Le texte que nous offre la liturgie d’aujourd’hui me conduit à poursuivre.
La différence naît-elle d’une solitude et d’un désir ?
L'homme naît de fait homme de désir. Alors, dit la Genèse (Gn 2,21), Dieu l'a endormi, l'a plongé dans une torpeur, une sorte de coma. Et c'est au sein de cette torpeur que Dieu façonne un être qui lui soit semblable. En son sein même, de l'intériorité de son être, par l'action du créateur est apparue la différence homme et femme.
Qu’est-ce que la femme pour l’homme ?
Prenons le temps de contempler cela avant de s’arrêter sur le biais apporté par un scribe du 5eme ou 6eme siècle.
La femme est proche, mais différente, autre.
« Ezer » en hébreu. Un intraduisible ?
Le mot signifie plus qu’une aide, nous glisse Sylvaine Landrivon...(1) un vis à vis ?
Ce qu’il nous faut contempler c’est qu’une
une relation véritable devient possible, qu'il ne pouvait envisager avec l'animal. Alors ce cri, ce premier mot, cette parole qui sort de son gosier et jaillit... « Voici l'os de mes os, la chair de ma chair. » (Gn 2,23).
La femme est issue de la torpeur et de l'intervention divine suggère le scribe.
Elle reste surtout en même temps désir et inaccessible. D'un don de Dieu et d'un désir est né l'autre. Et de cette autre naît une relation possible, une possibilité d'extériorisation.
L'hébreu introduit de plus une distinction entre l'Adam, « le terreux insexué et issu de la glaise et « ish » et « isha », homme et femme qui résulte de cette séparation. L'insexué devient sexué quand, de sa torpeur, de l'action de Dieu et de son désir, naît un désir plus grand (2) et un autre de même nature, mais différent, blessure et manque, que la fusion ne pourra combler…
Magie du visage de l'autre, qui génère ce cri. Autre, différent de moi, qui m'appelle à la différence. Avant, il était sans autre. Maintenant, il devient homme et femme. Et son manque apparaît avec encore plus d'acuité... Le texte, dans la sagesse ancestrale d'un mythe retravaillé et médité, ne se contente pas de noter la différence et le cri, il ouvre à un au-delà. Il traduit une ouverture que la création du monde, de la nature, aussi belle qu'elle puisse être, n'a pu apporter(3). La création d'une altérité, d’un être à la fois semblable et différent, engendre ce basculement, cette faille dans le cœur de l'homme. Elle ouvre à la relation et cette relation est à l'image de la Relation divine. Elle introduit l'échange, le désir de don et de réciprocité.
On est loin d'une interprétation de dépendance, qui verrait la femme issue de l'homme. Au contraire, le texte éveille à une altérité qui ne peut être saisie, domptée, réduite sauf à retourner dans le domaine de l'animal.
L'autre engendre en moi un cri, whaouh ! dit l’hébreu. Est-ce une ouverture qui dépasse toute puissance, voire me conduit à ressentir ma faiblesse, ma finitude ? Par l'autre je ne suis plus un tout, j'entre dans le relatif. (4)»
Danielou disait que l’homme a trois failles intérieures où Dieu peut pénétrer en silence. Des trois failles (5), c’est probablement l’amour qui naît ici d’abord. Quand de sa chair ouverte jaillit dans une brume intérieure la vision d’ezer, le terreux devient homme.
Réduction que de considérer alors la femme comme une simple aide. Elle est au contraire le vis à vis qui rend plus humain l’homme.
À suivre.
(1) Sylvaine Landrivon, la femme remodelée, op.cit.
(2) P. Beauchamp, in 50 Portraits Bibliques, p. 140 et 141
(3) L'homme, ajoute Vatican II, « de sa nature profonde, est un être social, et, sans relation avec autrui, il ne peut vivre, ni épanouir ses qualités" Gaudium & Spes § 12.4, repris par L. Crépy et M.N. Fabre in La Sexualité
(4) je reprends ici mon chapitre II.2 d’Aimer pour la vie
(5) le cardinal Daniélou rappelait que l’homme se sent petit face à la naissance, l’amour ou la mort. Dans ces conditions seulement, il perçoit un autrui qui vient éveiller, en lui, le souffle d’un autrement-qu’être.”
À titre d’Illustration le duo « Prendi da questa mano » entre Philippe Jaroussy / Emoke Barath à la 7eme minute in :
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