entre eux, comme saint Paul, ne se glorifie pas d'autre chose que de la croix de Jésus Christ notre Seigneur, par laquelle il est crucifié pour le monde, et le monde crucifié pour lui. Non seulement il est crucifié avec le Christ et crucifié pour le monde, mais encore il est enseveli avec le Christ. Nous avons été mis au tombeau avec lui, dit saint Paul. Et comme s'il jouissait déjà d'un avant-goût de la résurrection, il ajoute: Et avec lui nous sommes déjà ressuscités. »

(1) Origène, commentaire sur l'évangile de Jean, source office des lectures du 2/9.

Communion et liturgie

L'Esprit nous conduit et nous assemble. Cette communion est appelée à dépasser les frontières, elle s'étend à tous les hommes de bonne volonté. L'Église peut en être le phare, quand elle s'agenouille pour rejoindre l'homme et l'inviter à son ultime « danse ».
L'unité de l'Église reste cependant « toujours à faire[535] ». Si, comme l'affirme Lumen Gentium 8 : « L'Église est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain. », l'unité de l'Église complète Congar, « ne se termine pas à elle-même, elle vise l'unité du genre humain… (...) [À la suite du] Verbe, en sa kénose de serviteur souffrant (...) [ l'Église est] grâce au don de l'Esprit, le pauvre signe et l'humble médiatrice du salut acquis dans le Christ[536] ».
Si Lubac insistait à ce sujet sur l'importance de la communion eucharistique, plusieurs dizaines d'années plus tard, mon expérience pastorale me fait mettre un bémol sur cette cristallisation sur la liturgie. Non que le sens du sacrifice eucharistique doive être limité, mais parce qu'avant d'arriver à ce niveau de communion, il nous reste à privilégier autre chose. Dans un sens, l'eucharistie n'est souvent vue que selon le prisme des trois Synoptiques en oubliant que Jean a présenté une autre vision de l'eucharistie en substituant à ce récit celui du lavement des pieds. Mon insistance portera là-dessus. L'Église ne peut vivre sa liturgie pleinement que lorsqu'elle aura rétabli d'une manière au moins égalitaire les deux aspects de sa théologie de communion et laissé au lavement des pieds (je ne parle pas du rite mais de l'attitude) une place aussi importante qu'au culte. Cette ouverture du cœur, préliminaire et essentiel constituera alors le sens profond du « faites ceci en mémoire de moi ».
L'Église, comme le souligne Maurice Vidal, est née de la Passion et de la résurrection. Avant d'être la mise en pratique d'un culte et d'un repas communautaire, elle passe par un vide qui est celui de l'humilité et de la distance : « on ne passe pas de plain-pied du ministère public de Jésus à l'Église, bien « que ce soit, au départ, approximativement le même groupe. Entre les deux, il y a un vide, créé par la condamnation et la mort de Jésus, pendant lequel ni les disciples, ni même les Douze n'assurent la continuité[537] ». Ce n'est pas précise Vidal plus loin « une défection de l'amitié — ce qu'elle n'a pas été —, mais comme un fléchissement, un trébuchement[538] ». Ce temps est celui de tout homme, pécheur et loin de « ressembler au Christ ». Un temps de vide où l'humanité entière qui doute peut être néanmoins rejoint par un Christ à genou devant l'homme, qui espère en sa conversion et se donne pour sa guérison (cf Jn 13 – Lavement des Pieds) ou qui « marche à ses côtés et explique la parole avant de se retirer au moment de la fraction du Pain (Lc 21 – Pèlerins d'Emmaüs).
Ce temps est celui de l'invitation trinitaire des hommes à la danse, qui constitue et justifie l'existence de l'Église. Ignorer ce temps, qui se renouvelle pour tous dans notre adhésion libre et consciente à l'Église, conversion qui se cristallise ensuite dans notre baptême et dans les sacrements, font de la communauté rassemblée, le lieu d'une Église à construire. C'est pour moi le sens et l'insistance donnée par les deux premiers chapitres de Lumen Gentium, qui précèdent ses développements sur la « nécessaire réalité d'une Église apostolique instituée et nécessairement hiérarchisée. Ce moment et cet ordre doivent être conservés pour donner du sens à sa manifestation liturgique [539]. Car l'unité, la sainteté, la catholicité de l'Église se fondent sur cela. Elle n'est pas imposée, mais une dynamique en perpétuel renouvellement, celle d'un peuple en marche vers la « ressemblance » et en cela vers la véritable sainteté dont Dieu seul rayonne.
Au cœur de cet appel, la proximité de Dieu, dans sa triple kénose se manifeste dans une « présence à fleur de peau »… Une présence délicate qui peut comprendre un retrait. « Il y a dans la fondation de l'Église par Jésus quelque chose d'analogue à la création du monde, dont Claudel disait que Dieu la fait exister comme la mer fait apparaître le continent, en se retirant[540] ». Écoutons, là encore Vidal sur ce point : « Le Royaume est là, comme quelqu'un qui est déjà à la porte (pour l'image, cf. Mc 13, 29), de sorte qu'il n'y a plus de délai pour rester neutre, ni pour se croire digne ou indigne de cette venue. Il n'est pourtant pas encore là, puisqu'il est seulement « tout proche », et cet intervalle définit le temps de la mission, de la prédication, de la conversion. »

[535] Y. M. Congar, L'Église une sainte, catholique et apostolique, in Mysterium Salutis n° 15, Dogmatique de l'histoire du Salut, Tome IV – L'Église communauté de l'homme-Dieu, Cerf, 1970, p. 60-61 : « Principe personnel et vivant (...) qui unit les Églises en une seule (...) et est principe de la sainteté de toutes créatures »
[535] P. 62
[536] P. 63
[537] Maurice Vidal, L'Église, peuple de Dieu dans l'Histoire des hommes, Centurion 1975, p. 42
[538] Ibid. p. 53
[539] Cette « circumincession » des notes de l'Église dont parle Congar, Cf. plus haut
[540] Cité par Vidal, op. cit. p. 54 »

Je teste ici un extrait de ma conclusion de « À genoux devant l'homme ».