31 juillet 2021

Danse 9


Il n’a pas échappé au lecteur attentif que mes billets 6 à 8 (saison 2), visaient à prendre de la hauteur sur la controverse actuelle lancée par le dernier motu proprio. Mes propos visaient un déplacement vers l’essentiel, sans nier l’intérêt d’une construction liturgique qui donne un sens à la célébration commune, le billet 7 appelait notamment à déplacer l’essentiel vers ce Christ qui récapitule et invite à vivre et faire « Corps » plutôt qu’à regarder le passé. En ce sens, le dernier message de François Cassingena-Trévedy vient, comme souvent, en écho à mes pattes de mouche en leur donnant une belle profondeur. 

Sobriété est le mot d’ordre.

Mais aussi, quête de l’essentiel.

A méditer sans modération, comme le bon vin qu’on garde pour la fin, au sens disruptif de Cana…


https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3625223067702173/?d=n

30 juillet 2021

Lumière et danse - 8

La suite d’Exode 33 que la liturgie découpe en tranches fines et éparses nous a permis avant hier de contempler rapidement l’effet de la Révélation sur un Moïse en quête d’absolu.

Avant qu’elle nous propulse trop vite au chapitre 40, dans une construction symbolique et hors contexte du temple idéal, elle nous fait contempler en Ex 34 le retour de la montagne, ce que Moïse a découvert de lumineux dans le « dos de Dieu ».

Cette danse particulière touche à ce que Marion appelle le « paradoxe »(1) que je traduirais plus théologiquement par tension ou aporie.


Moïse est illuminé par la rencontre au point qu’il doit porter un voile pour que sa lumière intérieure ne trouble pas le peuple. 

Souci de pédagogie divine ou préparation à l’enfermement cultuel de l’inaccessible derrière le voile du saint des saints que certaines liturgies excluantes réservent encore à une élite, alors que Dieu a pourtant déchiré ce voile en Marc 15, de haut en bas (2) ?


Ne cachons pas l’homme Dieu même si la lumière encore aperçue par Moïse et Élie au mont Thabor a révélé sa divinité, notre chemin à nous, n’est pas toujours lumineux mais souvent une nuit obscure et parfois douloureuse(3).

Le covid fait apparaître en creux le silence de Dieu, alors que la mort est pourtant exposée sur le bois de la croix depuis 2000 ans.


Le paradoxe c’est que Dieu s’est révélé non dans la lumière mais dans la nuit et que Moïse illuminé n’est peut-être qu’une figure fragile ou une idole temporaire. Il n’aura même pas accès à la terre promise.


Attention donc à nos ors et nos patènes rutilantes. Le réel est ailleurs, dans une lumière toute intérieure qui nous échappe bien vite de peur qu’elle nous aveugle ?


La lumière divine s’éteint dès qu’elle se révèle et les pèlerins d’Emmaüs en font vite les frais. Dieu s’est approché, a donné et repris aussitôt, de peur qu’en le réduisant au pain rompu on l’utilise et le réduise à ce qu’il n’est pas…


Ce qu’il reste est un tressaillement, une Révélation fugace qui nous fait courir vers nos frères… sans briser notre liberté…

Et en même temps, peut-être, au bout du chemin, un soupçon d’espérance…


Quel Dieu ! 


Dieu caché, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce fruit nouveau-né

Dans la nuit qui t'engendre à la terre ;

Tu dis seulement 

Le nom d'un enfant : 

Le lieu où tu enfouis ta semence.


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence !


Dieu livré, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce corps partagé

Dans le pain qui te porte à nos lèvres ;

Tu dis seulement : 

La coupe du sang 

Versé pour la nouvelle confiance. ℟


Dieu blessé, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que cet homme humilié

Sur le bois qui t'expose au calvaire !

Tu dis seulement : 

L'appel déchirant 

D'un Dieu qui apprendrait la souffrance. ℟


Dieu vaincu, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ces corps décharnés

Où la soif a tari la prière ;

Tu dis seulement : 

Je suis l'innocent,

A qui tous les bourreaux font violence. ℟


Dieu sans voix, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce signe levé,

Edifié sur ta pierre angulaire !

Tu dis seulement : 

Mon peuple est vivant, 

Debout, il signifie ma présence. ℟


Dieu secret, 

Tu n'as plus d'autre Parole 

Que ce livre scellé

D'où l'Agneau fait jaillir ta lumière.

Tu dis seulement 

Ces mots fulgurants : 

Je viens! J'étonnerai vos patiences ! 


℟Explique-toi par ce lieu-dit : 

Que l'Esprit parle à notre esprit 

Dans le silence ! (4)


(1) D’ailleurs la Révélation, op cit. p. 49 sq

(2) cf. mon « Rideau déchiré »

(3) voir l’excellent livre de François Marxer, Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017

(4) office des lectures

28 juillet 2021

Du cléricalisme à la danse ? - 7

Si l’on contemple la première lecture donnée hier dans son contexte complet (Exode 33),  il faut peut-être méditer sur quatre  points. 

 1. Ce texte suit l’épisode du veau d’or, un rite stérile 

 2. Il commence par une invitation à se dépouiller de nos vêtements d’apparat (Ex 33,5)

 3. Moïse ne verra pas Dieu mais son dos

 4. La rencontre de Dieu ne peut se faire qu’en abandonnant ses certitudes, quittant ses tours d’ivoire pour aller à la rencontre de Dieu sous une tente légère. Et c’est cette « tente de la rencontre » qui préfigure la direction à prendre, est un lieu ouvert à l’Esprit et non fermé sur lui même. La tente n’est pas d’ailleurs dans le camp, donc dans les murs établis, au sein même du savoir, des certitudes humaines, mais hors du camp. 

Ce mouvement est d’ailleurs souligné par l’attitude du peuple dans les déplacements de Moïse vers la tente. Il doit regarder, se prosterner, sans pouvoir participer. Il n’est donc plus au centre du récit, mais accompagne cependant, par le regard et donc la pensée, le mouvement de médiation.(1)


Cette « réduction » au sens donné par Jean-Luc Marion (2), ce « décentrement » est à la fois un appel et un risque. 


Il y a en effet un travers dans ce mouvement qu’on note déjà chez Cyrille de Jérusalem dans une vieille catéchèse : « le Seigneur ordonne dans le Lévitique : Convoque toute la communauté à l'entrée de la Tente du Témoignage. Il est à noter que le mot « convoque » (ekklèsiason) est employé ici pour la première fois dans l'Écriture, lorsque le Seigneur établit Aaron dans la charge de grand prêtre. Et dans le Deutéronome, Dieu dit à Moïse : Convoque devant moi le peuple, et qu'ils entendent mes paroles pour apprendre à me craindre. Il fait encore mention de ce nom d'Église, quand il dit au sujet des tables de la Loi : Sur elles étaient écrites toutes les paroles que le Seigneur vous a dites sur la montagne, au jour de l'Ekklèsia (de la convocation), ce qui revient à dire, plus explicitement : « Au jour où vous vous êtes réunis sur la convocation du Seigneur ». Le Psalmiste dit aussi : Je te rendrai grâce dans la grande assemblée (ekklèsia), dans un peuple nombreux je te louerai. (...)  Mais, dans la suite, le Sauveur institua, à partir des nations païennes, une seconde assemblée : notre sainte Église, celle des chrétiens, celle dont il a dit à Pierre : Et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle. (...) Lorsque la seule « Église » qui était en Judée a été rejetée, les Églises du Christ se sont multipliées par toute la terre.

(...) C'est de la même Église sainte et catholique que Paul écrit à Timothée : Tu dois savoir comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité. »(3)


Un travers possible dans la lecture de Cyrille est probablement celui de toute institution : se prendre pour le Christ qui est le seul médiateur (cf. Heb), le Corps, la seule assemblée. 

De même que le peuple juif a institutionnalisé la fonction de médiation en donnant des successeurs à Moïse, de même l’Église peut faire des successeurs de Pierre des substituts à la Personne du Christ.


La question centrale est peut-être de se poser pour comprendre que le « faites ceci en mémoire de moi », n’est pas l’institution rituelle du geste mais de ce qu’il représente : le don total du corps sur une croix.

Jean en déplaçant en Jean 6 le rituel vient mettre une faille dans le parallélisme synoptique. Il décrit aussi un Christ qui enlève ses vêtements (Jn 13,1), mais surtout substitue le lavement des pieds à l’eucharistie pour déplacer le risque institutionnel (4)…


En méditant cela, nous déplaçons le sacré ailleurs que dans le rite pour le placer dans l’imitation du don christique par excellence dont la Croix est le signe ultime, indépassable et non reproductible car il n’y a qu’un seul sacrifice, l’unique, celui du Christ qui ne souhaite pas être dépassé mais qui indique la direction vectorielle de l’amour. 


En disant cela je ne nie pas le sommet eucharistique mais je tente d’en dépasser la cristallisation rituelle vers autre chose que le célébrant, vers un ailleurs qui n’est pas dans le rite, la manière ou la personne, mais dans l’essentiel, la direction, la visée : la présence réelle n’est pas contenue dans le pain et le vin, elle devient chemin commun, assemblée, corps, insaisissable, fragile, extase éphémère, danse, buisson ardent, que nous ne pouvons contenir, conserver, enfermer, car déjà Il nous échappe alors même qu’Il danse avec nous… (5).


(1) cf. Dieu dépouillé 

(2) Ailleurs la révélation 

(3) cf. Saint Cyrille de Jérusalem, catéchèse pré-baptismale, Office des lectures d’aujourd’hui 

(4) voir mon « A genoux devant l’homme » en téléchargement gratuit à la Fnac

(5) Dans un certain monastère on ne conserve pas d’hostie, car le Christ n’est pas enfermable…comme le dit si bien Teilhard dans son « Custode », il nous échappe si l’on veut le retenir…

20 juillet 2021

Contredanse ? -6 - Marion


La Révélation n’est pas évidence mais éternelle déplacement. Loin de nos prêches parfois surfaits, de nos morales étriquées, de nos rites enfermants, l’incompréhensible creuse en nous un vent venu d’ailleurs.

Des témoignages multiples et contradictoires du premier Testament à la discordance apparente des évangiles (1)

la méditation de l’Ecriture laisse place, selon Jean Luc Marion  à « une profondeur, qui creuse le décalage des témoignages, maintient l’écart et permet surtout de préserver l’ailleurs d’où provient la signification des signes »(2).

Cette diversité est, ajoute-t-il le lieu de résistance qu’il décline en plusieurs contre-danses :

1. Entre les sachants et la Révélation venue d’ailleurs 

2. Entre la Révélation et le doute du témoin 

3. Entre les témoins entre eux qui partagent et se divisent en même temps « qu’ils s’imaginent en concurrence »

Avec le motu proprio se réveille des divergences qu’il nous faudrait idéalement réduire dans la contemplation de l’unique rêve de Dieu pour l’homme.

Quand on met vraiment le Christ au centre le reste n’est il pas superflu, lutte de pouvoir et d’égo…


(1) Pascal, Pensées L318.

(2) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020, p. 45

D’ailleurs la Révélation - 5 - Jean Luc Marion

Il fallait oser passer d’un geste sportif à la geste érotique pour aider à percevoir que dans la rencontre inouïe d’une symphonie érotique se distingue soudain l’ailleurs, l’incontrôlable, l’inoubliable, le non reproductible et en même temps la Révélation(1).

Après l’idole et la distance(2), le phénomène érotique(3) ou sa philosophie du don, Jean Luc Marion me surprend toujours…

Sa manière d’aborder la théologie n’est pas en contradiction avec ce que je vient d’évoquer dans mes trois premières contemplations de l’Amphore et le Fleuve(4). On reconnaît sa proximité avec Hans Urs von Balthasar (5) qui m’a également et différemment inspiré.

Je ne fait que commencer la lecture. Au delà d’un vocabulaire pas très accessible il y a là des pistes à creuser pour aborder autrement la théologie. 

L’enjeu ici est de s’exposer « grâce au « non-savoir pourtant certain du témoin qui accepte de comprendre d’ailleurs » (6)

La quête intérieure n’est pas de tout repos. C’est en butant sur ses propres contradictions et ses impasses que « l’invu » se laisse trouver, quand on ne l’attend pas.

À suivre dans l’axe de mes précédents billets.


(1) Jean Luc Marion, D’ailleurs, la Révélation, Grasset 2020

(2 et 3) du même auteur

(4) voir mon livre éponyme 

(5) cf. Retire tes sandales

(6) Marion, D’ailleurs, la Révélation ibid. p. 43

15 juillet 2021

La danse du feu - 4

Dans le récit du buisson ardent que nous donne à manduquer la liturgie d’aujourd’hui se trouve une représentation symbolique de la nature paradoxale de l’expérience théophanique qui n’est pas sans écho avec le cycle d’Elie. 

Elle combine des forces hostiles – la flamme et le buisson – dans une relation apparemment symbiotique dans laquelle les deux sont maintenus en vie. 

Dieu réveille en nous le feu de désir et en même temps nous laisse intact, respecte notre personne. Et ce paradoxe souligne pour moi, à la fois la puissance et la tendresse de Dieu. 


Benoît XVI fait déjà, à ce sujet un parallèle éclairant entre le buisson-ardent et la Croix. Est-ce à mettre en lien avec ce qu’il évoquait sur la « fission nucléaire » du cœur au JMJ de Cologne, c’est-à-dire ce déchirement intérieur, soudain et violent qui brûle en nous et fait exploser ce qui nous retient de l’amour ?

La contemplation du buisson ardent porte une symbolique puissante de la réalité de Dieu, même si elle n’est qu’un aperçu imparfait d’une réalité indicible.

Quelque que soit notre vision unique et personnelle de la rencontre, quelque soit la forme prise par le buisson et la flamme, nous devons accueillir ici l’inouï d’un Dieu qui vient à nous.


Le nom de Dieu


On doit souligner les difficultés de traduction du verset 14 : « Je suis celui qui suis ». “Pour Maître Eckhart, « la répétition qu’il y a dans : « Je suis celui qui suis » indique la pureté de l’affirmation, toute négation étant exclue de Dieu lui-même (...) un certain bouillonnement ou parturition de soi, s’échauffant en soi et se liquéfiant et bouillonnant par soi-même, lumière de la lumière et vers la lumière (...).

C’est pourquoi il est dit en Jn 1 : « En lui était la vie », car la vie signifie un certain jaillissement par lequel une chose, s’enflant intérieurement par soi-même, se répand en elle-même totalement, toutes ses parties en toutes ses parties, avant de se déverser et déborder à l’extérieur  ». 


Pour T. Römer on devrait plutôt traduire l’hébreu  « ehyèh asher ehyèh », comme le fait la Tob1 : « je serai qui je serai » puisque c’est un verbe « à l’inaccompli ». De plus, souligne C. Wiener, le verbe être n’est pas employé en hébreu sauf pour insister sur une présence particulière, signifiante. Le « Je serai » introduit une révélation à venir. Dans cette révélation du nom, que l’on peut mettre en parallèle à celle faite à Abraham sur le mont Moriyâh, Moïse apprend le nom de Yhwh.

Entre la vision d’Eckhart et ce que nous dit Römer se construit une tension. Le bouillonnement de l’être qui se révèle et ce mystère qui demeure est propre au caché/dévoilé de Dieu.

D’ailleurs, comme le rappelle Benoît XVI, cette affirmation de Dieu au buisson-ardent a donné en Jésus une affirmation plus courte et plus ferme : « Je suis » (ani hu = ego eimi). C’est dans cette direction que nous retrouvons probablement notre fil rouge. En Exode 3 se confirme, entre les lignes, la lente tendresse d’un Dieu qui se dévoile à peine, mais prépare la révélation du Christ. 


Enfin, selon Grégoire de Nysse : « c’est celui dont jadis Moïse s’est approché, dont aujourd’hui s’approche tout homme qui comme lui se dépouille de son enveloppe terrestre et se tourne vers la lumière qui vient du Buisson, vers le rayon issu du buisson d’épines, figure de la chair qui a brillé pour nous et qui est, nous dit l’Évangile, la vraie lumière et la vraie vérité ». L’enjeu de cette quête n’est pas dans l’affirmation d’un être palpable, quantifiable, définissable, mais l’humble révélation d’un Dieu à venir dont la Croix sera la gloire fugace et fragile. Dans sa quête, Moïse approche du mystère…(1)


Que dire 3000 ans plus tard ?


La danse du feu fragile prépare le don du feu, nous invite à l’agenouillement tout en nous préparant à l’agenouillement de Dieu devant l’homme(2), double pédagogie que souligne Joseph Moingt à sa manière. 


L’esprit qui descends en langue de feu n’est pas forcément la puissance en actes d’un Dieu qui brise notre volonté et le force à agir. Il est inhabitation silencieuse, danse intérieure et chant de Dieu…


(1) extrait de Pédagogie divine 

(2) cf. mon livre éponyme

14 juillet 2021

La danse de la brise

 La danse de la brise - 3

Qui est Dieu ? 

Comment se dévoile t-il progressivement à l’homme avant la déchirure du voile de Marc 15, 38  ? 

Il y aurait beaucoup à dire sur le chapitre 19 du premier livre des Rois et les commentaires ne manquent pas. Je ne peux évoquer le cycle dElie (cf. mes deux posts précédents) sans relever deux grandes découvertes dans la manducation de ce texte, central à bien des égards dans la pédagogie divine.

On vient ici de loin après les interrogations levées par Gn 2 à 4, 22sq, voire les théophanies progressives du livre de l’Exode (notamment 19 et 33-34).


Après l’erreur d’Elie qui massacre les prêtres et sa fuite (40 jours au désert) jusqu’à une presqu’agonie où le malak ( l’ange de toutes les théophanies de l’AT) le soutient, voici le prophète à bout. Et c’est là que Dieu choisit de faire signe, non dans le tonnerre mais dans ce que certains traduisent par « le bruit d’un fin silence ».


Le centre de la théophanie est encadré par une répétition longue, un peu surprenante pour certains commentateurs, plus classique pour d’autres. On pourrait éventuellement considérer qu’il s’agit d’une structure littéraire qu’on appelle concentrique (ou chiasme de type ABCBA) autour d’un C central constituant LA  révélation avec une répétition presque exacte de l’échange d’un long dialogue entre la « voix de Yhwh » et Élie. Relisons la traduction littérale de l’hébreu : 


A « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre » aux versets 9 et 10 

  B- Sors et tu te tiendras dans la montagne (v11) (…)

     C  Après le feu une voix de silence ténu

  B’ -  il sortit et il se tint à l’entrée (v 13)

A’ « Quoi ? pour toi ici Élie. Et il dit :

aimer passionnément j’ai aimé passionnément

YHWH (…) et je suis resté moi moi seul et ils ont

cherché mon être pour le prendre ». (v13 et

14)


L’enjeu du texte se concentre dans les modes de révélation de Dieu et cette « métaphore vive » qui décrit une expérience par analogie (Dieu est comparé à une brise), tout en maintenant une tension. L’indicible est ici au « service » du lecteur, le conduisant progressivement à un décentrement de sa propre vision de Dieu. On est là au cœur même du projet de révélation de Dieu au monde, qui ne raye pas d’un trait toutes les impressions et révélations antérieures, mais vient corriger par petites touches et avec tendresse, ce que l’homme perçoit de l’imperceptible.


1 - La question difficile posée par la répétition des v.9-10 au v.13-14


La question « Quoi pour toi ici Élie ? »

interpelle. Est-ce Dieu qui veut la présence d’Élie

ou Élie qui cherche Dieu ? 


Il me semble qu’il ne faut pas répondre trop vite, mais plutôt maintenir cette tension. Il y a, rappelons-le, l’état dépressif du prophète qui le pousse dans sa quête, mais également, très vite, l’accompagnement du messager. On peut dire que le désir de Dieu est au cœur d’Élie, mais qu’il est aussi, d’une certaine manière, conduit et accompagné au désert… La main de Dieu reste sur lui, pourrait-on dire, en écho au chapitre 18.

On peut y voir à l’inverse une certaine forme d’ironie, qui semble remettre en cause sa raison d’être et la réalité de sa mission de prophète. Pour rebondir sur l’interrogation soulevée par A. Wénin sur l’auto-proclamation d’Élie en « superbaal », (cf. mon billet 2) on peut se demander si Dieu ne joue pas sur une mise en distance entre les prétentions prophétiques de l’homme et la réalité même de Dieu. Cette thèse pourrait expliquer que la mission principale qui lui sera confiée à la fin du chapitre soit celle d’oindre un successeur.

Certains commentateurs notent même que la répétition des versets 13 et 14 semblerait dire qu’Élie n’est pas affecté par la révélation. Qu’il passe à côté de l’essentiel.

Il reste insensible à ce qu’il voit. Cela renforcerait

l’idée qu’il n’est pas digne de sa tâche. Mais cela contraste avec les égards qui lui sont donnés au chapitresuivant (enlèvement, transfiguration). Il semble donc difficile de se prononcer dans un sens ou dans l’autre. (…) l’apparition divine n’est pas de son ressort, mais tient-elle uniquement de la liberté de Dieu… ?


C’est une question qu’il faudrait aussi poser à propos du

chapitre précédent, mais plus généralement dès que nous avons le sentiment de maîtriser Dieu.

N’est-ce pas en effet LA question que nous avons soulevée tout au long de ce parcours. L’homme a-t-il une influence sur Dieu, ou Dieu choisit-il d’apparaître  que lorsqu’on consent à accueillir humblement sa venue, ou comme le suggère Marion dans son dernier livre vient il inattendu d’ailleurs ? 

« Retire tes sandales » nous semble dire à nouveau ce

texte ? (1)


2- quelle révélation ? 


Ce qui ressort de mon long travail sur ce point (2) est que nous n’aurions pas là une seule « définition de

Dieu », mais comme souvent dans l’Ancien Testament,

plusieurs concepts en concurrence. Et nous restons bien dans cette tension, même si le texte introduit une faille que beaucoup ont exploitée, non sans raison, à la lumière du Nouveau Testament pour décrire la tendresse de Dieu.


On peut citer quelques points communs fréquents dans ce type de rencontre à toutes les révélations divines : un lieu à part, une rencontre privée, une mission donnée, une reconnaissance, qui marquent un style littéraire propre à toutes les théophanies de l’AT.


À chaque situation où la violence semble la solution, l’humilité du chercheur y trouve une autre voix, fragile, ténue, celle où Dieu se révèle entre les lignes.

Et c’est ici probablement que l’on peut considérer un sommet dans ce mouvement de dévoilement.


Il n’est pas anodin de souligner que les quarante

jours au désert font écho aux quarante ans de l’exode, mais aussi à la tentation du Christ. 


L’agonie du prophète peut aussi servir de toile de fond à la tentation du Christ au désert et à son agonie sur le Mont des Oliviers, comme le souligne C. H.Roquet


Ce qui ce joue ici, reste une nuit obscure, une insoutenable agonie du juste, qui doit faire le deuil de son orgueil ultime pour être disponible à la vraie rencontre.(...) 


Il serait vain de traduire ce que trois mille ans d’interprétation ont pu produire sur un texte aussi travaillé que celui-ci.


Notons cependant quelques interprétations qui paraissent originales. Parmi celles-ci, on peut noter celle de Grégoire le Grand qui préfigure, il me semble, ce qui pourra être repris par une théologie rahnérienne sur l’inhabitation de Dieu en l’homme.

 « L’homme dit Grégoire le Grand, n’est plus tout entier à l’intérieur de sa caverne, parce que le souci de la chair

ne l’importe plus, et il se tient à la porte, parce

qu’il médite de sortir hors des étroites limites

de la condition mortelle… Tendre l’oreille et se voiler

le visage, c’est écouter par l’esprit la voix de

l’Être au-dedans, et en même temps détourner

les yeux du cœur de toute forme corporelle, de peur d’imaginer quoi ce soit de matériel dans cet Être qui est partout tout entier et sans limites ».

On pourrait aussi citer Irénée ou Augustin (2) assez classiques dans leurs interprétations bien résumées chez François de Sales  « Dieu n'est ni au vent fort, ni en l'agitation, ni en ces feux, mais en cette douce et tranquille portée d'un vent presque imperceptible ».


Il nous faut, cependant, garder dans ce contexte une grande prudence sur ce qui est révélé de Dieu, même si le contraste avec les premières théophanies est saisissant. Beauchamp insiste à sa manière sur ce point en soulignant que la conversion vient de Dieu et non pas de nous. « Cela n’a pas pour but de nous faire admirer l’homme, mais de nous faire admirer l’action que Dieu exerce en transformant l’homme. Il faut donc que rien de l’homme ne soit caché. Le but est de montrer que nous sommes imparfaits ».

Car ce n’est qu’en percevant nos imperfections répétées que nous prenons conscience que les « publicains et les prostituées nous précèdent dans le royaume » (Mat. 21, 28-32), que Dieu se révèle aux simples et que notre propre conversion ne peut que se faire dans l’humilité.


C’est peut-être en effet dans la transformation du cœur d’Élie que se révèle le mystère, avec, comme par effet boomerang, ce qu’il conduit à révéler en nous. Car le piège, ajoute Beauchamp, serait de nous considérer comme supérieurs aux juifs, exempts de cette violence et proche du vrai Dieu. Notre chemin reste à parfaire et c’est en cela que le texte nous interpelle. 


Ce qui m’a le plus frappé dans ma recherche c’est qu’au lieu de réduire « la voix d’un fin silence » à une simple révélation d’un Dieu du silence s’ajoute plusieurs facettes et interprétations - j’en compte une dizaine (2) - jusqu’à celle qui suggère que ce qu’entend Élie est finalement une simple prière ou le chant des anges, ce qui renforce ce sentiment de petitesse.

Cette dernière montrerait ainsi que Dieu n’est pas plus présent qu’en Exode 34 où Dieu ne révèle que son dos…

Se pourrait-il qu’Élie découvre au bout de sa quête qu’il y a, au-devant de lui, plus près encore de lui, une assemblée de priants qui se tient là. Il se croyait seul, et il oublie « le reste » des hommes évoqués à la fin du chapitre.


Il n’est pas le seul ! 


À l’ultime tentation de se croire unique dépositaire de la vérité se heurte la prise de conscience qu’on ne peut rien sans Dieu et les autres.


Cela ne peut que renforcer notre propre petitesse, dans cette quête.

Nous ne trouverons pas Dieu tout seuls, mais c’est dans la communauté des priants qu’il se révélerait…

Cette vision fait écho à celle de Qumrân et de la liturgie des anges, clairement identifiée à ce texte du livre des Rois.

On pourrait conforter alors la thèse de ceux qui affirment qu’Élie n’a en fait rien vu de la réalité de Dieu, que la vision de Dieu lui a été refusée en partie.

Cessons alors d’affirmer que l’on sait mieux que les autres qui est Dieu et laissons Le continuer à nous déranger 😉 


(1) cf. mon livre éponyme 

(2) voir Pédagogie divine en téléchargement libre sur le site de la Fnac pour le développement complet de cette analyse qui n’est ici que résumée.


À suivre  - quelques notes en regard sur le dernier livre de Marion qui interpelle à sa manière cette révélation venue d’ailleurs

 Prophète en son pays ? - vocation et danse 2

L’office des lectures nous conduit depuis hier dans la manducation du cycle d’Elie. Après la belle espérance de la veuve de Sarepta, nous méditons aujourd’hui le défi lancé par Élie aux prêtres de Baal. Souvent la lecture s’arrête avant la fin du chapitre nous épargnant le massacre des prêtres par un Elie vainqueur, qui n’est pas simple à commenter sauf à prendre du recul et contempler l’ensemble du cycle. 


La figure même du prophète est délicate. Les chapitres 17 et 18 du premier livre des Rois préparent sa lente conversion, même si la fin du chapitre 18 montre qu’il reste empreint d’un désir de puissance.

Déjà, des similitudes apparaissent néanmoins avec ce que nous avons vu à propos de Moïse (cf. notamment Ex. 2). Le chapitre 19 semble nous plonger plus encore dans la question de la légitimité du prophète.

Comme le souligne d’ailleurs A. Wénin, la toute-puissance du prophète s’est exprimée par ses seules forces et l’on peut se demander à juste titre dans cette

introduction si Dieu est bien présent : « Selon le narrateur, Élie n’a pas reçu mission du Seigneur pour lancer son défi et provoquer la sécheresse.

Pas plus d’ailleurs que le Seigneur ne lui dira de convoquer les 450 prophètes de Baal (1 R 18 17-46).

Au contraire, le Seigneur lui avait seulement dit, la 3ème année de la sécheresse, d’annoncer à Akhab que la pluie allait revenir. Élie continue de professer un « super Baal », logique de puissance et de concurrence qui n’engendre que la mort (1R19, 1-5) (1)

Mais s’arrêter là serait oublier la suite du récit qui raconte la fuite de « Superman » au désert. 

L’enjeu du récit est finalement le basculement, la transformation d’Élie, qui après son excès de zèle devient plus passif, jusqu’à la limite de l’agonie et du découragement, (début du chapitre 19) jusqu’à son interpellation double « que fais tu Élie ?  » qui rime avec l’où es-tu ? de Gn3 et va encadrer sous forme de chiasme (2) la révélation de la brise légère lieu délicat transformation du prêtre autonome en un « agissant » POUR Dieu,  capable d’accomplir des gestes pour Yhwh : appeler, oindre, justifier… Il y a-t-il là, comme dans nos autres récits un véritable chemin d’humilité,

un peu forcé, d’Élie, source d’une descente de tours, d’une conversion intérieure qui rend la rencontre possible ? 

Il faut prendre le temps de manduquer doucement ce texte pour comprendre que nos désirs de puissance, nos fantasmes de Dieu porteur du feu et du tonnerre doivent s’effacer devant cet « invu » qu’évoque Jean Luc Marion dans son dernier livre(3)

Le bruit d’un fin silence est le mystère qui prépare le déchirement ultime du voile et révèle que Dieu est amour.(4)


PS: Toute ressemblance avec une certaine forme de cléricalisme actuel est fortuite 😉 


(1) André Wénish, l’homme biblique, p.163

(2) un chiasme est une structure littéraire qui encadre par une répétition un point essentiel 

(3) D’ailleurs la révélation 

(4) cf. aussi François Varonne Ce Dieu censé aimer la souffrance et ma « Pédagogie divine »…

11 juillet 2021

Prédestination et danse

La deuxième lecture de ce dimanche m’a toujours interpellé. 

Qu’est ce que vise l’auteur de cette lettre, 

probablement un disciple de Paul ? 

Que veut dire ce mot « prédestiné » qui écorche ma lecture par le sens détourné du mot français ? 


Comme le souligne MN Thabut « Paul y déploie la grande fresque du projet de Dieu, et il nous invite à nous associer à sa contemplation émerveillée. Ce projet que nous avons pris l’habitude (avec la traduction oecuménique TOB) d’appeler « le dessein bienveillant de Dieu » est de rassembler l’humanité au point de ne faire qu’un seul Homme en Jésus-Christ, à la tête de la création tout entière : « récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. »(1) 


Prenons le temps d’entendre ce que nous dit Paul, son insistance sur le mot « par le Christ », sur cette notion de « récapitulation » qui donne en Christ la clôture d’une pédagogie divine(2), voire d’un agenouillement (3). 


      « Il nous a choisis, 

DANS le Christ,

       avant la fondation du monde,

POUR  que nous soyons saints, immaculés 

DEVANT lui, 

DANS l’amour.

       Il nous a prédestinés

       à ÊTRE, 

POUR lui, des fils adoptifs

PAR Jésus, le Christ.

        Ainsi l’a voulu sa bonté,

        à la louange de gloire de sa grâce,

        la grâce qu’il nous donne

DANS le Fils bien-aimé.

EN lui, 

PAR son sang,

        nous avons la rédemption,

        le pardon de nos fautes.

        C’est la richesse de la grâce

        que Dieu a fait déborder 

JUSQU’A nous

EN toute sagesse et intelligence. 

        Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté,

        selon que sa bonté l’avait prévu 

DANS le Christ :

POUR mener les temps à leur plénitude,

         récapituler toutes choses 

DANS le Christ,

         celles du ciel et celles de la terre.

EN lui, nous sommes devenus

          le domaine particulier 

DE Dieu,

          nous y avons été prédestinés 

          selon le projet de celui qui réalise 

          tout ce qu’il a décidé :

          il a voulu  que nous vivions 

          à la louange de sa gloire,

          nous qui avons d’avance espéré 

DANS le Christ. »


(Eph 1)


J’ai souligné certains conjonctions qu’il faut déguster doucement, en soulignant cet « en Christo » qui rappelle les longs développements d’Hans Urs von Balthasar dans sa dramatique divine.


En Christ, par Lui, dans son amour…

Pour nous.

Dans… pour…


« Providentiellement, la liturgie de ce dimanche nous fait chanter le psaume 84/85 qui est une variation sur le même thème ; et c’est peut-être bien le meilleur écho à la méditation de Paul » (4) 

« J’écoute : que dira le SEIGNEUR Dieu ? 

Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple. 

Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre. 

Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; 

la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. 

Le SEIGNEUR donnera ses bienfaits, 

et notre terre donnera son fruit. 

La justice marchera devant lui, 

et ses pas traceront le chemin. »


« Première bonne nouvelle, Dieu a un projet sur nous et sur l’ensemble de la création ; l’histoire humaine a donc un sens, ce qui veut dire à la fois direction et signification ; pour les croyants, les années ne se succèdent pas toutes pareilles, notre histoire avance vers son accomplissement : nous allons, comme dit Paul, vers « la plénitude des temps ». Ce projet, nous ne l’aurions pas deviné tout seuls, c’est un « mystère » pour nous, car il nous dépasse infiniment, alors Dieu nous le révèle.(5)


Cette notion de prédestination dans Ephesiens est intéressante à contempler, non comme nous l’entendons en une voie rectiligne qui nous enlèverait toute liberté mais comme le « rêve de Dieu » (6) pour l’homme, ce pourquoi il est prêt à tout donner à commencer par son Fils.


En contemplant le don de Dieu, nous percevons ce rêve - celle d’un Dieu qui a sorti sa flûte et aimerait nous voir danser….


Et nous pouvons entendre, comme une musique de fond, ténue et fragile, cet « où es-tu ? » de Dieu qui résonne depuis l’appel de Dieu au jardin de Gn 3 (7)


Alors que l’office des lectures nous fait entrer dans le cycle d’Elie et avant de goûter et sentir la brise légère du chapitre 19 de Rois, goûtons à l’espérance d’un Dieu qui aime et nous invite à aimer…


Être prédestiné, n’est pas être forcé mais bien invité. Je m’énerve parfois sur cette prière trop insistante : « donne nous des saints prêtres ». Ce dont nous avons besoin est plus vaste : Seigneur, donne nous des marcheurs, qui portent la nouvelle de ton amour, avec une seule paire de sandale et dansent ainsi avec leur Dieu. 


(1) Marie Noëlle Thabut, https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/517019-commentaires-du-dimanche-11-juillet/

(2 et 3) voir sur Fnac mes livres éponymes 

(4 et 5) Marie Noëlle Thabut, ibid

(6) expression chère à François, cf. notamment un temps pour changer 

(6) cf mon post https://www.facebook.com/100003508573620/posts/3884736641653250/

07 juillet 2021

Danse ou lutte de Jacob ?

Le texte d’hier est une belle source de méditation.  Selon Paul Beauchamp les deux rencontres, celles de Dieu et celle d’Esaü, sont liées. Jacob lutte pour franchir le torrent, mais cette lutte symbolique face « aux forces qui dépassent l'homme » reste énigmatique et pleine de sens. Car la force de l'adversaire est sans limites. 


Qui était l'adversaire ? écrit Beauchamp, homme ou Dieu‍ ? Le Targum considère que c’est un ange : « Laisse-moi aller, dit-il, car le moment est arrivé pour les anges d’aller célébrer ; et c’est moi le chef de ceux qui célèbrent »

Quelle que soit la nature de cet opposant, Beauchamp considère que l’on peut inférer de sa réponse, que tout ce qui s'était joué jusqu'ici avec les hommes, audace ou ruse, se jouait ici avec Dieu. 


Comme le souligne F. Garcia, l’homme/ange sans nom symbolise chacun des personnages contre qui Jacob a lutté (Esaü, Isaac, Laban). Celui qui apparaît comme un homme au début du récit se révèle en finale être « Dieu ».


Et cela préfigure le destin d’Israël, mais aussi de tout homme. 

(…)


Est-ce à dire que, dans une démarche de pardon, il nous faut franchir le pas de la lutte intérieure contre notre désir ?

Trouver dans l’isolement le temps d’un décentrement véritable. Le franchissement est une étape. Beaucoup de textes présentent le franchissement d’un fleuve (Jos 3,…) ou de la mer (Ex 14) comme un rite initiatique. À nous de repérer puis de traverser cet obstacle. Les chrétiens ont donné plus de sens à ce type de franchissement, à la suite de la plongée du Christ dans le Jourdain, en instituant le sacrement du baptême. Un baptême qui nous fait traverser la mort pour naître d’une vie nouvelle. Un franchissement que nous sommes appelés à renouveler, à actualiser, face aux reculs de la vie.


Mais la cristallisation chrétienne sur un sacrement ne doit pas occulter les autres obstacles qui nous empêchent d’aimer, nos adhérences.

La lutte de Jacob prend alors une “ne doit pas occulter les autres obstacles qui nous empêchent d’aimer, nos adhérences.

La lutte de Jacob prend alors un sens plus vaste. Elle symbolise nos combats entre ce qui mène à la vie et ce qui mène à la mort. Ce combat se rejoue à chacune de nos rencontres, dans notre capacité à croiser un frère, à dépasser nos désirs de victoire et de pouvoir sur l’autre. Le passage du fleuve signe la mort de notre désir tout puissant et l’ouverture d’un dialogue. Et la blessure reçue n’est pas qu’une marque qui fait souffrir, elle peut être aussi lieu de progression et de

discernement. Dans ce combat, le pardon donné au frère prend une place privilégiée. Alors le fruit de ces rencontres surmontées peut être chemin vers la rencontre de Dieu.


A méditer

06 juillet 2021

Silence et danse

 

Certains ont fuit la maison de Dieu faute d’y trouver un accueil à la hauteur de leur espérance.

D’autres mettent sous le boisseau leur bouillonnements intérieurs et se réfugient 

dans le silence.

Certes le désert est lieu intime de conversion et de purification (1) et cependant vient un temps où il faut parler, crier, pour faire entendre sa voix.

La lettre d’estive (2) de François Cassingena-Trévedy mérite à ce titre un écho substantiel tant il touche à l’essentiel. Nous avons besoin de voix qui portent, qui touchent « à la jointure de l’âme », réveillent nos torpeurs et se répètent à l’envie jusqu’à ce qu’une communauté d’orants se lèvent ensemble, loin des clivages anciens pour transformer l’Église en une force neuve. Des chrétiens qui inventent, sans rétroviseurs, un nouveau vivre ensemble et revêtent le Christ, non pas en for externe, en noir ou en blanc, mais dans la transcendance revisitée d’âmes qui vibrent et dansent avec leur Dieu…

Lumières fragiles qui reflètent en mille feux des lueurs discrètes d’un feu qui vient d’ailleurs.


(1) cf. mon chemin du désert 


https://www.facebook.com/100006435460424/posts/3604442796446867/?d=n

27 juin 2021

Mourir ou Danser

 Mourir ou danser ?  - Essai de méditation sur les textes de dimanche, version 5 😉

Quel est le contexte de l’Evangile ? 

Jésus regagna en barque l’autre rive

L’autre rive…

Est-elle inaccessible cette autre rive…? 

Rappelons nous ce « passons sur l’autre rive » de la semaine précédente ou cet « avance au large » qui lui fait écho… 

Quitter nos certitudes…

Quitter nos peurs…

Contempler la lumière…


Regardons d’abord le contexte..

Jésus est au bord de la mer.

La mer pour les juifs c’est la mort…

Marc nous parle de mort 

Marc va nous parler d’espérance…

Peut-être faut-il voir là ce qu’on appelle une « tension théologique » au lieu de se figer dans la critique perpétuelle…?

Nous sommes empêtrés dans ce qui conduit à la mort. Peut-être nous faut il entendre l’appel au milieu de la tempête ?


Face à cela deux attitudes, celle de Jaire qui renonce à toute sa puissance de chef et tombe à genoux(1), et cette femme perdue qui rêve de guérison mais n’a pas la force de demander, deux extrêmes et une autre tension qui interpelle notre propre façon de croire… et notre façon de prier…

Osons nous demander ?

(Sachant que les dons de Dieu dépassent notre requête comme le souligne Paul)..


Quel est l’enjeu ? 


Que nous disent finalement les textes de ce dimanche ? 

En écho à dimanche dernier ?


« Dieu n’a pas fait la mort… » (Sg 1, 13)

« Dieu est fort comme la mort » dira le cantique

« Dieu est plus fort que la mort » nous dit le Ressuscité…

Contemplons cette progression..


Sommes-nous déjà capables d’affirmer que « Dieu n’a pas fait la mort… » comme le fait le livre de la Sagesse ?

Est-ce pour nous une certitude ? 

Un point central de notre foi ?


En ce 13eme dimanche, c’est peut-être ce que nous sommes invités à contempler dans nos vies…

Certes le mal nous envahit…

Le mal de peine comme le mal causé…(2)

Certes nous avons perdu, autour de nous, des êtres chers et ce sont pour nous autant d’épines dans notre foi et dans notre confiance en Dieu…

Mais Dieu n’a pas fait la mort…ni voulu le mal…

La mort n’est ni punition ni désir d’un Dieu sadique…

Elle est…

Et Dieu ne la désire pas…

Et il souffre comme nous…

Il se contente de pleurer à nos côtés 

D’aimer la vie

De guérir nos blessures 

De purifier nos cœurs comme le lépreux croisé vendredi.

D’arrêter en nous ces flots de sang et de larmes

De mettre en nous l’espérance 


Osons lui demander la vie !

Osons tomber à genoux comme il se met à genoux devant nous !

Car seul Dieu peut nous relever de toute désespérance…


Talitha Koum

Lève toi…

Dieu a besoin de tes mains

Dieu a besoin de tes forces

De ton espérance 

De ta joie

De ta foi…


Laissons en nous résonner les paroles du psaume.

« Avec le soir, viennent les larmes,

mais au matin, les cris de joie.

Tu as changé mon deuil en une danse,

mes habits funèbres en parure de joie. »


Le monde est figé dans la mort

l’Église est figée dans ses turpitudes passées 

Mais entend elle la voix du Seigneur qui ne cesse de dire « où es-tu ? » depuis Gn 3….? (3)


Écoutons Jésus dire et redire :

« Avance au large

N’aie pas peur

Je t’attends sur l’autre rive… »

Viens danser 😉


Approchons nous de Lui.

Cherchons à le toucher comme cette femme…

Laissons nous toucher par lui

Saisir et être saisi

Transformé.

Car il est vie, espérance, chemin…


Crédits pour cette homélie (4) : 

Etty Hillesum pour le « Dieu a besoin de tes mains »

Isabelle Laurent pour la joie 

Patricia Leleu-bell pour l’espérance 

Marie-Odile Dervin pour sa danse 

Marie Noëlle Thabut in https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/commentaires-de-marie-noelle-thabut/516585-commentaires-du-dimanche-27-juin/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=commentaires-du-dimanche-27-juin


(1) cf. En écho « À genoux devant l’homme »

2) cf. Thomas d’Aquin et sa distinction entre mal de peine et mal de faute in STh.

(3) cf. ma deuxième contemplation 

(4) voir les échanges sur Maison d’Évangile - La Parole Partagée


PS : après avoir fêté la nativité de Jean Baptiste comment ne pas penser à cette opposition faite par Jésus entre la mort et la danse : « Pour vous, nous avons joué un air de flûte, mais vous n’avez pas dansé. Nous avons chanté un chant de funérailles, mais vous n’avez pas pleuré!”»

‭‭ Matthieu‬ ‭11:17‬

Le texte oppose-t-il la théologie de Jean Baptite et de Jésus comme le souligne certains commentaires ?

Ou va t il tout simplement un pas plus loin…

Vers l’autre rive, encore inaccessible mais qui demeure notre espérance…

24 juin 2021

Caïn et Abel - contemplation 3

 

Et si toute la difficulté venait d’un problème d’interprétation ? Car, de fait, ce n’est pas Dieu qui a dicté aux scribes, mot pour mot le texte de la Bible. Il s’en est bien gardé. Nous n’aurions plus de liberté. Comment pourrions-nous être libres, si Dieu avait écrit : « Voilà, je suis comme ceci et cela…  Vous n’avez plus qu’à croire voire à obéir…» ? 

Non, la trame de la révélation est plus subtile. Comme le rappelait Claudel dans le Soulier de Satin, Dieu écrit droit avec des lignes tortueuses…

Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’il a utilisé les méandres et les croyances humaines, pour distiller avec tendresse et patience, le chemin vers une révélation ? 

Mais sans jamais forcer le trait, ce qui nous laisse une grande latitude, mais aussi un risque… Celui de nous tromper sur la nature de Dieu. C’est le prix à payer de notre liberté.

Contemplons un instant le texte suivant. 

Gn 4… 

Caïn et Abel. Ils ne méprisent pas Dieu puisqu’ils lui font des offrandes. Mais le connaissent-ils vraiment ce Dieu qu’ils vénèrent ? 

On peut en douter.


En apparence, Dieu aurait préféré le berger au cultivateur. Mais revenons aux conditions de l’écrit.

C’est un peuple de bergers qui nous donne ce récit. 

Il pense qu’il est le peuple élu et il essaye d’interpréter pourquoi, son voisin, le cultivateur n’est pas « l’élu de Dieu »… Le texte donne à penser. Mais Dieu est-il pour autant un ingrat, un Dieu injuste ? 


Nous sommes dans un récit mythique. Il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais d’une recherche de sens, un travail d’interprétation sur l’origine de l’homme,

de la violence et la place de Dieu dans tout cela.

On note qu’il insiste sur la jalousie, cette comparaison mauvaise qui génère la violence et le meurtre. Peu importe en fait la vérité du regard initial sur Dieu. A-t-il vraiment préféré l’un à l’autre ?

C’est ce qu’a cru Caïn. Mais, au-delà des croyances humaines, de ces jalousies qui naissent de notre éternelle tendance à imiter l’autre, à le jalouser et à le juger, Dieu ne nous abandonne pas. Le plus surprenant en effet, n’est pas la première idée de Dieu, mais la révélation qui se joue après le nœud de l’histoire. Dieu ne veut pas la mort de Caïn, même s’il est « errant et fugitif ». Il met un signe sur lui « afin que quiconque le rencontre ne le tue pas ». 

Ma haine de l’étranger, du différent, la peur qu’il génère, la violence, qui naît en moi et me conduit au racisme, a une limite. Elle est dans le « tu ne tueras pas » qui résonne au-delà de ma violence. Et c’est la pointe du texte, une nouveauté

majeure au-delà de l’observation du monde. Elle fait résonner une autre affirmation qui vient qui vient éclairer ce premier texte et que l’on ne trouvera que dans Ezéchiel :« Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (Ez 18).


À la violence qui naît du mimétisme et de l’éternelle comparaison de nos acquis, quand la jalousie vient réveiller chez nous la haine, un interdit se dessine, non pas comme une loi qui s’impose par la force, mais comme un appel, une interpellation.

Ton ennemi ne mérite pas la mort… Subtile inversion d’un Dieu qui en appelle, au-delà du mal qui m’habite, à une autre justice. 


De quoi suis-je jaloux ?

Si la question résonne vraiment en nous elle dévoile ce qui est souvent bien caché dans nos process intérieurs depuis les profondeurs de notre enfance jusqu’aux frustrations de vie d’homme et de femme…


N’est ce pas là que se dessine la lente pédagogie de Dieu qui part de nos plus viles tentations pour les retourner, les convertir, les transformer. 


Un long chemin… 

qui mène à la contemplation de cette croix où toute violence, toute jalousie est exposée comme le serpent au désert de Nb 11.


Méditation à partir du chapitre 3 de L’amphore et le fleuve…

15 juin 2021

Contemplation - 2 De la tempête à la danse

En ce dimanche où la tempête envahit notre petit monde tranquille, alors que nous cherchons à passer sur l’autre rive (cf. Marc 4, 35sq) peut-être faut-il revenir aux origines. 

L’homme a-t-il compris que le don de Dieu au jardin était démesuré ?

A-t-il écouté la parole qui lui donnait un chemin de vie ?

En croyant au serpent, est-il parti sur une fausse piste, celle d'un Dieu qu'il croyait tout-puissant et jaloux de son pouvoir. Pensait-il que Dieu ne voulait pas lui donner sa place, le laisser être « capax dei » à côté de lui. Et pourtant, s'il avait su...

Mais le Dieu de nos fantasmes, celui que nous imaginons, le Dieu gâteux, vieux sage, jaloux de ses droits est-il le vrai Dieu ?

S'il avait su, l'homme...

Il n'aurait pas cru ce serpent intérieur, ce doute qui vient quand on n'a plus confiance en soi et en l'autre, ce faux Dieu qui s'installe quand on se ferme à l'écoute... 

A t-Il entendu l'appel du jardin ?

Pendant que l'homme se cachait d'un faux dieu, le vrai Dieu cherchait l'homme. Le texte de Gn 3 nous le montre avec une insistance particulière.

Les exégètes, ces vieux savants qui passent leur vie à scruter le sens des textes, appellent cela une forme concentrique.

Ainsi des affirmations qui comportent une série d'éléments,de phrases ou d’expressions A, puis B, puis C, puis à nouveau B et A, qui se répètent ainsi sous cette forme A B C B A doivent être lues comme une insistance sur le C :


A - Ils connurent qu'ils étaient NUS; (…) 

B  - (…) la voix de Yahweh Dieu passant dans le

      JARDIN  à la brise du jour, et l'homme et sa femme 

       se cachèrent de devant Yahweh Dieu 

C  - au milieu des arbres du jardin. 

        Mais Yahweh Dieu appela l'homme et lui dit : 

                    

                 " Où es-tu? " 

       

B  -   Il répondit: "J'ai entendu ta voix, dans le JARDIN , 

           et j'ai eu peur, 

A  -   car je suis NU ; et je me suis caché. "11 

        Et Yahweh Dieu dit : " Qui t'a appris que tu es NU ?”


Et si l'essence du texte était là, dans cet extrait méconnu de Gn 3, dans cette question posée qui déjà révèle que si l'homme croit trouver Dieu ailleurs que là où il est, Dieu est là qui cherche à rencontrer l'homme...

On retient le Dieu violent, celui qui chasse du paradis, qui enlève à l’homme la jouissance des biens. Cela peut se comprendre, à première vue, si l’on regarde

l’état apparent du monde, la dureté des choses, de la nature comme celle de l’homme pour l’homme. C’est aussi ce qu’a dû penser le rédacteur du texte qui écrit dans un monde dur, alors qu’il a perdu le confort de la terre de ses ancêtres. On se demande maintenant si ce texte n’a pas été en effet rédigé ou pour le moins corrigé dans les derniers siècles avant Jésus Christ par des scribes qui se sont vus chassés des jardins de Palestine et se retrouve en exil. Le rédacteur cherche alors à exprimer par ce récit mythique de la chute une explication à sa peine, à la dureté de ses travaux de la terre. Mais cette interprétation, bien humaine laisse aussi transparaître une trace ténue, celle d’un Dieu qui donne, qui cherche, qui s’inquiète…


Alors, qui est Dieu ? 


Est-il ce Dieu violent et cruel imaginé par l’homme comme la source de sa peine, de son exil, ou autre chose, un au-delà des mots… ? Est-ce cet autre Dieu plus attentif qui se cache dans la voix qui résonne dans le jardin, révélation d’une autre voix qui résonne, même si nous rejetons la contemplation de ce qui est beauté dans le monde ? Ne fermons pas trop vite ce point d’interrogation. Laissons le ouvert pendant toute cette traversée…

La jeune juive Etty Hillesum avait la même pensée quand elle s’émerveillait sur une fleur de printemps, (1) alors même que son peuple était déporté et massacré par le régime nazi. Il demeurait dans son jardin une trace différente, au-delà du dieu des puissants. Et cette fragilité même était pour elle source d’espérance et d’action. Elle y a puisé le courage de devenir par ses mains l’instrument de l’amour et de la miséricorde, pour ses frères et ses sœurs marqués par l’horreur des camps. Ce décentrement qu’il est peut-être possible d’entamer (2) est-il ce « passer sur l’autre rive » auquel nous conduit la contemplation de l’Evangile d’aujourd’hui ? 

Dieu est il dans la tempête où « à genoux devant l’homme »(3) lançant cet éternel « où es-tu ? » du jardin. Lointain et si prégnant appel à l’homme pour qu’il danse avec lui au milieu des flots ? 


(1) cf. Etty Hillesum, une vie bouleversée et notre billet contemplation 1

(2) l’amphore et le fleuve, ch. 2

(3) cf. mon autre livre éponyme

13 juin 2021

Contemplation - 1

 Contemplation - 1


“Observez les lys des champs, comme ils croissent : ils ne peinent ni ne filent, et je vous le dis, Salomon lui-même, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux ». Mat 6, 28-29


Les traces discrètes, ténues et fragiles que nous révèle la création, ou le sourire d’un enfant, sont parties intégrantes de la révélation.

C’est justement lorsque nos cœurs sont embrumés par la vie et la tristesse, le découragement ou le désert que cette beauté vient révéler autre chose. L’apparence laisse transparaître une splendeur plus profonde, plus cachée.


Etty Hillesum nous parle ainsi « d’une fleur qui

continue d'éclore alors que le nazisme a noirci toute l'humanité, ce « jasmin si tendre et si radieux en cette grisaille » qui lui permet de dire « je crois en Dieu » et également en l'homme, dont elle cherche à retrouver la trace « dans sa nudité, sa fragilité, cet homme bien souvent introuvable, enseveli par les ruines monstrueuses de ses actes absurdes. »(1).

N’est-ce pas encore et toujours notre espérance…


La fleur est excès. Alors que l’on aurait pu se contenter de prairies verdoyantes, il a fallu que Dieu nous donne les fleurs pour parer de couleurs chatoyantes la verdure d’un paysage. En soi, elles semblent inutiles, mais révèlent au contraire d’une manière discrète la tendresse d’un Dieu qui ne se contente pas du nécessaire, mais est débordement d’amour.

La Beauté est la porte silencieuse du travail en nous de Dieu, une invitation à la contemplation... Refuser la beauté c’est finalement échapper au réel et s’éloigner de notre propre intériorité. À l’inverse, l'aspiration intérieure à la beauté ne traduit-elle pas un retour à l'essentiel, une invitation au dépassement de nous-mêmes...

Notre culture et notre rapport au temps ne laissent plus de place au silence et à la contemplation.

Les choses simples nous mènent au seuil d’autre chose. 


C’est en s’arrêtant, en contemplant la fleur croisée sur le chemin, en s’arrêtant pour laisser passer un nuage, en observant le coucher du soleil, en goûtant au silence que nous accèderons à autre chose. La beauté est appel à faire un déplacement. Elle nous invite ailleurs.(2)


Quel est cet ailleurs ? 

Un don… ?

Le don immense d’un Dieu qui donne et s’efface. 

Contempler la nature, c’est percevoir ces graines semées autour de nous, en nous….


C’est voir la graine de moutarde et ses fruits…


Une petite branche, plantée à Jérusalem sur le bois d’une croix et abandonnée des hommes et qui fait vibrer plus d’un millard d’individus 2000 ans plus tard…


Une graine fragile qui sème encore discrètement dans le silence d’autres graines…


Contemplons ces dons discrets de Dieu, ces semences du Verbe et de l’Esprit… (3) 


Nous n’avons rien apporté. Nous sommes comme une amphore, prêt à recueillir dans le fleuve divin les parcelles de son amour.


(1) Etty Hillesum, une vie bouleversée

(2) Introduction de mon livre L’amphore et le fleuve cf.

https://kobo.com/fr-FR/ebook/l-amphore-et-le-fleuve

(3) voir ma danse 50.5.2

26 mai 2021

La danse de l’Esprit 50.5.2


« Tenter de penser Dieu dans l’horizon de la liberté ne veut pas dire spéculer abstraitement sur Dieu, mais écouter concrètement dans le monde si et où se trouvent les traces de la révélation libre de Dieu et comprendre dans la lumière de ces traces la réalité de façon nouvelle comme espace de liberté, comme histoire » (1)


Je retombe sur cette citation de Kasper mise en exergue en première page de l’un de mes livres (2).


Alors que nous sombrons souvent dans le pessimisme et la peur de voir ce à quoi nous tenons s’effondrer, il faut garder en soi cette « petite espérance » (3) farouche qui sait discerner où travaille l’Esprit. 


« L’Église ne peut signifier à l’extérieur que ce qu’elle vit à l’intérieur. (...). L’Église sera plus modeste et humble (...)  On risque le prosélytisme quand l’annonce de l’Évangile se fait sans respect de l’autre, avec le seul souci de recruter comme cela s’est passé parfois avec certaines communautés nouvelles. C’est l’amitié qui évangélise. La rencontre a du sens en elle-même : ce n’est pas une tactique missionnaire. Je voudrais que les personnes en contact avec l’Église soient bien accueillies, respectées, écoutées, sans jugement. N’oublions pas qu’il y a ce que je peux faire et ce que Dieu fait : je peux témoigner, rencontrer, être ce que je suis, mais je ne peux pas donner la foi à un autre. C’est le Seigneur. L’Esprit Saint est à l’œuvre et Il ne dépend pas de l’expansion de l’Église. » (3)


Ce petit témoignage d’un grand homme paru récemment mérite un détour. Contemplation qui jaillit d’une phrase et nous fait aimer ce grand corps malade où l’Esprit continue d’agir à sa manière en suscitant parfois de beaux fruits.


Nous contemplons aujourd’hui le cœur de Notre Seigneur. Il n’en coule pas toujours l’eau vive et pure que nous attendions, ce fameux rêve d’Ézéchiel 47 que nous contemplons le soir de Pâques, mais un geyser de sang et d’eau mêlée, de souffrance et de joie, de peines et de bonheur. Sachons retrouver l’espérance.


« Tout discours sur Dieu ne peut être, à mon sens, qu’une contemplation. 

Une affirmation serait réduction. 

Une contemplation peut être comprise comme la mise en résonance de ces traces de l’indicible qui nous parviennent d’ailleurs et dont nous devenons passeurs par nos écrits, nos actes, et nos paroles… »(5)


(1) “Walter Kasper, in Le Dieu des chrétiens, p. 155

(2) L’amphore et le fleuve, une contemplation des dons de Dieu, sur une idée première de saint Bonaventure

(3) Charles Péguy, le porche de la troisième vertu

(4) Card. Joseph de Kesel, La Croix du 28/5, une belle affirmation qui rentre en écho avec ma Pastorale du Seuil et ce beau texte de Rondet souvent cité ici…

(5) L’amphore et le fleuve p.2

https://kobo.com/fr-FR/ebook/l-amphore-et-le-fleuve

24 mai 2021

Trinité et danse 50.4.2

 Trinité et danse 50.4.2

Comme annoncé voici une longue suite au billet précédent qui ne faisait qu’effleurer le sujet….

Danse tragique 

« Si l’on prend en compte l’humanité pleine et entière du Fils, il semble que l’on ne peut effacer la douleur, au risque de faire de l’expérience de la Croix un simulacre, loin de notre propre expérience de la souffrance. Dans le ballet tragique qui se joue ici, Jésus n’est pas, comme le souligne Hans Urs von Balthasar dans sa Dramatique divine, un acteur d’une scène de théâtre. Il vit, souffre et meurt, comme l’ont fait et le feront tant d’hommes. Ce qui se joue sur la Croix est donc au cœur de notre humanité, de notre économie(2). La danse tragique d’un Dieu qui vient habiter notre chair va jusqu’à éprouver à nos côtés le tourment, jusqu’au sentiment d’abandon qui lui est caractéristique(3). Dans la danse, le Fils n’a « pas oublié une passe », il a été flagellé sous les ordres de Pilate, crucifié. Il a souffert la Passion.

Et pourtant – c’est l’espérance de notre foi – nous croyons qu’au-delà de cette humanité blessée et compatissante du Fils qui meurt sur la Croix pour accompagner l’homme jusqu’au bout de ses souffrances, le Fils de l’homme n’était pas seul, même s’il a pu être privé, comme le seront tant d’hommes, de ce secours d’un Dieu compatissant.

La danse tragique du Père, son rôle pré-décidé pourrait être, comme le pensent certains, de ne rien dire tout en ressentant dans sa tendresse de Père le gouffre de cette souffrance de l’être aimé. D’une certaine manière, on peut affirmer, à leurs côtés, que si Dieu n’était pas atteint par la mort du Fils, alors il ne pourrait être ce Dieu d’amour, il ne pourrait être Père [et Mère]. Un Père peut-il voir son enfant mourir sans être pris aux entrailles ? Le terme n’est d’ailleurs pas nouveau. On trouve souvent cette compassion de Dieu dans des textes plus anciens. Jusqu’à y mêler la notion de paternité et de maternité.

Ils ont déjà conduit Dieu à entrer dans la danse, comme en Exode 3, où Dieu se révèle dans le buisson ardent pour exprimer la tendresse d’un Père qui souffre de voir ses fils réduits à l’esclavage (4)

Entre le Fils et le Père, apparaît aussi, plus que jamais, la force de l’Esprit. Elle se manifeste dans ce soutien du Fils, dans cette force qui lui permet d’avancer et de dire « Me voici ». Comment un homme aurait-il pu faire le pas, entrer dans la danse, sans cette force d’amour qui inondait le Fils et lui faisait prendre conscience de la musique du Père ? Comment qualifier l’Esprit ? Musique intérieure, force de vie quand la mort emplit l’homme de son ombre ? C’est le mystère de Dieu. Mais nous le sentons bien, là où Pierre, comme tout homme, aurait reculé, le Christ est habité d’autre chose, de ce lien qui fait de lui un homme et aussi plus qu’un homme, un homme de Dieu, un Fils.


Arrêtons-nous un peu. Prenons de la distance sur ce qui se joue dans cet instant sublime. Ne voit-on pas, ici, plus qu’ailleurs, les pas d’une danse tragique, dont la musique était conçue dans le sein du Père de toute éternité, mais qui attendait l’Heure, ce temps sublime, où les danseurs étaient prêts à exécuter leurs mouvements, en toute liberté, pour révéler au monde la danse d’un Dieu amour en trois personnes ?


Le danger, porté par une vision platonicienne d’un Dieu qui est loin des hommes est de croire que la Trinité des personnes divines est un vase clos, fermé sur lui-même. Ce n’est pas la révélation du Dieu biblique. Bien au contraire, ce qui nous est révélé est un Dieu qui intervient humblement dans l’histoire. Au-delà de la fidélité immuable de Dieu, le mouvement des personnes divines va ainsi jusqu’à être source d’un débordement, d’un jaillissement. Au sein même du ballet tragique qui se joue, au cœur même de la danse trinitaire, Dieu se donne et s’étend, ne se limite pas… Il tend vers plus… Alors du cœur transpercé jaillit ce qui reposait caché au sein même du Fils, un jet de sang et d’eau, de vie partagée et redonnée, un fleuve immense qui invite à la danse…


Croix et résurrection – une clé de lecture


Sur ce sujet, le théologien Joseph Moingt (5) nous invite à percevoir en quoi ce sommet de la révélation n’est que la phase visible d’un long processus complexe qui ne se réduit pas la seule préexistence de l’homme Jésus, mais s’étend dans ce que je qualifierais, à l’écoute de ses mots, comme une danse plus vaste, la danse préliminaire du Dieu trinitaire, c’est-à-dire un jeu sublime où Dieu n’a cessé de danser vers la Croix et la Résurrection. Il nous faut, pour cela, faire marche arrière, remonter dans le temps, pour percevoir ces traces multiples du Verbe, c’est-à-dire tous ces lieux où les mouvements de Dieu ne se réduisent pas à un Dieu lointain, un Dieu bien connu, mais plutôt aux pas de Dieu vers l’homme.

Comme les apôtres qui depuis le tombeau vide sont face au grand saut de la foi, nous sommes invités à creuser ce qui dans notre histoire est « trace » de la danse de Dieu. 

Cela passe, pour les premiers disciples de Jésus, à l’image des compagnons d’Emmaüs, par un long travail de compréhension des écritures, sous l’éclairage de ce prisme nouveau. La clé de la lecture de l’action de Dieu dans le monde, comme dans nos vies, est dévoilée dans la croix et la résurrection. C’est forts de cette découverte que nous devons revenir sur nos pas, comprendre le passé à la lumière de ce dévoilement fragile donné dans la Passion.

« Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? " Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Écritures, ce qui le concernait. » Luc 24, 26-27

C’est ce travail de « retour arrière » que je vous invite à parcourir avec, comme clé, cette vision des mouvements de Dieu, cette danse où le Père s’efface pour laisser le Fils être lui-même mourant, afin que l’Esprit agisse…


La danse préliminaire

La première vision rétrospective est celle des mouvements du Fils vers l’homme. Il nous a fallu contempler dans un lent ralenti arrière ce que nous avons tendance à lire chronologiquement. La dernière image donnée sur la croix, nous l’avons noté(6), est le « j’ai soif », qui exprime, ces multiples facettes, cette danse inouïe de Dieu vers l’homme. On peut y voir le cri du supplicié, mais nous avons souligné aussi, entre-les-lignes, le « j’ai soif de toi » qui transparaît, quand nous reculons dans le temps et contemplons le Fils à genoux devant Pierre et Judas (Jn 13), alors même que l’un et l’autre vont renier leur amour. Ici s’éclaire la danse fragile de celui qui aime et qui invite, par le comble d’une faiblesse, et d’un agenouillement, l’homme à danser les pas de Dieu.

Cette danse n’est pas moins tragique que celle de la Croix. Elle est celle d’un fils qui sait combien ceux qu’il aime refuseront de danser, mais qui n’en effectue pas moins les pas, parce que si l’homme ne danse pas, Dieu ne cesse de danser. La musique de l’amour n’a de cesse de résonner aux oreilles du Fils. En cela, il danse avec le Père qui « ne veu[t] pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (cf. Ez 18, 21). Il rejette tout jugement pour n’être qu’amour et compassion.

Dans la tête de Pierre, qui ne sait pas où conduisent les pas de Jésus, le geste du lavement des pieds n’a pas de sens. C’est pourquoi il le refuse d’abord. Ce n’est qu’éclairé par la Croix que le lecteur pourra comprendre à la fois ce qui s’est joué et le refus du disciple. C’est pourquoi, sans le savoir, notre lecture est une lecture en « marche arrière »…

Continuons notre remontée dans le temps. Nous avons vu Marie de Béthanie qui a compris la danse et qui s’est agenouillée devant l’homme-Dieu. À ses côtés, Judas ne veut pas danser. Il juge et critique, évalue le poids du parfum et pense à une autre « économie »…

Plus en amont, nous avons vu le Fils qui s’est agenouillé par deux fois devant la femme adultère. Danse sublime de Jésus qui refuse le quadrille des pharisiens au profit d’une invitation à l’amour plus vaste, plus ouverte. Il s’abaisse et se relève avant d’inviter l’homme à danser la danse de Dieu en oubliant celle des hommes : « va et ne pêche plus ». Quelle musique sublime n’a éveillé chez nous un air plus symphonique que cette confiance renouvelée dans l’homme ? Elle résonne avec la danse du père qui court enlacer le fils prodigue, elle s’anime à l’image d’un Jésus que l’on pourrait imaginer, dans la même lancée, comme descendant en courant la colline jusqu’à Jéricho pour venir danser avec Zachée : Descendre à Jéricho, nous l’avons noté chez les Pères de l'Église, c’est, à l’inverse de la montée vers Jérusalem, une descente vers le monde.

Continuons notre mouvement inversé. Nous avons vu Jésus à l’heure la plus chaude. La Samaritaine qui n’ose plus danser avec les hommes, près du puits des amours d’antan, a reçu une invitation amoureuse. « J’ai envie de danser avec toi » peut-on entendre à travers les lignes dans ce « donne-moi à boire ». Et oubliant les convenances, la voici qui danse de joie, va chercher ceux mêmes qu’elle fuyait à l’heure la plus chaude, pour les inviter à la danse.

Reculons encore. Nicodème ne vient pas à l’heure du jour, mais à l’heure de la nuit. Il n’a pas encore entendu la musique de Dieu. Jésus l’invite pourtant à l’incroyable mouvement intérieur qui consiste à laisser les pas des hommes pour une musique nouvelle. Viens danser les pas de Dieu… Si tu ne meurs pas, tu ne pourras valser dans l’amour éternel…


Danse baptismale

Chez les synoptiques, le récit du baptême, met en lumière, là encore, les pas invisibles. Le fils s’enfonce dans l’eau de la mort, à la suite de l’humanité blessée. Alors le Père se manifeste comme présent, dans la danse de la colombe, symbole imagé, mais expressif de cette symphonie trinitaire. Ce signe pourrait paraître surfait en lecture avant. En lecture arrière, il se lit comme une répétition de la danse tragique. Éclairé par la Mort, il devient signe de vie et de renaissance. En plongeant dans l’eau du Jourdain, Jésus s’enfonce symboliquement dans la mort. L’eau profonde est symbole des ténèbres pour les juifs. Pourquoi le Fils de Dieu accepte-t-il d’y pénétrer ? Sans notre clé de lecture, le texte n’est qu’un récit imagé. À la lumière de la croix et de la résurrection, c’est la danse des trois Personnes qui apparaît ici révélée.

On rejoint d’ailleurs d’autres symboliques de l’Évangile. Ce sera ainsi les pas dansants de l’homme-Dieu sur le lac de la mort. Ce peut être aussi ce repas partagé, où le Corps est distribué, partagé au monde. Dieu nous invite à une danse nouvelle. Le baptême est l’apprentissage de ce premier pas de deux…


La danse de la naissance

Dans la poésie de Luc ou de Matthieu, la danse peut alors prendre forme dans la contemplation de ce fils nouveau-né, signe de l’amour du Père. À la différence de Marc ou de Jean, ils iront plus loin dans leur « parcours arrière ». Chez Luc, on notera le tressaillement de Jean-Baptiste au sein d’Élisabeth, à la venue de son cousin, comme l’illustration d’une valse particulière, celle du don de Dieu qui s’est fait chair et auquel l’Esprit répond par un tressaillement d’allégresse.

Et dans la joie de cette contemplation, on peut comprendre comment les deux évangélistes veulent inviter à danser les bergers ou les mages. Car rien n’est plus sublime, à la lumière glorieuse de la Croix, que ce mystère d’un enfant qui va naître. Pour eux, dès la naissance, se révèle la symphonie de Dieu.

La danse du verbe et de l'esprit

Le chemin arrière peut être poursuivi. Peut-être avec moins de clarté dans une lecture littérale. L’Ancien Testament est rempli de ces mouvements de Dieu vers l’homme. L’étude des théophanies dévoile les pas de danse, souvent présentés en variations symphoniques d’un style littéraire défini. Doit-on y voir les traces spécifiques du Verbe ou de l’Esprit ? Il me semble que le plus simple et, probablement, le moins « dangereux » théologiquement, est de saisir, un peu comme le sous-entend J. Moingt, qu’il s’agit d’une série de mouvements où l’unité de Dieu prime sur la différence. Ce qui se révèle dans le « Malak », cet ange qui apparaît avant chaque manifestation de Dieu dans l’Ancien Testament, ou même dans le récit imagé des trois visiteurs de Mambré, c’est qu’il n’y a pas ici un Dieu « bien connu » au sens d’un monstre impassible et froid, mais la perception par un peuple, de la danse de Dieu vers l’homme, une succession de rencontre et d’agenouillements croisés entre l’homme et Dieu.

Arrêtons-nous par exemple sur ces chefs d’œuvre littéraire de l’Exode. La lecture littérale du buisson ardent nous introduit déjà à une danse, celle de Moïse qui « retire ses sandales ». La relecture, en « marche arrière » depuis la Croix, comme a pu la faire déjà Grégoire de Nysse dans sa Vie de Moïse, nous fait apercevoir, dans la danse du feu sur le buisson-ardent, les traces d’un Christ qui meurt, sans consumer le buisson, c’est-à-dire qui demeure Fils. La mort n’aura pas de prise sur l’homme-Dieu.

On perçoit alors que la danse de l’homme vers Dieu se fait devant celle de Dieu vers l’homme et notre contemplation ne peut alors se contenter d’un mouvement arrière, elle doit faire des « allers et retours » entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, entre toutes les danses de l’homme et tout ce qui transparaît de la danse trinitaire.

Cette compréhension était cachée par le voile des hommes. Il nous fallait cette clé de lecture particulière du Fils et de l’Esprit. Comme l’affirmait déjà Origène : « Avant la venue du Christ, la loi et les prophètes ne contenaient pas l’annonce qui implique la définition du mot évangile. [Avec le Christ] (...) "un peu de levain fait lever la pâte" (Ga 5, 9). Car, enlevant le voile (2 Co 3, 15) qui recouvrait la loi et les prophètes, Il montra le caractère divin de toutes les Écritures ».

Cela n’empêche pas les apôtres et, à leur suite, les Pères de l'Église de chercher à saisir la présence et la danse des personnes divines dans l’Écriture. Ainsi pour Paul, la marche des Hébreux au désert était-elle accompagnée par le Christ : « Un rocher spirituel qui les accompagnait et ce rocher c’était le Christ » (1 Co 10, 1-4), alors que Grégoire de Nysse confirmera plus tard ce que Luc affirmait déjà en Lc 1 : la nuée, c’était « la grâce de l’Esprit-Saint »

Au bout du voyage peut-on voir la danse du vent sur les eaux ? Au-dessus du Tohu wâbohû, de ce chaos originel, l’Esprit plane et imprime déjà sur l’eau froide les rides d’une danse, un entre-les-lignes où Dieu se révèle.

On peut alors contempler soudain, comme si un voile s’était déchiré, que la création même de Dieu serait un agenouillement devant l’homme. Un don où, pour reprendre les termes de J.L. Marion, le donateur s’efface et disparaît.

C’était déjà l’affirmation de Fairbairn, en 1894, qui n’approuvait pas l’idée que la kénose divine ne devienne évidente que dans l’Incarnation. Cela pouvait trop facilement « suggérer [pour lui] deux types de Dieu différents. Au lieu de cela, [Faibairn] insiste sur le fait que la création elle-même montre un modèle similaire, Dieu faisant place à ce qu’il crée ».

Le sens de ce travail de relecture n’est donc pas anodin. Il rejoint aussi celui des Pères de l'Église qui n’ont eu de cesse de retraverser l’Écriture, à la recherche de ces traces. Nous devons écouter ces lectures spirituelles, ces méditations, qui prennent distance sur l’histoire et ne cessent de mêler le passé avec la révélation du Christ, comme des invitations à la contemplation de la danse de Dieu dans nos vies…


2ème Mouvement

1er pas – Étienne

Nous avons fait un long chemin vers le passé. Voyons maintenant comment la danse rythme le mouvement du monde après la révélation finale. On peut commencer par l’allégresse d’Étienne, qui au soir de son supplice apparaît comme le premier danseur à la suite du Christ. Il voit les cieux s’ouvrir et la symphonie de Dieu emplit déjà son cœur. À cette union mystique, une invitation est faite. Elle plane sur l’entourage, s’efface comme une parcelle infime jusqu’à pénétrer dans le jeune homme qui garde les vêtements des persécuteurs. Son nom est Saul.


2ème pas – Paul

Au départ, il ne dansera pas la danse de Dieu, mais celle des hommes. N’y a-t-il pas pour nous ici un chemin d’espérance ? Celui qui était persécuteur est devenu apôtre. Il a reçu en lui cet ineffable appel, comme le feront tant d’autres. « Je suis celui que tu persécutes… » Viens plutôt danser avec moi…

Alors, celui que l’on croyait voué à la mort devient le fou de Dieu. Ce qui était scandale pour l’homme, il en a fait sa joie.


Les pas de l'Église

Il serait présomptueux de continuer ainsi à décrypter ce qui reste de l’ordre du mystère. La danse à laquelle nous invite Dieu est celle de l’amour. Elle n’exclut personne et pourtant, nous restons souvent sur le bord.

L’une des plus belles images de cette invitation à la danse, peut-être le mystère de l’Eucharistie, où cette table de la Parole et de la chair partagée peut être comprise comme l’invitation symbolique faite aux fidèles d’entrer dans la communion trinitaire. À la suite de Maxime le Confesseur, on peut entrer dans cette vision d’une Église qui s’ordonne autour du Christ.

Réduire l’eucharistie à la seule présence du Fils serait en effet en réduire le sens. Ce qui se joue, dans ce « faire mémoire », c’est la participation de l’humanité aux noces de l’Agneau, c’est-à-dire une invitation à entrer dans la danse des noces éternelles.

On peut simuler la danse, comme nous l’avons vu plus haut, à propos du lavement des pieds, où « danser sur les places » en allant jusqu’à cirer les chaussures de ceux qui les cirent…

Par sa Croix, Jésus nous a livré le sang et l’eau mêlés, symboles naissants d’un Esprit qui vient habiter en nous comme le fait le Corps partagé. N’est-ce pas à la danse trinitaire que nous sommes finalement conviés ?

Reprenons à ce sujet une belle image de J. Moingt : « Le Verbe s'éloigne du Père : il lui devient étranger. La même parole qui engendre le Verbe le sépare du Père, le tient à distance de lui, et cette distanciation est l'acte même de faire advenir autre chose entre eux. Rien ne peut s'interposer entre eux que du rien, rien de plein, rien qui soit quelque chose, seulement du néant, du vide, mais ce vide est infini, qui s'insinue dans la déchirure de l'être infini ; produit par l'éloignement du Verbe il n’est pas absolument rien, mais capacité de recevoir, suscitée et creusée par l'invitation que le Père adresse au Verbe à faire advenir de l'autre, de telle sorte que ce vide est aussitôt rempli par l’Esprit-Saint, qui est l'indéchirable communion du Père et du Verbe. L'Esprit remplit ce vide de la même manière qu’il circule entre eux deux et par l'acte même de les faire communiquer, (...) qui est d'être l'unité dans l'altérité : il prend dans le Verbe le désir que le Père y a mis de communiquer son bien (Jn 16,15) à d'autres êtres possibles, à des êtres que la liberté du Verbe de devenir autre est en puissance de faire advenir, et sollicité par le vide qui gémit de n'être rien de ce qu'il pourrait être (Rm 8, 22), l'Esprit se répand en lui en semence de vie : il rend effectif le partage de vie que rend possible (...) l'acte de se vider de son égalité avec le Père (Ph 2, 6), pour enrichir d'autres êtres de sa pauvreté (2 Co 8, 9), pour laisser se répandre en eux l'amour du Père en devenant lui-même ce rien qu'il appelle à exister de surcroît par participation à sa propre vie ».

Plus loin, il nous parle de la pleine « liberté et gratuité de donner et de recevoir » qui caractérise cet amour de Dieu. N’est-ce pas, au-delà de toutes les théologies d’un Dieu distant, le cœur de notre foi, que de croire en cet amour donné et partagé, comme dans une danse ?

« C'est la circulation de l'amour, de la béatitude et de la gloire (…) entre les Personnes divines qui se fait par l'excès même de ce qui se communique de la Trinité dans l'homme ».

Dans l’idéal, cette danse pourrait être vivante dans l'Église. Dans les faits, elle ne reste qu’une direction à suivre, un chemin… Ce décalage entre l'Église réelle et l'Église idéale a son équivalent entre notre désir de danser et notre capacité à rejoindre les pas de Dieu.


(1) Extrait de ma « danse trinitaire »

(2) cf. notamment le traité rahnérien sur la Trinité 

(3) voir sur ce point la théologie d’Adrienne von Speier et son écho dans la Dramatique divine d’ Hans Urs von Balthasar 

(4) voir mes essais et notamment Pédagogie divine

(5) cf. notamment Joseph Moingt, Dieu qui vient à l’homme, t. 2 p.196 sq

(6) cf. mes développements in « A genoux devant l’homme » également disponible gratuitement sur Kobo.com

23 mai 2021

Trinité et danse 50.4.1

Certains semble découvrir cette notion de danse que j’évoque à propos de la Trinité alors que je ne fais que commenter cela depuis plus d’un an sur RT. Il me faut peut-être reprendre depuis le début cette invitation à la danse qui nourrit depuis 30 ans mes lectures pastorales et ses 17 tomes. Je crois que tout est né dans la contemplation par mon frère jésuite de Jean 8… qui n’a cessé de m’inspirer. 

En voici une nouvelle manducation (1) :  


« Jésus s'en alla sur la montagne des Oliviers. » Jn 8,1.


Que nous dit l’évangéliste ? Il y a là, d’abord, montée de Jésus. À l’inverse d’une descente à Jéricho – vers le monde – ici le Fils se tourne vers le Père. Il monte vers une certitude, non comme une affirmation mais comme vers une source et un appel. Sa montée est prière et interrogation. Vers quoi monte-t-il ?

Est-ce que le mont des Oliviers serait plus élevé que le temple ? Le fait est qu’il le domine et l’on peut se demander si cette comparaison implicite ne nous introduit pas à quelque chose, ne nous alerte pas à une différence de hauteur. Il y a le temple bâti de mains d’hommes, pis-aller que Dieu n’habite qu’à reculons, si l’on en croit le livre de Samuel [on pourrait dire cela de nos églises:-)] et cette montagne qui sera celle de l’élévation (sur la Croix), lors de la prière « finale », le lieu d’une communion avec le Père quand viendra cette « heure » à laquelle il ne cesse de se préparer. Le lecteur est prévenu. Un drame se joue déjà ici…


« Mais, dès le point du jour, il retourna dans le temple. Et s'étant assis, il les enseignait. Alors les Scribes et les pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère, et l'ayant fait avancer, ils dirent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. » Jn 8, 2-5


On imagine ces hommes debout face à Jésus assis. Ils dominent le maître, qui pourtant cherchait à les enseigner. Ils semblent le dominer de leurs lois, de leurs savoirs, de leurs certitudes. Maîtres du temple, maître du savoir, ils sont en haut de leurs « tours » bien humaines et lui est assis. Il est monté à la montagne, mais il est maintenant assis. Le drame se précise…


« Comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » Jn 8, 6-7


Il a consenti à se relever. Est-ce pour condamner la femme ? Est-ce pour se mettre à leur niveau ? Non ! Ce qu’il propose est d’une autre hauteur. Il ne juge pas, mais, en se relevant, en appelle à plus grand que lui. 


Celui qui est sans péché… Qui est-il ? 


Il se garde bien d’affirmer qu’Il peut être celui-là… Il interpelle et pour ne pas faire preuve d’orgueil, « s'étant baissé de nouveau, il [écrit] sur la terre ». La loi qu’il prône n’est pas celle que l’on grave sur les tables de pierre, comme le Moïse de la tradition juive. Ce n’est pas celle que prêchent ces pharisiens hypocrites [que nous sommes, nous aussi, parfois souvent tour à tour]. Sa loi est fragile, écrite sur du sable, au cœur de l’homme. 


Signe humble d’un Dieu humble qui vient interpeller l’homme au cœur de sa faiblesse. Fragile appel où résonne, encore une fois, « l’où es-tu ? » que Dieu adresse à l’homme, après la faute (Gn 3, 9). Qui peut répondre ? Cet appel de l’humble travaille la conscience.

« Ayant entendu cette parole, et se sentant repris par leur conscience, ils se retirèrent les uns après les autres, les plus âgés d'abord, puis tous les autres, de sorte que Jésus resta seul avec la femme qui était au milieu ».

N’a-t-on pas là plus que tous les discours ? N’y a-t-il pas ici, comme le suggère à sa manière Paul Beauchamp, une autre montagne ? La loi de Dieu trace ici un sillon fragile au cœur de l’homme et vient l’éveiller à autre chose. Ce chemin d’humilité que nous cherchions à débroussailler dans cette longue traversée de l’Écriture (2) est ici mis à nu…


« 10. Alors Jésus s'étant relevé, et ne voyant plus que la femme, lui dit : « Femme, où sont ceux qui t’accusent ? Est-ce que personne ne vous a condamnée ? 11. Elle répondit : « Personne, Seigneur »; Jésus lui dit « Je ne te condamne pas non plus. Allez, va ne pèche plus. »


Il y a, dans les mouvements du Christ, une indication claire de cette danse de Dieu vers l’homme que nous commenterons plus loin. Si l’on relit le texte, en notant ces gestes, on sent, entre les lignes, ce double abaissement du Christ qui, assis, s’était relevé, puis s’est penché à nouveau au sol pour écrire. On le suppose alors tout près de la femme, pour se relever à nouveau. Les gestes de Jésus parlent ici la langue de l’humilité. 


D’agenouillements en agenouillements… dont Jn 13 est le point culminant avant la Croix. 


Qui peut édicter une loi qui touche le cœur ? Le pharisien, le modèle, dressé par la rigidité d’une règle qui condamne ou l’humble chercheur qui trace, aux côtés de l’homme, des traits que le vent vient effacer et qui, pourtant, s’inscrivent au plus profond du cœur et sont plus inflexibles qu’une loi humaine, car enracinés dans la seule loi de l’amour qui fait avancer l’homme. 

N’est-ce pas là ce que les théologiens tentent d’appeler « l’économie » de Dieu(4), ces gestes qui révèlent l’indicible ?

On peut objecter à cette vision un laxisme de Dieu. Ce à quoi répond Augustin : « Quoi, Seigneur ? Tu favorises le péché ? Certes non. Écoute ce qui suit : Va, et désormais ne pèche plus. Le Seigneur a porté condamnation, lui aussi, mais contre le péché, et non pas contre l'homme». (1) 

La danse du Fils n’est ici qu’une petite théophanie de la danse trinitaire. Je vais développer cela, mais je voulais commencer par ce texte, car c’est dans cet agenouillement que tout m’est venu à l’idée.


La Trinité n’est pas une invention romaine comme le suggère un commentateur de RT, mais bien une contemplation dont on trouve les traces à Mambré ou dans Gen 1 et qui sous-tend le discours de Jesus chez Jean. Je l’ai toujours vu comme une danse, traduction poétique du terme « périchorèse » des pères de l’Église (cf. mon essai gratuit sur Kobo « la danse trinitaire »). C’est ce mouvement particulier d’un Dieu qui se retire pour laisser place à un Christ qui s’efface à son tour humblement (en kénose) pour nous confier l’Esprit… sur la pointe des pieds….

La trinité est expression fragile, révélation et jeu subtil d’une pédagogie de Dieu…

Cette danse, on la contemple depuis la création jusqu’à l’incarnation, la mort et la résurrection, avant le vide et le silence qui précède la brise discrète de l’Esprit. Elle s’aperçoit déjà dans le prologue de Jean avec ce « tourné vers l’autre », mais devient aussi une danse « sur la place » où Dieu joue de la flûte et rêve de nous voir danser jusqu’à cette danse des anges si bien peinte par Fra Angelico…


Perichorèse ou circumincession rappelle E. Durand(3), trinité économique souligne Karl Rahner »(4), harmonie glissait Gregoire de Nysse(5),… unité… La trinité est mystère mais invitation, jusqu’à ce passage de l’une seule chair au Corps(6)… elle est inaccessible et en même temps éternelle invitation… d’un Dieu « à genoux »(1) devant cette femme et qui d’agenouillements en agenouillements jusqu’au lavement des pieds… nous prépare à la Croix…


À suivre : Trinité et danse chez J. Moingt 50.4.2


(1) Extrait de « Á genoux devant l’homme », voir aussi  « Dieu dépouillé » et « danse trinitaire »

(2) cf. mon « pédagogie divine »

(3) cf. sa thèse sur la périchorèse des personnes divines

(4) voir son traité sur la Trinité 

(5) cf. notamment sa vie de Moïse 

(6) voir mes développements dans « Aimer pour la vie »

Méditation sur la Pentecôte - danse 50.3

C’est peut-être à partir du Buisson Ardent (1) que l’on peut considérer l’ensemble de la pédagogie divine(1) sur la Pentecôte. Le but ultime de notre réconciliation « en Christo »  est de rejoindre ce grand feu lumineux, qui nous purifie sans nous détruire, qu’est finalement la danse en Christ, dont on fait l’expérience les disciples au mont Thabor…

N’allons pas trop vite. Revisitons d’abord nos premiers pas, nos « Chemins du désert » (1) où nous cherchons à tâtons la lumière. 

« Poussé par l’Esprit au désert » où nous suivons le Christ, il nous faut d’abord subir la grande épreuve de la nuit, épreuve difficile que souligne depuis des siècles les mystiques de puis la nuit obscure de saint Jean de La Croix, jusqu’à celle de nos doutes confinés, comme ces nuits des mystiques que nous traduit magnifiquement François Marxer, « Au péril de la Nuit, Femmes mystiques du XXeme siècle, Paris, Cerf, 2017 ».

Rappelons nous aussi nos pas encore fragiles, dans cette fausse nuit pré couvre feu 2021. 

Comme dans toutes les  Pâques, nous avons cherché à contempler ce feu béni hors de nos églises au bout de notre nuit spirituelle très symbolique des 40 jours de Carême. C’est alors une bien fragile lumière qui pénètre symboliquement dans l’église encore sombre,  brandie par le diacre en une triple évocation : « Lumière du Christ »avant qu’il n’entonne l’exultet. 

Qu’est ce à dire ?

Jésus est lumière et notre capacité à la contempler dans sa vraie clarté, n’est finalement possible qu’au bout du chemin. 

Il nous faut encore 40 jours de crainte, de doutes et d’hésitation. 

La liturgie nous a encore fait manduquer les hésitations de Pierre en Jean 21 ces derniers jours, derniers soubresauts d’une Église en devenir avant ces flammes de feu qui rendent tout lumineux.

« M’aimes-tu ? » demande trois fois Jésus à Pierre dans un decrescendo kénotique qui le fait passer en grec d’un « agapas me » à un « phileis me »…(2). M’aimes-tu d’agapé ou as tu seulement de l’affection pour moi… ? triple questionnement que l’école johannique inflige symboliquement à Pierre au terme du chemin qui prépare pour eux et symbolise sa réintégration dans la mission ecclésiale qui l’attend…(2) après la démarche à la fois kénotique et miséricordieuse qu’est finalement cette triple interpellation qui fait écho à son triple reniement… (3)


N’est-ce pas finalement le chemin de tout baptisé qui reçoit un cierge alors qu’il est encore tout endormi de ses nuits obscures et qu’il n’a pas encore fini son chemin ?

Les sacrements d’initiation vont devoir encore lui faire franchir de sacrés pas avant qu’il puisse confirmer de lui-même sa foi…

Il lui faudra percevoir comme Pierre, d’abord son insuffisance et son incapacité à aimer, percevoir qu’il nous faut retirer ses sandales(1), pour découvrir que le feu intérieur qui brûle déjà en nous par le sacrement du baptême n’est pas encore lumière dans nos vies et qu’il nous faut le souffle de l’Esprit pour que nos sarments intérieurs trop souvent desséchés (4) prennent feu en Dieu. Alors pourrons nous percevons que Dieu ne cesse de nous appeler à choisir la lumière face à la nuit…


« Esprit de Dieu, tu es le feu,

Patiente braise dans la cendre,

A tout moment prête à surprendre

Le moindre souffle et à sauter

Comme un éclair vif et joyeux

Pour consumer en nous la paille,

Eprouver l'or aux grandes flammes

Du brasier de ta charité.


Esprit de Dieu, tu es le vent,

Où prends-tu souffle, à quel rivage?

Élie se cache le visage

A ton silence frémissant

Aux temps nouveaux tu es donné,

Soupir du monde en espérance,

Partout présent comme une danse,

Eclosion de ta liberté.


Esprit de Dieu, tu es rosée

De joie, de force et de tendresse,

Tu es la pluie de la promesse

Sur une terre abandonnée.

Jaillie du Fils ressuscité,

Tu nous animes, source claire,

Et nous ramènes vers le Père,

Au rocher de la vérité. »(5)




(1) cf. mon « Retire tes sandales » - une contemplation de la trilogie des 21 volumes d’Hans Urs von Balthasar et « Pédagogie divine »

(2) voir plus d’explication dans « A genoux devant l’homme »

(3) on peut reprocher à Zumstein de faire l’impasse là dessus dans son commentaire pourtant très exhaustif.

(4) cf. Ez 37 que nous contemplons la veille au soir

(5) hymne de l’office des lectures du dimanche de Pentecôte 

16 mai 2021

Limites ? Un pont trop loin ? - danse 46.11

Les discussions lancées par Bruno interpellent finalement la place du prêtre. En triple écho et communion avec les propos de Bruno Anel, Claire CV et Sylvaine Landrivon voire ceux de Marie Jo Thiel repris par Marie Odile Dervin sur « réflexion théologique » et mon billet précédent je m’interroge sur la fonction même du prêtre. Est-il le maître de l’eucharistie ? Est-elle sa chose ? Comment interpréter fondamentalement le sens du début du canon 906 déjà cité qui spécifie : « Le prêtre ne célébrera pas le Sacrifice eucharistique sans la participation d'un fidèle au moins. » ? 

Pourquoi cette limitation ?

Il me semble qu’il faut creuser cela.

Dans ce temps particulier de l’entre-deux entre l’ascension et la Pentecôte, avant que l’Esprit embrasse toute l’Église il est intéressant de rappeler que la Présence réelle n’est pas la chose du prêtre mais un don de Dieu.

Rappelons-nous l’épisode de Pierre en Jean 21 (*). Il est moteur de la pêche nocturne mais ne prends rien… il faut l’action et la Parole du Verbe pour que cette pêche devienne miraculeuse. 


L’enjeu est peut-être de comprendre que la vocation sacerdotale n’efface pas la dimension diaconale première, que l’eucharistie ne découle que de la danse kénotique et trinitaire et n’est pas, jamais le fait de l’homme. « Tu n’aurais ce pouvoir si Dieu ne te l’avais donné » avait glissé Jésus à Pilate…

En survalorisant la place du prêtre nous avons/risquons de tuer l’Église… il nous faut probablement contempler que la vocation sacerdotale est essentiellement une fonction diaconale avant d’être signe pastoral, c’est à dire capacité à structurer l’Église, voire que l’autorité n’est pas innée mais découle uniquement de la capacité du prêtre à s’agenouiller dans le schème trinitaire et kénotique qui le fait entrer dans la danse divine de l’effacement. Alors la présence devient réelle car il n’est plus acteur de la transsubstantiation mais serviteur de cette conversion globale du peuple en Corps du Christ… 

Saint Grégoire nous conduit sur ce chemin en méditant le sens de la gloire

« Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée »


« L'unité », dit-il, « consiste en cet aboutissement du salut : tous sont unis entre eux par l'adhésion à l'unique bien, (...)  le sens de ces paroles nous apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l'Évangile. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples ; puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous les biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs préférences dans leur jugement sur le bien, mais qu'ils soient tous un PAR leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l'unité du Saint-Esprit, comme dit l'Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l'unique espérance à laquelle ils ont été appelés. »


« Mais », ajoute-il, « nous ferons mieux de citer littéralement les divines paroles de l'Évangile : Que tous, dit Jésus. soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi ; qu'eux-mêmes soient un en nous. Or, le lien de cette unité, c'est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s'il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.


Cette gloire, qu'il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l'a pourtant reçue lorsqu'il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l'Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l'Esprit, en commençant par les disciples. C'est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée ; qu'ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu 'ils soient parfaitement un.


Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d'homme parfait, qui a rejoint la mesure de l'âge spirituel ~ ; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l'Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est cette colombe parfaite que regarde l'Époux lorsqu'il dit : Unique est ma colombe, unique ma parfaite. »(1)


Il faudrait revenir sur cette glorification du Christ homme pour comprendre qu’elle n’est possible que par la croix et la kénose. Il n’y a pas de gloire sans agenouillement… en écho à mon billet précédent.


La difficulté à laquelle nous arrivons, dans cette lancée est de ne pas considérer la gloire comme un acquis magique donné par un sacrement qui rendrait le prêtre vêtu d’un pouvoir ineffaçable mais bien de considérer la « dynamique sacramentelle » (2) dans l’axe même d’un éternel mouvement insaisissable entre Dieu et l’homme, cette « course infinie »(3) qui ne nous permet jamais d’affirmer que nous détenons seul un pouvoir, fut il donné par l’évêque, mais qu’il reste lié à cette abandon visé par Philippiens 3, cette course infinie (3);dont le même Grégoire de Nysse s’est fait le grand porte parole. 


«Mais ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. En fait, je considère tout comme une perte (...) Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.»

‭‭Philippiens‬ ‭3:7-15‬a


La capacité d’être prêtre n’est pas un acquis définitif. Il reste un don et une dynamique fragile, plus encore une vocation à la fois sublime et peut-être « impossible à l’homme » au sens de Mat 19,  mais pourtant donnée par Dieu comme un appel et une éternelle vocation, au même titre que le mariage, dans un autre ordre, n’est signe, que s’il reflète, non l’amour fragile des époux, mais sa capacité à signifier ce à quoi il est appelé, au sens donné par le « comme » d’Ephésiens 5…


Je l’ai déjà glissé, le prêtre n’est pas saint par nature, il peut le devenir au bout du voyage. Le sacrement de l’ordre ne le sanctifie pas « subito » mais le met en marche au même titre que le baptisé, qui revêtu de blanc, doit continuer à purifier son habit baptismal…


Mais peut-être vais-je un pont trop loin en disant cela…


(1) Gregoire de Nysse, Homélie sur le cantique des cantiques, source office des lectures du 7eme dimanche 

(2 et 3) cf. mes essais éponymes 

(*) sur ce thème voir mon commentaire dans « à genoux devant l’homme » plus développé que celui de Zumstein (op. cit. p.300) que je trouve bien frustrant compte tenu de l’enjeu ecclésiologique qu’il évoque sans développer et que je cherche à manduquer ici.